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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Transplantation hépatique chez le patient cirrhotique en défaillance multiviscérale Volume 26, numéro 10, Décembre 2019

Illustrations


  • Figure 1

Tableaux

Introduction

La transplantation hépatique (TH) est le traitement de référence de la cirrhose décompensée. Certains patients cirrhotiques en défaillance multiviscérale tirent un bénéfice individuel de cette procédure. C’est un des messages portés par les différentes études consacrées à la faisabilité de la TH chez des patients en situation critique (tableau 1). Ces études sont parfois discordantes en termes de survie post-TH, probablement en raison du caractère hétérogène des populations étudiées et à l’absence initiale d’une nomenclature standardisée. À partir de 2013, la classification Acute-on-Chronic Liver Failure (ACLF) adoptée par la société européenne d’hépatologie (EASL) a permis de décrire le pronostic sans TH de patients dont la décompensation cirrhotique s’accompagnait d’une ou plusieurs défaillances d’organes [1]. Le pronostic s’aggravait parallèlement au nombre de défaillance pour atteindre 80 % de mortalité à 28 jours chez les patients ACLF-3, c’est-à-dire les patients avec au moins trois défaillances d’organes. Les données du registre américain de TH (United Network for Organ Sharing – UNOS) ont mis en évidence un taux de survie à un an après TH supérieur à 80 % chez les patients en ACLF-3 qui justifierait une priorisation des patients cirrhotiques les plus graves dans les systèmes d’allocation et de répartition des greffons hépatiques [2, 3]. Cette position se confronte à la pénurie d’organes et au concept de « futilité » de la TH chez des patients exposés à un risque élevé de décès précoce post-TH. Ainsi, il n’existe pour l’instant de recommandations sur des limites de gravité au-delà desquelles la TH serait contre-indiquée. Cette mini-revue est consacrée spécifiquement aux patients cirrhotiques multidéfaillants, souvent pris en charge en unités aiguës avant un éventuel accès à la TH.

Considérations éthiques chez les patients cirrhotiques en état critique

L’ACLF-3 est pour l’instant une indication marginale de TH représentant environ 5 % des greffes dans le registre américain UNOS [2]. Ce chiffre masque néanmoins des pratiques disparates selon les centres et les pays. La part de cette indication s’étale de moins de 1 % à plus de 10 % de l’activité de greffe de certains centres. Cet écart conduit à deux points de vigilance. Du point de vue des patients, il existe indéniablement une inégalité d’accès à la TH selon les centres et, du point de vue des cliniciens, il existe une imprécision sur le périmètre des indications de TH. En effet, compte tenu d’une littérature limitée, il n’existe pas de recommandation et encore moins de régulation concernant la transplantabilité des patients cirrhotiques en défaillance multiviscérale. L’exercice qui consiste à mettre en balance l’utilité d’une greffe pour un patient donné avec l’utilité que ce greffon pourrait apporter à un patient dans un état moins critique s’impose aux cliniciens qui discutent l’indication de TH. Les patients en défaillance multiviscérale sont automatiquement priorisés par les algorithmes de répartition d’organe car leur score MELD est le plus souvent maximal. C’est donc les équipes qui fixent leur limite, au cas par cas, basées sur leur expérience propre et leur appréciation individuelle de l’histoire clinique d’un patient.

Définir des limites de transplantabilité pour les patients cirrhotiques en défaillance multiviscérale est nécessaire

Les modèles de répartition d’organe dans d’autres domaines font intervenir des limites déterminant « la transplantabilité des patients ». C’est bien entendu le cas du carcinome hépato-cellulaire (CHC), dont les critères de transplantabilité ont fait l’objet de débats puis de scores et d’évaluations ininterrompus depuis la publication des critères de Milan il y a plus de 20 ans. C’est également le cas dans le domaine de la transplantation cardiaque en France depuis 2018. En effet, l’attribution des greffons cardiaques fait désormais intervenir à la fois un score de priorisation qui reflète le risque de décès sans accès à la greffe, mais également un « filtre d’efficacité » qui rend inéligible les patients dont la survie post-greffe à un an est inférieure à un seuil déterminé (y compris si l’estimation de cette survie post greffe est supérieure à la survie estimée sans greffe : l’utilité envisagée du point de vue de la collectivité prend ici le dessus sur l’utilité individuelle). À l’image des modèles utilisés pour le CHC et pour la transplantation cardiaque, la définition de facteurs de risque de mauvais pronostic post-TH chez les patients cirrhotiques en défaillance multiviscérale semble être importante pour garantir l’équilibre du système de répartition des greffons et d’éviter les deux écueils qui menacent les équipes de transplantation : d’un côté, la transplantation de patients en ACLF-3 par excès, d’un autre côté, la restriction excessive de l’accès à la TH de ces patients

