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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Un polype difficile… Volume 26, numéro 5, Mai 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

Tableaux

Vous recevez en consultation M. P., 64 ans, aux antécédents familiaux de cancer colorectal au premier degré. Vous lui réalisez une coloscopie de dépistage et objectivez le polype localisé à l’angle droit (figure 1).

 

Quel est votre diagnostic précis ?

Il s’agit d’une tumeur à extension latérale non granulaire (LST NG) légèrement surélevée O-IIa selon la classification de Paris. Les LST représentent environ 10 à 40 % des lésions précancéreuses du côlon. Elles sont définies par une extension latérale de plus de 10 mm, plus large que l’extension verticale contrairement aux polypes classiques. Elles sont souvent de grande taille. Quatre grands types existent (figure 2) et le risque carcinologique varie en fonction du type de lésion [1]. Les LST NG non-déprimées ont un risque de dégénérescence avec invasion de la sous-muqueuse aux alentours de 10 %.

Il est primordial de savoir dépister les LST NG dont le diagnostic est difficile en raison de leur caractère plan et lisse. Elles ont pendant longtemps été peu rapportées dans la littérature occidentale contrairement à la littérature japonaise probablement en raison d’un écart des générations d’endoscope et d’un retard de la formation à l’endoscopie diagnostique.

Réalisez-vous des biopsies pour pouvoir décider du traitement le plus adéquat ?

La possibilité de prédire l’histologie en temps réel (caractérisation) avec tous les endoscopes haute définition de dernière génération doit amener une modification des pratiques du quotidien [2]. Il faut connaître l’ensemble des classifications validées permettant de caractériser les lésions colorectales superficielles (PARIS, KUDO, SANO, NICE). Récemment, le tableau CONECCT développé par Pioche permet une synthèse de l’ensemble de ces classifications. L’utilisation des systèmes de chromoendoscopie virtuelle (NBI pour Olympus, BLI pour Fuji, iSCAN pour Pentax) est à la base de cette étape de caractérisation qui se fait en temps réel et qui doit devenir une habitude quotidienne pour le gastro-entérologue. Une bonne analyse endoscopique du polype en lumière blanche et en chromoendoscopie permet une analyse en globalité de la lésion contrairement à des biopsies qui ne représentent qu’un échantillonnage minimaliste de la lésion. L’absence de cancer sur les biopsies ne signifient pas l’absence de cancer sur la pièce, la présence de cancer sur les biopsies ne signifient pas non plus que celui-ci n’est pas résécable par voie endoscopique pure. En cas de doute sur la résécabilité d’une lésion, mieux vaut prendre l’avis d’un expert après avoir réalisé de multiples et belles photos de celle-ci avec une insufflation de qualité de loin et de près, en lumière blanche et en chromoendoscopie virtuelle. Une belle vidéo de la lésion est encore préférable, cependant la disponibilité des enregistreurs vidéo sur les colonnes d’endoscopie est faible. Certains correspondants réalisent des enregistrements vidéo avec leur smartphone dernière génération filmant l’écran de la colonne d’endoscopie, ce système de « débrouille » permet de compléter la banque photo réalisée. Il faut éviter de tatouer les lésions pour lesquelles il existe un doute sur une possibilité de résection endoscopique. Effectivement, la diffusion possible du charbon sous la lésion peut compliquer voire empêcher une résection endoscopique qui aurait été possible carcinologiquement. Mieux vaut mettre en place deux ou trois clips de repérage à distance de la lésion (2 à 5 cm), ils n’entraveront pas une éventuelle résection endoscopique si l’avis de l’expert en confirme la possibilité et permettront le repérage de la lésion en cas de nécessité de geste de résection chirurgicale.

La présence de cancer sur les biopsies ne signifient pas non plus que celui-ci n’est pas résécable par voie endoscopique pure

Vous décidez de réaliser de réaliser un traitement endoscopique, quels sont les avantages et les inconvénients de la mucosectomie fragmentée par rapport à la dissection sous-muqueuse ? quelle technique choisiriez-vous dans cette situation ?

