JLE

Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

MENU

Sénescence ovarienne prématurée et diminution de la fertilité chez les femmes atteintes d’hépatite C Volume 25, numéro 2, Février 2018

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

Tableaux

Le désir de grossesse n’est pas réduit chez les femmes atteintes d’infections virales chroniques [1]. Les modifications épidémiologiques de l’infection par le VHC prédisent que la proportion de femmes jeunes va augmenter sensiblement. Si on sait qu’en cas d’hépatite C chez la mère, le risque de retard de croissance, de prématurité et de nécessité de recours à des soins intensifs néonataux est probablement augmenté, on sait peu de choses sur la fréquence des fausses-couches et des enfants morts-nés chez les femmes infectées par le VHC.

Le concept de sénescence ovarienne prématurée (SOP) s’est développé essentiellement à partir des jeunes femmes traitées pour des cancers par chimio- et/ou radiothérapie, avec son corollaire celui de préservation de la fertilité. On a cependant rapidement observé qu’une proportion importante des femmes en âge de procréer (autour de 10 %) avait une SOP spontanée, tardivement révélée par une infertilité [2]. Un diagnostic précoce de cet état pourrait cependant permettre de prévenir cette infertilité soit en avançant l’âge prévu de la grossesse, soit en employant des techniques de préservation de la fertilité (comme la congélation d’ovocytes).

Dix pour cent des femmes auraient une sénescence ovarienne prématurée qui réduit la fertilité

Il est généralement admis que les femmes naissent avec un stock limité de follicules ovariens (environ 1 million), diminuant jusqu’à environ 400 000 au moment des premières règles. À cette période, l’ovaire transforme le recrutement chaotique (gaspillage !) des follicules primordiaux en des vagues régulières mensuelles de follicules en développement, aboutissant à l’ovulation d’un seul follicule/ovocyte dominant ; tous les autres follicules recrutés dans la même vague sont détruits (apoptose) au cours du cycle. La réserve ovarienne totale est en majorité faite de follicules primordiaux au repos, pas encore recrutés ; une faible partie est faite de follicules recrutés, en croissance.

L’hormone antimüllérienne (HAM) est une hormone glycoprotéique sécrétée chez l’embryon par les cellules de Sertoli du testicule fœtal ; elle fait régresser les canaux de Müller (ébauche utérine) et laisser la place aux canaux de Wolff à l’origine des canaux déférents. Chez la femme, elle est produite par les cellules de la granulosa des petits follicules en croissance, et inhibe le recrutement ainsi que la croissance ultérieure des autres follicules.

La concentration plasmatique d’hormone antimüllérienne reflète la réserve folliculaire ovarienne

La concentration plasmatique de l’HAM reflète ce pool de petits follicules recrutés et en croissance, et est considérée comme le meilleur examen de laboratoire pour évaluer la réserve ovarienne, et on dispose d’abaques décrivant les concentrations d’AMH en fonction de l’âge [2] : elle augmente de la naissance jusqu’à 24-25 ans, puis diminue régulièrement.

Les buts de l’étude analysée ici étaient d’évaluer la fonction ovarienne de femmes atteintes d’hépatite C en âge de procréer, et de la corréler aux antécédents reproductifs, au risque d’infertilité et à l’issue de la grossesse (fausse-couche, enfant mort-né, prématurité, diabète gestationnel, pré-éclampsie).

L’étude

Les populations étudiées

L’étude concernait 3 populations différentes :

  • une cohorte italienne spécifique à l’étude (Modène, Turin, Naples) prospective, recrutée de 2011 à 2014, suivie jusqu’en décembre 2015, composée de femmes en âge de procréer (règles régulières) : 100 atteintes d’hépatite chronique C appariées pour l’âge à 50 femmes atteintes d’hépatite B chronique et à 100 femmes sans maladie chronique du foie ; aucune n’avait d’antécédent de toxicomanie ou de co-infection par le VIH.
  • une base de données nationale italienne (PITER-HCV) à grand effectif, qui comporte des informations sur l’histoire reproductive des femmes (âge des premières règles, gravidité, parité et fausses-couches).
  • une base de données étasunienne anonymisée provenant d’assurances-santé : les femmes de 18 à 45 ans répondant au diagnostic d’hépatite C furent appariées à des femmes non infectées par le VHC pour l’analyse de la fertilité (1/3) et celle des issues de la grossesse (1/10) sur la base de l’âge, de la région et de l’année index.

La cohorte spécifique

Il n’y avait pas de différence entre les femmes VHC et VHB + pour l’âge (38 ans en moyenne), la consommation d’alcool et de tabac, l’activité professionnelle ; l’activité et le stade histologiques étaient un peu plus élevés en cas d’hépatite B, l’élasticité identique (6 kPa en moyenne).

L’hormone antimüllérienne plasmatique est basse en cas d’hépatite C (et B)

La concentration d’HAM était plus basse en cas d’hépatite C et d’hépatite B que chez les témoins, sans différence entre C et B (figure 1), mais la proportion de patientes ayant une concentration plasmatique d’HAM ≤ 1,6 ng/mL (un taux observé habituellement après la ménopause) était plus élevée en cas d’hépatite C que d’hépatite B ou chez les témoins (figure 2). L’âge à la première grossesse était similaire en cas d’ hépatite C et B (autour de 30 ans), mais la fréquence des fausses-couches était plus élevée en cas d’ hépatite C (46 %) que d’hépatite B (24 %) et que chez les témoins (32 %), P < 0,0005 et = 0,04 respectivement. La survenue de fausses-couches était significativement liée à la concentration d’HAM en cas d’hépatite C, mais pas en cas d’hépatite B ou chez les témoins. En analyse univariée, l’âge et la concentration d’HAM étaient liés aux fausses-couches, mais seul l’âge persistait en analyse multivariée dans le groupe des malades atteintes d’hépatite C. En incluant les malades atteintes d’hépatite B et les témoins, seule l’existence d’une hépatite C était un facteur prédictif indépendant de fausse-couche.

