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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Observations commentées : un hépatocarcinome sur foie hyperéchogène et une hépatite chronique chez une adolescente Volume 26, numéro 9, Novembre 2019

Cas clinique 1 : Un hépatocarcinome sur foie hyperéchogène

Vous évaluez un homme de 59 ans qui présente une adénomatose hépatique avec un hépatocarcinome. Son histoire n’est pas marquée par des évènements particuliers. Il n’y a pas d’antécédent familial particulier. Il a travaillé comme jardinier toute sa vie sans aucune difficulté. Il est assez corpulent avec un abdomen pléthorique (tour de taille à 123 cm). C’est à l’occasion de douleurs abdominales, qu’il a été hospitalisé et que l’échographie a montré de multiples nodules au sein d’un foie hyperéchogène. IRM hépatique et biopsie dirigée indiquent un hépatocarcinome du segment V associé à de multiples adénomes hépatiques. Son bilan sanguin indique ASAT 52 IU/L (N < 34), ALAT 40 UI/L (N < 44), phosphatases alcalines 121 UI/L (N < 114), GGT 33 IU/L (N < 54), bilirubine totale 11 micromol/L (N < 16), créatinine 74 micromol/L, glycémie à jeun 6,2 mmol/L, alphafœtoprotéine 4 microg/L, albuminémie 41 g/L, TP 100 %. NFS plaquettes normale [1].

Comment complétez-vous l’évaluation de ce patient en dehors des considérations carcinologiques ?

Compte tenu de la corpulence, il faut reprendre l’interrogatoire en cherchant la consommation d’alcool et les prises médicamenteuses, mesurer la pression artérielle et compléter la recherche de facteurs de risques par : glycémie et insulinémie à jeun, hémoglobine glycosylée, hyperglycémie provoquée par voie orale, calcul du score HOMA-IR, cholestérolémie, triglycéridémie, HDL-cholestérol, uricémie et chercher une hépatite virale B et C.

Cependant, la situation de polyadénomatose n’est pas banale sur ce type de foie. Il faut certainement étendre la réflexion pour rechercher une cause plus rare de maladie du foie sous-jacente. L’interrogatoire devra être complété pour repérer des antécédents d’hypoglycémie, des dégouts ou appétences spécifiques alimentaires. L’examen clinique cherchera attentivement des anomalies neurologiques, des troubles du comportement, une atteinte musculaire ou tout autre symptôme qui pourrait orienter vers une cause particulière.

Pour exploiter au maximum les données disponibles, il faut essayer de reprendre la biopsie réalisée pour étudier le parenchyme non tumoral à la recherche d’éléments d’orientation. Enfin, il faudra compléter les explorations pour écarter une hémochromatose, une maladie de Wilson, une hépatite auto-immune ou encore un déficit en alpha-1 anti-trypsine.

L’examen clinique est normal sauf qu’il existe une hépatomégalie très modérée. Il n’y a aucun signe de maladie alcoolique du foie, il ne prend aucun autre médicament, il n’existe aucun dégoût ni appétence particulière. Sérologies hépatite C et hépatite B sont négatives, la recherche d’hémochromatose et d’hépatite auto-immune est négative. Céruléoplasmine, cuprurie des 24 heures et dosage plasmatique d’alpha-1 anti-trypsine sont normaux. Le bilan indique alors ASAT 113 UI/L, ALAT 84 UI/L, phosphatases alcalines 213 UI/L, GGT 66 UI/L, bilirubine totale 29 micromol/L, créatinine 66 micromol/L, glycémie à jeun 4,7 mmol/L, alphafœtoprotéine 3 microg/L, albuminémie 37 g/L, TP 100 %, V 100 %, glycémie post-prandiale 11,8 mmol/L au maximum, triglycérides 1,36 mmol/L (N < 1,99), cholestérolémie 4,4 mmol/L (N 2,9-6,5), hémoglobine glycosylée normale. La biopsie réalisée ne concerne que le parenchyme tumoral et ne laisse aucun doute sur l’aspect typique d’hépatocarcinome [1].

Que pensez-vous de ces résultats et comment aller plus loin ?

