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Quelle prise en charge initiale du psychotraumatisme en médecine générale ? Volume 15, numéro 6, Juin 2019

Situation clinique

Je reçois pour la première fois une patiente âgée de 29 ans, accompagnée de son fils de 3 ans. Le visage de la patiente est cerné et marqué d’une ecchymose périorbitaire. Elle me raconte qu’elle aurait été victime d’une agression la veille. Je l’écoute alors attentivement. La patiente est en couple et son garçon est en bonne santé. Elle est caissière dans un supermarché. Son compagnon est manutentionnaire à l’aéroport et travaille de nuit. La famille vit en HLM.

Je retrouve dans son dossier un antécédent d’épisode dépressif ancien et résolu. Elle ne prend actuellement aucun traitement. Elle me raconte avec une voix tremblante qu’elle aurait été victime d’une agression physique la veille au soir sur le parking de son immeuble alors qu’elle rentrait d’une longue et fatigante journée de travail. Cette agression aurait été commise par trois individus. Ils l’auraient menacé de mort, lui auraient porté des coups au visage et aux deux bras pour lui dérober son téléphone portable. Ils auraient ensuite pris la fuite. Il n’y avait pas eu d’agression sexuelle. Elle me précise alors qu’elle aurait reconnu ses agresseurs, habitants d’un quartier voisin.

Au cours de son récit, elle a le regard parfois absent mais au terme elle éclate en sanglot. Je me sens mal à l’aise face à sa détresse. À l’examen physique, je note qu’elle a plusieurs ecchymoses noirâtres aux deux membres supérieurs et au visage, mais aucune complication. Le reste de l’examen physique est normal.

La patiente semble déterminée à porter plainte auprès de la police et me demande d’établir un certificat médical. Je rédige alors le certificat médical initial (CMI) en me focalisant sur les lésions physiques et en commettant l’erreur de ne pas préciser les symptômes psychologiques. À l’issue de cette première consultation, je lui prescris un traitement antalgique et un arrêt de travail. Je propose à la patiente de la revoir quatre jours après.

Elle s’est présentée en consultation quatre jours plus tard, cette fois-ci accompagnée par sa mère. J’appréhende la consultation de peur de me retrouver face à une patiente en détresse. Elle semble tendue et jette des regards derrière elle en entrant dans mon bureau. Elle m’explique que depuis l’agression elle a du mal à trouver le sommeil, elle sursaute au moindre bruit et a fortement changé ses habitudes. En effet, elle a du mal à sortir de chez elle et évite le parking de son immeuble, elle dort désormais dans le salon face à la porte d’entrée de son appartement. Elle m’explique aussi qu’elle connait ses agresseurs et a très peur de les recroiser dans la rue ; elle est donc très vigilante lorsqu’elle sort. Elle a beaucoup de mal à conduire son fils à l’école et sort uniquement accompagnée.

Sa mère me confirme les dires et m’explique qu’elle lui apporte de l’aide pour les tâches de la vie quotidienne depuis l’agression.

La patiente a une réelle souffrance psychique, elle arrive à verbaliser ce qu’elle ressent et me remercie de mon écoute. Elle ne verbalise pas d’idées suicidaires. Je lui laisse plus de temps pour exprimer ses émotions. À l’issue de cette consultation, je prescris à ma patiente de l’hydroxyzine pour calmer son angoisse mais je me sens démuni en ressource thérapeutique. Je décide donc de l’orienter vers le centre médico-psychologique le plus proche en lui proposant de la revoir en consultation si nécessaire.

Identification des problématiques

  • Comment reconnaître un état de stress aigu puis un trouble de stress post-traumatique ?
  • Quels sont les facteurs de risque de développer un TSPT ?
  • Quelle prise en charge proposer à l’issue de la première consultation ?
  • Quelles spécificités psychiatriques pour le certificat médical initial ?

Comment reconnaître un état de stress aigu puis un trouble de stress post-traumatique ?

Dans cette situation clinique, j’ai centré la première consultation sur les lésions physiques ainsi que sur la rédaction du CMI, mais j’ai omis d’explorer les répercussions psychologiques. Quels sont donc les symptômes à reconnaître après un psychotraumatisme ?

Le trouble de stress post-traumatique (TSPT, anciennement état de stress post-traumatique) est un problème de santé publique. En 2015, en France, 72,7 % de la population générale avaient été exposés à un événement traumatique [1]. La prévalence du TSPT était estimée à 3,9 %, néanmoins celle-ci varie selon le type de traumatisme [1]. Les patients jeunes (24-50 ans) et les femmes (sex-ratio à 2/1) sont les plus touchés. Selon l’Observatoire de la Médecine Générale, en 2009, le motif de consultation « réactions psychiques suite à une situation éprouvante » représentait en moyenne 114,8 consultations par médecin et par an [2]. Le patient psycho-traumatisé a pour premier réflexe de consulter le médecin généraliste, en dehors des situations de catastrophes collectives (attentats par exemple) et de l’intervention des cellules d’urgence médico-psychologique. Le médecin généraliste est donc en première ligne pour dépister la survenue du trouble.

