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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Résection endoscopique colorectale : quelles sont les erreurs à éviter ? Volume 26, supplément 2, Novembre 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

  • Figure 5

  • Figure 6

Tableaux

Introduction

Les progrès en endoscopie digestive de ces dernières années ont non seulement permis d’augmenter de manière significative le taux de détection des polypes, mais ont également révolutionné leur prise en charge thérapeutique endoluminale. Aujourd’hui, la grande majorité des polypes coliques est accessible à un traitement endoscopique ; mais pour cela, il existe plusieurs « pièges ou erreurs » à éviter lors des différentes étapes de leur résection.

Voici l’histoire du docteur C., jeune gastro-entérologue, installé depuis peu, qui effectue une de ses premières plages de coloscopie, un bel après-midi du mois de juin…

« Et bien quel enchaînement ! voici mon cinquième malade qui rentre en salle… une coloscopie pour une patiente qui présente un test FIT positif. Je salue la patiente, pas le temps de boire un verre d’eau, pas le temps de me retourner, et la voilà endormie pour une nouvelle procédure…

J’atteins le cæcum ; et me voilà nez à nez avec un magnifique polype sessile (figure 1) !

Mais attends… mince… Je ne n’avais pas informé ma patiente d’une possible résection… »

Attention ! Il ne faut pas débuter la résection endoscopique d’une lésion polypoïde, quelle que soit sa taille, sans s’assurer au préalable que le patient ait été informé des éventuels risques liés à un geste thérapeutique. L’information du patient fait partie d’un des critères majeurs de qualité de la coloscopie retenue par la Société Française d’Endoscopie Digestive (SFED) [1]. Sa traçabilité doit être idéalement possible, l’opérateur devant faire la preuve de cette information détaillée en cas de nécessité ; il faut ainsi parfois savoir renoncer et reprogrammer le patient pour répondre à cette exigence, notamment si une lésion présentant des critères de difficulté de résection (tableau 1) venait à être découverte lors de la coloscopie.

« Je me retourne vers l’horloge : il est 18 heures… mais je me sens confiant ! »

La plage horaire d’une endoscopie thérapeutique doit être adaptée. La résection d’une lésion colique ne doit être débutée que si l’ensemble des conditions qui permettent de la mener à bien sont réunies. L’heure du début de celle-ci doit donc prendre en compte les contraintes horaires liées au fonctionnement du service, et de l’anesthésie. L’établissement d’accueil et le plateau technique environnant doivent également permettre une gestion des éventuelles complications (service de radiologie, de chirurgie digestive, voire de soins intensifs…).

La plage horaire d’une endoscopie thérapeutique doit être adaptée

« Je regarde mon aide opératoire, tiens, il a changé ! Je ne m’en étais pas aperçu… je ne le connais pas… je lui demande mon aiguille et mon anse préférées, mais il semble un peu perdu ! »

Attention ! Tout geste thérapeutique endoscopique doit être réalisé avec un personnel paramédical formé en endoscopie interventionnelle et au matériel utilisé. Ces données permettent une meilleure gestion des éventuelles complications [2]. Une étude coréenne récente a ainsi confirmé que le taux de résection complète d’un polype était directement lié à l’expertise de l’aide-opérateur [3]. En effet la résection d’un adénome était significativement plus souvent incomplète avec un aide inexpérimenté (OR, 2,24 IC : 1,4-3,4). Il apparaît également indispensable de s’assurer que le matériel d’endoscopie est disponible notamment pour gérer la résection (anse, aiguille à injection, anse à filet…), et ses complications (en cas d’hémorragie adrénaline, clip, pince coagulante et en cas de perforation clip).

« Bon voilà que la malade tousse et bouge, j’ai perdu le visuel du polype ; il faut dire que la préparation n’est pas très bonne ! Je n’arrête pas de laver et d’aspirer depuis tout à l’heure, sans grand succès »

Pour le bon déroulement de la procédure une préparation colique optimale avec un objectif de score de Boston strictement supérieur à 6/9 est nécessaire, correspondant au maximum à des résidus aspirables ne gênant pas l’exploration muqueuse [1]. En effet, il a été démontré avec un niveau de preuve élevé qu’une mauvaise préparation colique augmente le risque de complications, le temps de procédure et entraîne une baisse du taux de détection des adénomes [4]. Il faut savoir là aussi reprogrammer le malade si l’opérateur juge que les conditions de procédure ne sont pas optimales en la matière.

