Hépato-Gastro & Oncologie Digestive
MENUMaladies vasculaires du foie Volume 25, numéro 8, Octobre 2018
Observation clinique n̊1
Une malade âgée de 27 ans vous est adressée pour découverte d’une splénomégalie avec thrombopénie. Cette malade a pour antécédent une leucémie aiguë lymphoblastique pré-B, mise en rémission il y a 5 ans par chimiothérapie, sans greffe de moelle. Elle a aussi eu une thrombose veineuse profonde durant le traitement de sa leucémie.
Son bilan biologique est le suivant : transaminases normales ; PAL 125 UI/L (normale < 100) ; GGT 172 UI/L (normale < 38) ; bilirubinémie 10 μmol/L ; TP 87 % ; plaquettes 96 000/mm3.
Le scanner ne montre pas de thrombose des veines hépatiques ni de la veine porte, et pas d’anomalie des voies biliaires. Il y a, outre une splénomégalie mesurée à 17 cm de grand axe, des voies de dérivations veineuses porto-systémiques (figure 1).
Un FibroScan® est effectué et évalue l’élasticité du foie à 6,8 kPa avec des critères de qualité satisfaisants (sonde M).
La recherche de cause de maladie du foie ne montre pas d’hépatite virale B ou C, pas de consommation de boissons alcoolisées, pas d’élément du syndrome métabolique, une ferritinémie et un dosage de l’alpha-1-antitrypsine sanguine normaux et pas d’argument pour une maladie auto-immune du foie ou une maladie de Wilson.
La maladie vasculaire porto-sinusoïdale (MVPS) est une maladie rare des petits vaisseaux du foie. Ce terme regroupe diverses atteintes précédemment nommées d’un point de vue histologique « hyperplasie nodulaire régénérative », « veinopathie portale oblitérante », « sclérose hépatoportale », « fibrose septale incomplète », « fibrose portale non cirrhotique » et d’un point de vue clinique « hypertension portale idiopathique », ou « hypertension portale intrahépatique non cirrhotique ». En effet, il y a un fort chevauchement entre toutes ces entités et à ce jour pas de conséquence pratique à les discriminer [1].
En revanche, la MVPS est à distinguer du syndrome d’obstruction sinusoïdale (SOS) et de la maladie veino-occlusive (MVO), car ces maladies sont primitivement sinusoïdales et centrolobulaires. Elles ont des causes différentes (en particulier la greffe de moelle) et une présentation clinique distincte avec notamment une plus grande fréquence de l’insuffisance hépatique.
Les deux modes de découverte principaux de la MVPS sont des anomalies inexpliquées des tests hépatiques et une hypertension portale sans cirrhose. Dans les deux cas, l’attention doit être attirée par l’absence de cause reconnue d’hépatopathie chronique, telle qu’une consommation excessive de boissons alcoolisées, un syndrome métabolique, une infection par le virus de l’hépatite B ou de l’hépatite C, une surcharge en fer, une hépatite auto-immune, une cholangite biliaire primitive, une cholangite sclérosante primitive ou une obstruction des veines hépatiques.
Les altérations des tests hépatiques associées à la MVPS sont variées. Il s’agit chez les deux tiers des malades d’élévation des transaminases, le plus souvent modérée, chez la moitié des malades d’élévation des phosphatases alcalines, parfois supérieures à deux fois la limite supérieure de la normale, et chez trois quarts des malades d’élévation des γ-GT [2, 3]. Dans deux études récentes ayant inclus plus de 1 200 malades avec anomalies inexpliquées du bilan hépatique, des lésions de MVPS étaient présentes dans 15 à 20 % des cas [4, 5]. Ces lésions de MVPS étaient fréquemment isolées, sans hypertension portale.
L’autre manifestation de la MVPS est l’hypertension portale (tableau 1). Un contraste entre une hypertension portale franche et des tests de fonction hépatique normaux ou quasi-normaux doit faire évoquer le diagnostic de MVPS. Ainsi, le TP est généralement supérieur à 50 % chez les malades avec MVPS. L’autre tableau qui doit alerter est le contraste entre les signes d’hypertension portale et une élasticité hépatique basse (FibroScan® < 10 kPa) [6].
