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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Une nouvelle cible dans le cancer du pancréas avancé ? Volume 25, numéro 7, Septembre 2018

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

  • Figure 5

  • Figure 6

Tableaux

Le rationnel de l’étude

Le cancer du pancréas concerne 227 000 nouveaux cas chaque année dans le monde avec environ 49 000 patients en Europe et aux États-Unis [1]. Le pronostic de cette maladie est, et reste, mauvais avec une survie à 5 ans qui est passée de 5 % à 6 % ces trente dernières années.

C’est à l’heure actuelle la quatrième cause de mort par cancer dans le monde avec une incidence en augmentation pouvant le faire passer dans les prochaines années au second rang.

Les patients métastatiques au diagnostic représentent plus de la moitié des patients et sont actuellement traités par gemcitabine seule, FOLFIRINOX [2] ou plus récemment par l’association gemcitabine et nab-paclitaxel [3]. La médiane de survie de ces patients est d’environ 7 à 11 mois avec un taux de survie à 5 ans de 3 % [4].

L’efficacité des chimiothérapies dans cette indication est limitée et la résistance thérapeutique du cancer du pancréas est en partie liée au microenvironnement tumoral [5, 6]. La production excessive de tissu conjonctif appelée desmoplasie et les particularités de la matrice extracellulaire dans le cancer du pancréas empêcherait l’accès tumoral aux molécules de chimiothérapie et aux cellules immunitaires.

L’acide hyaluronique (AH) est un polysaccharide linéaire de grande taille. C’est l’un des principaux composants de la matrice extracellulaire. Il contribue de façon significative à la prolifération et à la migration des cellules. L’AH en se liant à l’eau crée un gel immobile entrainant la diminution de la vascularisation et donc diminue la perfusion de chimiothérapie. Plusieurs études ont déjà montré que l’accumulation d’AH dans le cancer du pancréas était associée à une augmentation de l’agressivité tumorale et une diminution de la survie globale des patients [6-8].

Le pegvorhyaluronidase alfa (PEGPH20) est une hyaluronidase humaine pégylée qui dégrade l’AH intratumoral et modifie le stroma tumoral. Les résultats des études pré-cliniques ont montré que la dégradation de l’AH médiée par le PEGPH20 améliorait la perfusion vasculaire et augmentait la disponibilité de la chimiothérapie [7, 9, 10](figure 1).

Une étude de phase Ib en première ligne métastatique chez des patients naïfs de traitement atteints de cancer du pancréas, associant le PEGPH20 à la gemcitabine a montré que le traitement était bien toléré et augmentait la réponse à la gemcitabine.

Depuis la publication de l’essai de Von Hoff et al. [11], l’association gemcitabine-nabpaclitaxel est devenue un standard de traitement chez les patients métastatiques. Cette étude randomisée de phase II a comparé un traitement par gemcitabine-nabpaclitaxel associé au PEGPH20 versus gemcitabine-nabpaclitaxel seuls.

Cette étude randomisée de phase II a comparé un traitement par gemcitabine-nabpaclitaxel associé au PEGPH20 versus gemcitabine-nabpaclitaxel seuls

L’étude

Il s’agit d’une étude de phase II menée en deux parties. En effet, il y eu un amendement au cours d’étude du fait de l’augmentation de l’incidence des accidents thrombo-emboliques chez les patients traités par PEGPH20. La première partie de l’étude a randomisé les patients en 1:1 ; puis la deuxième partie en 2 pour 1 dans le bras PEGPH20-gemcitabine-nabpaclitaxel après avoir exclu les patients ayant eu un accident thromboembolique et initié une prophylaxie par énoxaparine. Cette étude a inclu des patients métastatiques, naïfs de traitement, ayant une espérance de vie de plus de 3 mois en bon état général (Indice de Karnofsky ≥ 70 %). Après amendement, les patients ayant fait un accident thromboembolique pendant la période de « screening », ayant une sténose carotidienne significative, ayant fait une hémorragie grave sous héparine à bas poids moléculaire (HBPM) ou présentant une contre-indication aux HBPM ont été exclus. Les patients inclus avant amendement ayant fait un accident thromboembolique sous PEGPH20 ont arrêté le PEGPH20 et, après mise sous HBPM, ont été analysés dans le bras gemcitabine-nabpaclitaxel seuls (figure 2). L’objectif principal de l’étude était la survie sans progression (SSP) et l’incidence des accidents thromboemboliques (après amendement).

