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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Tumeurs neuroendocrines : des avancées et des éclaircissements Volume 26, supplément 5, Décembre 2019

De par leur grande hétérogénéité, les tumeurs neuroendocrines (TNE) sont considérées comme complexes et affaires de spécialistes, mais c’est justement du fait de leur hétérogénéité qu’elles ne peuvent pas être que l’affaire d’un spécialiste et qu’elles requièrent un peu de connaissance de chacun. D’autant que leur incidence et leur survie augmentant, la probabilité est grande d’avoir à prendre en charge au cours de l’année un patient porteur d’une telle pathologie, à l’étape diagnostique et/ou aux différentes étapes thérapeutiques ou de surveillance [1].

Hétérogénéité…

  • De différenciation d’abord, qui nous oblige à aborder les carcinomes neuroendocrines peu différenciés de façon totalement différente des TNE bien différenciées, tant à l’étape diagnostique (pas d’exploration sécrétoire ou « nucléaire » spécifique qui ferait perdre un temps précieux et ne déboucherait sur aucune application utile) que thérapeutique qui relève de la mise en route d’une chimiothérapie en urgence.
  • De grade également, facteur pronostique reconnu des TNE bien différenciées, qui nous pousse à reconnaître les « G3 » bien différenciées, naturellement moins « clémentes » que la majorité des G1 et G2, et à nous appuyer sur un diagnostic anatomopathologique sûr, éventuellement conforté par un avis d’expert TENPATH (réseau national d’expertise pour le diagnostic anatomopathologique des TNE) [2].
  • De primitif aussi, avec une origine digestive prédominante (avec majoritairement deux entités aux caractéristiques différentes : intestinales et pancréatiques) mais également pulmonaire, voire d’autres sites tels que ORL, génito-urinaire, sein… jusqu’au primitif inconnu. Débouchant sur des symptômes et caractéristiques cliniques différentes : contexte sécrétoire « carcinoïde » possible pour les TNE intestinales avec son risque de cardiopathie ou autres potentielles sécrétions pour une minorité de TNE pancréatiques, contexte génétique tel que NEM1 devant certaines TNE pancréatiques… et sur des pronostics et accès différents aux thérapies.
  • De caractéristique « nucléaire », distinguant les tumeurs « fixantes » des « non ou peu fixantes »… dont l’interprétation dépend bien sûr de la cible et du traceur utilisé : scintigraphie des récepteurs de la somatostatine (SST-R) (« Octreoscan® » bientôt obsolète) ou TEP-scan des SST-R marqué au Galium ? TEP-scan au F-DOPA ? TEP-scan au FDG ? et pour lesquels seule l’imagerie des SST-R a une valeur théranostique [3].
  • Enfin et de façon majeure, hétérogénéité évolutive, avec au sein même des TNE bien différenciées des courbes évolutives et des pronostics très variables, que le grade et le stade ne nous permettent pas d’anticiper totalement malgré leur valeur pronostique reconnue.

La synthèse réalisée dans ce numéro par V. Hautefeuille, reprenant les « caractéristiques cliniques et le bilan pré-thérapeutique des néoplasies neuroendocrines digestives » nous permettra de revoir clairement ces points et de démystifier le sujet à la lumière de la pratique et de l’expérience clinique.

S’ouvre ensuite le champ thérapeutique… et redémarre alors l’appréhension face à l’apparente complexité des TNE devant la multiplicité et la diversité des possibilités thérapeutiques allant de l’abstention thérapeutique à la chirurgie (partielle ou complète, d’exérèse ou de dérivation…), en passant par de nombreuses classes médicamenteuses anti-tumorales (analogues de la somatostatine, thérapies ciblées, chimiothérapies cytotoxiques), des procédures radiologiques interventionnelles (destruction in-situ, embolisation ou chimioembolisation artérielles…) et la médecine nucléaire thérapeutique [4, 5].

C’est dans ce dernier domaine, avec la radiothérapie interne vectorisée (RIV) ciblant les SST-R, qu’est venue la dernière avancée significative dans le traitement des TNE bien différenciées. Ainsi, chez les patients porteurs de TNE sur-exprimant les SST-R, la RIV (au 177Lu-DOTATATE), dont l’utilisation avait longtemps été limitée à quelques centres spécialisés européens malgré des résultats cliniques très prometteurs, est maintenant disponible en France grâce à la validation de son efficacité par l’étude de phase III NETTER-1 ayant permis de démontrer une amélioration nette de la survie sans progression (en comparaison à l’octréotide double dose) pour les TNE bien différenciées G1-G2 du grêle. En pratique, son autorisation de mise sur le marché la rend disponible pour les TNE intestinales (quel qu’en soit l’étage intestinal) exprimant une surexpression aux SST-R évaluée sur l’imagerie scintigraphique ou TEP-scan [6].

Cette avancée thérapeutique, dans le domaine des TNE bien différenciées intestinales, est incontestable. Les résultats des études l’ayant évaluée ainsi que les modalités, principes et caractéristiques de ce traitement sont exposés dans ce numéro par R. Coriat, dans l’article « Place de la radiothérapie interne vectorisée dans le traitement des tumeurs neuroendocrines ». On y verra également que la place de ce type de RIV pourrait également s’étendre aux TNE bien différenciées d’origine pancréatique ou pulmonaire mais des données supplémentaires sont encore nécessaires.

À quel moment, au sein de l’ensemble de l’arsenal thérapeutique, faut-il proposer un traitement par RIV ? C’est bien sûr en réunion de concertation pluridisciplinaire RENATEN (réunion de concertation pluridisciplinaire de recours du réseau national des TNE) qu’il faudra en débattre dès lors qu’il s’agit d’un patient porteur d’une TNE G1-G2, intestinale, hyperfixante à l’imagerie des SST-R, lentement progressive.

Si l’efficacité thérapeutique s’évalue en bénéfice chiffré de survie et permet ainsi d’obtenir la mise à disposition des traitements, le point de vue du patient et l’appréciation de sa qualité de vie (sans ou avec traitement… mais toujours avec maladie) est majeur… mais reste difficile à apprécier et à prendre en compte.

Pourtant dans le cadre des TNE où l’incidence augmente, où les symptômes hormonaux viennent parfois s’ajouter aux symptômes tumoraux, et où la survie est relativement longue souvent sans menace à court terme et émaillée de diverses séquences thérapeutiques, ce point de vue est capital.

Dans ce contexte, A. Lièvre dans l’article « Impact des tumeurs neuroendocrines digestives et de leurs traitements sur la qualité de vie des patients » nous éclaire sur la complexité de cette approche, sur son importance, sur la pauvreté des données antérieures mais nous livre également les premières données positives (l’étude NETTER-1 étant pour l’instant la seule à avoir cherché et démontré une amélioration de la qualité de vie chez patients porteurs de TNE traités par RIV). De quoi nous convaincre, si nous ne l’étions pas déjà malgré les efforts de sensibilisation du GTE [7], que le maintien, voire l’amélioration, de la qualité de vie doit être un objectif thérapeutique au même titre que le contrôle tumoral, des symptômes et l’allongement de la survie.

Liens d’intérêts

l’auteur déclare les liens d’intérêts suivants : Ipsen, Novartis : conférences, invitations en qualité d’auditeur.

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