La mucosectomie fragmentée possède un avantage théorique sur la relative « simplicité » de la procédure en comparaison avec la dissection sous-muqueuse. Elle est plus rapide et a un risque de perforation plus bas (1 % vs. 5 %) [3]. Elle est par contre associée à un taux d’échec supérieur en particulier en cas de lésion très plane ou fibreuse, et surtout à un taux de récidive directement liée à la taille de la lésion, dépassant les 20 % en cas de lésion de plus de 4 cm.

Au niveau économique, la mucosectomie est moins coûteuse en matériel et en personnel, cependant cet avantage économique sur l’acte peut être contrebalancé par le coût des nombreux contrôles coloscopiques nécessaires jusqu’à une éradication complète de la lésion. De plus, l’analyse anatomopathologique est de moins bonne qualité en cas de résection fragmentée et certains auteurs ont émis l’hypothèse d’un sous-staging anatomopathologique en raison des artéfacts multiples de coagulation et du risque de non-récupération de l’ensemble des fragments réséqués.

S’il existe un débat entre ces deux techniques pour les lésions bénignes (dysplasie de bas ou de haut grade) où seule une étude randomisée avec objectif médico-économique à long terme pourrait répondre [4], les lésions à risque de dégénérescence doivent être traitées par dissection sous-muqueuse qui est la seule technique endoscopique permettant une résection avec l’ensemble des critères de qualité carcinologique.

Les lésions à risque de dégénérescence doivent être traitées par dissection sous-muqueuse

Dans cette situation de LST NG pseudo-déprimée, le risque de dégénérescence avec invasion sous-muqueuse dépasse les 40 % et une résection monobloc est indispensable, par mucosectomie monobloc si la lésion est inférieure à 20 mm et par dissection sous-muqueuse si la lésion dépasse les 20 mm.

De plus, d’un point de vue purement technique, les lésions très planes comme les LST NG sont difficiles à réséquer par mucosectomie en raison d’une anse glissant souvent sur la lésion lisse sans l’agripper alors que la dissection sous-muqueuse évite cet écueil.

Vous commencez la résection et après injection sous-muqueuse d’un soluté macromoléculaire, il existe un mauvais soulèvement en « livre » de la lésion (figure 3). Qu’en pensez-vous ?

Pendant longtemps, le non-soulèvement après une injection sous-muqueuse (« non lifting sign ») était synonyme d’invasion tumorale en profondeur contre-indiquant la résection endoscopique et orientant vers une prise en charge chirurgicale. Les progrès des endoscopes et les hautes performances des classifications permettant de prédire l’histologie d’une lésion colorectale superficielle ont fait tomber ce dogme [5]. Une bonne caractérisation est supérieure à une tentative d’injection sous-muqueuse pour prédire une invasion tumorale en profondeur. La présence d’une fibrose intense sous la lésion (LST NG, lésions angulaires, macronodule), la réalisation de biopsies multiples préalables, la récidive post-résection, une tentative d’injection préalable et le tatouage sous la lésion sont autant d’éléments pouvant expliquer un non-soulèvement d’une lésion colorectale superficielle complétement bénigne. Des erreurs techniques lors du geste d’injection peuvent également expliquer le non-soulèvement d’une lésion colorectale superficielle : une injection trop profonde dans la musculeuse ou au-delà peut entraîner un pseudo-soulèvement à risque de perforation en cas de tentative de résection. À l’inverse, une injection trop superficielle, dans la muqueuse peut également être responsable d’un non-soulèvement. Elle est facilement reconnaissable par l’aspect typique d’une bulle hématique d’effacement très rapide une fois l’injection stoppée.

Une bonne caractérisation est supérieure à une tentative d’injection sous-muqueuse pour prédire une invasion tumorale en profondeur

En résumé le non-soulèvement n’est pas une contre-indication à une résection endoscopique si la caractérisation est en faveur d’une lésion bénigne ou de dégénérescence superficielle. L’injection sous-muqueuse ne doit plus être utilisée comme un argument diagnostique pour l’évaluation de la résécabilité d’une lésion colorectale superficielle. En cas de lésion carcinologiquement résécable mais se soulevant mal après injection sous-muqueuse, la dissection sous-muqueuse avec outil de contre-traction est la technique de choix car la mucosectomie est souvent compliquée voire impossible.

Vous continuez votre dissection sous-muqueuse qui permet la résection monobloc d’une lésion de 60 mm en 2 heures. Votre anesthésiste vous demande si une colectomie droite par coelioscopie n’aurait pas été plus raisonnable. Que lui répondez-vous ?