L’objectif principal de l’étude était la survie sans progression et l’incidence des accidents thromboemboliques (après amendement)

Les objectifs secondaires étaient la SSP en fonction du taux d’AH, la survie globale (SG) et le taux de réponse objective.

En termes de statistiques, tous les patients randomisés (avant et après amendement) ont été analysés en intention de traiter (ITT). L’évaluation de l’efficacité a été réalisée chez tous les patients ayant reçu le traitement et ayant une maladie mesurable à l’inclusion.

Le traitement

Tous les patients recevaient l’association de chimiothérapie gemcitabine-nabpaclitaxel selon le protocole habituel, soit un cycle toutes les quatre semaines : trois semaines de traitement sur quatre (une semaine de pause), le nab-paclitaxel était administré à la dose de 125 mg/m2 et la gemcitabine à 1 000 mg/m2.

Le PEGPH20 était prescrit à la dose de 3 μg/kg et administré deux fois par semaine lors du premier cycle puis une fois par semaine les cycles suivants. Lors du premier cycle, les patients recevaient le PEGPH20 la veille de la chimiothérapie puis lors des cycles suivant 2 à 4 h avant. Le PEGPH20 était associé à une corticothérapie encadrant la prise (8 mg de dexaméthasone 2 h avant et 8 à 12 h après) afin de pallier aux effets secondaires musculo-squelettiques. Après l’amendement de l’étude, tous les patients recevant du PEGPH20 avaient une anticoagulation préventive par enoxaparine (figure 2).

Les patients étaient évalués toutes les huit semaines.

Les résultats du PEGPH20 associé au protocole de chimiothérapie gemcitabine-nabpaclitaxel

Au cours de la première partie de l’étude, cent-quarante-six patients ont été randomisés (randomisation 1:1) PEGH20 et gemcitabine-nabpaclitaxel versus gemcitabine-nabpaclitaxel seuls. Du fait de la prévalence des accidents thromboemboliques, 29 patients du bras expérimental ont ensuite été traités par gemcitabine-nabpaclitaxel seuls et 7 patients ont continué le traitement expérimental lorsque l’étude a repris quatre mois plus tard. Après amendement, 133 patients supplémentaires ont été randomisés.

Dans la deuxième partie de l’étude, les patients sous PEGPH20 étaient traités plus longtemps et les adaptations de doses de chimiothérapie étaient comparables dans les deux bras.

En intention de traiter (inclusion de tous les patients), la SSP était modestement mais significativement augmentée chez les patients sous PEGPH20-gemcitabine-nabpaclitaxel en comparaison à ceux sous gemcitabine-nabpaclitaxel seuls : 6,0 mois contre 5,3 mois ; HR : 0,73, IC95 [0,53-1] ; p = 0,049 (figure 3A).

Ce bénéfice est bien plus prononcé chez les patients ayant une tumeur exprimant fortement l’AH. La médiane de SSP chez les patients exprimant fortement l’AH était de 9,2 mois sous PEGPH20-gemcitabine-nabpaclitaxel contre 5,2 mois sous gemcitabine-nabpaclitaxel seuls (HR : 0,51 ; IC95 [0,26-1] ; p = 0,048) (figure 3B). Le bénéfice du PEGPH20 sur la SSP était observé au cours des deux parties de l’étude (avant ou après amendement).

