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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Prise en charge des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin : JAK is back! Volume 25, numéro 1, Janvier 2018

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La prise en charge thérapeutique des maladies inflammatoires chroniques (MICI) s’est considérablement modifiée. Les classes thérapeutiques actuelles sont ciblées, soit sur le blocage de cytokines pro-inflammatoires (TNF, IL12, IL23), soit sur la diminution du trafic leucocytaire vers la paroi inflammatoire (anti-intégrines, modulateurs du récepteur à la sphingosine 1 phosphate). Depuis quelques années, de « petites » molécules ont été développées avec pour cible la signalisation intracellulaire. Les inhibiteurs de Jak kinase font partie de ce groupe. Les premières études en rhumatologie avaient montré leur intérêt potentiel mais avaient observé des effets indésirables potentiellement sévères ayant conduit la Food and Drug Administration (FDA) à arrêter leurs développements. Depuis, de nouvelles molécules ont changé la donne et elles devraient prendre une place dans la prise en charge des MICI.

Un mécanisme d’action nouveau

Les JAK, pour Janus kinases, sont des enzymes ayant une fonction « positive » dans le système immunitaire et indiscutablement une fonction « négative » dans la pathogenèse de l’inflammation chronique. La famille des JAK compte JAK1, 2 et 3 et TYK2 [1]. Les JAK appartiennent à la grande famille des kinases, dont plus de 99 % ont un rôle essentiellement physiologique dans l’organisme. Le principe de leur activation se base sur des mécanismes de phosphorylation de leur structure. La famille des kinases la plus connue est celle des tyrosines kinases, dont l’inhibition de certaines a permis le contrôle de mécanismes-clés de l’oncogenèse en interférant avec les mécanismes de la prolifération, de la différenciation ou de l’adhésion cellulaires. Les JAK sont des molécules cytosoliques de faible poids moléculaire liées à des récepteurs transmembranaires [1]. Une fois la cytokine liée à son récepteur, la JAK sera activée et sa structure sera modifiée pour activer un facteur de transcription appelé STAT (signal transducers and transcription activators) qui induit l’expression de gènes impliqués dans la perpétuation de l’inflammation chronique [1]. Les inhibiteurs de JAK interférent avec sa phosphorylation, en se fixant compétitivement au site de liaison d’une adénosine triphosphate (ATP) sur la molécule JAK. La fonction immuno-modulatrice de ces inhibiteurs passe par l’inhibition du facteur de transcription STAT qui active des gènes codant pour des protéines pro-inflammatoires. Toutes ces molécules inhibant JAK sont administrables par voie orale, ce qui est intéressant et souvent souhaités par nos patients.

La fonction immuno-modulatrice des inhibiteurs de JAK passe par l’inhibition du facteur de transcription STAT qui active des gènes codants pour des protéines pro-inflammatoires

Toutes ces molécules inhibant JAK sont administrables par voie orale

Résultats des essais de phase II et III

Le tofacitinib est un inhibiteur de JAK non sélectif. Des essais de phase III ont été réalisés dans la rectocolite hémorragique (RCH) (études Octave) [2]. Deux études d’induction parallèle ont étudié le taux de rémission à la semaine 8 chez des patients ayant une RCH active et randomisés pour recevoir soit du tofacitinib 10 mg matin et soir per os, soit un placebo [2]. Les taux de rémission étaient significativement plus importants sous tofacitinib : 18,5 % versus 8,2 % (p = 0,007) dans l’étude Octave 1 et 16,6 % versus 3,6 % (p = 0,0005) dans l’étude Octave 2. Les taux de cicatrisation muqueuse à S8 étaient significativement plus élevés sous tofacitinib que sous placebo. Les patients répondeurs à S8 étaient inclus dans une étude de maintenance [2] et étaient à nouveau randomisés pour recevoir tofacitinib 10 mg deux fois par jour ou tofacitinib 5 mg deux fois par jour ou placebo. Les taux de rémission clinique à la semaine 52 étaient de 40,6 % dans le groupe tofacitinib 10 mg, 34,3 % dans le groupe 5 mg et 11,1 % sous placebo (p < 0,001 entre le tofacitinib et le placebo). De manière équivalente, les taux de cicatrisation muqueuse étaient significativement plus élevés sous tofacitinib 45,7 %, 37,4 % et 13,1 % respectivement. De manière inattendue, l’essai de phase 3 dans la maladie de Crohn était négatif.

