JLE

Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

MENU

Étude TAGS, un nouveau pas en avant pour le TAS 102 en oncologie digestive Volume 26, numéro 5, Mai 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

Tableaux

Introduction

À l’échelle mondiale, l’adénocarcinome gastrique représente respectivement la 5e et la 3e localisation tumorale en termes d’incidence et de mortalité [1]. En France, l’incidence et la mortalité de l’adénocarcinome gastrique diminuent à l’instar de la tendance mondiale. Le nombre de nouveaux cas annuellement diagnostiqués en France est ainsi passé de 9 000 à 6 585 entre 1980 et 2015 et le taux de mortalité par cancer gastrique a diminué de moitié sur les 30 dernières années. Cependant, il n’existe pas aujourd’hui en France de politique organisée de dépistage en dehors des formes familiales et/ou génétiques. Ainsi, la majorité de ces cancers est découverte à un stade avancé [2]. Le traitement de première ligne comporte le plus souvent respectivement une association 5-FU, sel de platine ± trastuzumab ou docétaxel en présence ou en l’absence d’une surexpression de HER2. Après progression ou intolérance, un traitement de seconde ligne peut être proposé en cas d’état général conservé et comprendra un schéma à base d’irinotécan ou de taxane si non utilisée jusqu’à présent. Seule une minorité de patients (moins d’un tiers) conserve un état général et nutritionnel compatible avec l’initiation d’un traitement de 3e ligne. Lors de l’initiation de cet essai et jusqu’à présent en France, aucun traitement n’avait apporté un service médical rendu et un bénéfice jugés cliniquement suffisants pour être validés et remboursés dans cette situation carcinologique. Le TAS 102 est un nouvel agent anti-néoplasique, qui comporte deux principes actifs : un analogue nucléosidique de la thymidine (le trifluracile) qui vient s’incorporer à l’ADN en bloquant sa synthèse et un inhibiteur de la thymidine phosphorylase (le chlorhydrate de tipiracil) qui bloque la dégradation du trifluracile et augmente ainsi sa biodisponibilité [3]. Ce traitement est validé en monothérapie en Europe, au Japon et aux États-Unis pour le traitement des adénocarcinomes colorectaux métastatiques chimioréfractaires suite à la publication de deux essais positifs de phase III [4, 5]. Une étude de phase II (EPOC1201) a montré l’intérêt du TAS 102 chez les patients avec adénocarcinome gastrique métastatique et en échec d’au moins une ligne de chimiothérapie [6]. Le traitement était administré chez 29 patients aux posologies usuelles et était associé à une médiane de survie globale (SG) de 8,7 mois (IC 95 % 5,7-14,9 mois) et un taux de contrôle néoplasique de 65,5 % (19/29 patients). L’étude de phase III TAGS avait donc comme objectif d’évaluer l’efficacité et le profil de tolérance de l’association trifluridine/tipiracil chez les patients avec adénocarcinome gastrique métastatique chimioréfractaire.

L’étude de phase III TAGS avait donc comme objectif d’évaluer l’efficacité et le profil de tolérance de l’association trifluridine/tipiracil chez les patients avec adénocarcinome gastrique métastatique chimioréfractaire

