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Innovations & Thérapeutiques en Oncologie

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L’hôte s’invite à la table des marqueurs prédictifs de l’immunothérapie Volume 5, numéro 2, Mars-Avril 2019

Illustrations


  • Figure 1

Contexte

L’immunothérapie par les inhibiteurs du point de contrôle (ICP) a aujourd’hui atteint un niveau de preuve élevé pour ses capacités à conférer des bénéfices de survie substantiels dans des pathologies tumorales avancées qui étaient jusque-là hors d’atteinte thérapeutique [1]. Cependant, la réponse est variable entre les patients et d’une localisation tumorale à l’autre, ce qui justifie la recherche continue de biomarqueurs prédictifs [2].

Actuellement, l’étendue des paramètres biologiques identifiés à cet égard couvre, pour l’essentiel, l’expression tumorale en PD-L1, l’infiltrant en lymphocytes cytotoxiques, la charge mutationnelle et l’instabilité des microsatellites [3]. Par ailleurs, on ne dispose pas vraiment de marqueurs solidement établis prédictifs du risque de toxicité découlant de l’application des ICP, toxicité qui peut être sévère [4].

Caractéristiques génétiques de l’hôte et impact des traitements par ICP

La pharmacogénétique a fait la preuve de son utilité en permettant d’identifier des polymorphismes génétiques germinaux caractérisant les sujets qui pourraient présenter des profils favorables de réponse ou être prédisposés à des toxicités de la chimiothérapie ou de la thérapie ciblée [5]. La part de l’hôte dans la variabilité des effets des ICP (réponse/toxicité) a été évoquée antérieurement, mais jamais étudiée sur un large spectre de gènes et de polymorphismes de gènes (SNP).

Les maladies auto-immunes survenant lors des traitements par ICP sont sous-tendues par un mécanisme général d’amplification de réponse immunitaire vis-à-vis des tissus normaux de l’hôte. Des travaux récents ont permis d’associer la survenue de maladies auto-immunes majeures avec des caractéristiques génétiques des sujets atteints [6]. Il s’en est suivi une recherche d’associations entre ces caractéristiques génétiques et la réponse au traitement par ICP, puisque l’arrière-plan biologique d’une réponse favorable aux ICP et celui d’une pathologie auto-immune ont une indéniable similarité mécanistique, du moins en partie. Un travail récent rapporté par Chat et al.[7] illustre bien cette démarche. Les auteurs ont testé 25 SNP chez 436 patients atteints de mélanome métastatique et traités par ICP. Le choix des 25 SNP ciblés était dicté par des liens établis entre certains de ces SNP et la survenue de maladies auto-immunes. Ils ont mis en évidence que le rs17388568, un variant à risque pour le développement d’allergies, de colite et de diabète de type 1, était associé à la réponse au traitement par anti-PD-1. Ce variant est localisé au niveau du locus des gènes IL2 et IL21 associés à la réponse immune. Les patients porteurs de l’allèle rare (forme A) avaient près de quatre fois plus de chances de répondre au traitement que les autres (OR = 3,84). Dans le même esprit et en rapport à la prédiction d’efficacité de l’immunothérapie par BCG (Bacille de Calmette-Guérin), Lima et al.[8] ont étudié l’impact de 42 SNP fonctionnels dans 38 gènes codant des molécules potentiellement impliquées dans la réactivité immune à la BCG-thérapie. Ils ont mis en évidence plusieurs SNP au niveau de gènes de cytokines, de chimiokines et de leurs récepteurs qui étaient associés au risque de rechute après BCG-thérapie. Les auteurs ont proposé un score prédictif à composante hybride incorporant non seulement les SNP performants mais également des caractéristiques clinico-pathologiques individuelles.

Nomizo et al.[9] se sont intéressés aux polymorphismes génétiques touchant la cible même des traitements par ICP, à savoir les gènes codant PD-1 et PD-L1, dans les cancers du poumon. Ils ont mis en évidence que, pour PD-L1, les allèles G du rs2282055 et C du rs4143815 étaient associés à une meilleure efficacité thérapeutique. De la même manière, des variants alléliques du gène codant le régulateur CTLA-4 sont associés à la réponse thérapeutique aux médicaments ciblant ce récepteur [10].

