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Médecine de la Reproduction

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Quel impact de la congélation ovocytaire par vitrification sur l’épigénétique ? Volume 21, numéro 4, Octobre-Novembre-Décembre 2019

Illustrations


  • Figure 1

Tableaux

Depuis leur introduction, les techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP) ont permis la naissance de millions d’enfants chez des couples infertiles, représentant en tout 2 à 6 % des naissances en Europe [1, 2]. Bien que les procédures employées soient généralement reconnues sans risque, des associations existent entre l’AMP et une incidence accrue de petits poids de naissance, de malformations congénitales, de troubles de la croissance et du métabolisme ainsi que des retards de développement psychomoteur ou mental [3].

Plus spécifiquement, il a été rapporté une augmentation du nombre de cas de pathologies rares liées à l’empreinte génomique, telles que les syndromes de Beckwith-Wiedemann (BWS), d’Angelman et de Silver-Russel (SRS) [4]. L’AMP pourrait être préjudiciable à la reprogrammation épigénétique des gamètes et de l’embryon préimplantatoire, induisant des effets après la naissance. Les périodes de péri-conception et gamétogenèse, de fécondation et de développement embryonnaire précoce sont effectivement soumises physiologiquement à une reprogrammation épigénétique intense.

À l’échelle mondiale, la cryoconservation d’ovocytes est largement utilisée. Elle est principalement employée dans le cadre de la préservation de la fertilité, chez des femmes devant subir un traitement potentiellement stérilisant ou dont la fertilité risque d’être prématurément altérée, mais aussi dans le contexte du don d’ovocytes, et dans certains pays où la loi interdit la cryoconservation d’embryon.

La cryoconservation des ovocytes par la congélation dite lente a été initiée dans les années 1980 et la première naissance a été obtenue au Japon il y a maintenant plus de trente ans [5]. Un inconvénient majeur de cette technique est que les taux de survie ovocytaire sont restés extrêmement faibles. L’apparition de la vitrification ovocytaire a depuis complètement révolutionné ce domaine.

La vitrification est un processus physique au cours duquel un liquide passe à un état solide, dit vitreux, sans formation de cristaux de glace. De nombreuses études ont maintenant démontré que les taux de survie ovocytaire, de fécondation et de clivage embryonnaire après emploi de cette technique de vitrification étaient supérieurs à ceux obtenus après congélation lente, et pourraient même être équivalents à ceux obtenus avec les ovocytes non cryoconservés [6-13].

Avec la naissance de très nombreux enfants de par le monde et devant l’absence d’anomalies à la naissance de ces enfants conçus après l’utilisation de la vitrification ovocytaire [14-16], cette technique a été autorisée en France en 2011 (loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique). Elle est maintenant considérée par de nombreux pays comme la technique de première intention pour préserver la fertilité des femmes [17]. La vitrification ovocytaire connaît également un essor dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation (AMP) intraconjugale, souvent utilisée en cas d’échecs de recueil de sperme mais aussi pour préférer la conservation des ovocytes à celle des embryons dans certaines situations [18]. De plus, l’évolution de nos sociétés pourrait conduire, dans un futur très proche, à étendre les indications vers une congélation des ovocytes pour des raisons dites « sociétales ».

Il apparaît ainsi important que la technique de congélation des ovocytes ne soit pas délétère et cela pour les futures grossesses qui pourront être obtenues à partir de ces ovocytes.

Cependant, les issues de grossesse lors de l’utilisation de cette technique demeurent encore très hétérogènes entre les centres, les techniques utilisées et les opérateurs, nécessitant une longue courbe d’apprentissage et ne permettant pas de dépasser un taux de survie de 70-80 % [10].

De plus, il a été rapporté chez les mammifères que la vitrification ovocytaire pourrait diminuer de manière significative le potentiel de développement des ovocytes [19-21].

Les effets de la vitrification pourraient toutefois se situer au niveau moléculaire et impacter la régulation épigénétique, d’autant plus que c’est au cours de l’ovogenèse que d’importantes modifications épigénétiques ont lieu.

Cet article présente l’état des connaissances quant à l’impact de la congélation par vitrification sur la régulation épigénétique, après une description des marques épigénétiques contrôlant la transcription des gènes ainsi que des grands événements épigénétiques qui ont lieu au cours de la gamétogenèse.