Ce bilan ne montre pas d’anomalie lipidique et permet d’écarter certaines causes de maladies rares du foie. L’hyperglycémie post-prandiale pourrait orienter vers un diabète de surcharge débutant, cependant l’hémoglobine glyquée est normale. Elle pourrait aussi correspondre à une anomalie biologique orientant vers une glycogénose hépatique de type III, VI ou IX [2, 3]. En effet, dans ces anomalies enzymatiques, le glucose absorbé par voie orale ne peut plus être stocké sous forme de glycogène puisque le foie est en surcharge glycogénique. Le glucose ingéré est dirigé rapidement vers l’entrée du cycle de Krebs. Mais comme la charge est importante, tout le pyruvate ne peut être transformé en acétylCoA et une partie sera transformée en lactate. Donc, si l’on voulait étayer cette hypothèse, on pourrait faire une épreuve d’hyperglycémie provoquée par voie orale en couplant, à chaque temps, un dosage de glycémie et d’acide lactique plasmatique. L’élévation post-charge glycémique de la glycémie et des lactates pourrait orienter vers ces causes. L’hypothèse d’une glycogénose de type I est improbable car il n’y a pas d’hyperuricémie ni d’hypertriglycéridémie.

Cependant, entre-temps, après concertation pluridisciplinaire, il est décidé de réaliser une résection segmentaire de la tumeur. L’intervention se déroule sans problème particulier et les suites opératoires sont simples.

La relecture du segment réséqué quatre ans plus tôt indique, en sus des lésions d’hépatocarcinome, en foie non tumoral, une fibrose F2 et des hépatocytes clarifiés de grande taille avec des grains PAS positif qui disparaissent après digestion par l’amylase suggérant du glycogène. L’épreuve d’hyperglycémie provoquée par voie orale montre toujours une hyperglycémie post-prandiale autour de 12 mmol/L et une élévation de l’acide lactique à 4,2 mmol/L (N : 0,5-1,7). L’HbA1c reste normale.

Ces résultats orientent vers une glycogénose hépatique et le patient se rappelle que, lorsqu’il était enfant, un médecin avait parlé de glycogénose de type I pour expliquer son gros ventre mais aucune donnée médicale n’est disponible et il n’a jamais présenté de symptomatologie particulière par la suite.

Comment poursuivre le diagnostic et le confirmer ?

Un complément de bilan sanguin montrera une uricémie à 0,37 mmol/L (N 0,2-0,42), le dosage des créatinines kinases (CK) est normal, la numération sanguine ne montre pas de neutropénie, le patient n’a jamais fait d’infection sévère et il n’y a pas d’hypoglycémie ni d’hyperlactatémie de jeune. Une glycogénose de type IA ou B (avec neutropénie) est improbable.

Le phénotype modéré avec absence d’hypoglycémie de jeûne et de symptôme musculaire fait évoquer la possibilité d’une glycogénose III, VI ou IX [2, 3]. Le dosage de l’activité de l’enzyme débranchante sur globule rouge est l’examen le plus simple et le plus rapide à réaliser [3]. Il va monter une diminution à 0 mmol/24 h/mg Hb (N : 8-34). L’étude en biologie moléculaire montrera des mutations délétères hétérozygotes composites sur le gène AGL. Le diagnostic final est celui d’une glycogénose type IIIb en raison de l’absence d’atteinte musculaire, des CK normales et du bilan cardiaque normal. Le traitement reposera sur l’administration de sucre lent sous forme de maïzena, une augmentation des prises alimentaires et de la ration protidique sans majoration de l’apport énergétique. Si l’étude de l’activité de l’enzyme débranchante sur globule rouge avait montré une activité normale, il aurait fallu poursuivre des investigations spécialisées par un dosage de l’activité phosphorylase et phosphorylase kinase sur prélèvement frais de globules rouges et effectuer une étude en biologie moléculaire des gènes PYGL (glycogénose type VI), PHKA2, PHKB et PHKG2 (glycogénoses de type IX) [4].

Commentaires

Les glycogénoses hépatiques sont des maladies héréditaires à transmission autosomique récessive sauf certaines formes de glycogénoses de type IX (les plus fréquentes) qui sont à transmission liée à l’X [4]. Dans les glycogénoses de type III, VI ou IX, la maladie s’exprime souvent dans la petite enfance par la découverte d’une hépatomégalie molle, d’un retard de croissance et quelques épisodes d’hypoglycémies parfois sévères [2, 3]. Mais cette symptomatologie peut être incomplète ou passer inaperçue. Les symptômes s’améliorent avec l’âge et bien souvent l’hépatomégalie n’est plus trop perceptible après l’adolescence [2]. Dans les glycogénoses type IIIa (forme la plus courante), l’atteinte du foie s’associe à une atteinte musculaire qui se manifeste biologiquement dans l’enfance (élévation importante des transaminases et des CK) avec une faiblesse musculaire progressive puis devient le symptôme clinique et le handicap le plus important après l’âge de 20 ans. Il peut aussi exister une cardiomyopathie. Les glycogénoses IIIb sont des formes d’expression hépatique pure et peuvent (comme les glycogénoses IIIa) évoluer vers une cirrhose, la formation d’un adénome et/ou d’un hépatocarcinome [3].

