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La situation des soins de santé primaires en France Volume 15, numéro 1, Janvier 2019

Introduction

Les soins de santé primaires (SSP) ont été sacralisés internationalement par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 1978 avec la déclaration d’Alma-Ata. Cette perspective a été réactivée à plusieurs reprises, en particulier en 2008, avec le rapport sur la santé dans le monde : « Les soins de santé primaires : maintenant plus que jamais ». En 2018, pour le 40e anniversaire de la déclaration fondatrice, la conférence d’Astana a confirmé le message : « Le renforcement des soins de santé primaires est l’approche la plus complète, efficace et économiquement rationnelle pour améliorer la santé physique et mentale des populations, ainsi que leur bien-être social ; les SSP sont la pierre angulaire d’un système de santé durable dans l’optique de la couverture sanitaire universelle et des objectifs de développement durable liés à la santé. » [1]. L’éditorial de The Lancet d’octobre 2018 titrait : The Astana Declaration: the future of primary health care?[2], soulignant que « 80 à 90 % des besoins de santé de la population tout au long d’une vie peuvent être satisfaits dans un cadre des soins de santé primaires ».

Devant cette approbation au niveau mondial, la France reste étonnamment peu sensibilisée aux SSP. L’apparition du concept a été tardive et relativement timide… L’utilisation publique de l’expression « soins primaires » a été limitée par la connotation péjorative du mot « primaires ». L’adhésion des institutions et des professionnels de santé s’est heurtée à des réticences structurelles, liées à la prééminence hospitalière du système de santé et à l’absence de hiérarchisation entre SSP, secondaires et tertiaires. Les SSP n’ont pas été jusqu’alors un élément structurant du système de santé français.

Le concept de soins de santé primaires

La première mention officielle en France est apparue dans la loi Hôpital, Patient, Santé, Territoire en 2009 qui caractérisait les soins de premier recours [3] : la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et le suivi des patients ; la dispensation et l’administration des médicaments (…) ; l’orientation dans le système de soins et le secteur médicosocial ; l’éducation pour la santé.

La loi de modernisation du système de santé de 2016 proposait la création d’équipes de soins primaires (ESP), qui ont été introduites dans le Code de la santé publique : « constituées autour de médecins généralistes de premier recours, elles contribuent à la structuration du parcours de santé des patients en coordination avec les acteurs du premier recours » [4].

En 2016, la Direction générale de l’offre de soins indiquait que les soins primaires « constituent la porte d’entrée dans le système qui fournit des soins de proximité, intégrés, continus, accessibles à toute la population, et qui coordonne et intègre des services nécessaires à d’autres niveaux de soins. S’ils sont le premier contact des patients avec le système de soins, les soins primaires sont également structurants pour la suite du parcours du patient au sein du système de santé » [5]. La Banque de données de santé publique propose dans son glossaire multilingue la définition suivante : « premier niveau de contact des individus, des familles et des communautés avec le système de santé d’un pays, apportant les soins de santé aussi près que possible de l’endroit où les gens travaillent et vivent ». La Haute Autorité de Santé dans un lexique des termes à utiliser se contente de rappeler la définition de l’OMS de 1978 et constate que « diverses interprétations de ce terme font qu’il est mal compris »… Les équipes de recherche s’intéressent désormais aux SSP et se préoccupent d’en définir les contours : le groupe soins primaires du réseau Recherche en épidémiologie clinique et en santé publique a tenté une clarification [6] qui reste sur une perspective théorique et n’impacte pas la pratique de soins.

Ces contributions montrent la diversité de perception du concept de SSP en France. Il serait pertinent de s’accorder sur une définition concise, comme celle proposée dans la Revue d’épidémiologie et de santé publique en 2013 : « Les soins de santé primaires sont le premier niveau de contact médical de la population avec le système de santé sur un territoire de proximité. La médecine générale est la spécialité clinique orientée vers les soins de santé primaires » [7]. Pour rendre ce concept opérationnel, les arguments médicoéconomiques pourraient être décisifs.

