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Médecine de la Reproduction

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La vitrification embryonnaire automatisée : où en sommes-nous ? Volume 21, numéro 4, Octobre-Novembre-Décembre 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

Tableaux

La cryopréservation embryonnaire a pour but de maintenir de façon quasi illimitée les capacités développementales d’un embryon. Dans ce but, toute technique de cryopréservation doit lutter contre deux facteurs au moment du refroidissement :

  • la formation de cristaux de glace à l’intérieur comme à l’extérieur des cellules, susceptibles d’entraîner des dommages mécaniques,
  • des concentrations trop importantes en molécules toxiques pour les cellules.

La déshydratation partielle des cellules est nécessaire pour lutter contre le premier, en prenant le risque de faciliter le second. Les protocoles de congélation des embryons sont basés sur l’utilisation de cryoprotecteurs et sur l’application de vitesses de refroidissement plus ou moins importantes selon les protocoles.

Les cryoprotecteurs sont des molécules capables de se lier à l’eau (via des liens hydrogène) et induisant de cette façon une diminution de sa température de fusion (l’eau reste donc liquide à des températures négatives). Les cryoprotecteurs pénétrants dans les cellules (diméthylsulfoxyde [DMSO], polypropylène-glycol, propanediol) ont ainsi la double fonction de maintenir une partie de l’eau intracellulaire et extracellulaire à l’état liquide et d’éviter de trop fortes concentrations de solutés potentiellement toxiques. Les cryoprotecteurs non pénétrants (sucrose) ont quant à eux pour fonction de créer des conditions hyperosmolaires dans l’environnement extracellulaire, et de contribuer ainsi à la déshydratation cellulaire par osmose. Dans la congélation lente, le principe général est que la déshydratation cellulaire est lente, permettant ainsi une augmentation progressive de la concentration en cryoprotecteurs intracellulaires. Celle-ci s’accompagne de la baisse concomitante de la température de fusion (Tm pour melting temperature) de l’eau intracellulaire restante. La cristallisation est provoquée (seeding) et participe à la déshydratation : la Tm continue à baisser jusqu’à atteindre la température environnante. À partir de là, la croissance de cristaux intracellulaires n’est plus possible, même si la température continue à diminuer. Vers -100 ̊C, les zones non congelées passent directement à l’état vitreux, la température de transition vitreuse (Tg pour glass temperature) étant atteinte. Ainsi, même dans la technique de congélation lente, les cellules sont préservées par un phénomène physique de vitrification entre des zones cristallisées.

La vitrification consiste en l’obtention d’un état amorphe, vitreux, de l’échantillon, sans formation de cristaux de glace. La probabilité de vitrification augmente avec la vitesse de refroidissement et la viscosité du milieu (la concentration en cryoprotecteurs) ; elle diminue avec le volume [1]. La vitesse de refroidissement élevée permet d’atteindre très vite la Tg. Le faible volume permettra non seulement d’augmenter la vitesse de refroidissement mais aussi d’éviter la nucléation de cristaux de glace, phase initiale de la cristallisation provoquée par un arrangement spécifique des molécules d’eau, de survenue aléatoire dont la probabilité augmente donc avec le volume. La viscosité (les cryoprotecteurs) influence négativement à la fois les chances de nucléation des cristaux de glace et leur croissance.

L’optimisation des techniques de vitrification consiste donc à jouer sur chacun de ces trois critères. Néanmoins, une trop forte concentration en cryoprotecteurs peut être toxique, aussi est-ce surtout sur la vitesse de refroidissement et le volume que les efforts ont porté, même s’il semble que les concentrations intracellulaires en cryoprotecteurs atteintes après vitrification ne soient pas si élevées [2]. Les vitesses de refroidissement les plus importantes sont obtenues avec les systèmes de vitrification dits ouverts, où l’échantillon est directement mis en contact avec l’azote liquide : de 15 000 à 23 000 ̊C/min avec Cryoloop® ou Cryotop®(Kitazato, Tokyo, Japon) versus de 1 300 à 2 000̊C avec un système fermé type paillette CBS HSV (Cryo Bio System, L’aigle, France), Rapid-I® (Vitrolife, Goeteborg, Suède) ou Vitrisafe® (VitriMed, Salzbourg, Autriche), où l’échantillon est protégé d’une contamination septique par un emballage étanche. Toutefois, le dogme de la supériorité des systèmes ouverts sur les systèmes fermés est de plus en plus remis en cause [3], probablement du fait que les vitesses de réchauffement sont semblables entre les deux systèmes. En effet, la vitesse de réchauffement pourrait être encore plus déterminante pour le succès de la vitrification que celle de refroidissement [4], du fait de la possibilité de recristallisation en cristaux plus volumineux en cas de réchauffement trop lent [5].

