JLE

Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

MENU

Une hépatite avec ictère et fièvre chez une patiente traitée par anti-TNFα et azathioprine Volume 25, numéro 1, Janvier 2018

Une femme de 50 ans vous est adressée en urgence pour un ictère avec fièvre à 38,5 °C. Ceci survient dans un contexte de maladie de Crohn traitée depuis quatre mois par infliximab + azathioprine pour une atteinte colique avec fistule périnéale drainée par setons. Le dernier bilan réalisé il y a quatre semaines montrait une amélioration partielle des lésions endoscopiques avec persistance d’ulcérations rectales ainsi que des fistules. La CRP était passée de 120 à 20 mg/L et la calprotectine fécale a diminuée mais restait à 300 μg/g. La patiente avait l’impression que son état clinique s’était nettement amélioré depuis l’introduction de ce traitement. La dernière injection d’infliximab datait d’il y a deux semaines. Juste après celle-ci, la patiente commençait à se plaindre d’une fatigue intense, de douleur abdominale, de douleur musculaire diffuse qui prédominaient aux ceintures, de diarrhée avec trois selles liquides par jour sans rectorragie et d’une perte d’appétit ayant entraîné un amaigrissement de 3 kg. Elle pesait 69 kg. La fièvre et l’ictère étaient apparus deux jours avant. À l’examen clinique, vous notiez un abdomen sensible dans son ensemble sans défense. L’examen périnéal montrait des orifices fistuleux toujours ouverts mais sans écoulement apparent. Le toucher rectal était sans particularité. Il existait une hépatomégalie sensible à deux travers de doigt. Les aires ganglionnaires étaient libres. La tension artérielle était à 95/60 mmHg et la fréquence cardiaque à 106. Le reste de l’examen était sans particularité. Le bilan sanguin prescrit par son médecin généraliste montrait les éléments suivants : ALAT 990 UI/L, ASAT 554 UI/L, PAL 299 UI/L, GGT 155 UI/L, bilirubine totale 100 μmol/L, bilirubine directe 70 μmol/L ; taux de prothrombine : 75 %, Hb 11 g/dL, lymphocytes 6 000, polynucléaires neutrophiles 4 000 ; CRP 66 mg/L ; anticorps anti-VHC négatif, anticorps anti-VHA IgM négatif ; anticorps anti-HBs > 1 000 UI/mL, témoin d’une vaccination efficace.

L’échographie montrait une hépatomégalie homogène sans dilatation des voies biliaires intra- et extrahépatiques. Il existait un œdème périvésiculaire. Il n’y avait pas de splénomégalie. Le tronc porte était de taille normale, ainsi que les veines hépatiques et la veine cave inférieure.

Quelle est la cause la plus probable de cette hépatite ? Sur quels arguments cliniques ou biologiques repose votre hypothèse ?

Une hépatite virale non-A, non-B, non-C paraît être l’hypothèse la plus probable chez une patiente traitée par biothérapie et immunosuppresseur. Ces traitements sont connus pour exposer au risque d’infections opportunistes notamment virales [1]. Cliniquement, la patiente présentait un syndrome pseudo-grippal avec fièvre importante, myalgies, fatigue. L’échographie permettait d’affirmer l’origine intra-hépatique de l’ictère. Cette hépatite était probablement responsable de l’œdème péri-vésiculaire. Sur le plan biologique, le rapport ALAT/ASAT > 1 est plutôt en faveur d’une atteinte histologique périportale classiquement notée dans les hépatites virales. Il permet a priori d’exclure une atteinte centrolobulaire en rapport avec un foie cardiaque ou un foie ischémique (TA basse et fréquence cardiaque rapide). La NFS montrait une lymphocytose compatible avec une infection virale.

Les biothérapies et immunosuppresseurs sont connus pour exposer au risque d’infections opportunistes notamment virales

Quels sont les examens complémentaires que vous prescrivez pour confirmer votre hypothèse diagnostique ?

Vu le contexte de traitement par anti-TNFα et d’azathioprine, il faut éliminer en priorité une infection à cytomégalovirus (CMV), virus de la varicelle-zona (VZV), herpès simplex virus (HSV) et Epstein-Barr virus (EBV). Ces quatre virus peuvent entraîner une hépatite sévère dans un contexte d’immunosuppression, notamment en cas de transplantation d’organe. Il s’agit le plus souvent d’une réactivation virale induite par l’immunosuppression mais des cas de primo-infection ont été décrits. Des cas d’hépatites sévères ont été rapportés dans la littérature avec ces quatre virus chez des patients traités par anti-TNFα [1-5]. Le tableau clinique avec lymphocytose est compatible avec cette hypothèse. La sérologie est souvent d’interprétation difficile dans le contexte de réactivation virale. Il est donc plus simple de faire d’emblée une quantification de l’ADN de ces virus dans le sang par PCR en temps réel. Si cette recherche est négative, et en l’absence d’une autre étiologie évidente, il peut être intéressant de faire une biopsie tissulaire des organes touchés par l’infection. Cette biopsie permettra entre autre la détection du virus par immuno-marquage, hybridation in situ ou PCR.