L’efficience des soins de santé primaires

Les données scientifiques se sont accumulées sur le plan international pour démontrer l’efficience des SSP. Starfield et al. [8] ont démontré en effet leur impact positif : « Les preuves des avantages d’un système de santé orienté sur les soins primaires sont fortes à travers une large variété des types d’études : ils assurent de meilleurs résultats de santé, à des coûts inférieurs et avec une équité plus grande ». La corrélation a été clairement démontrée dans la littérature entre le développement des SSP et de meilleurs résultats sur les indicateurs de santé (morbidité et mortalité, en particulier prématurée), une meilleure satisfaction des usagers et un moindre coût pour les systèmes de sécurité sociale. L’efficacité et l’efficience des SSP et leur capacité à réduire les inégalités de santé ont été bien documentées [9]. Le renforcement des prestations de soins primaires a montré sa capacité à améliorer les résultats de santé et limiter la croissance des dépenses de services médicaux [10].

Cette analyse est parfois discutée car elle concerne des pays ayant un système de santé différent. Qu’en est-il donc en Europe ? Suite à un travail du Health Evidence Network, l’OMS Europe concluait : « Les données disponibles confirment l’amélioration des résultats et de l’équité en matière de santé de la population, une utilisation plus appropriée des services, la satisfaction des utilisateurs et la diminution des coûts dans les systèmes de santé avec une forte orientation vers les soins primaires. » [11]. La Fédération des maisons médicales et des collectifs de santé francophones faisait le même constat en Belgique : « Un système de santé basé sur des soins de santé primaires est plus efficace, plus efficient et de meilleure qualité. » [12]. Plus récemment, dans une étude concernant les 31 pays de l’Union européenne, Kringos et al. [13] montraient que « des soins primaires solides étaient associés à une meilleure santé de la population ; des taux plus faibles d’hospitalisations inutiles ; et une inégalité socioéconomique relativement faible ».

En France, curieusement, il y a peu d’études sur l’efficience des SSP… Pourtant, l’Assurance maladie a engagé une démarche pour accroître la qualité et l’efficience du système de santé : « La stratégie d’amélioration de l’efficience du système poursuivie depuis plusieurs années par l’Assurance maladie s’est largement appuyée sur les soins primaires. » [14]. Mousquès, dans une thèse de doctorat en sciences économiques, montrait « les bénéfices que l’on peut attendre du travail en équipe et du regroupement pluriprofessionnel en soins primaires, tant en matière de qualité des soins et services délivrés, d’efficience productive que d’efficience dans les parcours de soins en matière de maîtrise du recours et de la dépense de soins ambulatoires » [15]. L’utilité de promouvoir en France un système de santé centré sur les SSP semble donc justifiée.

La mise en œuvre des soins de santé primaires en France

Si le concept de SSP devient plus clair et si les arguments médicoéconomiques montrent leur efficience, il était temps de passer de l’intention à l’action. La mise en place du médecin référent dans la convention médicale de 1998 en a été une des premières tentatives. Elle s’inscrivait dans une démarche de qualité et de continuité de soins, de prévention, d’amélioration des conditions d’accès aux soins, dans le but d’optimiser les dépenses de santé. La version dégradée, qui a pris sa suite sous la forme du médecin traitant, n’avait pas les mêmes ambitions et n’a pas permis de réguler l’accès aux soins secondaires. Pourtant, la Stratégie nationale de santé [16] rappelait que « les soins primaires, ou de premier recours, constituent un maillon essentiel pour la performance globale du système de santé ». Elle proposait de « transformer l’offre de santé dans les territoires pour répondre aux nouveaux besoins de la population : structurer les soins primaires pour assurer la qualité et la continuité des prises en charge ».

