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Médecine de la Reproduction

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Conséquences cliniques du retard à la procréation chez la femme Volume 21, numéro 3, Juillet-Août-Septembre 2019

Le mouvement de report des maternités, général dans le monde développé, est associé à l’allongement de la durée des études, à la progression de l’emploi féminin et au souhait croissant des femmes et des hommes de n’avoir des enfants qu’une fois installés dans la vie, avec des diplômes, un emploi stable, un logement et une vie de couple – comme l’a récemment souligné Pison [1]. La diffusion de la contraception moderne et la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse ont contribué à ce report en réduisant la fréquence des grossesses et des naissances non désirées [1].

Le désir tardif d’enfant est devenu un réel problème de société. L’âge de la maternité ne cesse de reculer, tout particulièrement dans les grandes villes et chez les femmes les plus diplômées [2]. Les données de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ont révélé que les mères de plus de 40 ans représentaient, en 2014, 5 % des naissances en 2013 contre 1 % en 1980. Aux causes classiques de ce report, énumérées ci-dessus, il faut désormais rajouter les causes moins connues telles que l’ignorance, voire le déni de la chute de la fertilité avec l’âge, tant chez la femme que chez l’homme, et le souhait des femmes de ne pas faire d’enfant seule, et donc d’attendre d’avoir rencontré celui (parfois celle) avec qui cela sera possible. Tout se conjugue donc pour que les femmes programment de plus en plus tard leur grossesse. Ce déni des femmes, mais aussi et surtout des hommes, de la chute de la fertilité avec l’âge est désormais bien démontré. Il existe une sous-estimation de l’impact de l’âge sur la fertilité [3, 4] surtout chez les étudiantes et chez les femmes les plus diplômées [5, 6], une méconnaissance des risques des grossesses tardives [7, 8] et une confiance excessive dans l’assistance médicale à la procréation (AMP) pour contrebalancer les effets adverses de l’âge [3, 9, 10]. Ce retard à la procréation a pour conséquences cliniques que, plus âgées, les femmes mettent plus de temps à concevoir spontanément, et qu’elles consultent donc plus fréquemment pour infertilité ; or, les résultats des traitements sont inversement corrélés à l’âge de la femme. Enfin, les grossesses obtenues chez ces femmes plus âgées sont plus à risques pour elle et pour l’enfant.

Fertilité spontanée et âge maternel

Malgré l’existence d’une grande disparité interindividuelle, la fertilité féminine chute autour de l’âge de 40 ans, puis s’effondre à partir de 45 ans [11]. Chez la femme, le nombre de follicules au repos est définitivement fixé à la naissance. À partir de ce moment et jusqu’à la ménopause, l’effectif de cette « réserve ovarienne » diminue, en raison du passage régulier des follicules au repos vers l’apoptose ou vers la croissance. À partir d’environ 38 ans, l’appauvrissement de la réserve ovarienne s’accélère et se traduit par une chute significative du nombre de follicules en croissance. Les capacités reproductives sont souvent épuisées plusieurs années avant la ménopause, qui survient vers 50 ans dans les populations actuelles des pays développés et/ou déclinent fortement bien avant que celle-ci ne soit atteinte [12].

La chute de la fécondité naturelle est démontrée par la diminution des naissances selon la tranche d’âge de la mère. Le modèle des inséminations artificielles avec sperme de donneur (IAD) élimine tout autre facteur que l’âge de la mère (tel l’âge du père ou la fréquence des rapports). Les Centres d’études et de conservation des œufs et du sperme (Cecos) avaient, dès 1982, parfaitement mis en évidence la chute des taux des succès en IAD avec l’âge de la femme [13]. Ils rapportaient en effet un taux de conception cumulé sur douze cycles de 73 % chez les femmes âgées de 25 ans ou moins, de 74 % entre 26 et 30 ans, de 61 % entre 31 et 35 ans et de seulement 56 % entre 36 et 40 ans. Les études les plus récentes basées sur le délai de conception après arrêt de la contraception, comme les études historiques plus anciennes, estiment la fécondabilité apparente à 25 % vers 20-30 ans [12]. Ces 25 % de chances d’obtenir une grossesse par cycle ne valent qu’à l’âge de 25 ans et les probabilités de conception sont estimées à 12 % à 35 ans et à 6 % à 40 ans. L’effet négatif de la durée d’infécondité est lui aussi totalement méconnu, bien qu’il ait été publié par Schwartz dès 1981 [14]. La probabilité de concevoir des couples est ainsi de 24-25 % par cycle au départ, mais elle n’est plus que de 8 % à un an et de 4 % à deux ans.