La sérologie est souvent d’interprétation difficile dans le contexte de réactivation virale

Malgré la négativité des anticorps anti-VHC, il faudra également faire une recherche de l’ARN du VHC par RT-PCR en temps réel pour ne pas méconnaître une hépatite aiguë en période de fenêtre sérologique. Parallèlement, il faudra éliminer une hépatite aiguë E par la recherche des anticorps anti-VHE de type IgM et, vu le contexte d’immunosuppression, la recherche de l’ARN VHE par RT-PCR dans les selles et/ou le sang. Un dosage pondéral des immunoglobulines et la recherche d’auto-anticorps anti-nucléaire, muscle lisse, LKM1, SLA, LC1 seront réalisés de principe pour ne pas méconnaître une hépatite auto-immune, hypothèse peu probable vu le contexte et le tableau clinique avec fièvre importante. Si tout ce bilan est négatif, il faudra éliminer une infection plus rare comme par exemple HHV-6. Bien sûr, il faudra également contrôler les tests hépatiques et le taux de prothrombine.

La patiente était hospitalisée. La rectosigmoïdoscopie montrait le même aspect que l’examen antérieur avec ulcérations rectales et un orifice fistuleux rectal visible. Le bilan que vous aviez demandé montrait les éléments suivants :

ALAT 1 200 UI/L, ASAT 880 UI/L, PAL 321 UI/L, GGT 214 UI/L, bilirubine totale 120 μmol/L, bilirubine directe 88 μmol/L ; taux de prothrombine : 65 % ; immunoglobuline G normale, absence d’auto-anticorps ; anticorps anti-VCA IgG+, anti-EBNA IgG+, ADN EBV non détectable ; anticorps anti-CMV IgG+, ADN CMV non détectable ; anticorps anti-VZV IgG+, ADN VZV non détectable ; anticorps anti-HSV1 et HSV2 IgG et IGM négatifs, ADN HSV non détectable ; ARN VHC non détectable ; anticorps anti-VHE IgM positif, ARN VHE détectable dans le sang.

Quelle est votre attitude devant cette hépatite aiguë E ? Y a-t-il une indication de traitement par ribavirine ?

La patiente était mise en isolement entérique. Elle nécessite un suivi biologique rapproché pour ne pas méconnaître une forme d’évolution grave. Le traitement par azathioprine est arrêté. La prochaine perfusion d’infliximab était mise en suspens en fonction de l’évolution clinique de l’hépatite et de l’évolution de la maladie de Crohn.

L’indication d’un traitement par ribavirine en cas d’hépatite aiguë E n’est pas clairement établie. Chez les patients greffés ayant une infection à VHE, il est recommandé en premier lieu de diminuer l’immuno-suppression pour faciliter la clairance spontanée du virus [6]. Un cas semblable a été décrit chez une patiente japonaise traitée par infliximab, mesalazine et prednisolone pour une rectocolite hémorragique et qui a présenté un tableau d’hépatite aiguë E spontanément résolutif sans traitement [7]. Il a été considéré qu’il n’y avait donc pas d’indication à mettre en route un traitement par ribavirine dans l’immédiat. Néanmoins, 21 cas d’hépatites aiguës E traitées par ribavirine ont été colligés dans un travail collaboratif français. Les patients ont été traités avec une dose de 600 à 800 mg/jour. Neuf patients ont été traités en raison d’une hépatite sévère (TP ≤ 60 %, dont 3 avec cirrhose alcoolique sous jacente), six patients en raison d’un âge > 70 ans, quatre en raison d’un traitement immunosuppresseur pour une maladie auto-immune (méthotrexate + corticoïde, infliximab + méthotrexate, méthotrexate, infliximab) et 2 en raison d’une chimiothérapie pour cancer solide. En tout six patients avaient une cirrhose éthylique sous-jacente dont 2 avec ascite et encéphalopathie. Chez 19 patients, la ribavirine a été arrêtée dès la négativation de l’ARN VHE dans le sérum. La durée médiane de traitement a été de 26 jours. Deux patients ont développés une anémie sévère. Les deux patients avec encéphalopathie sont décédés. Un patient a rechuté transitoirement. Tous les patients ont éliminé le VHE et ont vu leur bilan hépatique se normaliser. Tous les traitements immunosuppresseurs et les chimiothérapies arrêtés transitoirement ont pu être repris [8].

