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L’impact prédictif de la latéralité sur l’efficacité des biothérapies dans le cancer colorectal métastatique : que vive le bon sens mais que ne meurt pas l’evidence-based medicine ! Volume 25, numéro 10, Décembre 2018

On parle souvent de biomarqueurs mais rarement de marqueurs anatomiques ! Pourtant, l’efficacité des biothérapies (anti-EGFR ou anti-VEGF) en première ligne du cancer colorectal métastatique (CCRM) pourrait être liée à la topographie de la tumeur primitive sur le cadre colique (latéralité gauche ou droite).

En effet, l’analyse rétrospective non pré-planifiée et de sous-groupes des essais FIRE-3 et CALGB80405 (comparant en phase III une bichimiothérapie + cétuximab versus une bichimiothérapie + bévacizumab en première ligne métastatique des cancers colorectaux RAS sauvage) a récemment révélé qu’outre le caractère pronostique déjà connu de la latéralité (les cancers du côlon droit ont un moins bon pronostic que les cancers du côlon gauche), il existait un impact prédictif d’efficacité des biothérapies en fonction de la localisation tumorale de la tumeur primitive sur le cadre colique.

La localisation du primitif colique a un impact pronostique et prédictif d’efficacité des biothérapies dans les cancers colorectaux métastatiques

Il existait en effet un bénéfice en termes de survie globale en faveur du cétuximab pour les cancers du côlon gauche (survie globale médiane de 38,3 mois versus 28,0 mois ; p = 0,002 dans l’étude FIRE-3 et de 39,3 mois versus 32,6 mois ; p = 0,05 dans l’étude CALGB80405) et en faveur du bévacizumab, bien que la différence ne soit pas significative, pour les cancers du côlon droit (18,3 mois versus 23 mois dans l’étude FIRE-3 et 16,7 mois versus 24,2 mois dans l’étude CALGB80405 respectivement) [1, 2].

Les cancers coliques métastatiques de localisation gauche répondent mieux aux anti-EGFR qu’au bévacizumab

Ces résultats ont été confortés par l’analyse rétrospective d’essais évaluant séparément l’apport de ces biothérapies et par une méta-analyse [3]. Cette dernière suggère également que seuls les cancers colorectaux métastatiques de primitif colique gauche bénéficient de l’ajout d’un anti-EGFR à la chimiothérapie en termes de survie globale (HR 0,69 ; IC95 % : 0,58-0,83 ; p < 0,0001 vs. HR 0,96 ; IC95 % : 0,68-1,35 ; p = 0,802 pour les primitifs du côlon droit).

Seuls les cancers coliques métastatiques de localisation gauche bénéficient de l’ajout d’un anti-EGFR à une chimiothérapie cytotoxique

Il se cache bien entendu derrière ces données inattendues une explication biologique liée au caractère différent des carcinogénèses coliques droites et gauche et des profils mutationnels (instabilité génomique à gauche et chromosomique à droite). L’analyse des résultats selon la classification CMS (Consensus Molecular Subtype) ne permet cependant qu’une explication très partielle de cet impact prédictif différent selon la localisation tumorale primitive. L’expression de micro-ARN, notamment de Mir31-3p, pourrait éclaircir les choses puisqu’il est sous-exprimé dans deux cancers coliques gauches sur trois favorisant l’efficacité des anti-EGFR et surexprimé dans la même proportion des cancers coliques droits favorisant le bévacizumab [4]. Il n’est cependant pas réalisable en routine.

La carcinogenèse et notamment la biologie moléculaire pourrait expliquer en partie cet impact prédictif de la latéralité

La compréhension de l’impact prédictif de la latéralité se complique à la lumière des résultats de l’analyse de la réponse tumorale puisque les anti-EGFR semblent garder une efficacité au moins équivalente au bévacizumab dans les cancers coliques droits [3].

En pratique, faut-il rester pragmatique et utiliser l’anatomie comme marqueur majeur de choix de la biothérapie en première ligne du cancer colorectal métastatique comme le suggèrent les recommandations européennes [5] ou à l’inverse nier ces résultats issus d’analyses rétrospectives de sous-groupes et de méthodologie peu robuste ? La position française est en définitive intermédiaire et à l’évidence « raisonnable ». Elle consiste à ne pas retenir la latéralité comme unique critère de choix afin de ne pas oublier les critères robustes déjà bien identifiés : présentation métastatique de la maladie, caractère symptomatique et/ou menaçant de la maladie tumorale, présence d’une mutation de BRAF, objectif de résécabilité potentielle, etc. [6].

La latéralité doit être un des critères pris en compte pour le choix du traitement de première ligne des cancers colorectaux métastatiques mais ne saurait être un critère exclusif

Avant qu’une explication biologique fiable, reproductible et faisable en routine ne soit déterminée, la latéralité doit être un critère pris en compte dans la discussion du choix du traitement de première ligne mais ne saurait être un critère exclusif. Alors, que vive le bon sens mais que ne meurt pas l’evidence based-medicine !

Liens d’intérêts

l’auteur déclare les liens d’intérêts suivants : interventions ponctuelles pour les laboratoires Merck, Roche et Amgen.

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