Pourquoi automatiser la technique de vitrification ?

Actuellement toutes les étapes de la vitrification embryonnaire sont manuelles. Sous contrôle de la loupe, l’opérateur fait passer chaque embryon dans les différentes solutions d’équilibration et de vitrification, puis dépose l’embryon sur le support de vitrification dans un volume très faible de solution de vitrification et à l’emplacement adéquat, scelle le dispositif s’il s’agit d’un support fermé, avant de le plonger dans l’azote liquide. Le respect scrupuleux des temps de contact avec les différentes solutions avant la mise dans l’azote liquide rend la procédure à la fois délicate et très contrainte, exigeant une réelle expertise. C’est pourquoi elle est réputée opérateur-dépendante [6]. Une expérimentation l’a mis en évidence. Au sein d’une même équipe (et donc avec la même procédure), une patiente a préservé des ovocytes matures après vitrification par trois opérateurs différents après trois cycles successifs de stimulation. Les quarante-trois ovocytes obtenus au total ont été réchauffés en même temps par le même opérateur. Les taux de survie étaient de 71 % (10/14) et 70 % (12/17) pour les premier et troisième cycles et de 17 % (2/12) pour le second cycle [7]. Bien sûr, l’étape du réchauffement de l’échantillon, entièrement manuelle également, est soumise aux mêmes aléas. Cette étape est très importante pour le succès de la vitrification. Au final, la grande variabilité interopérateur qui existe après vitrification-réchauffement est objectivée par la dispersion des valeurs de taux de survie ovocytaire (de 69 à 99 %) rapportée dans la méta-analyse de Potdar et al.[8].

Aussi les raisons sont-elles nombreuses pour automatiser la technique de vitrification :

  • réduire autant que possible le facteur d’opérateur-dépendance, voire le supprimer, via le respect rigoureux des temps de contact avec les cryoprotecteurs et des volumes utilisés, et une stricte reproductibilité du dépôt de l’embryon sur le dispositif de vitrification,
  • accélérer l’acquisition de la performance technique. Une seule étude a cherché à évaluer la courbe d’apprentissage de la vitrification embryonnaire et ce, sur un seul apprenant [9]. En utilisant le test LC-CUSUM (pour learning-curve cumulative summation test) et un modèle de zygote humain à trois pronucléi, les auteurs rapportent un chiffre de quarante-trois procédures à effectuer pour qualifier l’apprenant (taux de survie supérieur à 60 %). Cette seule donnée ne donne qu’un ordre de grandeur très approximatif mais il est légitime de penser que l’automatisation de la procédure accélérerait de façon importante son apprentissage,
  • harmoniser les procédures : il existe de nombreux kits de solutions de vitrification dont les compositions, les viscosités et les procédures varient. De même, il existe de nombreux dispositifs de stockage, en système fermé comme en système ouvert, pour lesquels les volumes requis pour le dépôt de l’embryon et les vitesses de refroidissement sont différents. Il est probable que l’offre de choix serait moindre pour les automates de vitrification,
  • gagner du temps technique,
  • au final, optimiser et homogénéiser les résultats.

Les dispositifs de vitrification automatisés

À notre connaissance, trois dispositifs ont été mis au point : les appareils Gavi®[10] et Sarah®[11] et le système RoboVitri®[12], développés respectivement par les sociétés Genea Biomedx (Australie), Fertile SAFE (Israël) et des chercheurs de l’université de Toronto (Canada). Seul l’appareil Gavi® est actuellement commercialisé en France (Merck). Ne sont pas abordées ici les techniques faisant appel à la microfluidique (voir la revue [13]) qui restent à l’état de prototypes.

