JLE

L'Information Psychiatrique

MENU

Cliniques privées en psychiatrie… à quel but ? Volume 95, numéro 1, Janvier 2019

Illustrations

Ce dossier sur les cliniques psychiatriques privées en France viendrait compléter celui paru dans le numéro de novembre 2017 de lInformation Psychiatrique consacré à l’exercice professionnel libéral en cabinet de ville.

Nous sommes très heureux de pouvoir mettre à disposition de nos lecteurs ces contributions si variées et complémentaires qui, dans leur ensemble, risquent un panorama actualisé de l’offre psychiatrique qui existe par le biais des initiatives et des projets privés.

Tout comme pour la première publication sur les pratiques en cabinet de ville, le présent dossier vise deux objectifs simples mais majeurs : informer et enrichir ainsi le débat autour du système régional et national de santé mentale en contribuant à maintenir constante la réflexion transformatrice dans l’offre de soin. Deux objectifs naturels de notre revue.

Pourtant, de prime abord, informer des actions thérapeutiques en cliniques apparaît comme une prétention naïve sinon pédante. Qu’est-ce qu’il peut s’y passer de nouveau ? La représentation la plus répandue au sein du corps professionnel comme des usagers semble traverser tous les temps et être vouée à l’immobilité : dans les cliniques psychiatriques, on y pratiquerait des soins pour les riches. Riches à l’admission (la solvabilité étant un critère automatique de sélection) ; riches à la sortie, après un temps – court – de trêve curative dans un cadre idéal… pour riches. Riches rimant – curieusement – avec « petits soins ». De petits soins dispensés par une équipe aux petits soins. Les directeurs de ces cliniques s’enrichiraient grâce aux riches. La boucle est bouclée. Voilà.

Cette idée forte, sa persistance, mériterait à elle seule toute une analyse bien approfondie. Nous laissons nos amis sociologues s’y pencher avec leurs méthodes d’étude et leur sagacité.

Il y a une autre représentation de la même qualité mais au contenu moins facile à décrire qui semble sous-tendre l’idée que lorsqu’il s’agit d’hospitaliser un proche on considérerait plus fermement l’option de la clinique privée comme lieu d’accueil et de soin. Pourquoi ? Difficile à répondre ; mais on expliciterait que les conditions hôtelières seraient bien meilleures. Et cela compterait.

Et cela compterait à ce point que parmi les influences positives que l’hospitalisation privée a eues sur l’hospitalisation publique figure les réformes relativement récentes de l’environnement hospitalier (chambre individuelle, salle d’eau privative, etc.) et on est en droit de penser que la charte du patient hospitalisé, dans une bonne mesure, en découlerait.

À un niveau plus « académique », il y aurait, d’ailleurs, une vision plutôt négative des cliniques privées, de ce qui s’y passe, concernant la formation, la recherche, la qualité des soins, leur justesse scientifique et de pratique. Le confort matériel l’emporterait sur l’engagement dans le domaine du savoir, sa production et sa transmission. Beaux murs, beaux parcs, mais…

Autant dire que ce clivage des pratiques va jusqu’à nourrir l’opinion (fort idéologique) que, d’un bord ou de l’autre, « on ne fait pas le même travail ». Le système de santé, aux différents niveaux, supporterait ainsi ces voies parallèles et il n’y aurait pas d’intérêt particulier à les rapprocher.

Si vous pensez comme cela, cher lecteur, chère lectrice, vous pensez comme la plupart de vos collègues. Ce dossier tombe donc à pic entre vos mains.

La variété d’offres de soins en clinique psychiatrique privée à but lucratif couvre un éventail extrêmement large allant de l’utilisation de techniques thérapeutiques très pointues, comme les Deep TMS par exemple jusqu’aux techniques tout aussi pointues dans l’engagement de traitement au long cours des patients psychotiques chroniques, sinon résistants.

Cette variété, on le voit, rime la plupart des fois avec spécialisation. Spécialisation sur les troubles de la conduite alimentaire ; spécialisation sur les troubles du sommeil ; les troubles de la mémoire ; les troubles addictifs ; les troubles thymiques, notamment de type bipolaire et les troubles schizophréniques évolutifs. Spécialisation également par spécificités liées à l’âge ou plutôt à des moments évolutifs dans le développement (adolescence, personnes âgées, pédopsychiatrie).