Leridon [15] a démontré que sur 100 femmes cherchant à concevoir à partir de 30 ans, quatre-vingt-onze auront un enfant dans les quatre ans, sans recourir à l’AMP, trois y parviendront ensuite grâce à l’AMP et les six autres resteront sans enfant. Sur 100 femmes cherchant à avoir un enfant à partir de 35 ans, quatre-vingt-deux en auront un dans les trois ans, quatre grâce à l’AMP et quatorze resteront sans enfant. Si le projet d’enfantement est engagé à partir de 40 ans, seules cinq femmes sur 100 y réussiront dans les deux ans, sept en recourant à l’AMP et trente-six resteront sans enfant. Ces données sont trop souvent ignorées des femmes, pour qui 25 % de grossesse par cycle reste la probabilité communément admise, quels que soient leur âge et leur durée d’infertilité.

Âge de la femme et résultats des thérapeutiques de l’infertilité

L’âge moyen à la première naissance dépasse désormais 30 ans en France et dans la plupart des pays européens. En 2009, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a changé sa définition de l’infertilité, la faisant passer de deux ans de rapports réguliers sans obtention de grossesse à une seule année, et a recommandé une prise en charge plus rapide si la femme a plus de 35 ans [16]. Le National Institute for Health and Clinical Excellence (NICE), en Angleterre, et l’American Society for Reproductive Medicine (ASRM), aux États-Unis, recommandent tous deux une prise en charge dès six mois de rapports réguliers sans obtention de grossesse si la femme a plus de 35 ans [17, 18]. Ces recommandations restent toutefois trop souvent ignorées par le public, voire par de nombreux médecins qui appliquent toujours le dogme des deux ans, quels que soit l’âge et l’histoire des femmes avant de débuter les explorations, ce qui contribue encore au retard à la prise en charge des femmes et à leur arrivée en AMP : inséminations intra-utérines (IIU), fécondation in vitro classique (FIV) ou avec injection intracytoplasmique de spermatozoïdes (ICSI). Contrairement aux idées reçues, l’AMP n’est pas la baguette magique qui va compenser l’effet négatif du vieillissement, car son efficacité diminue rapidement quand l’âge de la femme s’élève [15]. Ce paramètre est, en effet, le premier facteur de succès, quel que soit le traitement d’infertilité envisagé.

En insémination intra-utérine

Les résultats européens des inséminations intra-utérines (IIU) exposées lors du congrès de 2019 de l’European Society for Human Reproduction and Embryology (ESHRE) font état d’un taux d’accouchement par cycle de 3,7 % après 40 ans contre 8,1 % entre 35 et 39 ans et 9,8 % jusqu’à 34 ans.

Les résultats en IIU chutent tant avec l’âge que, dès 38 ans, de nombreuses équipes préfèrent passer directement à la FIV. L’étude de Wiser avait démontré, dès 2012, que cette dernière technique est la plus efficace après 40 ans [19]. Il s’agissait d’une analyse rétrospective sur 247 femmes de 40 ans et plus présentant une infertilité inexpliquée ou une insuffisance ovarienne débutante, et qui ont bénéficié :

  • soit d’IIU avec clomifène (n = 46),
  • soit d’IIU avec gonadotrophines (n = 39),
  • soit d’une maturation in vitro (MIV, n = 38),
  • soit d’une FIV (n = 124).

Aucune grossesse n’est rapportée dans les groupes clomifène et MIV ; les taux de grossesses cliniques sont respectivement de 2,6 % et de 16,9 % dans les groupes gonadotrophines/IIU et FIV et les taux d’accouchements de 2,6 % et 13,7 %. Les auteurs concluent que la stimulation de l’ovulation ou la MIV font perdre inutilement du temps aux femmes. En 2014, Goldman, dans une étude randomisée, a confirmé la supériorité de la FIV directe, en comparant l’efficacité de deux cycles de clomifène + IIU ou d’hormone folliculostimulante (FSH) + IIU puis FIV après échec ou de la FIV d’emblée et rapporté des taux cumulatifs de grossesse de 21,6 et 17,3 % contre 49 % en cas de FIV d’emblée [20].

En fécondation in vitro classique ou avec injection intracytoplasmique de spermatozoïdes

Toutes les études vont dans le même sens : les taux de grossesses et de naissances par cycle, par ponction ou par transfert diminuent avec l’âge de la femme en FIV et en ICSI, hors don d’ovocyte. L’étude rétrospective de Mariappen et al. démontre que le pronostic en FIV/ICSI dépend avant tout de l’âge de la femme, et n’est pas influencé par les paramètres du sperme ou l’âge de l’homme [21]. Les dernières données de l’Agence de la biomédecine (ABM), envoyées à chaque centre et portant sur l’année 2016, font état d’un taux d’accouchement par ponction, en France :

  • de 28,1 % entre 25 et 29 ans,
  • de 24,3 % entre 30 et 34 ans,
  • de 20,3 % entre 35 et 37 ans,
  • de 14,6 % entre 38 et 39 ans,
  • de 8 % entre 40 et 42 ans,
  • de 2 % à 43 ans.