Malheureusement, les données qui existent proviennent soit d’études limitées en termes de nombre de patients, soit de granularité (les études de registre ne permettent pas d’analyser assez finement les critères de mauvais pronostic). En France, les données colligées par l’Agence de la Biomédecine ne permettent pas d’identifier les patients greffés en ACLF-3 et ce registre ne permet donc pas d’avoir une image précise des pratiques sur le territoire et encore moins d’identifier des facteurs de mauvais pronostic. Le manque de données concernant le pronostic post-TH des patients cirrhotiques en état critique ne permet clairement pas d’établir des limites qui pourraient constituer un filtre d’exclusion. On ne peut que mettre en avant certains critères pour les intégrer dans les discussions menées par les équipes de transplantation au chevet de patients potentiellement candidats à la greffe.

Les limites du score MELD

Le score MELD est la pierre angulaire de l’algorithme de répartition des greffons hépatiques depuis 2007 en France. Ce score permet d’estimer la mortalité des patients cirrhotiques en attente de TH et de les prioriser selon leur gravité. En revanche, les données de la littérature mettent en évidence que le score MELD seul n’est pas un instrument adapté pour identifier les patients trop graves pour être transplantés.Dans une étude incluant 169 patients transplantés avec un score de MELD > 40, Petrowsky et al. ont mis en évidence quatre facteurs prédictifs indépendants de mortalité post-transplantation qui ensuite constituaient un modèle de risque de « futilité » : l’élévation du MELD, l’index de comorbidité de Charlson, le risque cardiovasculaire et la présence d’un choc septique [4]. La relation entre l’élévation du score de MELD utilisé seul et la mortalité post-TH n’était pas trouvée dans une revue de la littérature [5] et une étude sur la cohorte UNOS a également mis en évidence que la TH de patients avec des MELD très élevés n’entraînait pas une augmentation de la mortalité post-TH [6]. Par ailleurs, le MELD n’est pas un outil discriminant pour prédire la survie post-TH parmi les patients hospitalisés dans les services de soins intensifs ou de réanimation [7, 8]. Enfin, plusieurs variations du score de MELD ont également été testées sans succès chez les patients en défaillance multiviscérale [9-11]. Par conséquent, le MELD ne semble pas adapté pour prédire la mortalité post-TH, notamment chez les patients cirrhotiques les plus graves. En effet, ce score, dont la force repose sur l’appréciation de trois facteurs simples, objectifs et reproductibles (l’INR, la créatininémie et la bilirubinémie) ne permet pas d’apprécier précisément l’ensemble des défaillances extra-hépatiques dont la gravité et l’irréversibilité potentielles sont déterminantes sur pronostic post-TH.

Le score MELD n’est pas un outil discriminant pour prédire la survie post-transplantation chez les patients cirrhotiques multidéfaillants

Les défaillances extra-hépatiques

Les défaillances extra-hépatiques ont un impact capital sur le pronostic post-TH. Les études de registre sur les patients transplantés en ACLF-3 ont mis en évidence que les défaillances « extra-MELD » (circulatoire, neurologique et respiratoire) sont celles qui pesaient le plus sur la mortalité post-TH [2]. Celles-ci doivent donc faire l’objet d’une analyse précise par les équipes qui évaluent la transplantabilité des patients cirrhotiques graves.