On se surprendra en lisant ce dossier de découvrir la panoplie d’activités thérapeutiques offertes (thérapies individuelles, groupales, avec les familles) au sein de ces unités spécialisées.

Ce mouvement s’accompagne d’un déploiement très dynamique des structures à hospitalisation partielle voire totalement conçues dans une logique extrahospitalière. Parmi toutes les choses positives que le secteur de la psychiatrie publique a pu transmettre au secteur privé il y a – et ce n’est pas peu – sa déjà longue expérience au niveau de l’organisation de l’extrahospitalier, son immense intérêt.

La clinique aurait appris à l’hôpital de secteur ce que le secteur lui aurait appris concernant l’extrahospitalier. On serait quitte.

On peut en effet observer, en lisant ce beau numéro, un mouvement de transfert, de transvasation d’un secteur sur l’autre, des formules institutionnelles et thérapeutiques, de planification… mais aussi des patients ! La sélection des patients par revenu devient exceptionnelle et les exemples sont fournis quant à l’accessibilité aux soins dans le privé des patients démunis socialement, en possession de la seule CMU, voire, dans certains cas, des patients sans domicile fixe.

On apprend ainsi que les cliniques privées assument de plus en plus d’accompagner les soins psychiatriques des recherches de solutions sociales, en aval et en amont. Certains documents dans ce dossier attestent de l’engagement des équipes pluridisciplinaires dans cette prospection sociale pour les patients.

Un mini néo-secteur en puissance ? Pourquoi « mini » s’exclameraient d’aucuns.

Dans certaines régions de France, le réseau privé serait déjà supérieur en capacité matérielle et humaine de soins ; dans d’autres, il commencerait à l’être. Cela soulève des questions passionnantes et passionnées sur les plans médicaux, administratifs, mais essentiellement sur le plan politique dans le sens large et restreint du terme. Car, il est indiscutable que les missions de la psychiatrie publique et privée ne sont pas tout à fait les mêmes.

Mais ces missions sont (de plus en plus ?) complémentaires. Certaines collaborations public-privé sont déjà vieilles de plusieurs décennies d’années et elles évoluent de manière croissante et en fournissant des bilans satisfaisants des deux côtés du partenariat. Cette articulation qui marche bien et qui apparaît dans certaines régions comme indispensables est, hélas, fragile du point de vue du montage légal et réglementaire le permettant. Par ailleurs, la complémentarité dont nous parlons ne peut se construire sur l’effondrement du public. Nous pensons que nous gagnons tous à être sensibilisés à cette situation et aux tenants et aboutissants en lien avec son appareillage administratif et financier.

Disons aussi que cette articulation public-privé n’est pas seulement justifiée par des problèmes liés à la gestion des lits d’hospitalisation. La spécialisation compte aussi parmi les arguments évoqués. L’exemple le plus patent est celui des cliniques privées spécialisées dans les thérapies psycho- et socio-dynamiques au long cours des patients schizophrènes à évolutions compliquées qui reçoivent un nombre toujours croissant de demandes de prises en charge de la part des services du secteur public.

Et quid de la formation, de l’enseignement, de la production scientifique ? Là aussi il y a du nouveau, de belles initiatives collégiales souvent en partenariat avec des universités régionales.

Cette ouverture ici décrite va de pair avec un plus grand souci chez tous les responsables de ces dispositifs privés de soin sur des questions d’éthique professionnelle et d’éthique dans la pratique, si tant est que l’on puisse les dissocier.

Ce dossier est probablement insuffisant ; mais il existe et suffisamment, nous le pensons, pour informer et nourrir notre débat.

Il n’y a plus de doute, en psychiatrie l’échange entre praticiens de « bords différents », la mise en évidence des accords rencontrés voire la mise en débat sur les différences constatées ne peut qu’être une importante source d’avancement scientifique dans notre spécialité. Sa méthode même.

Nous remercions vivement les confrères qui ont bien voulu nous aider à monter ce dossier thématique et nous suivre dans notre « enquête » pour les lecteurs de l’Information Psychiatrique livrant ici leur précieuse contribution.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet éditorial.

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International