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Mise au point sur l’empathie clinique dans les études médicales Volume 14, numéro 6, Juin 2018

Tableaux

Dans le sens courant, l’empathie est la compréhension du vécu de l’autre. Néanmoins, cette définition nous a semblé insuffisante pour décrire le phénomène d’empathie clinique, c’est-à-dire dans le soin. Nous avons donc réalisé une revue narrative des définitions de l’empathie dans le soin et des échelles d’empathie. L’objectif était de donner une définition de l’empathie clinique.

État des connaissances : modèles théoriques de l’empathie

Selon C. Rogers, l’empathie consiste à « rentrer dans le cadre de référence du patient, comprendre le ressenti et les pensées de l’autre de la manière la plus précise possible et exprimer cette compréhension dans un but thérapeutique en distinguant soi d’autrui ». L’approche centrée sur la personne associe : chaleur professionnelle (non-possessive professional warmth), authenticité (genuiness), capacité à comprendre précisément (accurate empathy).

En 1980, Davis intègre l’empathie dans la « réponse aux expériences d’autrui ». Il distingue une composante affective et une composante cognitive, interdépendantes. Selon lui, la dimension cognitive consiste à comprendre le patient, tandis que la dimension affective consiste à se faire du souci (concern) pour le patient.

En 1992, Morse propose quatre composantes. Pour lui, citant C. Rogers et Buber, la composante affective est le fait de « percevoir subjectivement et partager les sentiments ou états mentaux d’autrui ». La composante cognitive est « le fait de prendre la perspective d’autrui et de prédire ses pensées ». La composante morale est une « acceptation inconditionnelle de l’altérité comme un prérequis aux relations humaines ». La composante comportementale se réfère aux manifestations observables.

En 2002, Mercer et Reynolds ont défini l’empathie en médecine de façon plus large : « (a) la compréhension du point de vue, des pensées et des affects de l’autre puis, (b) l’expression de cette compréhension et enfin (c) l’action thérapeutique utilisant cette compréhension en psychothérapie » [1, 2].

M. Hojat [3] définit l’empathie comme « la compréhension sans jugement des expériences et des sentiments intérieurs du patient comme un individu distinct combiné à la capacité de communiquer cette compréhension au patient ». Elle serait aussi, citant Bolognini, un « état complémentaire de partage et de séparation ».

Pour Reniers [2], l’empathie cognitive est « la capacité à construire un modèle fonctionnel des états émotionnels d’autrui ». L’empathie affective est « la capacité à être sensible et à expérimenter viscéralement les sentiments d’autrui » ainsi qu’« une reconnaissance intuitive des émotions d’autrui à partir des expressions faciales, du langage corporel et de la prosodie, […] une réponse émotionnelle à la situation d’autrui et l’identification correcte de son propre état émotionnel par la réflexion et la perspicacité (insight) ».

Colliver décrit l’empathie comme « la compréhension cognitive et viscérale de la part d’un soignant pour un patient en tant que personne », marquant la jonction cognitif et affectif dans la compréhension, ainsi que la place de la dignité.

Pour Decety, il existe : (a) le « partage affectif » : la capacité à l’éveil émotionnel venant d’autrui, (b) la « compréhension empathique » : la conscience des états émotionnels d’autrui, (c) la « sollicitude empathique » : la motivation pour le bien-être d’autrui et (d) « l’empathie cognitive » : se mettre à la place de l’autre par l’imagination.

Il existe deux concepts proches de l’empathie : la sympathie et la compassion. La sympathie est « soit une disposition favorable, soit une proximité de sentiments […] conditionnée à un attrait ou à une concordance ». La sympathie porte donc un jugement de valeur. La compassion est le « partage des maux d’autrui » qui aboutit à une fatigue dite compassionnelle. Selon Reniers [2], l’empathie serait justement une sensibilité aux émotions sans partager celles-ci : « Une distinction entre soi et autrui est maintenue ».

Au total, les modèles théoriques de l’empathie se recoupent mais utilisent des composantes différentes ne permettant pas de réaliser une synthèse.

Synthèse à partir des échelles d’empathie

Nous avons actualisé la définition de l’empathie en médecine en analysant les publications concernant les définitions théoriques et les échelles d’empathie. Nous avons recensé douze échelles d’empathie auto-administrées (tableau 1). Elles ont été triées selon leur intérêt et leur validité à partir du site Pubmed dans le cadre d’un travail de thèse en 2014.

En raison de leurs qualités, nous avons choisi trois échelles d’auto-évaluation de l’empathie contenant douze sous-parties, appelés « facteurs ».

  • IRI [4] : Prise en compte de la perspective d’autrui (perspective taking), sollicitude (empathic concern), fantaisie (fantasy), désarroi personnel (personnal distress).
  • JSPE [3] : Importance de comprendre le patient (perspective taking), capacité à se mettre à la place du patient (putting oneself in the others shoes), valorisation des soins compatissants (compassionate care).
  • QCAE [5] : Simulation en direct (online simulation), compréhension implicite du patient (perspective taking), réactivité proche (proximal reactivity), réactivité périphérique (peripheral reactivity), syntonie (syntonie). La syntonie est la mise en harmonie des états affectivo-corporels de deux personnes.

L’analyse comparée a permis de regrouper ces facteurs dans trois composantes : compréhension, bienveillance et émotivité (tableau 2).