Les glycogénoses de type VI et IX ont un phénotype très proche de la glycogénose IIIb mais encore plus dégradé avec une normalisation fréquente des signes cliniques et biologiques dans la seconde enfance ou à l’adolescence mais persiste une stéatose parfois avec bilan hépatique et lipidique normal [2]. Alors que ces maladies étaient considérées comme des glycogénoses « bénignes », avec le temps, il est décrit de plus en plus de cas d’adénome, de cancérisation et parfois de cirrhose chez les patients devenus adultes. Il n’y a pas de traitement spécifique à proposer chez eux mais il est indispensable d’organiser leur surveillance pour dépister ces complications hépatiques [2, 4].

Les glycogénoses hépatiques de type I ont des manifestations métaboliques plus intenses (hypoglycémies de jeûne court avec hyperlactatémie de jeûne, hypertriglycéridémie et hyperuricémie) mais l’atteinte hépatique n’est pas fibrosante. Les patients peuvent développer très tôt des adénomes multiples du foie et des hépatocarcinomes, ce d’autant que l’équilibre métabolique n’est pas satisfaisant. Certains patients avec des déficits enzymatiques moins sévères peuvent ne se révéler qu’à l’âge adulte.

Cas clinique 2 : Une hépatite chronique chez une adolescente

Vous recevez en consultation une adolescente de 16 ans qui présente des perturbations du bilan hépatique depuis plus de six mois et pour lesquelles son médecin traitant demande votre avis. Ces anomalies ont été découvertes à l’occasion d’un bilan général réalisé pour une fatigue. L’examen clinique révèle une hépatomégalie souple qui déborde de 2 cm sans splénomégalie, poids 60 kg taille 160 cm IMC 23,5. Les examens réalisés initialement montrent : GB 8 800/mm3, GR 4 080 000/mm3, Hb 11,6 g/dL, VGM 85 micron3, 690 000 plaquettes/mm3, PNN 60,5 %, PNE 2,5 %, PNB 0,1 %, lymphocytes 27,9 %, monocytes 9 %. TP 97 %, TCA 33 s/35 s. ASAT 46 UI/L (N < 50) ALAT 64 UI/L (N < 36), GGT 20 UI/L (N < 22), phosphatases alcalines 606 UI/L (N < 660), bilirubine totale 7 μmol/l, cholestérol total 6,43 mmol/L (N : 2,06-4,77), triglycérides 1,19 mmol/L. L’échographie montre un foie homogène hyperéchogène sans dilatation des voies biliaires, sans lithiase vésiculaire ou anomalie des axes vasculaires.

Comment compléter l’évaluation de cette élévation persistante des transaminases après six mois ?

Le médecin traitant a effectué une surveillance mensuelle du bilan hépatique établissant la stabilité des anomalies qui persistent. Au fil des prélèvements, il a complété l’enquête étiologique par des sérologies infectieuses négatives (hépatite B, hépatite C, hépatite E, mycoplasme, CMV, EBV, toxoplasmose). Vous complétez les explorations par d’autres examens : céruléoplasmine, cuprémie et cuprurie des 24 heures normales ; absence d’hypergammaglobulinémie et auto-anticorps du foie négatifs (Ac anti-noyaux, anti-muscle lisse, anti-cytosol, anti-LKM, ANCA, anti-transglutaminases) ; dosage des CK normaux ; acides biliaires sériques 5 μmol/L ; bilan thyroïdien normal. Le contrôle du bilan lipidique à jeun a indiqué une cholestérolémie normale. Vous envisagez de réaliser une biopsie hépatique.

Avant de programmer la biopsie hépatique, vous reprenez l’évaluation clinique de la patiente. Qu’allez-vous chercher à l’interrogatoire ?