La médiane de survie sans progression chez les patients exprimant fortement l’acide hyaluronique était de 9,2 mois sous PEGPH20-gemcitabine-nabpaclitaxel contre 5,2 mois sous gemcitabine-nabpaclitaxel seuls (p = 0,048)

En parallèle on pouvait observer qu’il n’y avait aucune différence sur la SSP de l’ajout du PEGPH20 chez les patients dont la tumeur exprimait très faiblement l’AH (taux d’expression de l’AH < 50 % dans la matrice extracellulaire tumorale) : 5,6 mois dans le bras expérimental contre 5,3 mois (HR : 0,88 ; IC95 [0,59-1,32]).

Il n’existait pas de différence significative en termes de SG lorsqu’on analysait tous les patients randomisés (avant et après amendement), et ce, même chez les patients exprimant fortement l’AH. Il existait tout de même une tendance en faveur du bras expérimental (11,5 mois contre 8,5 mois ; HR : 0,96 ; IC95[0,57-1,61]) (figure 4A).

Lorsque l’on s’intéressait uniquement aux patients traités après amendement, c’est-à-dire après mise en place systématique d’un traitement par enoxaparine à visée préventive en association au PEGPH20-gemcitabine-nabpaclitaxel, il existait un gain significatif sur la SG : 11,7 mois contre 9,7 mois (HR : 0,63 ; IC95 [0,41-0,98] ; p = 0,04) (figure 4B).

Lorsque l’on s’intéressait uniquement aux patients après mise en place systématique d’un traitement par enoxaparine à visée préventive en association au PEGPH20-gemcitabine-nabpaclitaxel, il existait un gain significatif sur la survie globale : 11,7 mois contre 9,7 mois (p = 0,04).

Le taux de réponse était plus important chez les patients recevant le PEGPH20 (29 réponses partielles et une réponse complète) 40 % contre 33 % (20 réponses partielles) dans le bras gemcitabine-nabpaclitaxel seuls (p = 0,23) et ce d’autant que les patients exprimés fortement l’AH en intra-tumoral (45 % contre 31 % ; p = 0,23) (figure 5).

En termes d’effets secondaires, le PEGPH20 était responsable de la survenue significativement plus importante d’accidents thromboemboliques (43 % contre 25 % p = 0,03) essentiellement veineux, ce qui a motivé un amendement de l’étude et la mise en place d’un traitement préventif par enoxaparine 1 mg/kg/jour de tous les patients. Après amendement, les accidents thromboemboliques artériels ont concerné uniquement les patients sous gemcitabine-nabpaclitaxel et n’ont donc pas été considérés comme imputables au traitement. Après ajout d’une anti-coagulation préventive systématique de tous les patients, il n’existait plus de différence significative en termes de survenues d’accident thromboembolique entre les deux bras (14 % contre 10 % ; p = 0,77) (tableau 1).

Après ajout d’une anti-coagulation préventive systématique de tous les patients, il n’existait plus de différence significative en termes de survenues d’accident thrombo-embolique entre les deux bras

Le taux d’accident thromboembolique n’était pas corrélé au taux d’AH tumoral.

Pour ce qui était des effets secondaires de grade ≥ 3, les patients sous PEGPH20 présentaient plus de neutropénies (29 % contre 18 %), de thrombopénies (16 % contre 9 %), d’asthénie (21 % contre 16 %) et d’anémie (17 % contre 20 %). Ces effets secondaires ont entraîné l’arrêt du traitement chez 27 % des patients sous PEGPH20-gemcitabine-nabpaclitaxel et 23 % sous gemcitabine-nabpaclitaxel. Des spasmes musculaires et des myalgies survenaient plus fréquemment chez les patients sous PEGPH20, mais il s’agissait d’effets secondaires grade 1 ou 2 ne nécessitant pour la plupart pas d’arrêt de traitement (tableau 2).

Il n’existait pas de différence en termes de décès relatifs au traitement entre les deux bras.