Nous avons ensuite calculé les scores de corrélations entre les facteurs de deux échelles (la JSPE et la QCAE) qui avaient été mesurés dans une population d’internes (n = 167).

En synthèse, nous proposons un modèle d’empathie clinique à trois composantes. L’empathie clinique est la combinaison dans la relation thérapeutique de (a) la compréhension par l’observation et l’imagination, (b) la sollicitude comme valeur éthique, implication appropriée et chaleureuse et (c) l’émotivité, la capacité à s’émouvoir régulée de façon adéquate.

Compréhension

La compréhension est simultanément intellectuelle et affective. L’observation permet de lire le patient par le non-verbal et l’écoute du discours : « je vois sur son visage telle émotion ». L’imagination vise la prise de perspective d’autrui – par exemple, « si j’étais à sa place, je pourrais penser ceci ». Elle est biaisée par les représentations, identifications et projections du médecin s’il n’en est pas conscient.

Sollicitude

La sollicitude (ou bienveillance) est une implication et un intérêt pour le patient ainsi qu’une capacité à l’exprimer. C’est la tendance à agir face à la détresse d’autrui, proche ou inconnu : « voir sa détresse me commande d’agir » C’est aussi la valorisation du bien-être psychique du patient : « le vécu du patient est important ». C’est aussi un langage verbal et non-verbal confortant qui traduit un lien thérapeutique.

Émotivité

L’émotivité se réfère aux capacités à s’émouvoir précocement face une situation réelle ou imaginaire, à identifier son vécu, à distinguer soi d’autrui et à réguler ses émotions : « je connais mon état émotionnel et je sais l’équilibrer ».

Discussion

L’intérêt principal de cette étude est de rappeler que si l’empathie clinique commence par la compréhension d’autrui, elle ne s’y limite pas et englobe la bienveillance et la régulation des émotions du soignant. La validité du modèle est soutenue par l’existence de liens de corrélation entre les facteurs regroupés dans la même composante.

En conséquence, il nous semble important qu’un étudiant en médecine apprenne à : (a) se mettre à la place de l’autre par l’imagination et lire ses émotions en direct, (b) réagir à la souffrance et s’exprimer avec bienveillance et chaleureusement, (c) développer sa perspicacité intérieure, sa réflexivité et sa maturité émotionnelle.

Tout comme l’empathie, la formation à la relation thérapeutique est déjà multidimensionnelle. L’apprentissage des techniques de communication (dont le non-verbal) permet d’observer et d’écouter le patient pour le comprendre. Les jeux de rôle ou le « patient-enseignant » rendent accessibles le point de vue du patient aux étudiants.

En stage, les supervisions directes et indirectes s’accompagnent d’un débriefing. En plus de l’aspect médical, ils permettent l’apprentissage du lien thérapeutique, de la juste distance avec le patient et des méthodes de gestion du stress. Il est aussi probable que la supervision développe la maturité émotionnelle. En effet, le fait d’accorder du temps, d’être accompagné, d’être encouragé à réfléchir et à exprimer son ressenti sur le déroulé d’une consultation permet à l’étudiant d’acquérir une maturité et une régulation de ses émotions.

La méditation en pleine conscience pour les soignants favorise également la bienveillance et la régulation émotionnelle [5]. Les groupes d’échange de pratiques et les groupes de formation à la relation thérapeutique – de type Balint – favorisent la réflexivité de chacun [4]. Ces formations amènent à aborder le patient avec plus de recul et de bienveillance. L’écriture narrative permet de développer la réflexivité et donc la maturité des étudiants [6].

Certains types de formation pourraient être liés plus spécifiquement à une composante de l’empathie. Il est donc souhaitable de combiner les enseignements qui vont renforcer chacune des composantes de l’empathie.

Sur le versant de l’évaluation, cette nouvelle définition interroge sur les limites des échelles existantes qui mesurent particulièrement mal la composante « émotivité » de l’empathie. D’autres échelles d’émotions existent comme l’EMIE. Pour affiner les mesures, diverses méthodes se présentent : élaborer une nouvelle échelle d’empathie auto-administrée, envisager l’hétéro-évaluation par des patients, comme avec l’échelle CARE [7], ou par un tiers observateur [4].

Conclusion

Notre travail propose d’actualiser la notion d’empathie dans le soin et dans la formation au soin. L’empathie clinique n’est pas réduite à la seule compréhension du patient car elle incite aussi à la bienveillance et à la régulation des émotions du médecin.

Ce modèle compréhension/bienveillance/émotivité est utile pour former spécifiquement des soignants à la relation médecin-malade. Il peut aussi aider à concevoir et interpréter les échelles d’empathie. L’empathie clinique est un concept en évolution. Il est souhaitable de poursuivre l’étude de ses composantes et des méthodes pour les enseigner.

Pour la pratique

  • L’empathie clinique englobe trois composantes : la compréhension du patient, la sollicitude (ou bienveillance) et l’émotivité du soignant.
  • L’enseignement doit favoriser la maturité émotionnelle.
  • La formation des étudiants évolue et intègre différentes méthodes pour développer l’empathie : d’une part, il faut améliorer l’observation et l’imagination des médecins concernant le point de vue des patients ; d’autre part, il faut les aider à entretenir leur intérêt pour le bien-être psychique du patient.
  • Autant d’axes spécifiques à venir pour former les étudiants à la relation thérapeutique.
  • L’échelle d’empathie permettant de mesurer ces trois aspects reste à construire.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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