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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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L’adénocarcinome de l’intestin grêle compliquant une maladie de Crohn iléale : un diagnostic rare et parfois difficile à faire Volume 26, numéro 1, Janvier 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

Cas clinique

Une femme de 43 ans suivie depuis 17 ans pour maladie de Crohn iléale terminale quiescente sous azathioprine consulte son médecin pour des douleurs lombaires droites associées à un syndrome fébrile. Le bilan biologique prescrit montrait une importante augmentation de la concentration de la protéine C-réactive (CRP pour C-reactive protein) à 130 mg/L, des leucocytes normaux à 8 400/mm3, et un ECBU positif à Escherichia coli. Une antibiothérapie par ciprofloxacine était initiée et le traitement immunosuppresseur suspendu.

Devant la persistance d’un syndrome douloureux avec fièvre après 15 jours d’antibiothérapie, et du fait de l’apparition d’une diarrhée, la patiente était hospitalisée et une entéro-IRM réalisée montrant des éléments en faveur d’une iléite inflammatoire, 8 cm en amont de la valvule de Bauhin, s’étendant sur 6 cm, inflammation aiguë compliquée de deux abcès de 2,5 et 3 cm de grand axe ainsi qu’une inflammation annexielle droite de contact et une urétéro-hydronéphrose droite (uretère dilaté à 13 mm) présumée réactionnelle à l’infiltration inflammatoire péri-urétérale (figure 1). Le bilan rénal était toutefois normal.

Une bi-antibiothérapie était débutée permettant une amélioration de la symptomatologie.

Un contrôle échographique 10 jours plus tard ne visualisait plus d’abcès, mais la persistance de l’iléite.

Une coloscopie était réalisée quatre semaines après l’hospitalisation, ne montrant aucune lésion de maladie de Crohn au niveau colique. L’iléoscopie était techniquement impossible à réaliser.

Quel traitement envisagez-vous par la suite chez cette patiente ?

Le caractère très limitée et isolée de l’atteinte iléale et la présence d’une fistulisation avec abcès ont conduit à opter pour un traitement chirurgical (résection iléocæcale) en poursuivant une renutrition à domicile jusqu’au geste chirurgical.

Une semaine avant la date prévue pour l’intervention chirurgicale, la patiente était de nouveau hospitalisée pour des douleurs abdominales diffuses avec fièvre. Un scanner abdominal réalisé en urgence montrait une majoration des abcès englobant l’uretère droit et notait cette fois-ci des images hypodenses bilobaires hépatiques des segments I, V, VII et VIII. Les cavités pyélocalicielles droites étaient dilatées avec un pyélon mesuré à 25 mm. Les figures 2 et 3 correspondent au scanner et à l’IRM hépatique qui étaient alors réalisés.

Quel diagnostic évoquez-vous ?

Les images hépatiques évoquaient des abcès hépatiques, raison pour laquelle une antibiothérapie a été reprise. Une sonde JJ a été posée à droite du fait de la dilatation pyélocalicielle et une résection iléocæcale avec double stomie en canon de fusil a été réalisée.

L’histologie a toutefois mis en évidence un adénocarcinome ulcérant la muqueuse et infiltrant toute l’épaisseur de la paroi intestinale grêle, avec atteinte de la section chirurgicale périphérique péri-intestinale grêlique et une adénopathie métastatique (1/37), de stade pT4N1 compliquant la maladie de Crohn.

Une biopsie hépatique était réalisée sur une des lésions. L’analyse anatomo-pathologique était en faveur d’une métastase d’un adénocarcinome de type intestinal compatible avec une origine iléale.

Une chimiothérapie ciblée était instaurée qui s’est malheureusement avérée inefficace avec une progression tumorale hépatique et l’apparition d’une carcinose péritonéale. La patiente est décédée 24 mois après le diagnostic.

Discussion

Les abcès hépatiques sont une complication rare mais non exceptionnelle des MICI, en particulier dans la maladie de Crohn où leur incidence est 15 fois supérieure à celle observée dans la population générale [1]. Ils surviennent le plus souvent en phase active de la maladie, quel que soit son siège ou son ancienneté avec un rôle potentiellement favorisant des traitements par corticoïdes ou immunosuppresseurs [2]. Ils sont souvent multiples, prédominent dans le lobe droit et sont favorisés par l’existence concomitante d’un foyer infectieux intra-abdominal plus souvent que biliaire [3]. Le diagnostic peut être rendu difficile par la coexistence des signes de la MICI. Le couple échographie + scanner est important pour le diagnostic et la ponction transcutanée confirme le diagnostic et guide l’antibiothérapie. Les bactéries le plus souvent identifiées sont des streptocoques de type milleri.

Le piège diagnostique majeur est comme dans notre observation la survenue d’un adénocarcinome de l’intestin grêle avec métastases hépatiques synchrones prises à tort pour des abcès.

La survenue d’un adénocarcinome du grêle compliquant une maladie de Crohn reste rare avec une incidence dans les séries les plus importantes aux alentours de 1,7 %, et un diagnostic fait plus souvent sur la pièce opératoire comme c’est le cas dans notre observation [4]. La durée médiane d’évolution de la maladie de Crohn avant la découverte de l’adénocarcinome de l’intestin grêle est généralement longue, variant de 10 à 15 ans, avec une localisation élective au niveau de l’iléon terminal avec parfois la coexistence de lésions dysplasiques [5, 6]. La survie est encore moins bonne que celle de l’adénocarcinome de novo (ou sporadique) qui est de 20 à 33 % à 5 ans. La chimiothérapie adjuvante semble apporter un bénéfice en termes de survie bien que cela n’ait pas été formellement démontré par des études randomisées [7]. En situation palliative, les protocoles de chimiothérapies (et de thérapies ciblées) utilisés sont les mêmes que ceux utilisés pour le traitement de l’adénocarcinome colique.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

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