Les défaillances extra-hépatiques pré-transplantation ont un impact capital sur le pronostic post-transplantation

La défaillance respiratoire a un impact majeur sur la survie post-greffe. C’est la défaillance la plus grave dans la cohorte de l’UNOS qui met en évidence une différence absolue de survie de dix points entre les patients intubés et les autres [2]. En fait, cette défaillance doit être analysée de manière beaucoup plus fine que ne le permettent les études de registre [20] : la classification ACLF distingue d’ailleurs l’indication de l’intubation (l’intubation pour défaillance respiratoire est plus grave que l’intubation pour protéger les voies aériennes chez les patients avec une encéphalopathie hépatique grave) et le rapport PaO2/FiO2. Ce dernier est un élément-clé de l’évaluation de l’état respiratoire dans les services de réanimation. Nous avons mis en évidence son impact significatif et majeur (surmortalité de 40 points pour les patients intubés avec un rapport PaO2/FiO2 < 200 mmHg) sur la mortalité post-TH dans une étude unicentrique puis multicentrique avec cohorte de validation [19, 21].

La défaillance respiratoire évaluée par le rapport PaO2/FiO2 est prédictive de la mortalité post-transplantation

La défaillance circulatoire doit également faire l’objet d’une attention particulière. À cet égard, une des limites de la classification ACLF est qu’elle ne distingue pas de sous-groupes selon la dose d’amines administrée. Or, la gravité de l’état clinique d’un patient sous faibles doses de noradrénaline n’a rien de comparable avec celle d’un patient sous fortes doses de ce traitement vaso-actif. La lactatémie artérielle, qui est un marqueur de la défaillance hémodynamique (et qui dépend également des fonctions de clairance du foie et du rein), paraît également constituer un élément clé dans l’appréciation de la gravité des patients cirrhotiques en réanimation. Transplanter un patient avec une lactatémie artérielle supérieure à 4 ou 5 mmol/L s’associe ainsi à une surmortalité significativement supérieure [19, 21].

La défaillance cérébrale est sans doute la défaillance la plus difficile à apprécier car elle repose sur une évaluation subjective des malades et son évaluation est impossible dès lors que les patients sont sédatés. Par ailleurs, l’origine de cette défaillance (hépatique, septique ou iatrogène) est souvent difficile à identifier en réanimation. Le registre de l’UNOS a montré que son impact était plus important que les défaillances incluses dans le score MELD et une étude unicentrique canadienne a mis en évidence que l’association intubation-défaillance cérébrale entraînait une surmortalité significative par rapport au groupe de patients qui étaient « seulement » intubés [15].

La défaillance cérébrale est sans doute la défaillance la plus difficile à apprécier

Dans un travail récent, nous avons identifié quatre facteurs de risque indépendants de mortalité post-TH dans une cohorte multicentrique composée exclusivement de 152 patients en ACLF-3 : l’âge, ainsi que trois facteurs de risques le jour de la TH : 1) l’hyperlactatémie, 2) l’intubation avec un rapport PaO2/FiO2 < 200 mmHg, et 3) l’absence d’hyperleucocytose [21]. Nous avons mis en évidence que l’association de ces facteurs entre eux majorait de manière significative la mortalité post-TH et que la survie à un an des patients qui cumulaient trois ou quatre facteurs de risque était inférieure à 20 %.

L’évaluation des défaillances d’organes doit être réalisée de manière répétée chez les patients cirrhotiques en réanimation pour identifier la meilleure fenêtre de transplantabilité. En pratique clinique quotidienne, on constate que l’optimisation respiratoire et hémodynamique en réanimation peuvent conduire à une amélioration spectaculaire des paramètres cités plus haut, parfois même en quelques heures. A contrario, l’état clinique peut s’aggraver brutalement au gré d’un sepsis nosocomial ou de l’orage inflammatoire qui accompagne la défaillance multiviscérale. Le pronostic sans et avec TH est donc susceptible de varier rapidement chez les patients cirrhotiques en réanimation et le monitorage pluriquotidien des paramètres extra-hépatiques est donc capital dans l’identification d’une fenêtre optimale de transplantabilité.

L’évaluation des défaillances d’organe doit être répétée chez les patients cirrhotiques en réanimation pour identifier la meilleure fenêtre de transplantabilité

De la même manière que l’évolutivité du CHC fait partie des éléments qui conditionnent le pronostic des patients qui sont transplantés pour cette indication, l’évolutivité de l’ACLF pré-TH a sans doute un impact déterminant sur l’évolution post-TH. L’étude d’Artru et al. rapporte par exemple une survie remarquablement élevée (83,6 %) à un an après TH chez des patients en ACLF-3 dont les auteurs précisent qu’ils avaient en moyenne un nombre de défaillances plus bas au moment de la TH par rapport à l’admission [18].

