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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Intérêt pronostique du TEP-TDM dans la prise en charge du carcinome hépatocellulaire Volume 26, numéro 9, Novembre 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

  • Figure 5

  • Figure 6

  • Figure 7

  • Figure 8

Tableaux

Introduction

La tomographie par émission de positons (ou TEP) est une technique d’imagerie nucléaire fonctionnelle permettant la détection d’émetteurs de positons dont le plus utilisé est le fluor 18 du fait de ses nombreux avantages (physiques, biochimiques, logistiques…). Le principal médicament radiopharmaceutique marqué au fluor 18 disponible est le fluorodéoxyglucose (FDG) qui représente plus de 90 % des TEP en France (données 2018 de la Société Française de Médecine Nucléaire). Il permet d’étudier le métabolisme du glucose, accru au sein des cellules tumorales. Avec ce traceur, la TEP est depuis plusieurs années très largement utilisée dans la stratégie de prise en charge de nombreux cancers, couplée à la tomodensitométrie (ou TEP-TDM). Elle est notamment reconnue pour sa sensibilité en termes d’évaluation initiale néoplasique mais aussi dans le cadre du suivi de la réponse au traitement, d’évaluation de la récurrence et de prédiction pronostique.

Le carcinome hépatocellulaire (ou CHC) est la plus fréquente des tumeurs hépatiques malignes et reste la troisième cause de décès par cancer dans le monde. Son incidence, à l’échelle mondiale, continue à croître, dans un contexte d’augmentation de l’obésité, de la consommation d’alcool et de la forte prévalence des hépatites virales en Asie et en Afrique. Comme le montre la classification BCLC, dite « de Barcelone », il existe un large éventail d’options thérapeutiques, à la fois chirurgicales, localement ablatives et systémiques dont le choix se base sur l’état général du malade, la gravité de la cirrhose, la présence d’une hypertension portale significative, et enfin sur les critères morphologiques de la tumeur (taille et nombre de nodules). Ne figurant actuellement pas dans les recommandations de prise en charge du CHC en raison d’une sensibilité trop faible au diagnostic décrite dans la littérature, des données récentes montrent que l’utilisation de la TEP pourrait modifier la stratégie thérapeutique et le devenir du malade. L’objectif de cette mini-revue est de faire le point sur l’intérêt pronostic de la TEP dans la prise en charge du CHC.

La tomographie par émission de positons

La TEP est aujourd’hui l’un des meilleurs exemples de l’apport de la médecine nucléaire en pratique clinique courante. Désormais centrale dans la prise en charge de nombreux cancers, il s’agit d’une technique d’imagerie fonctionnelle reposant fréquemment sur les métabolismes cellulaires, par exemple glucidique ou lipidique. Son principe général, similaire à celui de la scintigraphie, consiste en l’injection d’une faible quantité d’un traceur marqué par un atome radioactif (dont le comportement et les propriétés biologiques sont connus) afin d’obtenir une image de sa distribution, du fonctionnement de l’organe ou de la cible moléculaire. Le radioélément émet des positons dont l’annihilation au contact d’un électron de la matière produit deux photons énergétiques émis à 180̊ degrés l’un de l’autre. Eux-mêmes seront ensuite détectés par la caméra TEP visualisés sous la forme d’images en coupe représentant la biodistribution du radiotraceur (figure 1)[1, 2]. Les images fonctionnelles de détection initiales (dites non corrigées de l’atténuation) sont améliorées grâce à la connaissance des densités des tissus qu’apporte la scanographie ou tomodensitométrie (TDM). Ces images corrigées de l’atténuation sont également converties en mode couleur pour être superposées et fusionnées à la TDM, permettant une localisation anatomique précise dans le corps (image TDM) en trois dimensions des sites de fixation normaux et pathologiques, améliorant la performance de la TEP seule (figure 2). L’intensité de la fixation du traceur peut être facilement quantifiée par un index, le standard uptake value ou SUV. Le traceur le plus fréquemment utilisé, le fluorodésoxyglucose (ou FDG), rentre dans la cellule après liaison aux protéines de transport membranaire, subit l’activité de l’hexokinase pour donner le FDG-6-Phosphate, qui n’est pas un substrat des enzymes de la glycolyse et reste donc au sein de la cellule (figure 3)[3]. Marqué au fluor 18 (ou 18-FDG), il entre en compétition avec le glucose et vient s’accumuler au sein des cellules tumorales, les tumeurs étant le siège d’une augmentation du transport membranaire du glucose et de l’activité des principales enzymes de la glycolyse. Plus récemment, la 18F-fluorocholine (18-FCH) est également utilisée, la choline étant un précurseur de la biosynthèse des phospholipides qui composent les membranes cellulaires [4].