Il s’agit d’un trouble psychiatrique sévère qui apparait à la suite de l’exposition à un événement traumatique.

La notion d’exposition est large [3, 4]

Le sujet peut être directement victime, être témoin direct ou indirect par annonce brutale d’un événement traumatique arrivé à un proche ou être exposé de manière répétée ou extrême dans le cadre professionnel. L’exposition par l’intermédiaire d’un média n’entre pas dans cette définition.

L’événement traumatique est défini comme un événement au cours duquel le sujet ou d’autres personnes ont pu être menacé(s) de mort, trouver la mort, subir une blessure grave ou des violences sexuelles.

La symptomatologie [3-5]

Le diagnostic positif repose sur un ensemble de symptômes qui entraînent une altération du fonctionnement social et professionnel.

  • Syndrome de répétition : maître symptôme, le patient expérimente des reviviscences, des souvenirs de l’expérience traumatique envahissants, involontaires et pénibles, des cauchemars traumatiques et surtout des réactions dissociatives sous la forme de flash-backs, durant lesquels il perd conscience de la réalité.
  • Syndrome d’évitement : le sujet évite les stimuli qui rappellent le traumatisme (personnes, lieux, situations) jusqu’à une réorganisation de la vie quotidienne.
  • Hyperactivation neurovégétative : l’altération du sommeil est au premier plan. Il existe une irritabilité avec possibles accès de colère, une hypervigilance avec réactions de sursaut exagérées, des altérations de la concentration et de la mémoire et enfin des comportements auto destructeurs avec risque suicidaire.
  • Altération négative de la cognition et de l’humeur : amnésie d’une partie des événements, distorsions cognitives avec croyances négatives sur soi-même et les autres (état de culpabilité, honte, peur, colère) et humeur négative.

Tout ou une partie des symptômes peuvent être absents dans les premiers jours. Certains patients développeront une forme retardée de TSPT avec apparition de l’ensemble des symptômes plusieurs mois après le traumatisme.

En pratique, le médecin pourra s’aider de l’échelle PCL-S (Post-traumatic Check List Scale) afin de dépister les symptômes.

La question de la temporalité dans l’apparition des troubles [4]

Après un psychotraumatisme, si les symptômes durent plus de 3 jours, on parle d’état de stress aigu (ESA). Au-delà de 30 jours, on parlera de TSPT [3].

Rien n’est défini au cours des trois premiers jours dans le DSM-5, mais la souffrance est déjà là ; c’est la période immédiate. On peut néanmoins parler de troubles immédiats :

  • Stress adapté : réaction d’hyperactivité neurovégétative (hyper vigilance, élévation de la fréquence cardiaque, respiratoire et de la tension artérielle, atténuation de la réponse émotionnelle) permettant la mobilisation des capacités mentales et physiques pour adopter une stratégie ajustée à la situation (fuite, protection, combat).
  • Stress dépassé : réponse inadaptée lorsque les capacités psychologiques, biologiques et comportementales sont dépassées ; le sujet présente des troubles dissociatifs (sidération, agitation, fuite panique, actes automatiques). Une prise en charge psychiatrique urgente est alors nécessaire.

L’ESA et le TSPT exposent à des complications : épisode dépressif caractérisé, addictions, troubles anxieux, troubles somatoformes (plaintes algiques multiples par exemple) et surtout suicide.

En conclusion, la patiente présentait bien une symptomatologie d’ESA que j’ai identifié uniquement lors de la deuxième consultation et que j’aurais pu dépister dès la première consultation.

Quels sont les facteurs de risque de développer un TSPT ? [4]

Le psychotraumatisme résulte de la rencontre d’un événement, d’un sujet et de son environnement. L’individu et ses spécificités sont au centre de la problématique. Il existe des facteurs de risque de développer un TSPT que le médecin généraliste peut identifier dès la première consultation.

  • Facteurs de risque liés au sujet : âge jeune, sexe féminin, antécédents psychiatriques et d’addiction, antécédents de psychotraumatisme (notamment durant l’enfance), personnalités de type antisocial et narcissique, niveau socio-économique et éducationnel bas.
  • Facteurs de risque liés à l’évènement :dissociation et détresse péri traumatique et manifestations d’hyper adrénergie importante, traumatisme intentionnel par malveillance interpersonnelle, prise en charge tardive
  • Facteurs de risque liés à l’environnement : isolement social et personnel, stress du quotidien important

Dans cette situation clinique, la patiente avait plusieurs facteurs de risques de développer un TSPT : sexe féminin, âge jeune, antécédent de dépression, niveau socio-économique bas, traumatisme par agression, stress quotidien important. Je pourrai à partir de maintenant dépister les autres facteurs de risque et mieux suivre mes patients victimes de psychotraumatismes.