Le sepsis

Plusieurs études proposent l’absence de sepsis non contrôlé comme condition d’accès à la TH chez les patients en réanimation [4, 7, 15, 18, 22]. En dehors des infections fongiques invasives qui contre indiquent l’accès à la transplantation [23], cette limitation peut sembler problématique pour deux raisons. D’une part, les infections sont parfois difficiles à diagnostiquer chez les patients cirrhotiques en défaillance multiviscérale. On sait que l’ACLF se caractérise par la présence d’une inflammation systémique qui croît avec la gravité de l’état clinique [24]. Le sepsis d’origine bactérienne est le facteur déclenchant de l’ACLF dans environ 30 % des cas [24] et il n’est pas toujours évident de déterminer si l’inflammation associée à l’ACLF est liée au sepsis ou non. L’élévation de la CRP et l’hyperleucocytose, par exemple, ne sont pas spécifiques de l’infection chez les patients en ACLF [24]. Le diagnostic de choc septique pose également problème compte tenu de la vasoplégie qui peut accompagner une cirrhose décompensée grave [25, 26]. En l’absence de preuves manifestes d’infection (bactériémie, infection de liquide d’ascite, pneumopathie documentée…), il n’est pas évident pour les cliniciens de distinguer un syndrome de réponse inflammatoire systémique non infectieux d’un choc septique.

Le sepsis est le facteur déclenchant de l’Acute-on-Chronic Liver Failure dans environ 30 % des cas

Il n’est pas simple de distinguer un syndrome de réponse inflammatoire systémique non infectieux d’un choc septique

D’autre part, il n’y a pas suffisamment de preuves dans la littérature pour exclure systématiquement de la TH les patients avec un sepsis. Deux études ont mis en évidence un lien entre sepsis et mauvais pronostic post-TH. La première incluait uniquement des patients avec un MELD > 40, ne détaillait pas les critères utilisés ou le type d’infection en cause et insistait sur le caractère subjectif de ce diagnostic chez les patients cirrhotiques graves [4]. La seconde, incluant des patients à la fois avec et sans ACLF, mettait en évidence que la présence d’une infection dans le mois précédant la transplantation était un facteur de risque indépendant de mauvais pronostic post-TH [16]. D’autres études n’ont pas mis en évidence ce lien, ni chez les candidats ambulatoires [27, 28] ni chez les patients en réanimation [29]. Dans notre travail portant sur des patients cirrhotiques hospitalisés en réanimation avant TH, 13 patients avaient une bactériémie dans les 15 jours avant la TH, mais l’analyse statistique ne mettait pas évidence pas de lien significatif avec le pronostic post-TH [19]. L’absence de lien clair entre sepsis et le pronostic post-TH est peut-être la conséquence d’une puissance statistique trop faible et les futures études devront apporter des données plus fines sur ce lien, en se étudiant notamment le site et le type de germe en cause.

Prise en compte de l’âge, des comorbidités et du profil addictologique

L’âge des patients à la TH a augmenté dans les deux dernières décennies et il est associé à un moins bon pronostic post-TH aussi bien chez les patients candidats ambulatoires que chez les patients en service en réanimation ou en soins intensifs [2, 12]. L’index de comorbidité de Charlson est également associé au pronostic post-TH dans les différentes catégories de candidats notamment ceux avec score MELD > 40 [4]. Des études ont mis en évidence que l’obésité morbide et, à l’inverse, un état cachectique étaient associées à de moins bons résultats post-TH, tout comme la fragilité (ou « frailty »], grâce à l’index composite élaboré par Lai et al. [30]. Aucun des trois items de cet index n’est applicable aux malades en réanimation mais un outil de ce type, permettant d’apprécier la fragilité et/ou la sarcopénie des patients cirrhotiques en défaillance multiviscérale serait sans doute d’une grande aide pour les cliniciens.