L’appareil Gavi®

Gavi® est un appareil de vitrification semi-automatisé en système fermé (figure 1A) : les étapes automatisées sont les bains dans les solutions successives d’équilibration et de vitrification et le scellement du contenant (appelé un pod) (figure 1B). Des réactifs et consommables spécifiques s’insèrent sur un support à charger dans l’appareil (figure 1C). Le pod est conçu de telle sorte que l’ajout et le retrait des solutions de vitrification par l’appareil permettent un maintien en place de l’embryon dans le dispositif (figure 1D) et que les vitesses de refroidissement et de réchauffement mesurées soient respectivement de 14 100 ̊C/min et de 11 200 ̊C/min [10]. Jusqu’à quatre pods peuvent être disposés sur une cassette (figure 1E) à insérer dans l’appareil avant lancement du cycle de vitrification (d’une durée de 13 à 18 min, selon le stade embryonnaire). Le dépôt initial de l’embryon dans le pod, le retrait du pod scellé de l’appareil et son dépôt dans l’azote liquide au cours de la vitrification, ainsi que les étapes de réchauffement, restent manuelles. Gavi® est conçu pour la vitrification d’ovocytes, d’embryons précoces et de blastocystes. Une vidéo de démonstration est disponible1.

Les résultats disponibles sont rares. Chez la souris, selon les concepteurs de l’appareil, (tableau 1) si la survie de zygotes après réchauffement est légèrement inférieure après vitrification Gavi® à celle obtenue après vitrification en Cryotop®, celle d’embryons J3 est identique tout comme leurs taux d’expansion à J5 et d’éclosion à J6 [10]. Dans cette étude, quelques blastocystes humains vitrifiés (à J5 ou J6) et donnés à la recherche ont été réchauffés et revitrifiés 4 à 24 h après, soit par Gavi® (n = 23), soit par Cryotop® (n = 13). Les auteurs annoncent des taux de développement (éclosion) à 24 et 48 h après réchauffement identiques, mais les données sont confuses et les effectifs faibles. Cependant, cette même équipe australienne a récemment présenté des données intermédiaires d’un essai randomisé contrôlé comparant Gavi® et Cryotop® pour des couples présentant au moins un blastocyste euploïde après screening génétique [14]. Après Gavi®, la survie et les taux de grossesse clinique après transfert monoembryonnaire électif étaient strictement superposables aux valeurs obtenues en Cryotop® (tableau 2). Au total, vingt-six naissances sont rapportées par cette équipe, à l’origine du système [14], et deux grossesses cliniques évolutives (vingt-huit et trente semaines) par un autre groupe [15].

Un essai randomisé contrôlé multicentrique allemand [16] inclut actuellement des couples bénéficiant d’une vitrification au stade zygote (Gavi®versus Cryotop®). Les résultats intermédiaires ne rapportent aucune différence quant aux taux de survie ou de grossesse (tableau 2).

Ainsi, les rares données disponibles suggèrent que l’efficacité du système de vitrification Gavi® est comparable à celle du système ouvert le plus utilisé, le Cryotop®, en ce qui concerne les zygotes et les blastocystes. Nous avons récemment engagé un essai randomisé contrôlé (NCT03478592) comparant l’efficacité de la vitrification semi-automatisée par Gavi® à celle de la congélation lente automatisée d’embryons précoces (J2-J3). Le critère de jugement principal est le taux d’implantation par embryon décongelé (= nombre de sacs gestationnels avec activité cardiaque/nombre d’embryons décongelés). À ce jour, 133 couples ont été randomisés dans chaque bras (objectif total : 425 couples, soit 555 embryons par bras). Il n’est pas prévu d’analyse intermédiaire dans le protocole. Si la majorité des couples inclus n’ont pas encore bénéficié d’un réchauffement embryonnaire, on peut toutefois dire que les taux de survie totale (100 % des blastomères intacts) des embryons après réchauffement semblent bons (> 90 %) après vitrification Gavi®. Enfin, les résultats intermédiaires d’un essai contrôlé randomisant des ovocytes de donneuses entre Cryotop® et Gavi® rapportent, sur respectivement trente-huit et quarante-deux ovocytes, des taux identiques de survie (76,3 versus 78,6 %) et de fécondation après injection intracytoplasmique de spermatozoïde (65,5 versus 75,8 %) [17].