« Ça y est, le côlon est bien lavé, je suis bien positionné, je regarde la colonne : il semblerait qu’il n’y ait pas d’insufflateur CO2… »

Il est recommandé d’utiliser avec un niveau d’évidence élevé par la société européenne d’endoscopie digestive (ESGE) une insufflation au dioxyde de carbone (CO2) pour chaque geste thérapeutique et plus particulièrement lors d’une résection digestive [5]. L’usage du CO2 diminue en effet significativement le taux de réadmission après une coloscopie et diminue le taux de complications en cas de perforation par rapport à l’air [6, 7].

La société européenne d’endoscopie digestive (ESGE) recommande une insufflation au CO2 pour chaque geste thérapeutique

« Mon aide-opérateur est allé chercher un insufflateur dans une autre salle ; je n’ai finalement pas eu trop le temps de caractériser la lésion… bah il ressemble à un polype adénomateux tout simple même s’il fait au moins deux centimètres. »

Attention ! Il ne faut pas tenter de réséquer ou d’utiliser une technique non appropriée pour une lésion superficielle qui ne l’est finalement pas. La caractérisation de la lésion est une étape primordiale de la résection. Elle permet de prédire le degré d’infiltration pariétale de celle-ci. Un des principaux pièges est la tentative d’exérèse d’un adénocarcinome infiltrant la couche sous muqueuse, augmentant le risque de perforation, et ne permettant pas un traitement carcinologique curatif. En effet, le risque d’envahissement ganglionnaire augmente exponentiellement avec la profondeur d’envahissement de la sous-muqueuse [8]. Quelle que soit la qualité de l’exérèse endoscopique, une prise en charge chirurgicale avec curage ganglionnaire sera nécessaire en cas de cancer colique invasif ou de critères histologiques péjoratifs.

Aujourd’hui, le développement des endoscopes haute définition a permis l’obtention d’images d’excellente qualité donnant la possibilité d’effectuer une analyse fine du pit-pattern et de la vascularisation des lésions. L’utilisation de différentes classifications telles que la classification de Paris, de Kudo, de Sano ou de Nice, permet de prédire l’invasion sous muqueuse et de savoir quelle lésion réséquer[9-12]. Une nouvelle classification, la classification CONNECT, regroupant les différents critères des précédentes classifications, permet de simplifier l’utilisation de ces dernières, et propose quelle technique utiliser en fonction du type de lésion [13]. Letableau 2 propose une conduite à tenir selon le type de lésions coliques rencontrées.

« Finalement, je ne suis pas sûr du tout de moi pour ce polype… un peu trop irrégulier et érodé en surface… cela ne me dit rien qui vaille et je ne suis pas un habitué de la dissection. Je vais réaliser des biopsies ! »

Non ! La réalisation de biopsies sur une lésion colique potentiellement accessible à une résection endoscopique entraîne un phénomène inflammatoire réactionnel et de la fibrose sous muqueuse. Cette fibrose induite peut rendre difficile, et risqué, le geste de résection [14]. Il paraît plus pertinent de réaliser une série de clichés de la lésion, voire une courte vidéo qui permettra une discussion pluridisciplinaire si besoin, notamment avec des collègues experts en résection endoscopique. En revanche, des prélèvements sont nécessaires pour confirmer histologiquement la nature d’une lésion, évocatrice d’adénocarcinome invasif, avant de référer le malade au chirurgien.

« Je continue à descendre ma coloscopie en respectant le temps de retrait de l’endoscope. À nouveau un polype adénomateux dans le colon gauche (figure 2). Il est beaucoup plus petit ! et bénin ! Je demande une pince chaude »

L’utilisation d’une pince chaude pour le traitement des polypes entraîne un taux trop élevé de résection incomplète (17 %), de tissus ininterprétables pour l’analyse histologique et surtout un taux important de complications (32 % de lésions thermiques profondes dans les études animales et 0,4 % de saignement retardé) [15-17]. Les recommandations de l’ESGE sont claires : il ne faut plus utiliser cette technique [5].

« En voilà un troisième, cette fois-ci dans le sigmoïde (figure 3). L’examen commence à devenir long… Celui-ci mesure plus d’un centimètre, il est sessile, régulier en surface, sans modification du réseau vasculaire. Je me lance dans une polypectomie sans injection préalable ?! »

Attention ! La technique de mucosectomie endoscopique est recommandée par la société européenne d’endoscopie digestive pour la résection de lésions adénomateuses supérieures ou égales à 1 cm de grand axe [5]. Cette technique, qui consiste en une injection sous-muqueuse de sérum physiologique teinté à l’indigo carmin, puis d’une résection à l’anse diathermique, permet une résection monobloc pour des lésions de moins de 20 mm, avec faible taux de complication. Ce taux de complication qui varie entre 0,7 et 4 % pour les perforations, augmente avec la taille de la lésion, pour les saignements, le taux de saignement immédiat est de l’ordre de 11 %, celui des hémorragies retardées de 5 % pour des lésions de plus de 20 mm [18, 19].

