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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Une hépatite aiguë en soins intensifs hématologiques Volume 26, numéro 2, Février 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

Tableaux

Vous êtes appelé(e) au chevet d’un homme de 68 ans hospitalisé en hématologie pour le traitement d’un lymphome du manteau. Il a reçu une chimiothérapie d’induction par rituximab, dexaméthasone, cytarabine et oxaliplatine et un traitement de consolidation par carmustine, étoposide, cytarabine, melphalan et autogreffe de cellules souches hématopoïétiques (CSH). Il est devenu fébrile dans un contexte de neutropénie, dix jours après la greffe de CSH et a été traité par du méropénem et de la vancomycine. Il a développé un syndrome douloureux abdominal 18 jours après la greffe de CSH associé à des œdèmes et à de l’ascite avec une prise de poids de 14,5 %. Les examens biologiques montrent des élévations des transaminases ASAT et ALAT respectivement à 39 et 23 fois la normale supérieure. La bilirubinémie totale est de 29,7 μmol/L, le temps de prothrombine de 43 %, le débit de filtration glomérulaire de 90 mL/min. Dans ce contexte, il est réalisé un angioscanner abdominal (figure 1).

 

Comment interprétez-vous cette image ?

Le scanner montre des voies de dérivation porto-systémique qui sont vues, au mieux, avec des reconstructions 3D (figure 2). La présence de voies de dérivation porto-systémique est un signe direct d’hypertension portale. Les voies de dérivation porto-systémique peuvent être à drainage cave supérieur ou cave inférieur. Dans le groupe à drainage cave supérieur, on trouve les varices gastriques, œsophagiennes et para-œsophagiennes. Dans le groupe à drainage cave inférieur, on trouve les shunts gastro-rénaux et spléno-rénaux, la veine para-ombilicale, les shunts rétro-péritonéaux, les varices mésentériques, vésiculaires et omentales. L’angioscanner abdominal avec reconstructions 3D est une technique simple pour dépister une hypertension portale dans un contexte d’hépatite aiguë chez un patient souffrant de pathologies complexes et intriquées. Le scanner abdominal permet également de chercher un épanchement liquidien péritonéal, une dilatation des voies biliaires, une thrombose vasculaire, un foyer infectieux abdominal, et, sur les coupes thoraciques, une pneumopathie.

En l’absence de facteurs de risque de cirrhose, vous évoquez un syndrome d’obstruction sinusoïdale (SOS) associé au traitement hématologique

Quels sont les arguments qui vous orientent vers ce diagnostic ?

Les signes cliniques de SOS sont peu spécifiques : hépatomégalie douloureuse associée à un ictère, une rétention hydro-sodée avec prise de poids, œdème et ascite survenant habituellement dans les 10-20 jours après le début d’un traitement cytoréducteur à base de cyclophosphamide et plus tardivement pour les autres thérapies myéloablatives. La triade classique : hépatomégalie, prise de poids et ictèreest souvent insuffisante pour affirmer le diagnostic.Les anomalies biologiques classiquement décrites sont un syndrome de cholestase avec une hyperbilirubinémie survenant habituellement avant J20, une thrombopénie, des perturbations de la coagulation, associés à une hyperhydratation extracellulaire ou mixte. Les critères de McDonald et les critères de Baltimore peuvent être utilisés pour aider au diagnostic (tableau 1). Les diagnostics différentiels sont nombreux dans ce contexte de chimiothérapie et de neutropénie avec fièvre (le lecteur est invité à se reporter à la revue du dossier thématique). Les principaux sont le sepsis, la GVH, l’insuffisance cardiaque et les toxicités médicamenteuses. L’appréciation de la sévérité d’un SOS repose sur la vitesse d’installation des signes cliniques et biologiques. Les facteurs de mauvais pronostic sont l’apparition de défaillances d’organes extra-hépatiques, des ALT > 15 fois la limite supérieure de la normale, une augmentation de la pression portale > 20 mmHg si on mesure le gradient, la survenue d’une thrombose de la veine porte. Le SOS survient, en général, après greffe de CSH allogéniques, souvent après irradiation corporelle totale, ou après certaines chimiothérapies à base d’oxaliplatine, d’endoxan, de busulfan ou d’anticorps immunoconjugués à l’ozogamicine, un antibiotique antitumoral de la famille des calichéamicines.