Le schéma de l’étude

Il s’agit d’une étude multicentrique de phase III, contrôlée contre placebo, réalisée dans 110 centres hospitaliers publics répartis au sein de 17 pays. Les critères d’inclusion correspondaient à un âge ≥ 18 ans, un adénocarcinome gastrique ou de la jonction œsogastrique métastatique confirmé histologiquement, un stade OMS ≤ 1, l’absence de dysfonction d’organe cliniquement significative de même que l’absence d’anomalie notable sur les paramètres biologiques standards (numération formule sanguine, transaminase, bilirubine et créatinine). Les patients devaient avoir préalablement été traités par au moins deux lignes de traitement comprenant l’administration d’une fluoropyrimidine, d’un sel de platine, d’un traitement anti-HER2 en cas de statut HER2 positif et enfin d’un traitement par taxane et/ou irinotecan. Les patients étaient randomisés (2:1) entre trifluridine/tipiracil ou placebo et les facteurs de stratification correspondaient à la région géographique (Japon contre le reste du monde), le stade OMS (0 contre 1) et un traitement préalable par ramucirumab. L’objectif principal de l’étude correspondait à la survie globale (SG) et l’étude était conçue pour détecter une réduction du risque de décès de 30 % dans le bras trifluridine/tipiracil (soit un Hazard ratio (HR) à 0,70). Les objectifs secondaires étaient la survie sans progression (SSP), le temps jusqu’à détérioration significative de l’état général (stade OMS ≥ 2), le taux de réponse objective et de contrôle néoplasique, la qualité de vie et la tolérance du traitement. Le traitement était administré par voie orale deux fois par jour (trifluridine/tipiracil 35 mg/m2/dose ou placebo) aux jours 1 à 5 (J1-5) puis aux jours 8 à 12 (J8-12) de chaque cycle de traitement (1 cycle de traitement = 28 jours). Le traitement était poursuivi jusqu’à progression, apparition d’une toxicité inacceptable ou retrait du consentement. Les critères d’interruption et d’adaptation de posologie sont conformes à ceux indiqués dans le résumé des caractéristiques du produit (RCP). Brièvement, une diminution de dose était autorisée (réduire la dose par administration de 5 mg/m2) en cas de neutropénie fébrile, de neutropénie de grade 4 (< 0,5 G/L) ou thrombopénie de grade 4 (> 25 G/L) nécessitant de différer l’initiation du cycle suivant de plus d’une semaine ou en cas d’effet indésirable non hématologique de grade 3 ou 4 (selon la terminologie du National Cancer Institute's Common Terminology Criteria for Adverse Events (version 4.03)), à l’exception des nausées et/ou vomissements de grade 3 contrôlés par un traitement antiémétique ou des diarrhées contrôlées par un médicament antidiarrhéique. Les critères de reprise du traitement correspondaient à un taux de polynucléaires neutrophiles > 1,5 G/L et un taux de plaquettes > 75 G/L. Un scanner thoraco-abdomino-pelvien était réalisé dans les 28 jours précédant l’administration de la première cure puis toutes les 8 semaines et l’évaluation de la réponse était réalisée dans le centre investigateur selon les critères RECIST 1.1 habituels.

Les résultats

Un total de 507 patients a été inclus et randomisé entre février 2016 et janvier 2018 (n = 337 et 170 patients dans les bras trifluridine/tipiracil et placebo, respectivement). Les caractéristiques clinicobiologiques des patients sont indiquées en tableau 1. Un total d’au moins trois lignes de chimiothérapie antérieure était administré chez 63 % (211/337) et 62 % (106/170) des patients des bras trifluridine/tipiracil et contrôle, respectivement. La durée médiane du traitement correspondait à 6,7 (écart interquartile (EIQ) 5,7-16,6) et 5,7 semaines (1,8-6,4) et la dose intensité moyenne du traitement reçue était de 0,85 (DS = 0,15) et 0,89 (0,16) dans ces mêmes sous-groupes de patients.

Efficacité

L’étude est positive sur son critère de jugement principal puisqu’il existait une amélioration significative de la SG chez les patients du bras expérimental (5,7 mois (IC 95 % = 4,8-6,2) contre 3,6 (3,1-4,1), HR = 0,69 [IC 95 % : 0,56-0,85], p = 0,00058, figure 1). Les patients du bras trifluridine/tipiracil tiraient également avantage du traitement en termes de SSP (2,0 mois (IC 95 % = 1,9-2,3) contre 1,8 mois (1,7-1,9), HR = 0,57 [IC 95 % = 0,47-0,70], p < 0,0001, figure 2) et de temps jusqu’à détérioration significative de l’état général (4,3 mois (IC 95 % = 3,7-4,7) contre2,3 (2,0-2,8) ; HR = 0,69 [IC 95 % = 0,56-0,85], p = 0,00053). Les patients du bras trifluridine/tipiracil présentaient un taux de RO et de contrôle néoplasique à la première évaluation de 4 % (13/290) et 44 % (128/290) contre 2 % (3/145) (p = 0,28) et 14 % (21/145) (p < 0,0001) du bras placebo.

