JLE

Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

MENU

Tous les polypes sont traitables par voie endoscopique ! Volume 26, numéro 5, Mai 2019

Quelles sont les limites de la résection endoscopique des polypes du côlon ?

La limite de la résection endoscopique est fixée par un risque non nul d’évolution métastatique ganglionnaire de la tumeur à réséquer. La taille de la lésion, sa localisation, les antécédents de résection préalables peuvent augmenter la difficulté technique mais ne sont en aucun cas des raisons pour contre-indiquer d’emblée une tentative de résection endoscopique.

En effet, la résection endoscopique n’enlève que la tumeur mais pas le réseau lymphatique de la paroi intestinale ou les ganglions péri-digestifs. Pour être curative, une résection endoscopique doit enlever tout le tissu tumoral et cela n’est vrai que si la tumeur n’a aucun risque d’extension métastatique régionale.

Ce risque a été bien évalué en fonction des critères histologiques de la pièce réséquée. Ainsi, le risque ganglionnaire est négligeable pour les tumeurs intra-muqueuses (T1a). Pour les tumeurs sous-muqueuses superficielles envahissant la sous-muqueuse sur moins de 1 000 microns, le risque ganglionnaire n’est négligeable que si la tumeur est bien ou moyennement différentiée et en l’absence de budding et d’emboles lympho-vasculaires [1-3]. Si ces critères sont réunis, alors la résection endoscopique complète avec marges de sécurité (R0) est curative. Une résection chirurgicale n’apporterait rien de plus pour guérir le malade.

Cette limite est facile à déterminer sur l’analyse histologique de la pièce réséquée mais le défi le plus important est de prédire, avant la résection, grâce à la caractérisation endoscopique, si l’on se lance dans une résection curative ou si la tumeur a dépassé le seuil de 1 000 microns. Ce défi diagnostique est incontournable avant de se lancer dans des thérapeutiques complexes et dangereuses comme la dissection sous-muqueuse.

Le risque ganglionnaire représente la limite des résections endoscopiques pour cancer superficiel. En cas de lésion colorectale, une infiltration de la sous-muqueuse dépassant les 1 000 microns, la présence d’emboles vasculo-nerveux, un caractère peu différencié ou la présence de budding sont associés à un risque ganglionnaire élevé

Pourquoi utiliser l’anse froide pour la résection des petits polypes ?

Nous devons porter une attention particulière aux résections de polypes « diminutifs » (< 5 mm) et des petits polypes (6-9 mm). En effet, bien que leur risque évolutif soit faible, de l’ordre de 1 %, certains articles récents montrent tout de même jusqu’à 10 % d’adénomes avancés parmi ces lésions [4], soutenant ainsi la recommandation d’enlever toutes les lésions adénomateuses sans notion de taille. Compte tenu du nombre très important de ces petites lésions, il est important d’éviter une résection incomplète laissant du tissu résiduel d’autant que les rechutes locales, évitables, pourraient expliquer certains cancers d’intervalle. Pour la résection des lésions diminutives et des petits polypes non hyperplasiques, l’ESGE (European Society for Gynaecological Endoscopy) recommande fortement l’utilisation de l’anse froide du fait d’un taux élevé de résection complète par rapport à la pince à biopsie [5, 6], avec peu ou pas de complications. Cette technique permet d’obtenir une pièce histologique de bonne qualité. Au contraire, l’ESGE se positionne contre l’utilisation de la pince froide du fait de taux élevés de résections incomplètes sauf lorsque la résection à l’anse froide n’est pas possible (mauvais placement, taille 1-3 mm). L’ESGE se positionne également fortement contre la résection à la pince chaude qui diminue le taux de résection complète par rapport à l’anse froide mais qui a en plus un risque accru de lésions thermiques de la paroi et de saignements retardés [7]. Pour les lésions de 4 à 9 mm, l’anse froide fait aussi bien que l’anse chaude avec cependant moins de risques [8].

L’utilisation de l’anse froide n’augmente-t-elle pas le risque d’hémorragie post-procédure ?