Modifications épigénétiques au cours de l’ovogenèse

L’« épigénétique » regroupe tous les processus conduisant à la diversification de l’expression du matériel génétique, de manière héritable au cours des divisions cellulaires, sans impliquer de modifications des séquences nucléotidiques concernées. Ces processus, mis en place au cours du développement, sont nombreux et complexes, et ils influencent, directement ou indirectement, la structure de la chromatine. La méthylation de l’ADN apparaît comme une marque épigénétique majeure, faisant intervenir une modification covalente de l’ADN (méthylation en position 5’ des cytosines des dinucléotides CpG). Elle contribue au contrôle de l’activité génique, de manière coordonnée avec l’ensemble des modifications biochimiques post-traductionnelles de l’histone, connu sous le nom de « code des histones » (figure 1).

Les marques épigénétiques sont en outre impliquées dans la régulation fine d’un petit groupe de gènes dits « soumis à empreinte » (environ 150 décrits chez la souris et l’Homme ; http://www.har.mrc.ac.uk). Ces gènes présentent en effet une expression monoallélique dépendante de l’origine parentale de l’allèle. L’empreinte parentale est liée à un marquage épigénétique différentiel des allèles parentaux, établi au cours de la gamétogenèse. Les gamètes matures transmettent ensuite l’épigénotype parental qui sera maintenu au cours des divisions cellulaires successives après fécondation. Ce phénomène concerne différentes régions et joue un rôle majeur dans le développement et la croissance du fœtus.

La méthylation de l’ADN

La méthylation de l’ADN exerce, de manière globale, un rôle répressif sur l’activité génique et la transcription (figure 1). Elle constitue également l’un des mécanismes majeurs de l’initiation et du maintien de l’empreinte parentale ; elle est présente dans des régions dites différentiellement méthylées (DMR, pour differentially methylated regions), riches en dinucléotides CpG. Ces gènes soumis à empreinte sont généralement reproupés en loci, où chacun possède des DMR. Au sein de ces DMR, des régions de contrôle de l’empreinte (ICR, pour imprinting control regions) participent à la régulation des autres gènes soumis à empreinte au sein du même locus.

Grâce au développement récent de technologies permettant d’analyser de manière globale l’épigénome à partir de peu de cellules, les grands événements épigénétiques (dont l’étude s’est longtemps basée sur les données obtenues dans le modèle murin) ont pu être décryptés chez l’Homme, en particulier ceux rattachés à la méthylation de l’ADN [22, 23]. En résumé, les cellules germinales primordiales (PGC, pour primordial germ cells) subissent, dès les premières semaines du développement, une déméthylation importante de leur génome. La reméthylation gamétique sera ensuite différente selon le sexe. En effet, chez l’homme, la méthylation de novo des cellules germinales est initiée et quasi achevée au cours du développement prénatal, quand chez la femme, les ovocytes restent hypométhylés pendant toute la période fœtale, la méthylation de l’ADN n’étant acquise qu’en période post-pubertaire, au cours de chaque cycle, dans chaque lot d’ovocytes engagés vers l’ovulation.

Le fait que ce marquage soit établi progressivement, tout au long de la croissance ovocytaire, attire l’attention quant aux possibles dérégulations induites par les techniques d’AMP – en particulier la stimulation hormonale plurifolliculaire – mais aussi, potentiellement, par la manipulation des ovocytes nécessaire dans le protocole de congélation ovocytaire [24]. Il est intéressant de préciser que les patients atteints d’un syndrome de Beckwith-Wiedemann et nés après AMP présentent tous une altération de la méthylation portée par l’allèle maternel [25].

Le génome embryonnaire est également extensivement reprogrammé (déméthylé) au cours du développement préimplantatoire. Toutefois, la méthylation de l’ADN acquise dans la lignée germinale au niveau des centres d’empreinte est maintenue après la fécondation, afin d’assurer l’expression monoallélique et sexe-spécifique. La reméthylation du génome apparaît ensuite dans les cellules de la masse cellulaire interne du blastocyste.

Les marques d’histones

Les modifications post-traductionnelles des histones représentent un système de contrôle transcriptionnel beaucoup plus complexe, combinant plus de soixante-dix sites de modification biochimique et quelques centaines de protéines catalysant l’ajout ou le retrait de ces modifications. Les histones sont en effet des protéines associées à l’ADN qui permettent la compaction de l’ADN et l’organisation tridimensionnelle de la chromatine (l’unité structurale de la chromatine est le nucléosome, composé d’un octamère d’histones [quatre histones, chacune en deux exemplaires : H2A, H2B, H3 et H4] sur lequel s’enroulent 147 pb d’ADN). C’est au niveau des extrémités terminales (ou queues) des histones que ces modifications enzymatiques post-traductionnelles vont intervenir (figure 1). Chaque modification biochimique est associée à un état de compaction particulier de la chromatine ; de manière générale, l’acétylation des résidus lysines (K) indique un état actif, tandis que la méthylation des lysines et des arginines (R) peut avoir un effet activateur ou répresseur suivant leur position. À titre d’exemple, les marques de méthylation sur les lysines 9 et 27 de l’extrémité de l’histone H3 (soit H3K9 et H3K27) sont répressives, quand la marque de méthylation en H3K4 est activatrice.

