JLE

Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

MENU

Traitement des métastases péritonéales colorectales en 2019 : avis RCP spécialisée et chirurgie d’exérèse complète des lésions Volume 26, numéro 3, Mars 2019

Les métastases péritonéales de cancer colorectal (MPCCR) sont diagnostiquées chez 4 % à 20 % des patients atteints de cancer colorectal et représentent le troisième site métastatique après le foie et les poumons.

En 2003, les résultats d’un essai randomisé de phase III ont rapporté un bénéfice en termes de survie de la chirurgie de cytoréduction complète (CRS) suivie de chimiohyperthermie intrapéritonéale (CHIP) chez les patients ayant des MPCCR, comparativement à un traitement par chimiothérapie systémique seule à base de 5-FU [1]. La survie médiane était de 22,2 mois dans le bras CRS suivie de CHIP contre 12,4 mois dans le bras chimiothérapie.

Les métastases péritonéales de cancer colorectal sont diagnostiquées chez 4 % à 20 % des patients atteints de cancer colorectal

La CRS suivie de CHIP vise à traiter de façon curative les maladies péritonéales primitives ou secondaires. Ce traitement associe deux traitements locaux : une résection complète des lésions macroscopiques, visibles par le chirurgien, et une chimiothérapie de contact, intrapéritonéale, pour soigner la maladie microscopique résiduelle. Cette stratégie a été développée en raison du mauvais pronostic des patients ayant une atteinte tumorale péritonéale, le plus souvent traitée de façon palliative, par des chirurgies incomplètes itératives, ou par chimiothérapie systémique seule [2]. Le premier cas de CRS suivie de CHIP a été rapporté par Spratt en 1980 dans le cadre du traitement d’un pseudo-myxome péritonéal chez un homme jeune [3]. Dans les années 1990, ce traitement combiné a été réalisé pour des indications très variées, avec des résultats plus ou moins probants. L’analyse de ces résultats a permis d’affiner les indications, puis de sélectionner les patients pour lesquels ce traitement pouvait être bénéfique.

Suite aux résultats de l’essai de Verwaal et al., le traitement combiné associant CRS et CHIP est devenu le traitement standard des patients ayant des MPCCR [4], avec une standardisation progressive des indications au cours de ces quinze dernières années. Cependant, seul le traitement combiné par CRS suivie de CHIP avait été évalué et comparé à une chimiothérapie systémique seule, et très peu de données concernant les résultats du traitement chirurgical seul étaient disponibles [5-7].

La chirurgie de cytoréduction complète suivie de chimiohyperthermie intrapéritonéale, supérieure à une chimiothérapie systémique seule à base de 5-FU, est devenue en 2003 le traitement standard des patients ayant des métastases péritonéales résécables de cancer colorectal

En 2006, un protocole d’essai thérapeutique comparant la résection chirurgicale complète associée à une chimiothérapie systémique (pré-, post- ou péri-opératoire) à la CRS suivie de CHIP (à l’oxaliplatine) a été proposé et accepté pour financement par programme hospitalier de recherche clinique (PHRC). Il s’agit de l’essai PRODIGE 7 [8]. Il a débuté en 2007. Son objectif était d’évaluer le potentiel bénéfice de la CRS suivie de CHIP par rapport à une CRS sans CHIP, chez des patients ayant des MPCCR résécables, isolées, avec comme critère principal de jugement la survie globale à 5 ans. Les critères secondaires étaient la survie sans récidive, la morbidité et la mortalité à 30 et 60 jours, la toxicité et l’analyse des facteurs pronostiques. Les résultats, rapportés au congrès de l’ASCO en mai 2018, n’ont pas montré de différence de médiane de survie globale entre les deux bras de traitement, qui était supérieure à 41 mois pour chacun des deux bras [9]. Il n’y avait pas non plus de différence significative de taux de survie sans récidive.

Il faut souligner la qualité de la chirurgie puisque 90 % des patients avaient une chirurgie complète, correspondant à des résidus tumoraux de moins de 1 mm. De plus, la chirurgie était de qualité identique dans les deux groupes puisque la randomisation était faite au bloc opératoire après résection des lésions. Il est également important d’insister sur le faible taux de mortalité, équivalent entre les deux groupes et égal à 2,6 % pour l’ensemble de la population.

Le résultat majeur de cette étude est la survie prolongée des patients, qui confirme les progrès faits dans cette maladie et le bénéfice de la résection complète. La résection complète sans CHIP devient alors le standard thérapeutique chez les patients ayant des MPCCR résécables. Cependant, il est important de comprendre que ces résultats, bien supérieurs à ceux attendus pour le bras chirurgie sans CHIP, ont été obtenus après sélection des patients ; les indications chirurgicales étaient posées en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) réalisée dans un centre expert en maladies péritonéales. Il serait dommage d’assister, par la réalisation de la chirurgie des MPCCR dans des centres n’ayant pas la technique de CHIP disponible, à une diminution de la survie. En effet, la connaissance de la maladie, des facteurs pronostiques, des techniques et spécificités chirurgicales, de l’évaluation radiologique, etc. sont autant de points primordiaux qui ont permis d’atteindre ces chiffres de survie.