À la 52e semaine de traitement, les taux de rémission clinique et de cicatrisation muqueuse de la rectocolite hémorragique étaient respectivement de 40,6 % et de 45,7 % dans le groupe recevant du tofacitinib 10 mg × 2/j

Le filgonitib est un inhibiteur sélectif de JAK 1. Un essai de phase II a été récemment réalisé dans la maladie de Crohn [3]. Il s’agissait d’une étude randomisée comparant le filgotinib à la dose de 200 mg par jour au placebo dans la maladie active. Les taux de rémission clinique à la semaine 10 étaient significativement plus élevés sous filgotinib (47 % versus 23 %, p < 0,05). Les taux d’amélioration endoscopique définie par une baisse du SES-CD d’au moins 50 % étaient plus élevés sous filgotinib avec un delta de 11 % [3]. Une autre étude concernant un autre anti-JAK 1 sélectif, l’upadacitinib a été réalisée dans la maladie de Crohn [4]. Dans cette étude, les auteurs comparaient l’efficacité de différentes doses d’upadacitinib contre placebo. Sur le plan clinique, certaines des doses testées étaient associées à plus de taux de rémission clinique à S16 ou à plus de rémission endoscopique à S12/S16.

Les taux de rémission clinique de la maladie de Crohn à 10 semaines étaient deux fois plus élevés sous filgotinib que sous placebo

Les effets secondaires de cette classe thérapeutique

Les études de phase II concernant le filgotinib et l’upadacitinib [3, 4] dans la maladie de Crohn sont plutôt rassurantes mais les courtes durées inhérentes à ces phases doivent nous inciter à la prudence en attendant les études de phase III avec des suivis plus longs. Concernant le tofacitinib, les données à un an sont disponibles [2]. Trois types d’événements liés à la molécule ont été décrits :

Un sur-risque infectieux avec notamment des risques de zona (10 cas dans le groupe tofacitinib 10 mg deux fois par jour vs. 1 cas sous placebo). Ce risque de réactivation de herpes zoster était déjà connu dans les études en rhumatologie et attendu dans cette classe de traitement. Cependant, aucun cas grave n’a été observé dans l’étude OCTAVE (formes mono-métamériques ne justifiant pas systématiquement l’arrêt du traitement). Il paraît cependant nécessaire de prendre en compte ce risque et discuter de vacciner les patients avant traitement notamment chez les plus âgés.

Le tofacitinib expose à un risque de réactivation de herpes zoster et l’apparition d’un zona

Une élévation des taux de cholestérol et triglycérides, qui était attendue, a été décrite sans survenue de complications cardiovasculaires. Là encore, des données sur le long terme seront importantes à colliger d’autant que récemment des sur-risques cardiovasculaires ont été décrits dans les MICI. Il est possible que dans certains cas un traitement hypolipémiant concomitant soit requis.

Une élévation des enzymes musculaires sous inhibiteur de JAK par rapport au placebo, sans cas observé de rhabdomyolyse.

L’avenir

Le tofacitinib vient d’avoir son autorisation de mise sur le marché (AMM) en Europe dans la polyarthrite rhumatoïde et obtenu son remboursement en France. Dans la RCH, une cinquantaine de patients ont pu avoir une autorisation temporaire d’utilisation avant sa commercialisation en rhumatologie. La demande d’AMM européenne est en cours dans la RCH et ensuite le dossier sera déposé en France pour obtenir le prix et son indication avec remboursement. Concernant les deux autres inhibiteurs de JAK 1, sélectifs dans ces cas, des essais de phase III sont en cours tant dans la maladie de Crohn que la RCH.

Une demande d’AMM européenne est en cours dans la rectocolite hémorragique pour le tofacitinib

Leur positionnement dans la stratégie thérapeutique

Le positionnement de ces molécules va dépendre de celui proposé par les autorités de santé (première ou seconde ligne thérapeutique en cas d’échec des anti-TNF ?). Actuellement, aucune étude face à face n’a été montrée pour orienter ce positionnement même si la voie orale est souvent préférée par les patients. Sans nul doute, cette classe thérapeutique enrichira notre arsenal thérapeutique dans le MICI : JAK is back.

Le positionnement de ces molécules va dépendre de celui proposé par les autorités de santé

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent les liens d’intérêts suivants : XR : participation à des essais cliniques en qualité d’investigateur principal : Gilead ; interventions ponctuelles pour les laboratoires Abbvie et Pfizer. PV : participation à des essais cliniques en qualité d’investigateur principal : Gilead. SP déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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