Étonnamment non, au contraire, il y a même moins de saignement qu’à l’anse chaude [8, 9]. De plus, il n’y a quasiment aucune perforation décrite à l’anse froide faisant de cette technique le choix le plus sûr. Récemment, cette faible morbidité a conduit à évaluer l’anse froide dans le duodénum ou encore pour les résections piece-meal des lésions colorectales plus larges.

L’anse froide est la technique de référence pour tous les polypes de moins de 1 cm, sans sur-risque hémorragique

Faut-il faire des biopsies pour décider du traitement le plus adéquat entre la mucosectomie, la dissection sous muqueuse et la chirurgie en cas de polypes du côlon ?

C’est une hérésie ! La biopsie n’apporte rien dans le choix de la bonne stratégie thérapeutique et génère une fibrose sous-muqueuse délétère !

Stop !, arrêtons de faire des biopsies pour les lésions résécables par endoscopie !

D’abord, cette biopsie n’analyse qu’une proportion minime (voire ridicule) de la lésion et le résultat ne reflète absolument pas l’histologie de toute la lésion [10]. Pourtant, il est bien connu que la dégénérescence des lésions colorectales n’est pas homogène et que le ou les foyer(s) d’invasion peuvent mesurer quelques millimètres au sein d’une lésion de plusieurs centimètres. Il est très peu probable qu’une biopsie au hasard tombe pile sur le petit foyer d’intérêt.

Pire encore, le résultat de la biopsie n’influence pas le choix thérapeutique ! Si la biopsie répond adénome sur une « laterally spreading tumor » (LST) non granulaire déprimée, il faudra tout de même choisir une résection R0 car le risque d’invasion multifocale est de plus de 40 %. Au contraire, si la biopsie répond cancer, cela ne contre-indique pas la résection endoscopique. La présence d’un adénocarcinome sur l’analyse anatomo-pathologique ne doit surtout pas être un argument pour envoyer directement au chirurgien une lésion résécable par endoscopie. En effet, la chirurgie colorectale, même programmée, est beaucoup plus morbide que la dissection sous-muqueuse [11]. Si encore la biopsie n’était pas délétère, le débat pourrait avoir lieu mais la fibrose engendrée sous les lésions planes rendent la résection beaucoup plus difficile en raison d’une fibrose sous-muqueuse secondaire.

Le seul intérêt restant de la biopsie est d’avoir le mot cancer dans le dossier lorsque la caractérisation est en faveur d’une tumeur profondément invasive (> sm1) qui ne serait pas guérie par l’endoscopie et qu’il faut donc référer directement au chirurgien.

Quels polypes faut-il adresser à un centre expert ?

Devant une lésion colorectale, la première question à se poser est la suivante : s’agit-il d’une tumeur profondément invasive dans la sous-muqueuse ? Si oui, le patient peut être référé au chirurgien, si non, une résection endoscopique est la première option à proposer. Pour y répondre, la caractérisation endoscopique avec les chromoendoscopies virtuelles ou réelles est incontournable ! Si la tumeur est ulcérée (PARIS III) avec un pit pattern absent (Kudo Vn) ou un vascular pattern absent par zones (Sano IIIB) alors la tumeur a dépassé la limite de 1 000 microns et l’endoscopie ne sera pas curative ! Ces lésions et uniquement ces lésions doivent être envoyées directement au chirurgien après une biopsie dans la zone invasive !

Si aucun de ces critères n’est présent, alors une résection endoscopique doit être tentée par un gastroentérologue endoscopiste comme le recommande l’ESGE [12] ! Soit par vous, si vous avez l’environnement technique, l’expérience et si vous maîtrisez la technique adaptée à la lésion (mucosectomie, dissection), soit par un autre endoscopiste plus spécialisé dans les résections si la lésion en question ne paraît pas à votre portée. Ainsi, les lésions à risque de dégénérescence et les cancers superficiels doivent être réséqués en un seul fragment avec des marges de sécurité (R0). Si la lésion fait moins de 20 mm, une mucosectomie bien réalisée peut suffire. Si la lésion dépasse 20 mm, seule la dissection sous-muqueuse pourra obtenir ce résultat indispensable carcinologiquement. Il ne faut donc pas hésiter à référer le patient au gastroentérologue formé en dissection sous-muqueuse dans votre région plutôt qu’au chirurgien digestif. Encore une fois, une colectomie est plus morbide qu’une dissection colique, en particulier pour une lésion résécable par endoscopie [11].