L’étude est positive puisqu’il existait une amélioration significative de la survie globale chez les patients du bras expérimental (5,7 mois contre 3,6) quel que soit le sous-groupe de traitement

Tolérance

Un effet indésirable de grade 3 ou plus était rapporté pour 267 (80 %) et 97 (58 %) des patients des groupes trifluridine/tipiracil et placebo, respectivement. Les effets indésirables les plus fréquents sont rapportés dans le tableau 2. Un décès toxique était rapporté dans chaque bras de traitement (arrêt cardiocirculatoire et hépatite toxique dans les bras tifluridine/tipiracil et placebo, respectivement). Une réduction de dose était réalisée chez 36 (11 %) et 2 (1 %) patients des groupes trifluridine/tipiracil et placebo, respectivement. Un arrêt du traitement était réalisé chez 43 (13 %) et 28 (17 %) patients des groupes trifluridine/tipiracil et placebo, respectivement.

Le profil de tolérance apparaissait acceptable

Discussion

Cette étude de phase III montre des résultats clairement positifs en faveur de l’association trifluridine/tipiracil. Un bénéfice statistiquement significatif sur la SG était observé en faveur du TAS 102 (5,7 vs. 3,6 mois, p = 0,00058) et ce, quel que soit le sous-groupe de traitement. Le profil de tolérance apparaissait acceptable et conforme aux toxicités antérieurement décrites (notamment hématologiques) [4, 5]. L’enthousiasme soulevé par ces résultats doit cependant être contrebalancé par les résultats positifs d’autres essais de phase III qui ont été publiés depuis l’initiation de cette étude [7, 8]. En effet, deux études évaluant contre placebo, d’une part un traitement par antiangiogénique (apatinib) et, d’autre part, une immunothérapie par anti-PD-1 (nivolumab) ont également montré un bénéfice en SG statistiquement supérieur en faveur du bras expérimental avec des médianes de SG apparaissant assez proches de celle communiquée dans l’essai TAGS (6,7 vs. 4,7 mois (apatinib vs. placebo) ; p = 0,0149 et 5,3 vs. 4,1 (nivolumab vs. placebo) ; p < 0,0001). Il faut néanmoins garder à l’esprit qu’il ne s’agit pas ici, d’une confrontation directe de ces molécules et que le recrutement des patients de ces deux dernières études était exclusivement asiatique n’autorisant donc pas une transposition de ces résultats à la population occidentale. Aucun de ces traitements n’est actuellement remboursé en France.

L’association trifluridine/tipiracil s’impose donc de nouveau en monothérapie après échec d’au moins deux lignes de chimiothérapie antérieures mais cette fois dans la situation des adénocarcinomes gastriques avancés réfractaires. Sous réserve de l’obtention de l’autorisation de mise sur le marché puis du remboursement dans cette indication, le TAS 102 pourrait devenir le nouveau standard de traitement au-delà de la deuxième ligne. Les perspectives concernent son utilisation en association à d’autres traitements et plusieurs essais de phase II sont actuellement en cours pour tester la combinaison du TAS 102 avec d’autres molécules comme le Nal-IRI (NCT03368963) ou le ramucirumab (NCT03686488).

L’association trifluridine/tipiracil s’impose donc de nouveau en monothérapie après échec d’au moins deux lignes de chimiothérapie antérieures mais cette fois dans la situation des adénocarcinomes gastriques avancés réfractaires

Liens d’intérêts

l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International