Une des caractéristiques de l’ACLF est que, dans la moitié des cas, sa survenue est, soit inaugurale, soit survient dans les trois mois après le diagnostic de cirrhose [24]. Ces patients n’ont donc pas bénéficié de bilan pré-TH. De surcroît, les patients qui présentent un premier épisode d’ACLF, qui sont plus jeunes et dont la consommation d’alcool n’est pas sevrée ont tendance à avoir des grades d’ACLF plus élevés [1, 24]. Cela pose donc un problème éthique particulièrement délicat compte tenu de la gravité de leur état clinique et de leur âge (plaidant en faveur de la transplantation) et de l’absence de servage (plaidant contre). Il a été rapporté que la TH chez patients non sevrés était envisageable dans le cadre spécifique de l’hépatite alcoolique cortico-résistante après un processus rigoureux de sélection, comprenant évaluation addictologique, sociale et psychologique [31, 32]. Ces patients greffés pour hépatite alcoolique ont une survie globale identique à la population générale greffée et ne présentent pas plus de rechute de leur consommation d’alcool après la TH que les patients cirrhotiques greffés pour une cirrhose éthylique avec un sevrage consolidé. L’évaluation pré-greffe doit néanmoins pouvoir être faite dans de bonnes conditions, ce qui n’est pas toujours le cas chez les patients en défaillance multiviscérale.

Le profil addictologique et notamment l’absence de sevrage du patient cirrhotique multidéfaillant posent un problème éthique particulièrement délicat

Proposition d’algorithme de prise en charge

La première étape concerne l’inscription sur liste de transplantation qui dépend des comorbidités du patient, de son âge et de l’évaluation addictologique. Il paraît important de souligner que l’absence de sevrage et/ou le fait de ne pas être inscrit sur liste de transplantation ne devraient plus systématiquement constituer une contre-indication à la TH ou à leur admission dans un service de réanimation [33]. L’évaluation initiale de la transplantabilité de ces patients (évaluation morphologique et cardiovasculaire, anamnèse psychiatrique et addictologique) doit être réalisée au plus vite après leur admission en réanimation afin de décider d’inscrire le patient sur liste d’attente de TH. L’interrogatoire du patient (lorsqu’il est possible) et de ses proches est essentiel et doit être réalisé au plus tôt, notamment chez les patients qui sont initialement hospitalisés en dehors d’un centre de TH. Enfin, l’état clinique doit être réévalué entre J3-7 pour préciser le pronostic du patient sans TH [34, 35].

L’évaluation de la transplantabilité du patient multidéfaillant doit être réalisée au plus vite après l’admission en réanimation

La deuxième étape concerne la transplantabilité au moment de la proposition d’organe et concerne donc l’identification d’une fenêtre optimale de transplantabilité. Les critères pronostiques que nous avons retenus (dose de noradrénaline, lactatémie artérielle, évaluation respiratoire, leucocytémie, absence de saignement digestif actif) doivent être suivis de manière rapprochée au cours de la prise en charge des malades cirrhotiques inscrits sur liste d’attente qui sont en réanimation. L’association de plusieurs facteurs de mauvais pronostic au moment de la proposition de greffon doit faire envisager de refuser celle-ci au regard du risque de mortalité post-TH. Ces critères de mauvais pronostic manquent encore de robustesse sur le plan scientifique et feront très certainement l’objet d’études à l’avenir. Enfin, l’impact de l’état neurologique pré-transplantation des patients, dont nous avons déjà dit qu’il était difficile à cerner dans les études rétrospectives reste difficile à apprécier en termes de pronostic post-greffe, notamment concernant la réversibilité des encéphalopathies hépatiques graves prolongées pré-TH.

La présence de plusieurs facteurs de mauvais pronostic au moment de la proposition du greffon doit faire envisager d’arrêter la procédure

L’algorithme que nous proposons est basé sur des études qui présentent des limites en termes de validité interne et externe (figure 1). La limite interne évidente concerne les effectifs des études utilisées qui restent modestes. La limite externe concerne la présence d’un biais majeur de pré-sélection présent dans la mesure où il s’agit d’études rétrospectives. En effet, l’analyse de facteurs pronostiques post-TH n’a été réalisée que chez des patients qui ont été transplantés, c’est-à-dire des patients qui avaient été sélectionnés (aussi bien pour l’inscription sur liste que lors de l’acceptation du greffon) par les équipes de transplantation selon des critères qui ne peuvent pas être explicités a posteriori.

