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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Quelle est la place du taux de détection des adénomes dans le dépistage organisé du cancer colorectal ? Volume 25, numéro 3, Mars 2018

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

  • Figure 5

Tableaux

Le taux de détection des adénomes (TDA) s’est progressivement installé comme le critère de qualité le plus pertinent de la coloscopie, du moins dans le domaine de la détection lésionnelle. Ce critère figure en excellente place dans les principales recommandations de pratique, tant américaines [1] qu’européennes [2], au même titre que la qualité de la préparation et la complétude. Le TDA est corrélé au risque de cancer d’intervalle [3, 4], considéré par certains comme la principale complication de la coloscopie et qui doit être, à juste titre, la hantise permanente des endoscopistes. Pour ces raisons, le TDA apparaît comme un des meilleurs marqueurs d’une exploration attentive de la muqueuse au cours de l’examen, que ce soit pour les coloscopies diagnostiques ou les coloscopies de dépistage (pour facteurs de risque familiaux ou après un test de détection positif). « Adenoma detection rate should be used as a measure of adequate inspection at screening or diagnostic colonoscopy in patients aged 50 years or more » [2].

Le taux de détection des adénomes est corrélé au risque de cancer d’intervalle, considéré par certains comme la principale complication de la coloscopie

Rappelons que le TDA est une valeur moyenne liée à l’opérateur et non une mesure individuelle par patient ; chaque gastroentérologue est ainsi invité à mesurer son TDA dans le cadre d’une démarche qualité qu’il faut promouvoir, première étape ouvrant sur l’amélioration des pratiques individuelles et des performances par des programmes d’éducation et d’entrainement [5, 6].

Les recommandations actuelles dépendent du contexte de l’endoscopie ; elles tendent progressivement vers des objectifs de TDA de plus en plus ambitieux :

  • 20 % (25 chez l’homme et 15 chez la femme) en 2002 pour toute coloscopie après 50 ans [7] ;
  • 35 % en 2010 au Royaume-Uni pour le dépistage par Hemoccult™ [8] ;
  • 25 et 15 % en 2006 [9] puis 30 et 20 % en 2015 [1] aux USA pour les coloscopies de dépistage chez les individus à risque moyen ;
  • 25 % en 2017 en Europe, pour les coloscopies tout venant [2] ;
  • 45 et 35 % aux États-Unis en 2017 pour les coloscopies suivant un test immunologique positif [10] selon les préconisations de l’US Task Force, assorties toutefois de niveaux de preuve faibles (Weak recommandation ; very low quality of evidence).

Les valeurs retenues diffèrent donc selon le contexte clinique (ce qui peut être source de confusion) ; elles ne reposent généralement pas sur des niveaux très forts de preuve scientifique mais reflètent globalement la réalité des pratiques dans chaque situation.

Ceci étant posé, que faut-il penser du TDA dans le cadre du dépistage organisé du cancer colorectal (CCR) ?

Le taux de détection des adénomes est-il un critère pertinent d’efficacité d’un programme de dépistage organisé du cancer colorectal ?

L’objectif du dépistage organisé, rappelons-le, est de réduire la mortalité par CCR dans la population et son incidence. Parmi les études historiques réalisées avec l’Hemoccult™ seule celle du Minnesota a atteint à la fois ces deux objectifs [11, 12] : les critères d’efficience étaient le taux de positivité du test (de l’ordre de 9 %) et le taux de participation (plus de 70 %). Aucune mention n’était faite de la détection lésionnelle sauf comme un paramètre de sensibilité du test. Le TDA ne peut être objectivement considéré comme un critère prédictif d’efficacité d’un dépistage organisé. Même s’il est corrélé au risque et à la mortalité par cancer d’intervalle [4], aucune étude ne démontre pour l’instant qu’un TDA élevé réduit la mortalité par CCR ni son incidence en population. Améliorer le TDA reste donc un objectif de moyen et non un objectif de résultat.

Améliorer le taux de détection des adénomes reste un objectif de moyen et non un objectif de résultat

Le taux de détection des adénomes est-il le meilleur critère pour la détection lésionnelle ?