Malgré ces données, l’âge des candidates à la FIV va en augmentant. D’après les rapports annuels de l’ABM, la proportion de femmes de 38 ans et plus en FIV est passée de 27,5 % en 2007 à 28,4 % en 2017 et, pour l’ICSI, de 21,3 % à 25,6 % !

L’idéal serait que les femmes arrivent en FIV avant l’âge fatidique de 38 ans, où la chute des taux de succès s’accélère, ce qui sous-entend une prise en charge différente du désir d’enfant dès 35 ans, comme le recommandent l’ASRM et le NICE.

Les risques des grossesses tardives

Avortements spontanés et aberrations chromosomiques

D’après Warbuton, le taux de fausses couches spontanées atteindrait 33,8 % à partir de 40 ans contre 11,7 % entre 30 et 34 ans, 17,7 % entre 35 et 39 et 53,2 % après 45 ans [22] L’élévation du taux d’aberrations chromosomiques avec l’âge est bien connue. Le risque de survenue d’anomalie chromosomique est estimé à 1,6 % à 38 ans, 2,21 % à 40 ans et 4 % à 42 ans. La fréquence des atteintes chromosomiques entre 40 et 45 ans est de 3 % des naissances vivantes [23]. La trisomie 21 représente la moitié des atteintes chromosomique imputables à l’âge maternel.

Complications de la grossesse

La littérature est unanime, les maladies préexistantes chroniques sont toutes plus fréquentes chez les femmes de 40 ans et plus : hypertension artérielle (HTA), diabète, obésité, fibromes, dysfonctionnement thyroïdien, antécédent de pathologie cardiaque et thromboembolique. Ces femmes ont également une prévalence des fibromes plus importante, entraînant une malposition fœtale, un travail dystocique et des césariennes [24].

La quasi-totalité des études met en évidence une augmentation de la fréquence du diabète gestationnel et de l’HTA avec l’âge [24]. Un taux significativement plus élevé de césariennes, dès l’âge de 35 ans, est noté dans toutes les publications. Cette augmentation de la fréquence des césariennes est plus nette chez les primipares, mais elle est généralement observée aussi chez les multipares. Elle concerne à la fois les césariennes de principe (décidées avant la mise en travail) que celles réalisées en urgence, et est observée pour toutes les indications, souffrance fœtale comprise. Le taux d’extraction instrumentale est également plus élevé [25].

Le taux de mortalité maternelle s’élève également avec l’âge. Sa valeur la plus basse est enregistrée entre 25 et 29 ans ; la différence par rapport à cette classe d’âge est ensuite statistiquement significative à partir de 35 ans : le risque est multiplié par 2,4 pour les femmes âgées de 35-39 ans, et par 3 au-delà de 40 ans [26].

État des enfants à la naissance

Le taux de prématurité s’élevé avec l’âge [24]. Pour la majorité des auteurs, il existe une augmentation des morts in utero et de la mortalité périnatale dès 35 ans, chez les nullipares comme chez les multipares [27].

À 40 ans, la majorité des études concluent à un devenir fœtal plutôt favorable, mais toutes soulignent l’augmentation des complications avec l’âge maternel, quelle que soit la parité.

À 45 ans, la majorité des grossesses proviennent d’un don d’ovocyte. La méta-analyse de Schoen et Rosen regroupant seize études sur des femmes de 45 ans et plus, rapporte une augmentation de l’HTA gravidique (risque relatif [RR] de 2,8), du diabète gestationnel (RR de 14,2), du taux de césarienne (RR de 4,1) et de la mortalité périnatale (RR de 2,4) [28].

Il est désormais reconnu que les grossesses après don d’ovocyte sont des grossesses à haut risque, quel que soit l’âge de la femme, avec une augmentation des risques d’HTA, de pré-éclampsie, de prématurité, de césariennes, d’hémorragies de la délivrance et de métrorragies du premier trimestre [29].

Conclusion

Le désir tardif d’enfant est devenu un véritable problème de société en Europe et dans la plupart des pays dits développés. Les femmes attendent – parfois on les fait attendre –, leur partenaire n’est pas prêt, leur médecin pas toujours au courant des bonnes pratiques actualisées, etc. Tout se conjugue pour que, s’essayant plus tard à la maternité, elles consultent plus fréquemment les spécialistes de l’infertilité, qui auront eux-mêmes moins de résultats, les femmes étant plus âgées ! Une nouvelle forme d’infertilité, sans autre cause que l’âge, est ainsi apparue, à différencier des infertilités inexpliquées. Les grossesses obtenues seront, même passé le cap des anomalies chromosomiques, plus à risques que celles des femmes plus jeunes ; une nouvelle obstétrique est donc aussi apparue : celle des grossesses tardives, voire ultratardives. Les conséquences cliniques du recul du désir d’enfant chez la femme sont donc une réalité ; l’autoconservation ovocytaire pourrait les réduire, encore faut-il qu’elle soit autorisée et accessible dans tous nos pays.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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