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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Réactivation de l’infection par le virus de l’hépatite B par le traitement de l’hépatite C avec les nouveaux antiviraux directs Volume 25, numéro 1, Janvier 2018

Introduction

Les virus de l’hépatite B (VHB) et C (VHC) partagent certains modes majeurs de transmission, et la co-infection B+C n’est donc pas étonnante. Cependant, la majorité des hépatites B évoluent favorablement, laissant seulement une trace sérologique (anticorps anti-HBc). La coexistence d’une infection chronique par les 2 virus est rare, touchant environ 5 % des malades atteints d’hépatite chronique C [1]. La co-infection B+C est associée à une maladie plus sévère. Bien que la possibilité d’une réactivation de l’hépatite B ait été rapportée sous traitement de l’hépatite C par l’interféron [2], c’est depuis l’introduction des nouveaux agents antiviraux directs (AAD) que les cas rapportés (isolés, ou de courtes séries) se sont multipliés.

Une série italienne prospective, multicentrique, portant sur 29 malades co-infectés porteurs de l’AgHBs et une grosse étude rétrospective étasunienne provenant des hôpitaux d’anciens combattants sont l’objet de cette analyse.

L’étude italienne

Sur une période d’un an à partir d’avril 2015, 29 malades atteints d’hépatite chronique C et porteurs de l’AgHBs furent traités par AAD. Ils avaient 61 ans en moyenne, et 25 avaient une cirrhose (Child-Pugh A chez 23 et B chez 2) ; 6 étaient transplantés. Tous sauf un obtinrent une réponse virologique durable pour le VHC. Cinq malades eurent une réactivation B (augmentation de l’ADN-VHB de plus d’1 log UI/mL ou réapparition de l’ADN-VHB) ; tous furent alors traités par entecavir ou tenofovir (sauf 1 qui avait une virémie faible – 1 470 UI/mL – et une ALT normale, et qui évolua favorablement). Trois d’entre eux eurent une augmentation de l’ALAT (3,3 à 16 N) et une hyperbilirubinémie (34 à 140 μM), deux une décompensation qui nécessita une transplantation dans un cas, et régressa spontanément dans l’autre.

Aucune réactivation ne fut observée chez les 16 malades qui étaient sous analogue nucléos(t)idique avant le début du traitement antiviral C contre 5/13 de ceux qui ne recevaient pas de traitement antiviral B.

L’étude étasunienne

Elle concernait les 62 290 anciens combattants ayant une hépatite chronique C traitée par AAD. Parmi eux 85 % avaient eu une recherche préalable d’AgHBs, présent chez 377 (0,7 %). Avant traitement par AAD, un dosage d’ADN-VHB ne fut fait que chez 84/377 (22 %) dont 30 (36 %) avaient une virémie détectable (médiane 2,3 log UI/mL). Une réactivation virologique (définie ici comme une augmentation d’au moins 1000 UI/mL de l’ADN-VHB ou sa réapparition) fut observée chez 8/84 (9,5 %). Trois eurent une augmentation de l’ALAT, forte chez un seul d’entre eux (1 540 UI/mL). Tous obtinrent une réponse virologique C durable.

Un seul cas fut observé chez un des dix malades qui recevaient un analogue avant le traitement de l’hépatite C contre 7/23 de ceux qui ne recevaient pas de traitement antiviral B.

Soixante-quatre % des patients avaient eu une recherche d’anti-HBc, présent isolément chez 7295 (18 %). Parmi eux, seuls 173 eurent une recherche d’ADN-VHB pendant le traitement par AAD, dont 4 furent positives (mais un d’entre eux avait eu une recherche d’ADN-VHB avant le traitement qui était « détectable non quantifiable »), et une seule atteignant le critère virologique de réactivation (sans cytolyse).

Aucun des neuf cas de réactivation ne recevait de traitement immuno-modulateur.

Commentaires

Les risques de réactivation de l’infection par le VHB au cours de traitements immuno-modulateurs et de chimiothérapie sont maintenant bien établis et les attitudes préventives bien codifiées. Le risque de réactivation B au cours du traitement de l’hépatite C restait encore incertain, depuis les premières alertes relayées par les agences étasunienne et européenne du médicament fin 2016 [3, 4] ; le risque n’avait pas été reconnu dans les essais thérapeutiques dont les malades porteurs de l’AgHBs étaient exclus.