« Mon associé passe dans la salle à ce moment-là, il me conseille une mucosectomie ; je prends donc finalement une aiguille à sclérose de 23 gauges et j’injecte du sérum physiologique mais rien ne se passe »

Une injection trop profonde ne permettra pas un bon soulèvement de la lésion et augmente le risque de perforation. À l’inverse, une injection trop superficielle entraînera la formation d’hématome sans pour autant obtenir un soulèvement suffisant pour éloigner la lésion du plan musculeux. Il est donc important d’utiliser une aiguille de diamètre adaptée à la localisation. Une aiguille de 25 gauges, plus fine, est souvent préconisée dans les régions où la paroi digestive est fine (colon proximal notamment) : elle permet une meilleure qualité d’injection. Par ailleurs, il est suggéré de teinter le sérum injecté par un colorant vital de type indigo-carmin, permettant de mieux délimiter la lésion avant sa résection et de mieux distinguer les plans pariétaux lors de la résection [5].

« Bon voilà, je pique à nouveau juste devant la lésion : commençons par le plus proche et après on verra ! »

Le choix du site d’injection doit se faire de manière réfléchie afin de ne pas compliquer le déroulement de la résection. Pour un polype situé sur un pli, il est important d’injecter en premier en amont (pole anal) de celui-ci pour éviter un basculement de la lésion en arrière, rendant ainsi difficile sa préhension avec l’anse.

Le choix du site d’injection doit se faire de manière réfléchie

« Mon polype est bien soulevé (figure 4), je vais utiliser une anse de 10 mm »

Pour un polype de moins de 15 mm, il est admis qu’une anse de 10 ou 15 mm de diamètre sera suffisante. En revanche au-delà de cette taille, une anse de 22 ou 25 mm sera préférée. Un des autres critères dans le choix de l’anse est la rigidité de celle-ci. Une anse tressée souple sera utilisée pour des lésions plutôt sessiles, et, à l’inverse, une anse monobrin, plus rigide, sera préférée pour la résection des lésions planes, ou pour un polype pédiculé à pied large, permettant une meilleure préhension et une meilleure diffusion du courant de section.

« La malade tousse à nouveau, j’ai du mal à rester stable, je coupe plusieurs fois à l’anse mais de manière non jointive »

Attention ! Le risque est de laisser des ponts de muqueuse lésionnelle. Une lésion colique adénomateuse de plus de 20 mm de grand axe qui ne présente pas de critères suspects de malignité après une analyse minutieuse du pit-pattern peut être réséquée par la technique de mucosectomie fragmentée. Le principal risque de cette méthode est la résection incomplète et la récidive adénomateuse précoce. Pour cela, il est recommandé de réséquer la muqueuse de proche en proche, de manière jointive, avec le moins de fragments possible sans laisser de pont muqueux. La taille de l’anse doit être adaptée à la lésion et une anse de 10 mm s’avère souvent utile pour la résection des résidus adénomateux et des berges si nécessaire. La zone la plus suspecte de la lésion doit être réséquée en monobloc, tel qu’un macro-nodule d’une LST, ou un relief vasculaire plus suspect [5].

Pour une mucosectomie fragmentée, il faut réséquer de proche en proche, de manière jointive

« Je n’y arriverais pas… je m’arrête au milieu ; tant pis je vais reprogrammer la malade. »

Non ! Une résection doit idéalement être complète ; si l’opérateur n’a pas l’expérience voulue ou n’a pas (encore) les capacités pour traiter une lésion digestive superficielle, il doit (re)connaître ses propres limites, et référer le patient à un centre expert si nécessaire. Finalement il s’agit d’une loi du « tout ou rien » : si je débute, je dois pouvoir aller au bout du geste de résection car un traitement partiel ou encore une injection sous-muqueuse sans résection, entraîne une réaction inflammatoire locale pariétale et la formation de fibrose rendant souvent difficile la résection endoscopique ultérieure [14].

« Encore un (figure 5)… Cet examen est interminable mais je suis jeune, fougueux et endurant. Celui-ci est pédiculé avec un pied large. Je vais le couper à l’anse d’emblée car je suis bien placé et quasiment en bas, à la charnière rectosigmoïdienne. Je vais coaguler en appuyant sur la pédale bleue avant la section : ça suffira ! »

Attention ! La prévention des complications est une étape primordiale avant la résection de certaines lésions. Certaines mesures doivent être prises afin de limiter le risque d’hémorragie immédiate et retardée. Pour des polypes pédiculés à pied large (> 5 mm) et long, il est important d’effectuer une hémostase mécanique préventive à l’aide de la pose d’une anse largable de type Endoloop® (Olympus Medical Corporation,Tokyo, Japon).Celle-ci doit être positionnée sur la base du pied pour permettre de laisser un espace suffisant avec l’anse pour la section, et également suffisamment à distance du polype pour une résection complète. L’injection de sérum physiologique adrénaliné (dilution 1/10 000) dans le pied ou la pose d’un clip sur le pied peut également être une bonne alternative [20].

