JLE

L'Information Psychiatrique

MENU

Analyse de film. Alcool, drogues, médicaments et rock’n roll de Mathieu Simon Volume 95, numéro 10, Décembre 2019

 

Mathieu Simon

Alcool, drogues, médicaments et rock’n roll

2018, 68 minutes Production : Tellmefilms et Pays des Miroirs (Avec la participation de la région Normandie)

 

Ce film a reçu le prix de la clé d’or du 39e festival psy de Lorquin en juin 2019.

Alcool, drogues, médicaments et rock’n roll traite magistralement de l’alternative : l’alternative à l’enfermement psychiatrique aliénant, tout en célébrant la rock’n’ roll attitude et l’expression d’une folie créatrice qui passe et repasse par les méandres et turpitudes diurnes et nocturnes de deux personnages « hauts en couleurs ».

Ces deux érudits de l’HP, ces deux réhabilités de la psychiatrie, exploitent toute une palette artistique et dérisionnelle de leur art musical, du roller skate artistique jusqu’à la photographie de portraits.

Nous suivons donc Mag Ness et Jean Bon dans l’expression de leurs passions artistiques, exploitant pleinement leur non-internement… leur liberté et leur création thérapeutique.

Le premier sir, Bon, prénommé Jean, tourne cette folie en dérision, comme pour mieux en exploiter le génie d’un regard singulier sur les aspects aliénant et déshumanisant de l’enfermement en psychiatrie.

Il reste pourtant bien conscient de la fragilité de son état (« je me sens pas bien mais demain j’arrête ! ») mais il dresse son équation, son alchimie, d’être un homme en souffrance psychique, tributaire donc de son traitement neuroleptique grâce auquel il reste libre, évitant ainsi coûte que coûte de retourner à l’HP.

La musique et le rock’n roll deviennent alors vecteurs de l’expression de cette folie chimiquement encadrée et du coup, artistiquement exploitable par le sujet.

Cet ours mal léché, pur produit de « l’underground » havrais, ne pense du coup plus qu’à mettre en mots et en actes la singularité de cette folie bridée, comme un jeu thérapeutique fait de rimes et de paroles, de chansons et de mises en scène rock’n’ rollers !!

Lucide et conscient il nous apparaît, en se comparant au chanteur du groupe Nirvana… « il a chanté Lithium » nous rappelle-t-il, « je ne suis pas aussi talentueux que lui… mais moi, je suis encore vivant grâce au traitement ! », lance-t-il vainqueur à la caméra.

C’est encore au sujet de sa souffrance psychique, qu’il clame que « quand on a réussi à toucher le fond, on ne peut que remonter… » et le traitement médicamenteux est alors vanté en remontant alternatif à l’enfermement aliénant, abrutissant, de l’hospitalisation en psychiatrie.

Le film nous invite donc subtilement à changer notre vision classique des neuroleptiques… ils n’empêchent plus mais permettent… élevés au statut de générateur de liberté d’expressions et d’émotions créatives !

Du coup, la vox populi qui les confinait dans une fonction asséchante et appauvrissante de la pensée… se teinte de sombres doutes, voire de paradoxe !

Diable ! Le traitement neuroleptique serait alors un « déambulateur artistique et social » alors qu’on le considérait comme un cercueil pour la pensée !

Jean Bon engouffre donc sa poignée de pilules à grand coup de bouteille d’eau, sans que cela ne vienne heurter notre conscience humaniste, au beau milieu d’une répétition musicale.

Ce geste devient même salvateur et plonge alors le spectateur dans la splendeur des personnages de Balzac, de son monde à la marge et à travers la sensibilité du sujet, de son ironie, de son sarcasme et de son regard troublé… grâce et non plus à cause de sa folie !

« Les médocs, je les prends pour ne pas aller à l’hôpital pour le reste de ma vie… essayez donc de faire marcher un tétraplégique si vous jetez son fauteuil roulant dans le caniveau ? »

Jean Bon crache alors à la tête de la société anxiophobique, intolérante et normative, ses chansons… : J’ai mal a dit mentale, Il faut médic amant, Âmes en souffrance qui se demerdent, autant d’hymnes à la liberté retrouvée du sujet et de l’incroyable légèreté de l’être…

Mag Ness, lui, exploite un autre filon libérateur, créatif et cathartique de sa folie.

Il arpente les coins et recoins les plus sombres de ses soirées alcoolisées et de la fête havraise et photographie les « bonnes gueules cassées » qu’il croise au hasard de sa rock’n roll attitude.

En effet, il apparaît comme une « pierre qui roule » qui rebondit au gré de ses rencontres avec celles et ceux qui passent devant son objectif.

Il vole et fige alors l’instant et l’image, tel un trophée obsessionnel et compulsif de sa mémoire…

Mag Ness est un « gueulophile », un loup solitaire, nocturne et populaire, qui erre à la recherche perpétuelle de ces instants émotionnels et mnésiques qui manquent à sa collection.

La photographie est également son outil de rêve, de voyage, de pauvre serf qu’il dit avoir toujours été et il fige ainsi dans l’instant, un espace-temps émotionnel, dans cette jungle exotique et socio-nocturne de la fête et de l’instantané.

Il retrace et revit alors par blocs, les souvenirs émotionnels de ses 30 années de fête et de sorties de « fou neuroleptisé », à la rencontre de l’ivresse et du plaisir de l’instant présent.

Mais la photographie ne lui suffit pas… le slam vient donc compléter sa soif de créer et de dire… « si le fou ne s’exprime plus, que faire de ce qu’il a à dire ? »

En slamant, Mag Ness semble alors rechercher « les ruines dans les abymes » de sa personne et les remplacer par des rimes pour mieux cacher… « ce qu’elles abîment ».

Mag Ness est un poète neuroleptisé… Écrire et slamer deviennent alors les ingrédients du traitement de cette figure romantique, vieux loup solitaire de la nuit et de la défonce en tout genre.

Le slam, la photographie, l’alcool et les neuroleptiques lui permettent d’exister et de vivre son Nirvana… Sa vie rock’n roll.

Sa folie, tout comme celle de Jean Bon, nous attire alors… elle devient douce, romantique et fleurissante.

Le génie explose alors devant nous au grand jour, au détour d’une phrase, d’une chanson, d’un geste de cet ours en tutu rose monté sur roller, un déambulateur à la main, titubant… et se libérant enfin de ses chaînes et de son carcan, pour devenir libre et s’exprimer avec légèreté et grâce, sur un air de musique classique.

On saisit alors mieux tout le sens de ce que Johan Wolfgang van Goethe écrivait dans Les souffrances du jeune Werther au sujet du génie de l’être humain. Il s’exprime à travers et grâce aux digues d’un cadre qu’il faut conserver… qu’il soit chimique, photographique, rythmique ou slamique, pour espérer pouvoir exprimer l’incroyable beauté et la légèreté de l’être libre… en « prévenant le danger qui les menace au détour des digues, des saignées qui empêchent l’inondation… ».

Voici donc pourquoi « le torrent du génie » ne déborde que rarement !

Mag Ness et Jean Bon l’ont semble-t-il bien compris… leur génie s’exprime magnifiquement… sans déborder !

Alcool, drogues, médicaments et rock’n roll est un film à voir et à revoir… sans modération !

« Rock n’roll mec !... rock’n roll » !

Tristan Gernez,

Psychologue clinicien CH Lorquin

tristan.gernez@ch-lorquin.fr

Liens d’intérêt

l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International