L’appareil Sarah®

Conçu par la société israélienne Fertile Safe, Sarah® (figure 2) n’est pas encore commercialisé. En théorie, ce système est plus avancé que Gavi®, puisque, excepté le chargement initial de l’embryon dans la paillette (0,25 mL), l’ensemble de la procédure de vitrification et de réchauffement est automatisée. La clé du système est constituée par une grille appelée eVit, qui est percée de pores de 50 μm (figure 2C). Elle se place manuellement à l’extrémité d’une paillette (type CBS haute sécurité, figure 2D) une fois l’embryon aspiré à l’intérieur selon la même technique qu’en congélation lente. Les paillettes (jusqu’à six paillettes) sont placées sur un bras robotisé qui se déplace verticalement pour mettre en contact, pour une durée prédéterminée, l’embryon avec les différentes solutions d’équilibration et de vitrification grâce à un carrousel thermostaté (24 ̊C) et motorisé comprenant neuf cupules (figure 2B). Les cupules paires contiennent les solutions d’équilibration et de vitrification à des concentrations variables selon les espèces. Avant chaque nouveau bain, le milieu contenant l’embryon est aspiré par capillarité au travers de la grille eVit, le bras apposant la paillette sur un papier absorbant (cupules impaires). Une fois la solution de vitrification absorbée, le bras plonge les paillettes dans l’azote liquide contenu dans un récipient isolé thermiquement. On détache manuellement du bras les paillettes pour leur stockage. Le réchauffement suit la procédure inverse (solutions de réchauffement de concentrations décroissantes), si ce n’est que le bain initial à 37 ̊C au sortir de l’azote liquide est réalisé manuellement.

Les seules données disponibles avec Sarah® proviennent de Fertile Safe ; elles concernent la souris et le bovin (tableau 1). Les vitesses de refroidissement et de réchauffement ont été mesurées à 18 000 et 21 454 ̊C/min respectivement [11].

Le système RoboVitri

Ce système développé par des chercheurs de l’université de Toronto est à l’état de prototype [12]. Il parait séduisant, puisqu’il permet :

  • une localisation automatisée de la micropipette dispensant les solutions et manipulant l’embryon et de la paillette de vitrification,
  • une détection et un suivi de l’embryon dans les trois dimensions (et de son volume, ce qui permettrait d’adapter automatiquement les temps de contact),
  • un dépôt de l’embryon dans sa paillette de vitrification, ainsi que l’apport et l’aspiration des milieux de vitrification par le robot.

Seule l’immersion de la paillette (qui n’est pas détaillée, mais sera en système ouvert) dans l’azote liquide est manuelle. Il est constitué d’un microscope droit (Olympus SZX16, Olympus Canada) muni d’un contrôle motorisé du grossissement et du focus, d’une platine motorisée en axes XY (résolution de 0,01 μm) sur laquelle se positionnent un support préformaté pour contenir une boîte de culture, une plaque multipuits (contenant les solutions) et des paillettes de vitrification, d’un bras robotisé se mouvant dans les trois dimensions et portant la micropipette elle-même reliée à une seringue motorisée et enfin d’une caméra permettant un contrôle visuel. Le tout est piloté par un logiciel dédié. L’ensemble est détaillé dans la publication princeps datant de 2015 [12], qui démontre aussi la preuve du concept sur une vingtaine d’embryons de souris. Toutefois, aucune autre donnée n’a été rednue disponible, à notre connaissance, depuis cette publication.

Conclusion

Les données actuellement disponibles sur les trois systèmes de vitrification automatisés ou semi-automatisés présentés ici, bien qu’encourageantes, sont peu nombreuses et proviennent en majorité du groupe qui a participé à leur élaboration. Aussi, d’autres études cliniques, en particulier randomisées et contrôlées, sont indispensables avant de pouvoir affirmer l’intérêt de l’appareil. Si sa non-infériorité par rapport à d’autres techniques de cryopréservation embryonnaire était clairement démontrée en termes d’efficacité clinique, il restera à en étudier son intérêt médico-économique. Par embryon vitrifié, le coût des réactifs et consommables, hors acquisition de l’appareil, représente environ trois à quatre fois celui d’un système manuel.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.


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