Les ESP et les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), créées par la loi de modernisation du système de santé [4], sont une des concrétisations de cette tendance. Promues via leur financement par les agences régionales de santé (ARS), elles restent encore méconnues des professionnels qui les assimilent à un concept « venu d’en haut ». Il ne s’agit pas d’une contrainte nouvelle destinée à accueillir les patients sans parcours de soin déclaré ou les demandes de soins non programmées, mais d’une modélisation selon les principes internationaux des SSP décrits précédemment. Un contrat est élaboré entre financeur ARS et porteurs de projets professionnels, pour répondre à des besoins de soins ou de santé spécifiques d’une population dans son milieu de vie [17]. Les professionnels de santé se regroupent et s’emparent d’un projet de santé autour des patients dans un territoire. Il s’agit de développer la prévention et l’accès aux soins modulé, voire différencié, et équitable, par exemple entre concentrations urbaines et étendues rurales, ou métropole et DOM-TOM [18]. Si la Stratégie nationale de santé [16] souhaite confirmer et accélérer « le virage ambulatoire », le déploiement des CPTS reste flou. La profession attend un cadre précis et les moyens associés, pour ne pas résumer les CPTS à la réponse aux demandes de soins non programmées, ce qui fera échouer la démarche. Les premiers professionnels à s’emparer du concept sont les infirmiers [19].

D’autres indicateurs de ce virage vers les SSP ambulatoires sont bien tangibles : les maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et les plates-formes territoriales d’appui (PTA). Les MSP offrent une réponse de proximité aux demandes et aux besoins de santé de la population, sous une forme intégrée. Elles reposent sur un projet de santé attestant d’un exercice coordonné et coopératif ; elles sont appelées à conclure avec l’ARS un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens. L’objectif est d’améliorer la qualité et l’efficience des soins pour le patient grâce à une meilleure coordination entre professionnels et de garantir l’accessibilité aux soins. Le projet de santé s’appuie sur un diagnostic des besoins et s’articule autour de deux axes : portage par des professionnels (organisation du travail en équipe, partage des informations à travers un système d’information commun, management de la structure) et organisation de la prise en charge des patients (accès aux soins, continuité et permanence des soins, coopération et coordination externe, services nouveaux : éducation thérapeutique, télémédecine…). Les PTA sont des dispositifs d’appui aux professionnels de santé, constitués et financés par l’ARS pour prendre en charge des cas de patients en situations complexes, sans distinction d’âge, ni de pathologie. Elles sont expérimentées et évaluées dans le cadre des territoires de santé numériques [20]. L’action des PTA vise au déploiement du retour à domicile et son maintien, avec trois types de missions :

  • information et orientation des professionnels de santé vers les ressources de leur territoire, qu’elles soient sanitaires, sociales ou médicosociales ;
  • appui à l’organisation des parcours complexes ;
  • soutien aux pratiques et aux initiatives professionnelles (ESP, CPTS).

La promotion des SSP est donc en marche, comme le soulignent Bourgueil et al. : « L’ensemble des évolutions récentes en France (…) témoigne d’un intérêt croissant pour une plus grande organisation des soins ambulatoires. (…) La France associe dans le même mouvement volonté politique de réduction des inégalités de santé et organisation des soins de santé primaires. » [21].

Conclusion

Dans la dynamique de la déclaration d’Astana, le concept de SSP s’affirme progressivement en France comme la pierre angulaire du système de santé. Les preuves de leur efficience sont clairement établies, y compris dans les pays occidentaux. Les conditions pour leur développement sont donc réunies.

Les SSP représentent une opportunité pour le système de santé français car ils reposent sur trois piliers contributifs : un modèle global (préventif, curatif et palliatif), sur un territoire de proximité, dans une perspective d’équité.

Les évolutions actuelles montrent une tendance positive pour promouvoir les soins ambulatoires : MSP, ESP, CPTS, PTA. Cette perspective doit permettre de passer d’un système de soins hospitalocentré à un système de santé plus responsable et solidaire avec les patients et les soignants, à l’instar de beaucoup de pays européens. La nécessaire hiérarchisation des soins, entre SSP, secondaires et tertiaires, pourra alors se mettre en place.

Pour la pratique

  • Le concept de SSP est actuellement bien documenté en France comme le premier niveau de contact de la population avec le système de santé dans un territoire de proximité.
  • L’efficience des SSP est clairement établie, y compris dans des systèmes de santé occidentaux, avec des résultats positifs en termes de qualité des soins, de coût et d’équité.
  • Le développement des SSP est devenu possible en France : l’intention politique est affichée, les conditions structurelles sont réunies.
  • Les MSP, les ESP et les CPTS sont des dispositifs opérationnels pour permettre cette évolution, avec le soutien des PTA.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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