Les bases fondamentales de la réactivation B dans ce contexte sont hypothétiques. Les études épidémiologiques ont montré que la virémie B était plus faible chez les malades infectés par le VHC, mais que la virémie C était la même quel que soit le statut VHB. Cependant, les virémies B et C fluctuent au cours du temps chez les malades co-infectés [5]. L’hypothèse d’une inhibition réciproque de la réplication des 2 virus est donc séduisante : c’est probablement parce que les AAD sont beaucoup plus et plus rapidement efficaces que les réactivations B sont observées beaucoup plus tôt (pendant le traitement, souvent dès le premier mois avec les AAD, après la fin du traitement sous interféron) [2]. Les réplications du VHB et du VHC n’ont pas les mêmes sites cellulaires. En revanche, sous AAD a lieu une brutale modification de l’environnement immunologique avec une forte diminution des voies de signalisation de l’interféron et des cytokines pro-inflammatoires (TNFα et protéine induite par l’interféron γ) ce qui lève un frein sur la réplication du VHB, la disparition de la protéine du core du VHC qui inhibe directement la réplication du VHB, une réduction rapide de l’activation des lymphocytes NK [6].

Une méta-analyse récemment présentée au congrès de l’AASLD (American Association for the Study of Liver Diseases) à Washington (Mucke MM et al. abstr 1019), et incluant le travail de Belperio analysé ici, mesure à 24 % le risque de réactivation du VHB sous AAD chez des malades AgHBs positifs. En revanche le risque est très faible, autour de 1 %, chez les malades porteurs d’un anti-HBc isolé. Le risque « d’hépatite de réactivation » était évalué à 9 %, moindre quand l’ADN-VHB sérique était indétectable avant traitement. Il était quasiment nul quand les malades recevaient un traitement antiviral B par analogue avant le début des AAD. Les formes graves avec un risque de décompensation et de décès ou de nécessité de transplantation sont rares mais existent comme le montre l’article de Macera et al., et ce risque n’est pas totalement supprimé par la mise sous analogues au moment du diagnostic de la réactivation.

Les recommandations émises par l’AASLD et l’AFEF (encadrés 1 et 2) cette année sont un peu différentes [7, 8]. Celles de l’AASLD ont l’avantage d’ouvrir un choix explicable assez facilement aux patients. Rien n’est dit des malades ayant un anti-HBc positif isolé. Le risque est très faible dans ce sous-groupe, le minimum semble cependant la surveillance des transaminases et le dosage de l’ADN-VHB en cas d’augmentation et la grande prudence de suivre la recommandation de l’AFEF (transaminases et ADN-VHB mensuels).

Pour faire simple :

  • 1)AgHBs + (ou antiHBc+ isolé et ADN-VHB +) : mettre sous analogue anti-VHB dès le début du traitement anti-VHC et 12 semaines après sa fin ;
  • 2)antiHBc + isolé et ADN-VHB – : surveiller transaminases et ADN-VHB chaque mois.

Note d’actualisation : Depuis la rédaction de cette analyse, un article important est apparu en cours de publication (Li C-J, Chuang W-L, Sheen I-S, et al. Efficacy of ledipasvir and sofosbuvir treatment of HCV infection in patients coinfected with HBV. Gastroenterology 2017. Doi : 10.1053/j.gastro.2017.11.011.).

Dans cette étude taïwanaise, prospective, ouverte, 111 malades atteints d’hépatite C, porteurs de l’AgHBs ne prenant pas (ou plus) d’analogues nucléos(t)idique ont reçu 12 semaines de traitement par sofosbuvir et ledipasvir, et tous obtinrent une réponse virologique soutenue 12 semaines après l’arrêt du traitement. Parmi les malades ayant un ADN-VHB initialement indétectable, 31/33 (84 %) eurent au moins un épisode de détectabilité jusqu’à la 24e semaine, et 39 des 74 patients (53 %) ayant un ADN-VHB initialement détectable (≥20 UI/mL), eurent une augmentation de l’ADN-VHB de plus de 1 log. UI/mL. En tout seuls 5 malades eurent une augmentation de l’ ALAT > 2N, dont 3 furent traités ainsi qu’un malade supplémentaire, symptomatique, dont l’ALAT s’éleva à S48.

Remerciements

à Philippe Sogni pour sa relecture amicale.

Liens d’intérêts

interventions ponctuelles pour les laboratoires Mayoli-Spindler, Intercept, Zambon.

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