En l’état actuel, le TDA est une mesure globale qui regroupe tous les adénomes quels que soient leur nombre et leur taille, mélangeant ainsi les lésions de haut et de bas risques. Dans une optique de prévention, certains critères spécifiques semblent plus pertinents : le nombre d’adénomes par coloscopie (dont l’impact sur les délais de surveillance est immédiat) ou le taux d’adénomes avancés, car ce sont ceux-là qui exposent, 10 ans plus tard, à la survenue de CCR. Les résultats de l’étude PLCO présentés à la DDW 2017 montrent clairement qu’à 10 ans, le risque relatif de CCR n’est significatif que pour les adénomes avancés (figure 1)[13]. Les polypes de moins de 5 mm ne sont classifiés avancés que dans 3,4 % [14]. L’objectif de la détection lésionnelle est donc l’adénome avancé et de manière plus large, le polype de plus de 5 mm [15]. Dans l’expérience allemande [16], les taux de détection de lésions avancées et de CCR sont restés stables entre 2003 et 2012, alors que les taux de détection des adénomes non avancés et des lésions non adénomateuses progressaient (figure 2). L’amélioration de la détection lésionnelle (au-delà d’un seuil raisonnable) se fait essentiellement au bénéfice des lésions de petite taille dont l’impact sur la prévention et le dépistage est discutable.Comment considérer de ce point de vue la mise en évidence d’un adénome de 5 mm au cours d’une coloscopie pour test de dépistage positif : doit-on estimer qu’il s’agit d’un vrai ou d’un faux positif du test ?

L’amélioration de la détection lésionnelle se fait essentiellement au bénéfice des lésions de petite taille dont l’impact sur la prévention et le dépistage est discutable

Le taux de détection des adénomes est-il facile à calculer ?

A priori oui, même dans la pratique quotidienne, de manière prospective ou rétrospective. Toutefois, pour des raisons statistiques d’échantillonnage, la précision de la mesure dépend du nombre d’examens concernés. Ainsi, pour un TDA moyen de 40 % calculé sur un effectif de 50 coloscopies, la marge d’erreur est de ± 14 ; elle diminue à ± 10, ± 7, ± 4 et ± 3 pour respectivement des effectifs de 100, 200, 500 et 1 000 [17]. En d’autres termes, la marge d’erreur est de 26 à 54 % pour 50 coloscopies, de 30 à 50 % pour 100 coloscopies et de 36 à 44 % pour 500 (tableau 1). Il semble donc logique de recommander le calcul sur un nombre suffisant d’examens (au moins 500 coloscopies), ce qui paraît difficile à obtenir dans le cadre du seul dépistage organisé ! Heureusement, le TDA mesuré sur les coloscopies de diagnostic (coloscopies « primaires ») semble bien corrélé à celui des coloscopies réalisées pour test de dépistage positif (figure 3). Ainsi, dans l’analyse post-hoc de l’étude espagnole ColonPrev, avec un seuil de positivité fixé à 15 μg/g, le TDA est respectivement de 31 et 55 % pour les coloscopies « primaires » et les coloscopies post-test. Ce qui signifie que le taux de détection de 20 % en détection primaire correspond à celui de 45 % en détection secondaire à un test positif [18].

Il semble logique de recommander le calcul du taux de détection des adénomes sur un nombre suffisant d’examens (au moins 500 coloscopies)

La variabilité inter-opérateur du taux de détection des adénomes est-elle préjudiciable ?

C’est une constatation ancienne [19-22] qui touche tous les pays y compris les plus performants, comme le Royaume-Uni [23] et les pays scandinaves, la Pologne et des Pays-Bas (NordICC trial) (figure 4)[24]. On peut le déplorer ou le regretter, mais est-on sûr que cela ait un véritable impact sur l’efficacité du dépistage organisé ? Rien ne permet de l’affirmer et les expériences réussies par le passé [11, 12] intégraient de fait ce paramètre. Un TDA apparaît donc surtout comme un objectif global, à l’échelon de la population ou d’une région mais c’est un outil peu fiable au niveau individuel notamment chez les praticiens à faible volume d’activité. Toutefois, la problématique des « détecteurs faibles » est bien réelle et un effort d’amélioration des pratiques doit être fait notamment au niveau de la technique de retrait et de la méticulosité de l’examen [25].