Enfin pour prévenir les risques de perforation retardée due notamment à une lésion thermique profonde de la couche musculeuse, il n’est plus recommandé, avec les nouvelles générations de bistouris électriques, d’utiliser la coagulation pure avant la section du polype. En effet, les nouveaux modes de polypectomie alternent automatiquement un courant de section et de coagulation. Il est également important d’éloigner l’anse diathermique de la paroi colique pour éviter toute diffusion du courant en profondeur [21].

Il faut effectuer une hémostase préventive pour les polypes pédiculés à pied large et/ou long

« Ça y est j’ai coupé ! Je récupère la pièce. La malade bouge à nouveau et le côlon se contracte ; j’ai du mal à bien inspecter mon site de résection. Je poursuis la descente ».

Attention ! L’inspection du site de résection permet de chercher une véritable perforation ou la présence du signe « de la cible », témoignant d’une atteinte musculaire (figure 6). Une fois repérée, la perforation doit être refermée à l’aide de clips. Dans une série rétrospective australienne publiée en 2016, 85 % des cas d’atteintes musculaires ou de perforations secondaires à une mucosectomie étaient gérés médicalement, avec une sortie d’hospitalisation possible le jour même sans nécessité de recours à la chirurgie [22]. Par contre, la non-détection des perforations en per-procédure apparaît comme un facteur prédictif de complications infectieuses péritonéales graves [23]. La classification de Sydney proposée par les auteurs peut être utile dans la reconnaissance et la gestion de ces complications [22].

Il est également important de chercher et de traiter les vaisseaux sous-muqueux sur le site de résection. Plusieurs techniques d’hémostase sont possibles : coagulation avec la pointe de l’anse, pince hémostatique, fermeture du site de résection à l’aide de clips. Attention toutefois à la pose d’un clip au sein du site de résection lors d’une mucosectomie piecemeal, cela augmente le risque de résection incomplète. Il est préférable d’achever la résection, avant la pose du clip, pour ne pas laisser de résidus adénomateux.

Il est important de chercher et de traiter les vaisseaux sous-muqueux sur le site de résection

« Voilà, j’ai enfin fini… Quelle coloscopie ! Je ne compte plus les polypes : j’espère que mon aide opératoire les a répertoriés car je suis un peu perdu ! Je me demande si nous n’avons pas placé dans le même pot différents polypes réséqués… Heureusement la malade va bien »

Attention ! Il faut pouvoir distinguer facilement la localisation de chaque lésion traitée. En fonction de l’analyse histologique (degré de dysplasie ou présence de cellules adénocarcinomateuses) la prise en charge sera différente, allant d’une simple surveillance à un complément de résection chirurgicale [24]. Pour des pièces de résection de plus de 20 mm, traitée en monobloc, voire pour les fragments comportant les zones suspectes d’invasion sous muqueuse des mucosectomies fragmentées, le tissu doit être étalé à l’aide d’aiguilles, sur un support rigide, avant d’être fixé dans du formol à 10 %. Cette technique permet au médecin anatomopathologiste une meilleure analyse de la pièce, dont découle ensuite la prise en charge et la surveillance du patient [5].

Conclusion

La plupart des lésions coliques peuvent aujourd’hui être accessibles à un traitement endoscopique. Il est important pour cela de respecter les différentes étapes, de l’analyse du relief et de la vascularisation, à l’inspection du site de résection et la prévention d’éventuelles complications. À chaque polype, une solution, la technique de dissection sous muqueuse, permettant pour toute lésion étendue sans critères francs d’invasion en profondeur, un traitement complet et curatif sous réserve que le malade soit référé à un centre expert pour évaluation et tentative de prise en charge endoscopique.

Take home messages

  • La majeure partie des polypes coliques est aujourd’hui accessible à un traitement endoscopique.
  • L’analyse fine (caractérisation) de la lésion est primordiale avant toute tentative de résection.
  • Une fois débutée une résection doit être menée à terme, le praticien doit être entouré d’un personnel formé, d’un plateau technique et de matériel adapté au geste et aux complications éventuelles.
  • L’inspection du site de résection permet de diminuer les complications retardées.
  • La gestion du prélèvement est aussi une étape importante de la prise en charge du malade.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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