En utilisant ces différentes voies physiologiques énergétiques, la TEP objective l’activité métabolique globale des cellules, qu’elles soient cancéreuses ou non. Il est donc important de rappeler, dans l’interprétation de cet examen, la distribution corporelle physiologique du FDG ; par exemple au niveau cérébral, des voies excrétrices urinaires et rénales, de certains muscles lisses comme le myocarde et l’appareil digestif (à faible intensité) (figure 4). Ce métabolisme n’étant pas spécifique, toute cause aboutissant à une augmentation de la glycolyse peut être à l’origine d’une hyperfixation, avec un risque de faux-positif (intervention chirurgicale, radiothérapie ou épisode infectieux récent, maladies systémiques inflammatoires telles que les granulomatoses, etc.). Enfin, pour rappel, le diabète constitue une contre-indication relative, l’examen pouvant être pratiqué dans des conditions de bon équilibre glycémique. Attention toutefois à la prise de metformine qui peut provoquer une fixation colique gênante à l’interprétation.

En pratique, l’examen se déroule en trois temps : après mesure de la glycémie capillaire, le traceur radiomarqué est injecté par voie intraveineuse directe chez le patient à jeun depuis au moins six heures, allongé, au repos musculaire. Un temps de repos d’au moins 45 à 60 minutes est ensuite observé puis les acquisitions TDM et TEP sont réalisées durant environ 30 minutes.

Les tumeurs sont le siège d’une augmentation du transport membranaire du glucose et de la glycolyse expliquant leur fixation en TEP au FDG

La tomographie par émission de positons en cancérologie

De façon générale, on présuppose que l’activité métabolique d’une tumeur est modifiée bien avant que les changements au niveau anatomique ne se produisent. La détection de cette perturbation de signal biochimique au sein de la néoplasie est le principe même de l’utilisation de la TEP en cancérologie [5]. De fait, l’autorisation de mise sur le marché (AMM) a été accordée au FDG en 1998 pour certaines indications précises en oncologie, élargies avec l’AMM européenne en 2002 [1]. Ses prérogatives concernent le diagnostic de la maladie primitive, le bilan d’extension initial et secondaire, l’évaluation de la réponse au traitement et encore la recherche de récidive. Dans plusieurs maladies néoplasiques, cette technique d’imagerie nucléaire apporte un bénéfice certain par rapport à l’imagerie conventionnelle par scanner (TDM) ou IRM, modifiant les pratiques dans plusieurs indications (tableau 1)[1]. L’un des meilleurs exemples de l’apport considérable de la TEP au FDG en cancérologie est celui du lymphome. De nombreux types histologiques étant fortement avides en glucose, leur détection par TEP-FDG en est nettement facilitée. Le travail de Barrington et al. de 2014, basé sur les résultats d’une vingtaine d’études publiées depuis le début des années 2000, a montré que la réalisation d’une TEP-FDG au diagnostic modifiait le stade de la maladie dans 15 % à 40 % des cas selon les études et la décision thérapeutique dans 3 % à 25 % des cas avec d’excellentes sensibilités et spécificités [6]. Un autre exemple est celui du cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC), où la TEP-FDG montre une sensibilité et une spécificité de 91 et 86 % pour la détection de la maladie médiastinale contre 75 et 66 % pour le scanner. Ces données ont rendu sa réalisation incontournable [7].

Quid de l’oncologie digestive ?

Sur le plan digestif, l’indication de TEP au FDG la plus courante dans la littérature est la recherche de récidive dans le cancer colorectal [8]. Elle doit, dans ce cadre, s’intégrer dans une stratégie de détection précoce de reprise évolutive, afin de sélectionner les patients pouvant bénéficier d’une intervention chirurgicale curative de ceux présentant une récidive locale ou métastatique [9]. Plusieurs études des années 2000 ont montré, dans cette indication, une modification thérapeutique dans 25 à 60 % des cas [10]. Dans le cancer de l’œsophage, la TEP au FDG trouve également une place de choix. Supérieure aux autres imageries pour la détection de lésions secondaires à distance de l’œsophage [11], elle est actuellement recommandée dans le bilan d’extension pré-thérapeutique avant radiochimiothérapie ou chirurgie, en complément du scanner et de l’échoendoscopie (figure 5)[12]. Dans la mise à jour récente de ces recommandations, la TEP au FDG est également recommandée pour la stadification initiale du cancer du canal anal, pour les tumeurs T2-T4 N0 et pour toutes les tumeurs N+ [13].