Il faut noter que la thrombose de la veine porte est une conséquence de la MVPS, possiblement en raison du ralentissement du flux porte induit par le bloc intrahépatique. Cependant, une obstruction porte chronique peut aussi causer des remaniements du parenchyme hépatique proche d’une MVPS. Ainsi, en pratique, devant un malade ayant une thrombose porte ancienne, il n’est souvent pas possible de déterminer si la MVPS est la cause ou la conséquence de la thrombose porte.
Le diagnostic de MVPS est défini selon le réseau européen des maladies vasculaires du foie VALDIG, par une des trois associations suivantes (tableau 1 et figure 2)[1] :
- a)absence de cirrhose prouvée par une biopsie hépatique adéquate et au moins un signe spécifique d’hypertension portale ;
- b)absence de cirrhose prouvée par une biopsie hépatique adéquate et au moins un signe histologique spécifique de MVPS ;
- c)absence de cirrhose prouvée par une biopsie hépatique adéquate, et au moins un signe non signe spécifique d’hypertension portale et au moins un signe histologique non spécifique de MVPS.
Une biopsie hépatique est considérée comme adéquate si elle mesure plus de 20 mm de long après fixation et est peu/pas fragmentée ou bien est considérée adéquate par un anatomopathologiste expert.
Si la biopsie est effectuée par voie transjugulaire, le gradient de pressions veineuses hépatiques peut être mesuré. En raison du bloc présinusoïdal, en cas de MVPS, le gradient de pressions veineuses hépatiques mesuré par voie transjugulaire n’est pas corrélé au gradient porto-systémique [7], ce qui a deux conséquences : (a) un gradient de pressions veineuses hépatiques à moins de 10 mm Hg n’élimine pas la présence de varices gastro-œsophagiennes ; (b) un gradient de pressions veineuses hépatiques à moins de 10 mm Hg chez un malade ayant des signes évidents d’hypertension portale constitue un argument de plus en faveur d’une MVPS. Des voies de dérivations veino-veineuses hépatiques doivent être systématiquement cherchées en effectuant une opacification des veines hépatiques par du produit de contraste avec un ballonnet gonflé en veine hépatique. En effet, ces voies de dérivations sont souvent présentes en cas de MVPS alors qu’elles sont rares en cas de cirrhose. Elles faussent l’interprétation de la mesure de pression de la veine hépatique bloquée, mais constituent un argument de plus en faveur d’une MVPS.
De nombreuses affections ont été rapportées associées à l’existence d’une MVPS. Elles sont résumées dans le tableau 2.
L’histoire naturelle des formes de MVPS sans hypertension portale n’est pas connue. Il est possible qu’une proportion importante de ces malades ne développe jamais de signes d’hypertension portale. Ainsi, deux séries autopsiques ont trouvé une prévalence de l’hyperplasie nodulaire régénérative de 2 à 3 % en population générale et la grande majorité de ces malades n’avaient pas de signes d’hypertension portale [5].
L’histoire naturelle des formes avec hypertension portale est mieux connue. L’hémorragie digestive par rupture de varices est l’évènement clinique le plus fréquent, touchant près de la moitié des malades qui ne reçoivent pas de prophylaxie. Même lorsqu’une prophylaxie de la rupture de varices œsophagiennes est mise en place, le risque à 5 ans d’hémorragie digestive est de 25 %. La mortalité causée par une hémorragie digestive par rupture de varices demeure faible, soit 3 % à 6 semaines [3, 9].
L’ascite n’est habituellement pas présente et survient le plus souvent au cours d’évènements intercurrents tels qu’une infection ou une hémorragie digestive. Sa présence témoigne d’un stade plus avancé de la maladie puisqu’elle était associée à un risque accru de décès [9].
L’encéphalopathie hépatique est une manifestation encore plus rare et elle est habituellement causée par des dérivations porto-systémiques de fort calibre.
Le syndrome hépato-pulmonaire pourrait toucher jusqu’à 10 % des malades.
L’évolution vers une insuffisance hépatique avancée n’est pas habituelle, mais est possible.
La thrombose porte est fréquente en cas de MVPS avec hypertension portale, touchant un tiers des malades à 5 ans. Les malades qui ont une infection VIH ou dont le diagnostic de maladie du foie a été révélé par une rupture de varices sont particulièrement à risque [3]. Étant donné cette incidence, une surveillance radiologique de la perméabilité de la veine porte est proposée même s’il n’existe pas de littérature appuyant directement cette pratique.