La croissance staturo-pondérale a toujours été régulière. La patiente est la première enfant d’un couple de parents non consanguins. L’interrogatoire va chercher des prises de médicament hépato-toxiques et pouvant générer une stéatose hépatique. Vous reprenez les antécédents personnels, familiaux et faites une enquête alimentaire à la recherche d’erreurs diététiques, de dégoût ou d’appétence spécifique pour certains aliments (à cet âge, vous pouvez poser la question de consommation de drogues illicites et d’alcool mais la réponse sera négative et la probabilité très faible). La patiente, accompagnée de sa mère, va vous indiquer qu’elle ne consomme pas de fruit ni de produit sucré car ces aliments la dégoûtent. Elle consomme volontiers des légumes sauf les carottes. Parfois, la prise involontaire de produits contenant des traces de sucre déclenche un malaise avec pâleur suivi parfois de vomissements. Sa mère confirme que cette situation perdure depuis toujours et que la diversification alimentaire s’est effectuée de manière incomplète mais que tout le monde s’est habitué et que cela fait partie de la normalité pour la famille. C’est la raison pour laquelle, elles n’avaient pas signalé cette particularité alimentaire. Intrigué, vous examinez sa dentition qui est parfaite, il n’y a pas de saignement gingival et la patiente comme sa mère vous indiquent qu’elle n’a jamais fait de carie jusqu’à présent. Son transit intestinal est normal.

Allez-vous réaliser la biopsie du foie ou demandez-vous des examens complémentaires particuliers ?

Ce cas clinique est authentique et doit faire évoquer typiquement une intolérance héréditaire au fructose (déficit en aldolase B). Les examens que vous allez demander vont contrôler le bilan hépatique (ASAT 74 UI/L (N < 50) ALAT 113 UI/L (N < 36), GGT 26 UI/L (N < 22), phosphatase alcalines 650 UI/L (N < 660), bilirubine totale 7 μmol/L), chercher des signes de tubulopathie (ionogramme sanguin : Na 137 mmol/L, K 4,8 mmol/L, Cl 100 mmol/L, RA 22 mmol/L, protides 80 g/L, urée 6,1 mmol/L, créatinine 49 μmol/L, glycémie 4 mmol/L, uricémie 223 μmol/L, bandelette urinaire négative), chercher une carence en vitamine C (ici Vit C totale 7,25 mg/L (N : 4,6-10,6)) et confirmer le diagnostic par étude génétique en biologie moléculaire (recherche des mutations fréquentes connues ± séquençage du gène ALDOB). Le résultat de l’analyse génétique montrera chez cette adolescente une mutation homozygote A149P dont chacun des parents est porteur en simple dose [5].

Quel traitement allez-vous proposer et quelle surveillance allez-vous organiser ?

Les accès de pâleur lors de la prise d’aliments contenant des traces de saccharose (glucose + fructose) ou de fructose déclenchent des hypoglycémies dont la profondeur et la brutalité sont proportionnelles à la quantité ingérée [6]. Vous allez compléter le régime d’exclusion du fructose, du saccharose et du sorbitol déjà réalisé spontanément par la patiente avec l’aide d’une diététicienne [7]. Cela vaut aussi pour les produits ajoutés pour la préparation des aliments comme pour les excipients des médicaments (en particulier les suspensions utilisées pour les nourrissons). Cette maladie doit être signalée avec une carte d’urgence ou un document que le patient porte sur lui pour aider à la prise en charge médicale en cas d’urgence. Il faudra prescrire une supplémentation régulière en vitamine C (bihebdomadaire ou mensuelle) orale avec une préparation ne contenant pas de saccharose (forme injectable prise par voie orale ou préparation spécifique).

Commentaires

L’intolérance héréditaire au fructose est une maladie rare dont la reconnaissance est probablement sous-estimée. La transmission est autosomique récessive. Le dégoût des sucres caractéristique qui « protège » les patients apparait après l’âge de cinq mois si bien que nouveau-né et nourrisson peuvent faire des formes sévères en cas d’ingestion de fructose ou de saccharose (hypoglycémie, coma, vomissements, insuffisance hépatique sévère et tubulopathie profonde en cas de prises régulières répétées). Le pronostic sous régime et supplémentation en vitamine C pour éviter un scorbut est excellent. Il n’y a aucune atteinte neurologique ou intellectuelle, l’atteinte rénale, si présente, régresse complètement. Classiquement, à long terme le pronostic hépatique est excellent mais persiste une stéatose hépatique avec un bilan hépatique anormal par intermittence [8]. La surveillance sera annuelle clinique, biologique (bilan hépatique et dosage de la vitamine C) et radiologique (échographie de dépistage d’éventuels adénomes).

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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