La TEP au FDG est recommandée pour la recherche de récidive dans le cancer colorectal et dans le bilan d’extension du cancer de l’œsophage

Tomographie par émission de positons et carcinome hépatocellulaire

En ce qui concerne le CHC, la sensibilité de la TEP-FDG dans le diagnostic initial a été montrée comme relativement limitée dans la littérature (55 % à 70 % contre 90 % pour le scanner avec injection), particulièrement pour les tumeurs de petites tailles ou les tumeurs bien différenciées [14]. Cette faible performance de la TEP-FDG a pu être expliquée par les caractéristiques métaboliques du CHC. En effet, la présence importante de glucose-6-phosphatase au sein des cellules tumorales hépatiques bien différenciées va entrainer la déphosphorylation du FDG et sa sortie potentielle des cellules (figure 6)[3]. Ces données ont conduit à une idée préconçue que la TEP-FDG avait une valeur clinique limitée chez les patients atteints de CHC. En conséquence elle ne figure pas dans les guidelines pour le bilan ou la prise en charge du CHC et en hépatologie, le TEP-TDM se cantonne à la caractérisation des diagnostics différentiels.

La sensibilité de la TEP au FDG dans le diagnostic de carcinome hépatocellulaire a été montrée comme limitée dans la littérature particulièrement pour les tumeurs bien différenciées

Intérêt pronostique dans le carcinome hépatocellulaire ?

Malgré l’absence de recommandation concernant l’utilisation du TEP-TDM en pratique clinique courante pour le CHC, l’intérêt est croissant et différents travaux récents tendent à montrer des modifications de prise en charge après sa réalisation. D’une part, la TEP-TDM au FDG a été décrite dans plusieurs études comme supérieure dans la détection de lésions secondaires de CHC par rapport à l’imagerie conventionnelle par scanner ou IRM [15-17]. Ces ajustements au niveau du staging peuvent aboutir à une modification de la prise en charge thérapeutique et ont donc un impact pronostique. Expliquée par une tendance plus fréquente des CHC peu différenciés à métastaser, une corrélation est trouvée entre l’intensité de la SUV du CHC primitif au TEP-FDG et le développement de métastases extra-hépatiques [17]. Dans une étude récente chinoise ayant inclus plus de 400 patients, des modifications de staging à l’issue de la TEP étaient trouvés chez 5 % des patients BCLC-A et chez 1,4 % des patients BCLC-B, suggérant une utilité clinique et pronostique à la réalisation d’une TEP au FDG chez ces différents sous-groupes de malades [18].

La TEP-TDM au FDG est supérieure à l’imagerie conventionnelle dans la détection de lésions secondaires de carcinome hépatocellulaire menant à une actualisation du staging

D’autre part la TEP a également pu montrer une augmentation de la détection de récidive post-traitement lors d’une élévation inexpliquée de l’alphafœtoprotéine [19] et est décrite dans un nombre croissant de travaux comme associée aux caractéristiques biologiques d’agressivité du CHC [20-22]. Des études moléculaires ont révélé qu’une accumulation tumorale de FDG était associée à une surexpression des gènes promoteur de l’angiogenèse [22]. En effet, la fixation FDG du CHC étant associée au degré de différenciation tumorale et donc à l’agressivité du cancer on suppose que l’intensité de la fixation au TEP est corrélée au pronostic de la maladie [17]. Plusieurs études se sont par exemple intéressées à l’impact pronostic de la fixation au TEP FDG chez des patients traités de façon palliative pour CHC (incluant la chimioembolisation, le sorafénib et la radiothérapie) ; chez ces patients, une faible intensité de fixation au TEP-FDG était associée à de meilleures survies sans progression et globales [17].

