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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Surveiller, surveiller et encore surveiller ! Vers une prise en charge simplifiée des MICI Volume 25, supplément 3, Novembre 2018

Est-ce la fin des algorithmes de prise en charge des patients avec une maladie inflammatoire chronique intestinale (MICI) en même temps que la fin des réunions de consensus ? En cas de forme légère, on débute par un corticoïde ou un 5-anaminosalycilé ; en cas de forme modérée, on débute par un immunosuppresseur ou une biothérapie selon la présence ou non de facteurs d’une évolution péjorative ; et en cas de forme sévère ou compliquée, une biothérapie est indiquée. Premièrement, on ne sait toujours pas ce qu’est une forme légère, modérée ou sévère, même si un effort international est en cours pour répondre à cette question [1]. Deuxièmement, les études visant à prédire l’histoire naturelle des MICI ont malheureusement échoué et en premier lieu les études génétiques. Il n’existe toujours pas de facteurs prédictifs fiables utilisables en pratique clinique. Enfin, les études récentes telles que l’étude CALM [2] ont permis de démontrer que l’élément-clé dans la prise en charge des patients atteints de MICI est la surveillance rapprochée des signes objectifs d’inflammation. Ce concept, souvent appelé « treat-to-target », venant d’autres maladies chroniques telles que la polyarthrite rhumatoïde et le diabète sera peut-être le seul moyen de prévenir l’apparition du handicap fonctionnel chez nos patients et la destruction de la paroi intestinale. J’ai bien dit « peut-être » car le message principal de l’étude CALM reste qu’une surveillance régulière par calprotectine fécale est associée à des taux plus élevés de rémission endoscopique. Un résultat attendu et logique diront les mauvaises langues puisque la calprotectine fécale permet d’évaluer l’intensité des lésions muqueuses. Mais encore fallait-il le démontrer ! Les études post-marketing, de stratégie, qui font l’ADN du GETAID (Groupe d’Etude Thérapeutique des Affections Inflammatoires du tube Digestif), ne sont jamais faciles à mener car les hypothèses de travail proviennent en général d’un pari audacieux pour lequel par définition il n’existe pas de niveau de preuves élevé. Sinon il serait inutile de conduire ces études !

Le message actuel est simple : il faut surveiller les patients atteints de maladie inflammatoire chronique intestinale

Deux essais cliniques du GETAID, un dans la maladie de Crohn et un dans la rectocolite hémorragique, devraient changer la donne et permettre, espérons-le, une meilleure prise en charge des patients atteints de MICI. Tout d’abord, l’étude CURE, qui est née au sein du GETAID il y a près de dix ans, va évaluer l’efficacité d’un traitement précoce par adalimumab et surtout l’intérêt d’une surveillance rapprochée pour prévenir la survenue de complications de la maladie (sténoses, abcès, fistules) et le fait de pouvoir reprendre une vie normale pour ces patients. Ces derniers seront suivis pendant cinq ans, avec une évaluation régulière par IRM, coloscopies et calprotectine fécale. Point important, l’essai CURE évaluera pour la première fois la possibilité d’arrêter un traitement par anti-TNF après avoir obtenu une rémission prolongée et complète (clinique et endoscopique). En effet, les stratégies de « treat-to-target » reposant sur escalade thérapeutique rapide vont irrémédiablement entraîner une utilisation larga manu des biothérapies au cours des MICI. Peut-on traiter un patient qui déclare une MICI à l’âge de 18 ans pendant plusieurs décennies ? La réponse est immanquablement non ! Espérons que l’essai CURE nous permette d’identifier les patients qui peuvent arrêter leur traitement et le reprendre en cas de rechute sans risque de voir leur maladie progresser.

L’autre essai clinique du GETAID qui devrait bouleverser la prise en charge des patients avec une rectocolite hémorragique (RCH) est l’essai CONTROL qui a intégré un outil révolutionnaire, la télémédecine. Cet essai clinique permettra un suivi rapproché des symptômes et de la calprotectine fécale grâce à des applications permettant un suivi à domicile des patients inclus. En effet, la difficulté principale lorsque l’on met en place des stratégies de « treat-to-target » est l’impossibilité de voir en consultation ces patients tous les mois. L’essai CONTROL permettra de dire si ces outils de télémédecine sont si faciles que cela à utiliser en pratique clinique tout en démontrant (ou pas !) l’intérêt d’un contrôle serré dans la RCH.

Les essais CURE et CONTROL du GETAID devraient répondre à trois questions : Peut-on arrêter un anti-TNF après avoir obtenu une rémission clinique et cicatriser l’intestin de façon prolongée ? Le concept de contrôle serré doit-il également s’appliquer à la rectocolite hémorragique ? Quelle est la place de la télémédecine dans la stratégie du « treat-to-target » ?

L’arrivée des biothérapies avec l’infliximab il y a une vingtaine d’années a représenté la première révolution des MICI. Les stratégies de « treat-to-target » pourraient être la seconde. Il s’agit plutôt d’une bonne nouvelle à l’heure où le nombre de molécules augmente à vitesse grand V (infliximab, adalimumab, golimumab, védolizumab, ustékinumab, tofacitinib) et où le choix de la thérapie de première et deuxième lignes devient un véritable casse-tête.

En résumé, le médicament utilisé en première ligne et le moment où il va être débuté ne semblent plus avoir grande importance. Seule une surveillance rapprochée et une escalade thérapeutique rapide semblent désormais indispensables. Cette stratégie signe peut-être la fin des débats entre experts pour savoir « commet traiter une MICI ? » et pourrait enfin faire l’objet d’un consensus mondial et débouchant sur prise en charge optimale et uniforme dont ne manqueront pas de bénéficier nos patients.

Le traitement qui sera choisi en première ligne semble passer au second plan avec l’arrivée des nouvelles stratégies reposant sur un contrôle serré des symptômes et des lésions muqueuses

Toutefois, plusieurs questions resteront en suspens à l’issue de la présentation des résultats des études en cours : À quel rythme surveiller nos patients ? Une fois par mois, tous les trois mois, tous les six mois, seulement une fois par an ? Comment les surveiller ? Scanner, échographie, IRM, calprotectine facile et/ou dosages sanguins des médicaments ?

Nos amis hépatologues ont permis de guérir l’hépatite C. Pas sûr qu’il en soit de même avant quelques décennies dans les maladies inflammatoires chroniques intestinales. La recherche a encore de beaux jours devant elle !

Liens d’intérêts

l’auteur déclare les liens d’intérêts suivants : interventions ponctuelles pour les laboratoires Celltrion, Abbvie, Janssen, Takeda, Pfizer, MSD, Samsung, Ferring, Tillots, Biogaran, Sandoz. Versements substantiels au budget d’une institution dont il est responsable : MSD, AbbVie, Pfizer.

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