Quelle prise en charge proposer à l’issue de la première consultation ? [6]

À la fin de la consultation, je me suis senti démuni en ressources thérapeutiques face à cette patiente psychotraumatisée. Que faire en pratique en consultation de médecine générale ?

Dans les premiers jours après un psychotraumatisme, il est essentiel que le médecin fasse preuve d’une attitude empathique et de disponibilité afin de créer une véritable alliance thérapeutique avec le patient. Le patient pourra ainsi mieux verbaliser ses émotions, comprendre le retentissement de ses troubles et donner sens aux thérapeutiques proposées.

En pratique, lors de cette première consultation, certaines attitudes sont à conseiller :

  • Se montrer disponible, reconnaître la souffrance et évaluer les besoins et les préoccupations de la personne.
  • D’autres attitudes sont à éviter : dédramatiser, banaliser, déculpabiliser, forcer la personne à parler, être dans la fascination de l’évènement.

À l’issue de cette première consultation, le médecin expliquera la chronologie des symptômes, leur caractère normal dans les premiers jours et les symptômes devant amener à reconsulter rapidement. Il pourra aussi donner des conseils d’hygiène de vie : limiter les toxiques qui peuvent majorer les symptômes (alcool, nicotine, cannabis, caféine), promouvoir l’activité physique, protéger le sommeil par des mesures hygiéno-diététiques (éviter la consommation d’excitants et d’alcool avant le coucher, éviter les activités sportives avant le coucher, heure de coucher fixe, se mettre en conditions propices au sommeil).

Aucun traitement médicamenteux spécifique n’a aujourd’hui une efficacité suffisante pour être recommandé systématiquement après l’exposition à un évènement traumatique. Après un psychotraumatisme, la majorité des sujets connaîtront une évolution favorable et spontanée des symptômes en moins d’un mois [5].

En pratique, à la suite d’un psychotraumatisme, on proposera aux patients un suivi rapproché le premier mois (une consultation programmée par semaine par exemple), d’autant plus s’il existe des symptômes et des facteurs de risque. Les patients dont les symptômes se chronicisent et évoluent vers un TSPT devront être orientés vers une consultation psychiatrique.

Quel certificat médical initial ? [7, 8]

Lors de la rédaction du CMI de ma patiente je n’ai pas rapporté les symptômes psychiques or il est obligatoire de les préciser afin de démontrer les conséquences de l’agression. La dimension sociale et juridique fait partie intégrante de la prise en charge globale de la victime d’agression. Elle doit être prise en compte dès la première consultation afin d’éviter d’alourdir le parcours médico judiciaire avec des consultations ultéreures inutiles.

Le médecin généraliste devra insister auprès du patient sur l’importance de déposer plainte. Dans ce but il délivrera à la victime un CMI même si elle n’en fait pas spontanément la demande. Le CMI devra alors mentionner l’évaluation du versant psychique : la description en des mots simples des réactions de détresse psychique immédiates et les facteurs de risque prédictifs de complications ultérieures.

En ce qui concerne la description des lésions physiques et l’incapacité totale de travail le lecteur pourra se référer à l’article de A. Mokri : « Quel certificat médical pour une victime d’agression ? » [9].

Enfin, le médecin pourra indiquer les coordonnées d’associations d’aide aux victimes (numéro national d’aide aux victimes : 116 006, annuaire des associations par régions sur www.france-victimes.fr) afin de s’assurer que le patient puisse trouver un soutien à tout moment et être guider dans ses démarches.

Conclusion

Cette situation a permis de clarifier la chronologie des symptômes ainsi que les facteurs de risques de développer un TSPT identifiables dès la première consultation après un psychotraumatisme.

C’était également l’occasion de faire le point sur les moyens thérapeutiques à disposition lors de la première consultation et d’insister sur l’importance de rédiger dès la première consultation un CMI sans omettre de bien préciser les symptômes psychiques.

Pour la pratique

  • Le trouble de stress post-traumatique est fréquent et le risque de le développer après une agression est important. Le médecin généraliste a un rôle fondamental pour le dépister.
  • Dans les premiers jours après un psychotraumatisme le médecin doit faire preuve d’empathie et de disponibilité, et dépister les facteurs de risque de développer un trouble de stress post-traumatique.
  • Aucun traitement médicamenteux spécifique n’est recommandé au cours du premier mois. Après un psychotraumatisme, la majorité des sujets connaîtront une évolution favorable et spontanée des symptômes en moins d’un mois.
  • En pratique, à la suite d’un psychotraumatisme, on proposera aux patients un suivi rapproché le premier mois (une consultation programmée par semaine par exemple), d’autant plus s’il existe des symptômes et des facteurs de risques. Les patients dont les symptômes se chronicisent et évoluent vers un TSPT devront être orientés vers une consultation psychiatrique.
  • La victime doit être protégée par l’établissement d’un certificat médical initial et orientée vers les associations d’aide aux victimes.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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