Un taux de détection des adénomes apparaît surtout comme un objectif global, à l’échelon de la population ou d’une région mais c’est un outil peu fiable au niveau individuel

Le taux de détection des adénomes est-il défaillant en France ?

Les premiers résultats du test immunologique sont plutôt encourageants avec un taux de détection de 50 % en Alsace [23] et, de manière officieuse, des retours identiques venant d’autres régions. Un objectif ambitieux de détection lésionnelle est probablement en passe d’être atteint avec ce test ! Le problème du dépistage organisé n’est pas tant aujourd’hui la détection lésionnelle que la participation. Il vaut probablement mieux un TDA moyen national raisonnable associé à une participation forte que l’inverse.

Un objectif ambitieux de détection lésionnelle est probablement en passe d’être atteint avec le test immunologique !

Faut-il fixer un seuil de détection unique ?

Dans le cadre du dépistage organisé, le taux de détection lésionnel est directement corrélé au seuil de positivité fixé pour le test immunologique. L’expérience néerlandaise [26] montre clairement que le triplement du seuil de positivité du test (de 15 μgHb/g à 47 μgHb/g) entraîne une diminution du taux global de positivité (de 7,8 à 6,3 %), une diminution de 23 % du taux de détection du CCR (5,8 à 4,4 %), et de 33 % du taux de détection des adénomes avancés (30,8 à 20,6 %) (figure 5). Le choix du seuil de positivité du test immunologique est donc crucial à bien des égards ! On ne peut fixer d’objectif de détection lésionnelle qu’en fonction du cahier des charges du dépistage organisé.

On ne peut fixer d’objectif de détection lésionnelle qu’en fonction du cahier des charges du dépistage organisé.

Conclusion

Même si la qualité ne se résume pas aux aspects techniques notamment à la détection lésionnelle (elle doit prendre en compte d’autres facteurs comme la sécurité et le confort), le TDA demeure toutefois un des critères les plus pertinents d’un examen de qualité. À ce titre, il faut impérativement en faire la promotion et inciter les hépato-gastroentérologues à se l’approprier dans une optique d’amélioration des pratiques.

Ce critère n’est toutefois pas parfait et présente certaines limites. Des recommandations existent pour chaque situation clinique avec des niveaux de preuve variable mais qui reflètent globalement la réalité des pratiques. Dans le cadre du dépistage et de la prévention du CCR, le TDA ne peut pas être considéré à l’échelon individuel, comme un « standard de soin » opposable et contraignant mais comme un objectif de performance dans la démarche d’amélioration de la qualité.

Le taux de détection des adénomes ne peut pas être considéré à l’échelon individuel, comme un « standard de soin » opposable et contraignant mais comme un objectif de performance dans la démarche d’amélioration de la qualité

Take home messages

  • Le taux de détection des adénomes est le meilleur critère de qualité de la coloscopie diagnostique et de prévention. Chaque praticien doit s’astreindre à mesurer son taux de détection des adénomes moyen et l’améliorer s’il est insuffisant
  • Dans le cadre du dépistage organisé, le taux de détection des adénomes global n’est pas un critère prédictif de réduction d’incidence ou de mortalité du cancer colorectal. L’effort du dépistage doit surtout porter sur la détection et l’exérèse des lésions avancées
  • Le dépistage organisé par test immunologique en France souffre davantage d’un défaut de participation que d’un défaut de détection lésionnelle.
  • Le taux de détection des adénomes ne peut pas être considéré à l’échelon individuel, comme un « standard de soin » opposable mais comme un objectif de performance dans la démarche d’amélioration de la qualité.
  • Au niveau populationnel, le taux de détection des adénomes est un objectif global dont la détermination dépend du seuil de positivité retenu pour le test.

Liens d’intérêts

l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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