Le service d’hématologie vous demande si une biopsie hépatique est nécessaire

Que leur répondez-vous ?

Le contexte est évocateur et la biopsie du foie (PBH) n’est pas nécessaire. La mise en évidence de voies de dérivation qui n’existaient pas avant chimiothérapie est très évocatrice de SOS. En cas de doute diagnostique, la PBH est l’examen le plus précis. Elle est réalisée par voie transjugulaire et doit être accompagnée d’une prise de pression pour chercher une hypertension portale. C’est la présence d’une hypertension portale sans cirrhose à l’examen anatomopathologique qui fait le diagnostic. Une mesure > 10 mmHg est très spécifique d’un SOS.

Une biopsie hépatique par voie transjugulaire est quand même réalisée et confirme votre diagnostic

Quel traitement proposez-vous ?

La prise en charge repose en premier lieu sur un traitement symptomatique avec des mesures de réanimation classiques : rééquilibration hydro-électrolytique, ponction d’ascite pour le confort. En cas de gravité, le seul traitement ayant prouvé son efficacité est le défibrotide à la posologie de 25 mg/kg/jour pendant 21 jours. Il n’y a pas de bénéfice à la prescription d’anticoagulants. La pose d’un shunt intrahépatique (TIPS) dans l’objectif de diminuer la pression portale, ne réduit pas la mortalité. De rares cas de transplantation hépatique sont rapportés.

Le patient s’améliore en 2-3 semaines avec retour au poids de référence, disparition de l’ascite et des œdèmes

Les collègues d’hématologie décident de vous l’adresser. Quel traitement préventif auriez-vous pu proposer ?

La première démarche à effectuer est d’identifier les facteurs de risque de SOS. L’évaluation de la fibrose est primordiale. La présence d’un SOS infraclinique associé à des traitements antérieurs ou à la maladie sous-jacente est également un facteur de risque. Dans ce cas, la biopsie hépatique garde toute sa valeur et les tests non-invasifs de fibrose ont une valeur pronostique minime. Il faut, dans la mesure du possible, contrôler l’activité nécrotico-inflammatoire d’une maladie chronique du foie associée à l’hémopathie. Si l’on considère le patient à risque de SOS, ce qui est le cas ici, il faut recommander un protocole chimiothérapeutique associé à un risque faible de SOS. L’intérêt de l’héparine en traitement préventif est débattu. L’acide ursodésoxycholique, malgré quelques études négatives, est peut-être intéressant pour diminuer la toxicité hépatique des chimiothérapies. Il convient de le débuter au moment du conditionnement voire, si possible, 14 jours avant. Le défibrotide a également été étudié en prophylaxie primaire, notamment chez l’enfant, et plus récemment chez l’adulte. Il n’est pas encore recommandé par la Haute Autorité de Santé en traitement préventif. Les recommandations britanniques préconisent son utilisation chez les adultes à haut risque (maladie hépatique, seconde greffe myéloablative, leucémie au-delà de la deuxième rechute, conditionnement avec busulfan, traitement antérieur par gemtuzumab ozogamicin, syndrome d’activation macrophagique, adrénoleucodystrophie ou ostéopétrose en pédiatrie).

Conclusion

Le diagnostic de SOS doit être évoqué chez tout patient pris en charge par un protocole myéloablatif dans un contexte d’hémopathie, avec apparition de la triade : hépatomégalie douloureuse, prise de poids et ictère.

Un scanner abdomino-pelvien peut être réalisé pour éliminer les diagnostics différentiels et chercher des signes d’hypertension portale, au mieux avec des reconstructions 3D. Le traitement consiste en un traitement symptomatique avec mesures de réanimation classiques et soins de support. En cas de gravité, un traitement par défibrotide peut être envisagé. La démarche la plus importante est l’évaluation des risques de SOS avant de débuter la chimiothérapie.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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