Les liens entre variabilité génétique individuelle et survenue de toxicité sous ICP ont été plus rarement explorés que ceux associant cette variabilité à l’efficacité thérapeutique. Cependant le fait que des effets secondaires de type auto-immun, associés à des génotypes HLA définis, ont été rapportés au décours de traitements par ICP a stimulé une recherche plus étendue et systématique de l’association possible entre typage HLA et risque toxique des ICP. Hasan Ali et al.[11] ont ainsi réalisé un séquençage complet des HLA de classe I et II chez 102 patients recevant des ICP. Ils ont observé des liens significatifs entre HLA-DRB1* 1101 et survenue de prurit, ainsi qu’entre HLA-DQB1* 0301 et colite sévère.

Implication personnelle

Nous avons récemment mis sur pied une approche d’analyse germinale immunogénétique visant à prédire l’impact du traitement par ICP sur l’efficacité thérapeutique, mais aussi sur la survenue d’effets toxiques. L’établissement de la liste des SNP d’importance à cet égard s’est appuyé sur une analyse minutieuse de la littérature concernant les polymorphismes génétiques associés à la réaction immune en général, et à la réponse à l’immunothérapie et aux maladies auto-immunes (figure 1, page précédente). Les SNP retenus avaient une fréquence allélique au moins égale ou supérieure à 5 % (cela dans le souci d’une exploitation visant des populations de dimension raisonnable). Les logiciels utilisés ont été SNPedia et Ensemble Database. Cela a permis d’établir un profil de 86 gènes et 166 SNP. Une technologie de génotypage à haut débit par Mass ARRAY a été utilisée pour cette application (Agena Biosciences). Nous avons dénommé cette application Immunocarta. Elle diffère radicalement de la pratique GWAS (Genome-Wide Association Studies) dans le sens où le génotypage examine une série de SNP prédéfinis. Un des avantages est sa souplesse, les SNP pouvant être retirés ou d’autres inclus, selon l’évolution de nos connaissances.

Nos résultats les plus récents [12] concernent une série de 94 patients traités en monothérapie par ICP (en majorité des cancers du poumon avancés et des mélanomes métastatiques). Nous avons identifié, d’une part, des SNP associés au risque d’échec thérapeutique, localisés dans des gènes jouant un rôle dans la tumeur et son micro-environnement (CCL2, NOS3, IL1RN, IL12B, CXCR3, IL6R), et d’autre part, une autre série de SNP plutôt reliés à la cible thérapeutique, qui sont associés au risque de développement d’une toxicité significative (UNG, IFNW1, CTLA4, CD274 [qui code PD-L1), IFNL4). La confirmation de cet outil prédictif original est en cours sur des séries plus importantes de patients (essai multicentrique ORL TOPNIVO, en particulier).

Avantages, limites et perspectives

L’immunogénétique germinale vient compléter idéalement les profils biologiques multifactoriels visant la tumeur et son micro-environnement. Ce type d’investigation ne nécessite qu’un simple prélèvement d’ADN constitutionnel facilement réalisable sur une prise de sang, à tout moment. Doit-on mettre l’immunogénétique germinale au même niveau décisionnel que les marqueurs biologiques reliés à la tumeur ? Probablement pas, les marqueurs biologiques tels que l’expression de PD-L1 ou la charge mutationnelle tumorale offrant la possibilité d’un « go - no go ». L’immunogénétique germinale se borne davantage à une notion probabiliste. On pourrait envisager une séquence d’utilisation optimale pour ces paramètres. Ainsi, un marqueur « go - no go » viserait à administrer ou non le traitement et la notion de risque conférée par l’immunogénétique germinale donnerait la possibilité de moduler la dose ou d’adapter le schéma thérapeutique (associations), surtout dans le cadre d’une prédiction du risque toxique. Enfin, les SNP identifiés doivent obligatoirement s’assortir d’une analyse de fonctionnalité biologique pour revêtir leur réelle significativité. Des bases expérimentales sont désormais à disposition pour réaliser de telles nécessaires explorations au sein desquelles la technologie CRISPR/cas9 émerge indéniablement [13].

Remerciements et autres mentions

Financement : aucun.

Liens d’intérêts : GM : interventions ponctuelles pour BMS, MSD, Merck. Les autres auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.

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