En cours d’hospitalisation, la fièvre s’amendait rapidement et le bilan biologique s’améliorait avec diminution de la cytolyse, de la cholestase et de la bilirubine et augmentation du TP. La patiente regagnait son domicile au bout de quelques jours. Les bilans biologiques hebdomadaires montraient une normalisation stricte du TP, des GGT, des PAL et de la bilirubine. En revanche, il persistait une discrète cytolyse à 2N mais l’ARN VHE était indétectable sur le dernier bilan fait en laboratoire de ville. La CRP était à 70 mg/L. Elle se plaignait d’avoir à nouveau plusieurs selles liquides par jour, des douleurs abdominales et de quelques écoulements périnéaux. Elle se plaignait de fatigue et de myalgie. L’azathioprine et l’infliximab étaient repris deux mois après l’hospitalisation. Vous revoyez la patiente deux mois plus tard. Sur le dernier bilan biologique, il persistait une cytolyse à environ 2N sans autre anomalie des tests hépatiques. La CRP était à 20. La patiente était fatiguée mais considérait que sa maladie de Crohn évoluait favorablement. La recherche d’ARN VHE dans le sang était positive.

Quelle est votre hypothèse concernant cette recherche d’ARN VHE à nouveau positive ?

La persistance de l’ARN VHE quatre mois après la phase aiguë signe une infection chronique par le VHE favorisée par l’immunosuppression. L’élément trompeur dans cette observation a été un ARN VHE non détectable au cours du suivi malgré la persistance d’une cytolyse hépatique. Ceci a conduit à la réintroduction, peut-être à tort, du traitement combiné chez cette patiente dont la maladie de Crohn est partiellement contrôlée.

Il a été montré que le génotype VHE3 peut entrainer une infection chronique chez des patients immunodéprimés (VIH+, leucémie, forte dose de corticoïdes) et les receveurs d’une transplantation d’organe [9]. Un seul cas d’infection chronique par VHE4 est rapporté dans la littérature et aucun cas avec VHE1 et 2 [6]. L’infection chronique est classiquement définie par la persistance de l’ARN VHE dans le sang et élévation des transaminases six mois après la phase aiguë. Néanmoins, certaines équipes considèrent qu’une persistance au-delà de trois mois est suffisante pour affirmer l’infection chronique [10].

Quelle est votre attitude thérapeutique ?

L’indication de la ribavirine est, cette fois-ci, formelle. Il n’y a pas de véritable consensus sur la dose et la durée du traitement idéale. Dans les différentes études, le traitement a été donné à la dose de 400 à 1 000 mg par jour, pour une durée allant de trois à neuf mois. Le taux de réponse virologique soutenu varie de 67 à 87 % [6]. Dans le cas de cette patiente, la discussion porte également sur l’attitude par rapport au traitement de la maladie de Crohn qui, ici, n’est pas en rémission complète. Faut-il arrêter tous les traitements ou faut-il maintenir l’infliximab en monothérapie voire l’azathioprine en monothérapie ?

La ribavirine était débutée à la dose de 800 mg/jour en deux prises pour une durée totale de trois mois. Parallèlement, l’azathioprine était stoppée et l’infliximab maintenu. Le bilan biologique à un mois montrait un taux d’hémoglobine stable à 11,5 g/dL, une normalisation stricte des transaminases et un ARN VHE indétectable. Ceci était confirmé sur les bilans réalisés à deux et trois mois. Malheureusement, sur le contrôle biologique réalisé un mois après l’arrêt de la ribavirine, les ALAT étaient élevées à 2N et l’ARN VHE était à nouveau détectable.

Quelle est votre attitude thérapeutique ?

Une rechute est observée dans 13 à 33 % des cas après un premier traitement par ribavirine [6]. Il a été montré qu’un nouveau traitement par ribavirine avec une durée plus longue et peut-être une dose plus forte permet souvent d’obtenir une réponse virologique soutenue définie par un ARN VHC non détectable six mois après l’arrêt du traitement [11].

La patiente était retraitée par ribavirine 1 000 mg/jour pendant 6 mois. La tolérance était médiocre avec nausée, diarrhée, fatigue et essoufflement. Sur le bilan biologique à 1 mois, les transaminases étaient normales, l’ARN VHE était indétectable et l’hémoglobine était à 10,5 g/dL. Ceci était confirmé sur les différents bilans mensuels réalisés jusqu’à la fin du traitement et jusqu’à six mois après l’arrêt du traitement. La patiente était donc considérée comme guérie de son infection par le VHE.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International