Les polypes difficiles par leur taille, leur positionnement, leur risque de dégénérescence doivent être traités en centre expert

Qui doit se former à la dissection sous-muqueuse en France ? Où peut-on se former en France ?

Si l’on prend l’exemple japonais, la dissection de l’antre est devenue une technique assez courante pour l’endoscopiste interventionnel comme peut l’être le cathétérisme pour l’endoscopiste interventionnel européen. On peut imaginer qu’à l’avenir, pour des lésions de taille moyenne, la dissection devienne beaucoup plus courante pour les cas peu risqués (rectum) ou techniquement faciles (antre). Au contraire, le côlon, l’œsophage ou encore les lésions de très grandes tailles resteront probablement des affaires de centres plus spécialisés avec plusieurs opérateurs pouvant se relayer lors des interventions très longues. En d’autres termes, la dissection doit faire partie du background technique de l’endoscopiste interventionnel en cours de formation. Le nombre de centres formés est insuffisant pour assurer des délais acceptables de programmation. Pour les endoscopistes interventionnels déjà en exercice, il est nécessaire de se poser la question de la pertinence de la formation à la dissection. En effet, c’est un investissement important en termes de temps et celui-ci ne sera « rentable » que si le recrutement de lésions superficielles est suffisant. Un endoscopiste qui effectue du cathétérisme ou de l’écho-endoscopie pendant l’essentiel de son activité perdra beaucoup de temps pour la dissection par rapport au bénéfice d’ajouter cette option thérapeutique à son arsenal.

La formation se structure petit à petit et des étapes-clés ont été définies [13]. Un curriculum est en cours d’élaboration sous l’égide de l’ESGE pour guider les praticiens souhaitant se former et définir les étapes incontournables. D’abord, la théorie de cette technique très différente doit être maîtrisée tout comme le matériel, les stratégies de résection, la gestion des complications…

Pour la pratique, il faut voir des interventions faites par des experts, les assister dans ces procédures et s’entraîner en parallèle sur modèles animaux. Plusieurs centres (Lyon Edouard Herriot, Limoges, Nantes, Paris Georges Pompidou, Nancy…) offrent la possibilité de se former à ces modèles animaux au cours de formation dédiées organisées en grande partie par l’industrie. Parallèlement, la SFED est en train de mettre en place des formations labellisées avec des objectifs pédagogiques homogénéisés dont le but sera de répondre aux exigences du curriculum ESGE.

Est-il vraiment raisonnable de ne pas opérer les (très) gros polypes du côlon à l’heure de la chirurgie mini-invasive ?

La taille ne doit plus être un critère de choix pour tenter ou non une résection endoscopique. En effet, bien qu’associée à une difficulté technique plus importante, la taille ne fait pas tout et certaines lésions de grande taille sont assez faciles à enlever avec les techniques de dissection avec traction. Une invasion profonde doit être une contre-indication à la résection endoscopique mais la taille non. Il est moins invasif d’enlever par voie endoluminale une lésion que par chirurgie même mini-invasive, ce y compris pour les polypes difficiles [14]. La chirurgie même non compliquée s’accompagne de plusieurs semaines de convalescence sans activité sportive, d’un risque de hernie à long terme, de cicatrices alors que la dissection non compliquée conduit à un retour à la vie normale dès le lendemain matin. Et encore, la dissection n’en est qu’à ses balbutiements en France et nous progressons tous les jours alors que la chirurgie mini-invasive est une technique de routine.

La chirurgie ne doit pas être proposée en première intention en cas de lésion résécable par endoscopie dans de bonnes conditions carcinologique

Les récidives après traitement endoscopique sont-elles vraiment résécables et comment ?

