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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Une dysphagie qui a du mal à passer ! Volume 26, numéro 7, Septembre 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

  • Figure 5

Tableaux

Un patient de 64 ans, vous est adressé par son médecin traitant pour une dysphagie.

Dans ses antécédents, on note un diabète de type 2 insulino-requérant évoluant depuis 15 ans, une hypercholestérolémie et un athérome carotidien, un tabagisme chiffré à 30 paquet-années, sevré depuis deux ans. Son traitement comporte : Levemir, Metformine, Diamicron, Crestor et Kardegic.

Il rapporte depuis deux ans environ une dysphagie intermittente aux solides, avec régurgitations, qui s’est nettement aggravée depuis quelques mois. Il n’y a pas de perte de poids (81 kg pour 175 cm, IMC= 26 kg/m2). Une consultation ORL concluait à l’absence d’anomalie clinique et endoscopique. Les symptômes ont été imputés à un reflux gastro-œsophagien, un traitement d’épreuve par inhibiteurs de la pompe à protons a été réalisé sans efficacité sur les symptômes. Il consulte devant l’aggravation des symptômes.

Quels éléments de l’interrogatoire vous semblent pertinents à recueillir ?

La première étape consiste à caractériser la dysphagie afin de tenter de distinguer dysphagie oro-pharyngée et œsophagienne, de prises en charge différentes.

Dysphagie œsophagienne :

  • localisation : haute ou basse ;
  • symptômes éventuels associés : régurgitations, douleur thoracique, impaction alimentaire.

Dysphagie oro-pharyngée :

  • localisation : haute ;
  • symptômes éventuels associés : fausses-routes, toux lors des repas, déglutitions répétées, régurgitations nasales ;
  • trouble de la mastication, difficultés à l’initiation de la déglutition ;
  • contexte de troubles neurologiques.

Il faudra également préciser les antécédents notamment chirurgicaux œso-gastriques (chirurgie anti-reflux, bariatrique), neurologiques, allergiques (asthme, atopie), ou de maladie systémique (sclérodermie).

Les traitementsdoivent être renseignés. En effet, certains médicaments peuvent être responsables de troubles moteurs œsophagiens comme les opiacés.

Certains médicaments peuvent être responsables de troubles moteurs œsophagiens comme les opiacés

Il faut évaluer le retentissement de la dysphagie sur la prise alimentaire, la perte de poids et l’impact sur la qualité de vie.

Quel examen complémentaire demandez-vous en première intention ?

Une endoscopie œso-gastro-duodénale avec biopsies œsophagiennes étagées (y compris si la muqueuse œsophagienne apparaît normale macroscopiquement).

Toute anomalie morphologique pouvant expliquer la dysphagie sera notée, et les biopsies œsophagiennes cherchent une œsophagite à éosinophiles [1].

Vous réalisez une endoscopieœsogastro-duodénale qui ne trouve pas d’anomalie. Les biopsies œsophagiennes éliminent une œsophagite à éosinophiles.

Quel examen demandez-vous en deuxième intention ?

Une manométrie œsophagienne de haute résolution (MHR) à la recherche d’un trouble moteur de l’œsophage. Il s’agit de la technique de référence pour l’exploration des troubles moteurs œsophagiens [2].

Une manométrie œsophagienne est réalisée. La relaxation de la jonction œso-gastrique apparaît normale (pression de relaxation intégrée médiane (PRI) < 15 mmHg). Concernant les contractions du corps de l’œsophage lors des déglutitions d’eau, on observe 60 % de contractions prématurées (latence distale < 4,5 secondes), et 40 % de contractions normales.

Il est porté le diagnostic de spasmes œsophagiens diffus (figure 1).

Quels examens complémentaires pourraient être utiles en complément ?

La rareté de ce trouble moteur (spasmes œsophagiens diffus) incite à compléter les explorations morphologiques, à la recherche d’une cause : scanner thoraco-abdominal à la recherche d’une maladie infiltrante du cardia, éventuellement un échoendoscopie œso-gastrique (épaisseur de la musculeuse œsophagienne et anomalies péri-œsophagiennes).

Dans le cadre des troubles moteurs œsophagiens, le transit baryté œso-gastro-duodénal (TOGD) est souvent informatif, concernant la motricité œsophagienne et le passage cardial.

Une échoendoscopie est réalisée montrant un épaississement de la musculeuse œsophagienne sur le tiers inférieur de l’œsophage, sans signe de malignité. Le TOGD montre un aspect en tire-bouchon (figure 2).

Le diagnostic retenu est donc celui de spasmes œsophagiens diffus primitifs.

Quel score clinique vous permet d’évaluer la gravité de la dysphagie ?

Le score d’Eckardt permet l’évaluation des symptômes dans l’achalasie mais il peut être appliqué aux autres troubles moteurs œsophagiens. Cela permet une évaluation reproductible de la sévérité des symptômes (tableau 1).

Le score d’Eckardt est à 7/12 (dysphagie à tous les repas, régurgitations quotidiennes, douleur thoracique occasionnelle). En raison du caractère idiopathique et de la gêne modérée du patient, un traitement médical par inhibiteur des canaux calciques (diltiazem 200 mg LP par jour) est instauré.

Le patient présente une amélioration des symptômes avec disparition des régurgitations, mais persistance d’une dysphagie quotidienne et de rares douleurs thoraciques.

Vous le revoyez en consultation un an plus tard car il a perdu 3 kg, la dysphagie aux solides reste quotidienne. En raison de cet amaigrissement, il est décidé de réaliser une nouvelle manométrie œsophagienne avec ingestion de solides (pain).

La PRI médiane est de 21 mmHg (N< 15 mm Hg), 100 % des contractions œsophagiennes sont prématurées (LD < 4,5 secondes) (figure 3). Il y a une pressurisation pan-œsophagienne lors de l’ingestion de 200 mL d’eau (figure 4). L’ingestion de pain entraîne une pressurisation franche dans le corps de l’œsophage, avec spasme du sphincter inférieur de l’œsophage (figure 5). Vous retenez cette fois le diagnostic d’achalasie de type III.

Quelle est la prise en charge thérapeutique préférentielle de l’achalasie de type III ?

L’injection de toxine botulinique dans le cardia et les derniers centimètres de l’œsophage est une possibilité, avec une efficacité en principe limitée dans le temps. Les résultats de la cardio-myotomie chirurgicale type Heller ou les dilatations pneumatiques du cardia sont moins satisfaisants en cas d’achalasie de type III. La technique possiblement la plus efficace pourrait être la myotomie endoscopique de type POEM (Peroral Endoscopic Myotomy), sans que la littérature soit formelle sur le sujet [3, 4].

Un POEM a été réalisé sans complication immédiate. Au terme d’un suivi de six mois, le patient n’a plus de dysphagie en dehors de blocages alimentaires très occasionnels pour les solides, et il signale la disparition des douleurs thoraciques et l’absence de signe de reflux (pyrosis ou régurgitation) (score d’Eckart à 1/12). Une endoscopie œso-gastro-duodénale de contrôle à la recherche de signes de RGO est prévue un an après le POEM.

Liens d’intérêts

EB déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article. FM : interventions ponctuelles pour Laborie et Medtronic.

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