Perspectives

En dehors des perspectives médicales et scientifiques que nous allons esquisser, une autre dimension mérite d’être soulignée : celle du ressenti des équipes soignantes. L’intensité de l’engagement thérapeutique nécessaire à la prise en charge de ces patients d’une fragilité extrême peut paraître futile et excessive à certains d’entre eux. Un double message doit être communiqué aux équipes soignantes : d’une part, qu’il y a un bénéfice démontré de la TH chez les patients cirrhotiques en défaillance multiviscérale et, d’autre part, que l’attribution d’un greffon est toujours envisagée avec prudence chez ces patients et qu’elle est l’aboutissement d’une prise en charge réanimatoire optimale et d’une sélection soigneuse.

Le ressenti des équipes soignantes face à intensité de l’engagement thérapeutique mérite d’être souligné

Le premier point qui reste à éclaircir est celui de l’appariement donneur-receveur chez les patients en ACLF-3. L’utilisation d’organes marginaux chez ces patients est un facteur de mauvais pronostic post-TH [2]. Malgré cela, l’attribution d’organes de meilleure qualité aux patients les plus graves fait débat et certains suggèrent que les organes les plus marginaux pourraient par conséquent être attribués aux cas les plus graves [3]. L’utilisation d’organes à partir de donneurs à critères élargis avec l’usage de machines de perfusion ou de donneurs en limitation de soins (protocole Maastricht 3) – qui est pour le moment réservé aux patients peu graves – restent à explorer dans le contexte de la transplantation chez les patients cirrhotiques en défaillance multiviscérale. Enfin, le profil métabolomique des donneurs, dont on sait qu’il permet de prédire la dysfonction de greffon [36], pourrait jouer un rôle dans l’appariement donneur-receveur.

Le deuxième point concerne l’immunosuppression chez ces patients dont la prise en charge post opératoire et souvent longue et complexe. D’un côté, ces patients ont souvent une fragilité rénale et cérébrale sensible aux inhibiteurs de la calcineurine et sont à risque de développer des infections liées aux soins (notamment s’ils restent intubés après la TH) mais, d’une autre côté, un rejet précoce dans le contexte inflammatoire lié à l’ACLF nécessitant des bolus de corticoïdes peut rendre leur état plus précaire encore. À nouveau, il n’y a pas suffisamment de littérature sur ce sujet pour pouvoir établir des recommandations sur la prise en charge optimale de ces patients en termes d’immunosuppression.

Le dernier point concerne l’optimisation thérapeutique pré-TH de ces patients en réanimation. L’intérêt potentiel et la place des facteurs de croissance hématopoïétiques, de la greffe de cellules souches mésenchymateuses et des systèmes de support biologiques ou non comme thérapeutique d’attente de greffe chez les patients en ACLF restent à définir.

Conclusion

La TH est susceptible non seulement de remplacer la fonction hépatique défaillante mais également de réverser les dysfonctions d’organes extra-hépatiques chez les patients cirrhotiques en défaillance multiviscérale. Néanmoins, il est évident que la transplantation de patients « trop graves » n’est pas recevable, notamment dans un contexte de pénurie de greffons. L’enjeu est donc de sélectionner les patients qui sont le plus à même de répondre à ce traitement, d’optimiser leur prise en charge en réanimation avant la TH et enfin d’identifier la fenêtre optimale pour les faire accéder à la greffe. L’intérêt grandissant pour la prise en charge de ces patients devrait nourrir une littérature qui reste encore très parcellaire sur ce sujet.

Take home messages

  • Définir des limites de transplantabilité pour les patients cirrhotiques en défaillance multiviscérale est nécessaire.
  • Le score MELD n’est pas un outil discriminant pour prédire la survie post-transplantation chez les patients cirrhotiques multidéfaillants.
  • Les défaillances extra hépatiques pré-transplantation ont un impact capital sur le pronostic post-transplantation.
  • L’évaluation des défaillances d’organe doit être répétée chez les patients cirrhotiques en réanimation pour identifier la meilleure fenêtre de transplantabilité.
  • Le profil addictologique et notamment l’absence de sevrage du patient cirrhotique multidéfaillant posent un problème éthique particulièrement délicat.
  • L’évaluation de la transplantabilité du patient multidéfaillant doit être réalisée au plus vite après l’admission en réanimation.
  • La présence de plusieurs facteurs de mauvais pronostic au moment de la proposition du greffon doit faire envisager d’arrêter la procédure.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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