Les fausses-couches sont plus fréquentes en cas d’hépatite C

Chez les malades ayant eu une réponse virologique soutenue par un traitement à base d’interféron (53/75, 70,6 %), les concentrations d’HAM restèrent stables, alors qu’elles diminuèrent significativement en cas d’échec. Les 2 facteurs prédictifs indépendants d’échec virologique étaient le génotype 1 et une concentration d’HAM plus basse. En cas d’échec, le taux de fausse-couche était plus élevé (14/22 grossesses, 64 %) qu’en cas de guérison virologique (17/53 grossesses, 32 %), P = 0,001.

La réponse virologique soutenue stabilise l’hormone antimüllérienne plasmatique

La cohorte italienne PITER-HCV

Elle comportait 3 317 femmes atteintes d’hépatite chronique C. Chez les 590 âgées de 18 à 49 ans le taux de fertilité était de 0,70 contre 1,37 pour la population italienne globale de même âge. Parmi les 650 femmes pour lesquelles l’information « fausse-couche » était disponible, 272 (42 %) avaient eu au moins une fausse-couche, et 122 des fausses-couches multiples (19 %). Les fausses-couches étaient moins fréquentes en cas de génotype 1, mais n’étaient pas associées à la sévérité de la fibrose, à la présence d’un diabète, d’une HTA, d’une addiction, ou d’une activité professionnelle.

Les fausses-couches ne sont pas liées à la sévérité de la fibrose

La base de données étasunienne

Les 305 femmes VHC+ avaient un risque d’infertilité plus élevé (OR 2,4, IC 95 % 2,1-2,8), encore plus en cas de co-infection VIH-VHC (OR 3,6 ; IC95 % : 2,5-5,4). Leurs grossesses comportaient un risque plus élevé de prématurité (OR 1,3 ; IC95 % : 1,1-1,7), de diabète gestationnel (OR 1,2 ; IC95 % : 1,0-1,5), et donnaient moins souvent naissance à un enfant vivant (OR 0,75 ; IC95 % : 0,62-0,91). Les risques de prééclampsie et de fausse-couche étaient un peu plus élevés, mais non significativement.

L’hépatite C diminue la fertilité

Commentaires

Les trois cohortes-sources de cette étude donnent des informations concordantes : les femmes atteintes d’hépatite chronique C ont un taux de fausses-couches plus élevé, et une concentration plasmatique d’HAM plus basse que des femmes témoins indemnes d’infection virale, et il y a une corrélation significative entre ces deux variables (qui ne signifie pas relation de causalité, bien entendu !). Leur taux de fertilité, et leurs chances de mener à bien une grossesse à terme donnant naissance à un enfant vivant sont diminuées. Les différences avec les femmes atteintes d’hépatite chronique B sont moins frappantes, peut être en raison d’effectifs relativement réduits (à confirmer dans des cohortes chinoises…).

Les femmes atteintes d’hépatite C semblent donc bien avoir une sénescence ovarienne prématurée ; on n’a pas de donnée sur la notion de ménopause précoce en cas d’hépatite C mais ce pourrait être une donnée assez facile à récupérer (et on sait par ailleurs que la ménopause augmente la vitesse de progression de la fibrose et réduit les chances de guérison virologique avec les traitements à base d’interféron). Ce vieillissement ovarien prématuré est également probablement responsable de la plus faible réponse ovarienne des femmes atteints d’hépatite C à la stimulation par les gonadotrophines (et un taux de complications plus élevé) – une observation significativement liée à la concentration d’HAM [2].

Le(s) mécanisme(s) sous-tendant ce vieillissement ovarien accéléré est (sont) inconnus, mais les facteurs de risque déjà identifiés (tableau 1) n’ont pas été systématiquement cherchés dans cette étude.

En somme, il faut sans doute dès le diagnostic parler du désir de grossesse avec les patientes atteintes d’hépatite C ; on le faisait déjà souvent, mais c’était surtout pour discuter du risque de transmission virale au nouveau-né. Il faut sans doute faire une bonne histoire obstétricale (les fausses-couches, les antécédents familiaux de fausse-couche ne faisaient sans doute pas partie de notre interrogatoire routinier), et peut être dès maintenant faire, comme c’est conseillé en cas de risque élevé de SOP [2], 2 dosages d’HAM à 1 mois d’intervalle, puis une surveillance annuelle tant que le désir de grossesse persiste : même avec un traitement antiviral efficace, on observe « seulement » un ralentissement du vieillissement ; en cas de taux bas d’ HAM, un avis gynécologique est nécessaire pour envisager la meilleure « tactique » pour récupérer une bonne fertilité.

Même au temps des antiviraux directs, il y en a encore beaucoup de choses à faire pour les malades atteints d’hépatite C !

Lien d’intérêts

interventions ponctuelles pour les laboratoires Mayoli-Spindler, Intercept, Zambon.

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International