Discussion

L’interprétation de ces résultats est encore délicate. Il s’agit d’une étude de phase II incluant peu de patients avec un nombre faible de patients exprimant fortement l’AH : quarante-neuf patients traités par PEGPH20-gemcitabine et nabpaclitaxel et trente-cinq patients dans le bras contrôle. On peut observer que pour les patients du bras contrôle, les résultats sur la SG (médiane de SG de 8,5 mois) et la SSP (médiane de SSP de 5,3 mois) sont comparables aux résultats de l’étude de phase III ayant validé l’indication de l’association gemcitabine et nab-paclitaxel en première ligne métastatique dans le cancer du pancréas [11].

Ce travail soulève des points intéressants.

Il semblerait qu’il existe un réel bénéfice du PEGPH20 sur la SSP. Ce bénéfice paraît plus marqué dans le groupe de patients dont l’expression tumorale d’AH est importante, soulignant l’intérêt de bien sélectionner les patients avant la prescription de thérapies ciblées et l’importance d’identifier des biomarqueurs.

Le bénéfice paraît plus marqué dans le groupe de patients dont l’expression tumorale d’acide hyaluronique est importante, soulignant l’intérêt de bien sélectionner les patients avant la prescription de thérapies ciblées et l’importance d’identifier des biomarqueurs

Il existait, dans cette étude, un bénéfice limité du PEGPH20 sur la survie globale chez les patients dont l’expression tumorale d’AH était importante et traités dans la deuxième partie de l’essai (association d’énoxaparine systématique). Ces résultats sont probablement dus aux faibles effectifs de patients mais aussi au nombre important de patients ayant interrompu le traitement à base de PEGPH20 après amendement (39 %).

Les patients atteints d’un cancer du pancréas sont à haut risque thrombotique, et ce, d’autant plus s’ils sont métastatiques ou sous chimiothérapie. Cet état d’hypercoagulabilité des patients semble se confirmer dans ce travail devant le nombre important de patients ayant eu un accident thromboembolique sous gemcitabine-nab-paclitaxel. Au-delà de la prévention du risque thromboembolique sous PEGPH20, les résultats de ce travail nous sensibilisent à l’intérêt d’une anticogulation préventive chez les patients atteints de cancer du pancréas, sans mettre en évidence d’augmentation du risque hémorragique. En effet, la médiane de SG des patients sous gemcitabine et nab-paclitaxel de 8,5 mois passait à 9,7 mois après mise en place systématique d’une anticoagulation préventive.

Ces résultats nous sensibilisent à l’intérêt d’une anticogulation préventive chez les patients atteints de cancer du pancréas, d’autant plus qu’on ne mettait pas en évidence d’augmentation du risque hémorragique

Cet essai souligne ainsi, la nécessité de prendre en compte les spécificités du cancer du pancréas et en particulier, le microenvironnement tumoral hypovasculaire et riche en stroma expliquant en partie la chimiorésistance de cette maladie. Une autre caractéristique importante du microenvironnement de l’adénocarcinome pancréatique est la restriction de la réponse immunitaire associée à une réponse inflammatoire soutenant la tumorigenèse [12]. Ce point pourrait expliquer, en partie, l’échec de l’immunothérapie dans le cancer du pancréas (figure 6). Pour progresser dans la prise en charge de cette maladie, ne faudrait-il pas associer les différentes armes thérapeutiques comme l’immunothérapie à un traitement ciblant le microenvironnement ?

Il existe un signal fort quant à l’efficacité du PEGPH20. Une étude de phase III internationale : HALO 301 (NCT02715804) est actuellement ouverte dans plusieurs centres en France chez des patients exprimant fortement l’AH. Les résultats de cette étude pourront nous éclairer sur l’intérêt thérapeutique du PEGPH20 et la place de l’AH en tant que biomarqueur.

Liens d’intérêts

l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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