Contrairement à la cirrhose, la survenue d’un carcinome hépato-cellulaire est exceptionnelle en cas de MVPS.
La survie à 10 ans des malades avec MVPS et hypertension portale va de 56 à 82 %. La mortalité est liée aux maladies extrahépatiques associées à la MVPS plutôt qu’aux complications de la maladie hépatique [9].
Dans les formes de MVPS sans hypertension portale, l’évolution n’étant pas connue, une simple surveillance peut être proposée. Cette surveillance biologique, par imagerie voire par endoscopie, a pour but de dépister la survenue de signes d’hypertension portale qui modifieraient alors le suivi et la prise en charge.
Chez les malades avec hypertension portale, en l’absence d’étude concernant spécifiquement cette maladie, on propose de prendre en charge les varices gastro-œsophagiennes comme chez les malades avec cirrhose [10, 11].
La mise en place d’une prothèse intrahépatique de dérivation porto-cave par voie trans-jugulaire (TIPS) peut être envisagée pour les malades avec hémorragie digestive non contrôlée par les traitements médicaux et endoscopiques. Les résultats sont alors favorables [7]. Lorsqu’il existe une ascite réfractaire, les résultats du TIPS sont moins bons, surtout lorsque la créatininémie est supérieure à 100 μmol/L et/ou lorsqu’il y a des comorbidités importantes [7].
La transplantation hépatique est une option pour les malades avec ascite réfractaire ou insuffisance hépato-cellulaire avancée, en l’absence de contre-indication. La survie à long terme rapportée après transplantation hépatique est bonne [12].
Étant donné la survenue fréquente de thrombose porte chez les malades avec MVPS, une anticoagulation préventive systématique est discutée. Cette stratégie va être évaluée dans le cadre d’un PHRC national français nommé « APIS » dont les inclusions débuteront en 2019.
Observation clinique n̊2
Un malade âgé de 55 ans vous est adressé pour prise en charge d’une première décompensation œdemato-ascitique révélant une probable cirrhose. Ce malade a eu une consommation excessive de boissons alcoolisées qui a duré près de 30 ans et qui a été interrompue totalement depuis 4 mois. Le malade a aussi un syndrome métabolique avec un indice de masse corporelle à 28 kg/m2, une hypertension artérielle et un diabète de type II.
Une endoscopie digestive haute est effectuée et montre des varices œsophagiennes de grande taille. Une échographie abdominale décrit une thrombose partielle de la veine porte (figure 4). Un traitement par propranolol et diurétiques est instauré.
La thrombose de la veine porte est la complication thrombotique la plus fréquente chez les malades avec cirrhose [13]. Son incidence augmente avec la gravité de la cirrhose. Ainsi, dans une cohorte française incluant 1 243 malades atteints de cirrhose Child-Pugh A ou B, l’incidence cumulée de la thrombose porte était de 11 % à 5 ans. Cette incidence était d’autant plus élevée que la maladie du foie était avancée, comme en témoigne une association entre la survenue de thrombose porte et les varices œsophagiennes et un taux de Quick bas [14]. Cette association avec la gravité de la cirrhose est aussi illustrée par la forte prévalence de la thrombose porte (jusqu’à 25 %) chez les candidats à une transplantation hépatique [15]. Chez la majorité des malades, ces thromboses portes sont partielles.
Chez les malades atteints de cirrhose, la thrombose de la veine porte est le plus souvent asymptomatique et découverte lors d’une échographie-doppler hépatique effectuée dans le cadre du dépistage semestriel du carcinome hépatocellulaire ou bien à l’occasion à une décompensation de la maladie du foie. Plus rarement, la thrombose de la veine porte peut être symptomatique (douleurs abdominales), typiquement lorsque la thrombose s’étend aux veines mésentériques induisant une souffrance intestinale.