L’essai randomisé PRODIGE 7 a montré une équivalence de la chirurgie de cytoréduction complète seule ou suivie de chimiohyperthermie intrapéritonéale, avec une médiane de survie supérieure à 41 mois dans les deux bras de traitement

Au mois de novembre 2018, une conférence d’experts a été réunie afin de répondre à certaines questions suite aux résultats de l’essai PRODIGE 7.

La majorité des experts présents (80 % des votes), regroupant des chirurgiens, oncologues, radiologues…, spécialistes et non spécialistes en maladies tumorales du péritoine, se sont accordés sur le fait qu’une discussion du dossier du patient en RCP spécialisée était nécessaire avant de proposer un traitement chirurgical des MPCCR. Sur le territoire français, il existe 26 centres régionaux ayant une RCP spécialisée dans les maladies péritonéales (RENAPE), qui se tiennent disponibles pour donner un avis suite au diagnostic de MPCCR. Cette conférence d’experts a également conclu (100 % des votes) que cette chirurgie devait être encadrée par une chimiothérapie systématique.

Concernant l’association d’une CHIP à la CRS, il a été conclu que le protocole de CHIP à l’oxaliplatine 460 mg/m2 pendant 30 minutes ne permettait pas d’améliorer la survie des patients comparativement à la CRS. Cependant, d’autres protocoles (à base de mitomycine C) pourraient apporter un bénéfice, notamment en raison de leur caractère moins morbide, avec un taux d’hémopéritoine post-opératoire moindre, puisqu’il s’agit d’une complication propre à l’oxaliplatine. L’association de la CRS à une CHIP pourrait également être bénéfique pour un sous-groupe de patients, qu’il est actuellement difficile d’identifier. Dans l’essai PRODIGE 7, l’analyse des patients ayant un index péritonéal de Sugarbaker (PCI) compris en 11 et 15, avait une survie nettement supérieure après CRS plus CHIP (41,6 versus 32,7 mois). Mais il s’agit d’une analyse de sous-groupes non programmée, avec un nombre de patients restreint dans chacun des groupes. Il est donc difficile de dicter une attitude suite à cette analyse, cependant celle-ci peut servir de piste pour les futures études.

D’autres résultats importants concernant le traitement des métastases péritonéales ont marqué l’année 2018, avec un essai de phase III randomisé en faveur du traitement combiné par CRS suivie de CHIP comparativement à la CRS pour les patientes ayant une extension péritonéale d’origine ovarienne [10] et une étude française rétrospective réalisée à partir de l’analyse de patients ayant des métastases péritonéales d’origine gastrique issus de deux grandes bases de données clinico-biologiques (FREGAT et BIG-RENAPE) montrant, elle aussi, un bénéfice en faveur de la CRS suivie de CHIP [11].

Il faut souligner que dans ces études, le protocole de CHIP consistait en l’administration intrapéritonéale de cisplatine ou de mitomycine C sur une durée de 60 à 90 minutes. Par conséquent, la conférence d’experts a voté à 76 % qu’une CHIP à la mitomycine C pouvait être réalisée chez les patients opérés à visée curative de MPCCR, après décision de RCP spécialisée. Par ailleurs, l’ensemble des experts présents s’est accordé pour valider la voie d’abord par laparotomie médiane pour réaliser la CRS, afin d’explorer correctement l’ensemble des régions abdominales, et pour contre-indiquer une exérèse de MPCCR par laparoscopie.

Actuellement, les dossiers des patients ayant des MPCCR devraient être discutés en RCP pour :

  • 1)évaluer l’extension de la maladie péritonéale ;
  • 2)évaluer le pronostic de la maladie et éliminer la présence d’une contre-indication à une chirurgie d’exérèse complète ;
  • 3)évaluer le patient ;
  • 4)valider l’indication de CRS.

Seront également discutés lors de cette RCP, l’intérêt potentiel d’une CHIP à la mitomycine C, et surtout l’inclusion dans de futures études. Ces futures études viseront à améliorer (encore) le pronostic des patients atteints de MPCCR, soit en intensifiant la chimiothérapie systémique préopératoire, soit en évaluant de nouveaux protocoles de chimiothérapie intrapéritonéale (pré-, per-, ou post-opératoire). Des études de phase I sont actuellement en cours [12, 13] pour déterminer la dose limitante d’oxaliplatine intrapéritonéale, associée à une chimiothérapie systémique.

Une récente conférence d’experts a conclu que les dossiers devaient être discutés en réunion de concertation pluridisciplinaire spécialisée, que la chirurgie devait être encadrée par une chimiothérapie systématique et qu’une chimiohyperthermie intrapéritonéale à la mitomycine C pouvait se discuter

Suite aux résultats de l’étude PRODIGE 7, le rôle des chirurgiens experts en maladie péritonéale, exerçant dans des centres de CHIP, va être d’enseigner aux chirurgiens d’autres centres et aux plus jeunes les spécificités de cette maladie, les critères de sélection des patients et les principes de cette chirurgie. Enfin, leur rôle sera également de poursuivre la recherche, qu’elle soit fondamentale, translationnelle ou clinique, pour déterminer les meilleures stratégies thérapeutiques chez ces patients.

Liens d’intérêts

l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International