Oui elles le sont dans la majorité des cas mais avec du matériel spécifique et surement avec beaucoup d’expérience en dissection sous-muqueuse. Par contre, comme l’avait montré G. Rahmi au cours de son séjour japonais à Kobe [15], ces récidives sont peu accessibles à la mucosectomie standard et nécessite la dissection sous-muqueuse ou encore la technique de résection transmurale avec clip OVESCO (FTRD : Full Thickness Resection Device). Dans le service, nous évaluons la dissection avec traction pour ces récidives et le taux de succès technique était de 88 % avec plus de 80 % de résection monobloc. L’intérêt de la dissection est de ne pas avoir de limite de taille contrairement au FTRD. Ainsi, il vaut mieux essayer la dissection en première intention et en cas de résidu extrêmement fibreux au centre de la cicatrice, le FTRD en deuxième intention peut alors permettre de réséquer le noyau central. Les techniques hybrides sont également possibles, avec dissection de la périphérie de la lésion et une fois la collerette disséquée, il faut faire une résection monobloc R0 de la lésion par FTRD [16].

Quel est le futur de la résection endoscopique ?

Difficile de savoir exactement où vont nous mener les innovations technologiques mais deux pistes semblent s’ouvrir devant nous. La première est la robotique, avec très prochainement des endoscopes robotisés permettant de travailler à deux mains et d’avoir enfin cette triangulation adaptative qui nous fait défaut [17] que nous tentons de compenser avec les systèmes de traction. Avec une main droite et une main gauche, les résections seront probablement beaucoup plus rapides et les sutures en cas de perforation beaucoup plus précises. La deuxième piste est carcinologique, pour aller plus loin dans la paroi (sm profond) mais avec résection d’un ganglion sentinelle en cœlioscopie comme cela a déjà été proposé dans l’estomac [18]. Ces stratégies permettraient de préserver l’organe dans les cas de tumeurs invasives à ganglion sentinelle non envahi et ainsi repousser les indications de gastrectomie ou d’œsophagectomie dont les conséquences fonctionnelles sont majeures.

Quelle doit être la prise en charge d’une perforation per résection ? Doit-on faire un scanner et appeler le chirurgien à chaque fois ?

Le message le plus important et qu’une perforation n’est pas une catastrophe dans l’immense majorité des cas. Elle fait de plus en plus partie intégrante de la procédure. Nous manquons encore de données publiées pour affirmer les choses mais 95 % environ des perforations coliques de moins de 5 mm sont fermées efficacement par endoscopie sans chirurgie ultérieure. Nous avons décidé d’évaluer une procédure avec les radiologues et chirurgiens selon laquelle une perforation de moins de 5 mm refermée en cours de geste avec confiance par l’endoscopiste ne doit plus faire l’objet d’un scanner ni d’une évaluation chirurgicale systématique. Le patient est surveillé 24 h et s’il va bien, il est libéré le lendemain ou le surlendemain du geste. Au contraire, les perforations de plus de 10 mm (endoscope passant au travers du trou), même fermées avec confiance, conduisent à 25 % de chirurgie secondaire justifiant le maintien de la réalisation du scanner et d’un avis chirurgical systématique.

En cours de résection, la perforation doit être refermée le plus tôt possible mais seulement lorsque la zone de perforation a été réséquée complètement pour ne pas empêcher la résection ultérieure. En effet, mettre des clips dans une perforation tout près de la lésion restante peut empêcher toute résection ultérieure ce qui conduit finalement à envoyer le patient en chirurgie car la lésion est encore en place. Au contraire, poursuivre la dissection (sous CO2, en exsufflant le pneumopéritoine si besoin) malgré le trou permet d’achever la résection, et dès que la zone de perforation est à distance de la lésion restante, alors le trou peut être refermé par des clips sans gêner la poursuite de la résection.

Les perforations font partie intégrante des procédures de résection endoscopique. L’utilisation du CO2, la fermeture endoscopique de la perforation et une antibiothérapie probabiliste permettent une prise en charge médicale des perforations per-résection dans 90 % des cas

Liens d’intérêts

Formations Cook et Olympus à la dissection sous-muqueuse.


Propos recueillis par le Dr Jérémie Jacques (CHU Limoges, service d’hépato-gastro-entérologie).

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International