La sensibilité de l’échographie doppler hépatique pour le diagnostic de thrombose de la veine porte est de l’ordre de 90 %, mais de seulement 50 % pour les thromboses spléniques ou mésentériques [16]. Un scanner abdomino-pelvien avec injection de produit de contraste (ou une IRM en cas de contre-indication au scanner) est nécessaire lorsqu’une thrombose de la veine porte est suspectée ou identifiée par une échographie. En effet, le scanner permet de porter fermement le diagnostic, mais aussi de définir précisément l’étendue de la thrombose, de chercher un facteur déclenchant intraabdominal et de détecter des potentielles complications (signes d’ischémie mésentérique). Le scanner permet aussi d’écarter le diagnostic différentiel majeur qu’est l’obstruction tumorale de la veine porte. En effet, 10 à 40 % des carcinomes hépatocellulaires survenant dans un contexte de cirrhose s’associent à une telle obstruction tumorale de la veine porte. Les éléments qui doivent faire suspecter une obstruction tumorale sont 1) une élévation du taux sérique d’alphafœtoprotéine, 2) un diamètre augmenté de la veine porte (> 23 mm), 3) une hyperartérialisation du matériel endoluminal au temps artériel. Lorsqu’il persiste un doute sur la nature de l’obstruction portale, une échographie de contraste ou une biopsie de la veine porte intrahépatique peuvent être effectuées [11].
La thrombose porte survenant chez les malades avec cirrhose est multifactorielle et semble impliquer un équilibre précaire entre les facteurs pro- et anticoagulants, une diminution du flux sanguin portal et des altérations vasculaires endothéliales [17]. Plusieurs études ont évalué la prévalence des anomalies innées ou acquises de la coagulation chez les malades avec cirrhose et thrombose de la veine porte [18]. Si la prévalence de la mutation G20210A du gène de la prothrombine est possiblement modestement augmentée chez les malades avec cirrhose et thrombose de la veine porte, sa recherche systématique n’est pas recommandée car elle n’a pas de conséquence pratique [18]. Les protéines C, S et antithrombine étant synthétisées par le foie, leurs taux circulants en cas de cirrhose sont un reflet de la fonction hépatique et n’ont pas d’utilité pratique dans la prise en charge des thromboses portes.
L’indication du traitement anticoagulant pour la thrombose de la veine porte dans un contexte de la cirrhose n’est pas très bien codifiée et doit prendre en compte plusieurs éléments : la localisation de la thrombose, son extension, la gravité de la cirrhose, le taux de plaquettes et l’existence ou non d’un potentiel projet de transplantation hépatique. En effet, l’objectif principal du traitement anticoagulant est d’éviter la survenue d’une thrombose complète de la veine porte qui contre-indiquerait une future transplantation hépatique et d’éviter une ischémie mésentérique chez les malades avec atteinte de la veine mésentérique.
Ainsi, un traitement anticoagulant doit être envisagé chez les malades n’ayant pas de contre-indication définitive à une transplantation hépatique et chez ceux ayant une atteinte de la veine mésentérique supérieure.
Une méta-analyse récente a montré que l’anticoagulation chez les malades atteints de cirrhose avec thrombose porte permet de diminuer le risque d’extension de la thrombose de 33 % à 9 % et d’augmenter le taux de recanalisation de 42 % à 71 % [19]. La tolérance des anticoagulants semble bonne. La même méta-analyse a même suggéré moins d’hémorragies liées à l’hypertension portale en cas de traitement anticoagulant (12 vs. 2 %). Néanmoins, un taux de plaquettes inférieur à 50 000/mm3 doit inciter à la prudence, car ces malades ont un sur-risque d’hémorragies non liées à l’hypertension portale [20]. À l’arrêt du traitement anticoagulant, le risque de récidive de la thrombose de la veine porte a été évalué à 38 %, justifiant une surveillance par imagerie rapprochée [20].
En cas d’obstruction veineuse porte d’origine tumorale, le traitement anticoagulant n’est pas indiqué.
Il existe encore peu de données concernant l’utilisation anticoagulants oraux directs chez les malades atteints de cirrhose. Ces traitements semblent permettre un taux de recanalisation portale similaire aux anti-vitamines K [21]. Cependant, les anticoagulants oraux directs ne sont pas recommandés pour le traitement des thromboses de la veine porte chez les malades avec cirrhoses en raison de la possible survenue chez ces malades d’insuffisance hépatique et/ou rénale.
Liens d’intérêts
PER : PHRC national 2017 APIS (Apixaban for intrahepatic non cirrhotic portal hypertension). AP : déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.
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