La TEP-FDG est associée aux caractéristiques biologiques d’agressivité du carcinome hépatocellulaire

Enfin, il existe un intérêt croissant pour l’utilisation de la TEP utilisant un autre traceur, la 18F-fluorocholine notamment pour les hépatocarcinomes modérément à bien différenciés (compte tenu des caractéristiques métaboliques particulières du CHC). Le travail japonais de Y. Yamamoto et al souligne la performance de la TEP-Choline qui détecte avec une sensibilité de 75 % les CHC bien à moyennement différenciés contre 42 % pour la TEP-FDG [23], les deux techniques devenant alors complémentaires (figure 7). Cette meilleure sensibilité de la TEP-Choline par rapport au FDG est également trouvée par une équipe française [24] qui a également montré que les caractéristiques de fixation des deux traceurs pourraient avoir un impact pronostique, en particulier en termes de récidive [25]. Dans cette optique, l’étude récente rétrospective de J.C. Nault et al. a montré que l’utilisation des deux TEP-TDM, au FDG et à la fluorocholine, permettait une nette amélioration de la sensibilité pour le diagnostic initial de CHC, conduisant à une actualisation du staging par rapport à l’imagerie conventionnelle chez 11 % des patients de l’étude et à des modifications de prise en charge thérapeutique chez 14 % des patients (figure 8). Cette étude révélait également que 44 % des lésions douteuses visualisées à l’imagerie conventionnelle revenaient positives après les deux TEP et que sur les 36 patients inscrits sur liste de transplantation pour CHC, deux en sortaient définitivement pour lésions secondaires osseuses [26].

Conclusion

La tomographie par émission de positons couplée au scanner (TEP-TDM) est une technique d’imagerie métabolique et fonctionnelle déjà bien utilisée en pratique clinique courante en oncologie, essentiellement avec le FDG et ayant révolutionné les pratiques et recommandations dans plusieurs cancers. Bien que la TEP-FDG soit considérée comme peu sensible pour le diagnostic de CHC et donc non recommandée à l’heure actuelle au cours de sa prise en charge, de nombreuses études soulignent ses capacités de détection métastatique notamment extra-hépatique et de la récidive, la corrélation de ses paramètres de fixation avec l’agressivité biologique du CHC, et l’amélioration de la détection des lésions primitives grâce à l’ajout de la TEP-Choline. Les données apportées par la TEP peuvent conduire à une actualisation du staging et à des modifications de la prise en charge thérapeutique impactant de façon claire le pronostic du malade. La réalisation de TEP-TDM dans certains cas de CHC est d’ailleurs conforme au Guide du Bon Usage des examens d’imagerie médicale1, avec la TEP à la fluorocholine en cas de carcinome hépatocellulaire bien différencié pour le bilan d’extension des lésions intrahépatiques et la détection des métastases extrahépatiques et la TEP au FDG en cas de carcinome hépatocellulaire peu différencié, avant greffe ou pour sa valeur pronostique. Nous manquons encore d’études prospectives à l’heure actuelle et d’une homogénéité des paramètres tumoraux, de la fonction hépatique sous-jacente des patients et des paramètres de mesure au TEP-TDM dans les études. Néanmoins, il semble exister suffisamment de preuves indiquant que la TEP pourrait être utilisée en pratique clinique dans la prise en charge des patients atteints de CHC, comme témoin fiable de l’agressivité biologique de la tumeur et du devenir des patients.

Liens d’intérêts

SD déclare des interventions ponctuelles pour les laboratoires Novartis, Intercept, AbbVie, Sandoz et être membre d’un comité scientifique pour Nanobiotix.

Take home messages

  • La TEP-FDG (tomographie par émission de positons au fluorodéoxyglucose) est une technique d’imagerie métabolique fonctionnelle ayant révolutionné les pratiques dans de nombreux cancers comme le lymphome ou le cancer bronchique non à petites cellules.
  • En oncologie digestive, la TEP-FDG est recommandée pour la recherche de récidive dans le cancer colorectal et dans le bilan d’extension pré-thérapeutique du cancer de l’œsophage.
  • La sensibilité de la TEP-FDG dans le diagnostic de carcinome hépatocellulaire (CHC) a été montrée comme limitée dans la littérature particulièrement pour les tumeurs bien différenciées.
  • La tomographie par émission de positons au fluorodéoxyglucose couplée au scanner (TEP-TDM) est supérieure à l’imagerie conventionnelle dans la détection de lésions secondaires de CHC menant à une actualisation du staging.
  • La TEP-FDG est associée aux caractéristiques biologiques d’agressivité du CHC et pourrait avoir un impact pronostic sur le devenir du malade.


1 http://gbu.radiologie.fr

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