Impact de la vitrification ovocytaire

Sur les niveaux de méthylation de l’ADN

Chez l’humain, seules trois études ont été réalisées, dont deux par technique d’immunofluorescence, globale et basée sur la détection du groupement méthyl sur les cytosines (tableau 1) [26-28]. Une étude a analysé les conséquences de la vitrification ovocytaire sur les niveaux de méthylation au stade embryonnaire [27], tandis que les deux autres ont analysé l’impact de la vitrification au stade de vésicule germinative, sur les ovocytes maturés in vitro.

En synthèse, aucune différence n’a été rapportée chez l’humain (tableau 1).

Les études réalisées chez l’animal – principalement les modèles bovins et murins (tableau 2) –, ont appliqué des techniques d’analyses variées, soit sur les ovocytes, soit sur les embryons, et en ciblant des catégories de gènes très différentes. Aussi ne permettent-elles pas d’établir de conclusions fermes sur l’impact épigénétique de la vitrification ovocytaire.

Deux études chez les bovins rapportent une diminution de la méthylation globale par immunofluorescence après vitrification ovocytaire [29, 30], tandis que l’analyse ciblée sur trois gènes soumis à empreinte ne met pas en évidence de différence significative [31].

L’analyse de la méthylation de l’ADN réalisée par de Zhao et al., portant sur les enzymes impliquées dans les modifications épigénétiques, n’a mis en évidence aucune différence [32]. Enfin, l’analyse des niveaux de méthylation des promoteurs de gènes de pluripotence montre un impact de la vitrification ovocytaire (tableau 2) [33].

Au stade de blastocyste issu d’ovocyte vitrifié, une diminution des niveaux de méthylation pourrait s’observer [29, 31]. Cette diminution semble prédominante au sein du trophectoderme [29].

Sur les modifications des histones

Ces analyses ont été menées uniquement chez l’animal (tableau 2). Les résultats sont là aussi complexes à interpréter. En effet, différentes modifications d’histones ont été étudiées. Toutefois, il semble que la vitrification entraîne une augmentation des niveaux d’acétylation des histones (H4 et H3) [34-36]. Il est à noter que l’inverse a été observé au niveau du trophectoderme [29]. Concernant les niveaux de méthylation de l’histone H3K9, les résultats rapportés apparaissent également discordants (tableau 2).

Discussion

Chez l’homme, il est difficile d’établir des conclusions devant le faible nombre d’études. Les résultats sont en outre basés soit sur des techniques présentant une faible résolution d’analyse (immunofluorescence), soit à partir de seulement deux gènes soumis à empreinte.

Chez l’animal, en revanche, la vitrification ovocytaire pourrait, d’une part, modifier les profils de méthylation de l’ADN de manière globale, sans réel effet négatif sur l’empreinte, et d’autre part impacter les modifications biochimiques d’histones.

Ces changements épigénétiques pourraient expliquer les modifications expressionnelles obervées dans la littérature, à savoir une down-regulation globale de l’expression (modèle bovin) [37], et plus particulièrement des gènes impliqués dans la synthèse de l’ATP (modèle bovin) [38, 39] et l’ubiquitination (chez l’Homme) [40].

Les auteurs rapportent également des modifications au niveau des gènes impliqués dans la régulation du cycle cellulaire [37] ainsi qu’une up-regulation des gènes impliqués dans le stress oxydatif (modèle murin) [41] et l’apoptose (modèle bovin) [21].

Conclusion

Cette revue de la littérature met en évidence la nécessité d’améliorer nos connaissances sur les mécanismes de régulation potentiellement impactés par le procédé de vitrification-réchauffement des ovocytes, qui reste très peu étudié chez l’humain. Cette amélioration des connaissances est maintenant rendue possible par l’utilisation des nouvelles technologies permettant une analyse à grande échelle de la méthylation de l’ADN (méthylome) et de la transcription (transcriptome), à partir d’une faible quantité de matériel (à l’échelle d’une seule cellule [single-cell]).

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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