La chirurgie a pendant longtemps été la technique de choix pour le traitement des gros polypes du côlon. Le développement des techniques de résection endoscopique mini-invasive a fait modifier cette attitude. Pour les gastro-entérologues sceptiques, il ne faut pas oublier qu’une littérature floride existe sur les résultats de la chirurgie colorectale pour des lésions bénignes (tableau 1). Les chiffres sont clairs : la durée d’hospitalisation varie de 5 jours dans les études américaines à 8 jours pour les équipes européennes. La morbidité oscille entre 15 et 30 % avec une ré-intervention nécessaire dans 5 à 10 % des cas. La mortalité n’est pas nulle aux alentours de 1 % des cas. De plus, au niveau médico-économique, le coût global de la prise en charge est 3 à 5 fois plus cher pour l’organisme payeur en cas de prise en charge chirurgicale par rapport à une prise en charge endoscopique. Une étude française menée en Ile-et-Vilaine a confirmé dans notre pays ces résultats qui doivent absolument faire changer les pratiques. Il n’est plus raisonnable en 2019 qu’encore 30 % à 50 % des polypes de plus de 2 cm soient directement adressés à un chirurgien sans avis préalable d’un centre expert en résection endoscopique. De nombreux gastro-entérologues doivent avoir accès à ces techniques pour le bénéfice des patients. Ces progrès ne seront également possibles qu’avec une valorisation financière adaptée de ces techniques coûteuses pour les établissements mais source d’économies à l’échelle de la sécurité sociale par rapport à la chirurgie.

Le coût global de la prise en charge est 3 à 5 fois plus cher pour l’organisme payeur en cas de prise en charge chirurgicale

L’absence d’étude randomisée comparant de façon prospective la chirurgie à l’endoscopie pour les larges lésions superficielles colorectales est souvent mise en avant par les équipes chirurgicales ne croyant pas aux techniques de résection endoscopique. Les sommes d’études prospectives et rétrospectives sur le sujet et l’importance des écarts de résultats en termes de morbi-mortalité ne permettent pas éthiquement de proposer de telles études.

Vous revoyez le patient en consultation avec l’analyse anatomopathologique (figure 4) qui objective un adénocarcinome développé sur un adénome tubulovilleux envahissant la sous-muqueuse sur 2 000 microns avec du budding de haut grade, et sans embole lympho-vasculaire de résection R0 avec des marges latérales de 23 mm pour l’adénocarcinome et de 2 mm pour l’adénome. Que lui proposez-vous ?

Une prise en charge chirurgicale est nécessaire. La présence d’une infiltration sous-muqueuse dépassant les 1 000 microns et de budding est synonyme d’un risque d’atteinte ganglionnaire dans environ 20 % des cas [6, 7]. La résection est considérée complète R0 mais non curative. Il est primordial que les anatomo-pathologistes mentionnent l’ensemble des critères indispensables à la prise de décision adaptée en RCP dès qu’il existe un cancer envahissant la sous-muqueuse : la mesure micrométrique de l’infiltration en profondeur, le degré de différenciation, la présence d’emboles vasculaires, nerveux ou lymphatiques, la présence de budding de haut grade, les marges latérales et profondes de la résection.

Il est primordial que les anatomo-pathologistes mentionnent l’ensemble des critères indispensables à la prise de décision

Une relecture anatomo-pathologique doit être demandée si l’ensemble de ces critères n’est pas mentionné dans le compte rendu après une résection d’un polype avec cancer envahissant la sous-muqueuse.

La chirurgie doit être proposée à tous les patients ayant des critères de mauvais pronostic sur l’analyse anatomopathologique, cependant, dans certaines situations très particulières de malades âgés à très haut risque chirurgical, certaines équipes proposent hors protocole un traitement oncologique adjuvant ou une simple surveillance sans preuve scientifique forte. Le raisonnement doit évidemment être adapté à l’état général du malade ; il ne faut pas oublier qu’un malade ayant 20 % de risque de métastase ganglionnaire a 80 % de chances d’être complétement guéri par l’endoscopie. Le risque de métastases doit donc être contrebalancé au cas par cas par le risque chirurgical.

Liens d’intérêts

JA et MD déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article. JJ est consultant pour Boston et Norgine.

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