JLE

Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

MENU

Éradication systématique de Helicobacter pylori en prévention du cancer gastrique : sommes-nous vraiment à l’ouest ? Volume 26, numéro 9, Novembre 2019

Illustrations


  • Figure 1

Introduction

Helicobacter pylori est une bactérie dont la prévalence mondiale est de l’ordre de 50 %, prédominant en Asie, en Amérique centrale et en Amérique du Sud [1]. La prévalence de l’infection est plus faible en Occident et se situe entre 15 et 30 % en France. La découverte de son rôle dans la maladie ulcéreuse gastro-duodénale a valu le prix Nobel de médecine à Barry Marshall et Robin Warren en 2005. Depuis, le rôle de H. pylori a été confirmé ou fortement suggéré dans plusieurs situations. En France, les indications de recherche de H. pylori ont été précisées par la Haute Autorité de Santé (HAS) en 2017 sur la base des données des dernières conférences internationales [2] et concernent notamment les ulcères gastro-duodénaux, le lymphome du MALT (Mucosa-Associated Lymphoid Tissue), la prise d’aspirine ou d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) chez un patient ayant un antécédent d’ulcère gastroduodénal, la dyspepsie chronique sans lésion visible à la gastroscopie et l’anémie par carence en fer ou en vitamine B12 sans cause trouvée. H. pylori augmente également le risque de gastrite chronique, de dysplasie gastrique et d’adénocarcinome gastrique. Deux méta-analyses ont montré que l’éradication systématique de H. pylori était associé à une diminution de moitié du risque de cancer gastrique dans des populations asiatiques à fortes prévalences de l’infection à H. pylori et de cancer gastrique [3, 4].

L’éradication systématique de H. pylori est associé à une diminution de moitié du risque de cancer gastrique dans des populations asiatiques à fortes prévalences de l’infection à H. pylori et de cancer gastrique

Ainsi, le leitmotiv « un bon H. pylori est un H. pylori éradiqué » semble parfaitement s’appliquer à la pratique quotidienne. Toutefois, les données disponibles concernent des profils de patients très particuliers et sont difficilement généralisables à la population occidentale où la prévalence à la fois de l’infection à H. pylori et du cancer gastrique est plus faible. Le but de cette étude était d’évaluer l’évolution du risque de cancer gastrique, cardial ou non cardial, après éradication de H. pylori dans une population occidentale.

Patients et méthodes

Il s’agissait d’une étude rétrospective de type exposés-non exposés réalisée à l’échelle de la population suédoise. L’exposition correspondait au fait d’avoir reçu un traitement d’éradicationde H. pylori. Pour être inclus, les patients devaient être âgés de plus de 18 ans et avoir reçu un traitement d’éradicationde H. pylori entre 2005 et 2012 en Suède. Pendant cette période, le schéma recommandé en Suède était une trithérapie de 7 jours incluant un inhibiteur de la pompe à protons (IPP) et deux parmi les trois antibiotiques suivants : amoxicilline, clarithromycine ou métronidazole. L’identification du groupe de patients recevant un traitement d’éradication a été réalisée à partir du registre de prescription des médicaments suédois. Les facteurs confondants étudiés étaient l’âge, le sexe, la période de suivi et le lieu de résidence (rural ou urbain). Le critère de jugement était le diagnostic d’adénocarcinome gastrique cardial ou non-cardial basé sur les données du registre suédois des cancers. Le rapport d’incidence standardisé (SIR, pour le terme anglophone Standardized Incidence Ratio) était défini comme le rapport entre l’incidence du cancer gastrique chez les exposés par rapport à l’incidence attendu dans la population suédoise après ajustement sur les facteurs confondants et était présenté avec son intervalle de confiance à 95 %.

Résultats

Au total, 95 176 patients ont reçu un traitement d’éradication de H. pylori durant la période d’étudedont 53,6 % d’hommes. Parmi eux, 60,1 % avaient moins de 60 ans et 74,6 % résidaient en zone urbaine. Le suivi moyen était de 3,7 ans. Sur 351 018 patients-années, 75 cas d’adénocarcinome gastrique ont été identifiés (0,1 %), majoritairement des cancers non cardiaux (69/75, 92 %). Le rapport d’incidence standardisé (SIR) d’adénocarcinome gastrique diminuait en même temps que le délai écoulé depuis l’éradication augmentait. Les SIRs étaient de 8,65 [6,37-11,46] entre 1 et 3 ans, 2,02 [1,25-3,09] entre 3 et 5 ans et 0,31 [0,11-0,67] entre 5 et 7 ans et demi après le traitement d’éradication d’H. pylori (figure 1). Il en était de même pour les cancers du cardia SIR = 10,74 [7,77-14,46] après 1 à 3 ans, 2,67 [1,63-4,13] après 3 à 5 ans et 0,43 [0,16-0,93] après 5 à 7 ans et demi après traitement d’éradication. Vivre en zone urbaine n’augmentait pas le risque de cancer gastrique (Rapport d’incidence (IRR) 0,98 [0,59-1,61] ; p = 0,93). À l’intérieur du groupe de patients ayant reçu un traitement d’éradication, le sexe féminin et un âge inférieur à 60 ans étaient associés à un risque plus élevé de cancer gastrique durant le début du suivi (1-3 ans).

Commentaires

Cette étude a confirmé que l’éradication systématique de H. pylori diminue le risque d’adénocarcinome gastrique dans une cohorte occidentale telle que la population suédoise.

Cette étude a confirmé que l’éradication systématique de H. pylori diminue le risque d’adénocarcinome gastrique dans une cohorte occidentale telle que la population suédoise

On observait la confirmation du sur-risque d’adénocarcinome gastrique en présence de H. pylori. Il ne s’agit pas ici d’un scoop mais il est intéressant de rappeler l’ampleur de ce risque. S’il est multiplié par plus de 8 dans la cohorte suédoise étudiée, les auteurs ont observé une augmentation supplémentaire de ce risque chez la femme et les patients de moins de 60 ans. Ces résultats s’expliquent par le fait que dans ces deux sous-groupes, le risque de cancer gastrique est plus faible et l’impact de l’infection à H. pylori est plus important. Le risque d’adénocarcinome de l’estomac lié à H. pyloridiminuait dès la troisième année après l’éradication de la bactérie pour s’annuler à partir de 5 ans (le SIR devenant inférieur à 1).

Le risque d’adénocarcinome de l’estomac lié à H. pylori diminuait dès la troisième année après l’éradication de la bactérie pour s’annuler à partir de 5 ans

Toutefois, plusieurs limites doivent être soulignées dans cette vaste étude en population. Le caractère rétrospectif diminue fortement la qualité de cette étude exposés-non exposés même s’il faut souligner le soin avec lequel sont tenus ces registres puisque que la proportion de données manquantes était de moins de 0,3 % pour le registre de prescription des médicaments suédois, ce qui est remarquable. Le choix de la population de référence (non-exposés) est également à relever. Comme admis par les auteurs eux-mêmes, cette population incluait la cohorte de patients exposés ainsi que des patients porteurs de la bactérie sans avoir été dépistés même si la cohorte d’« exposés » ne représentait que 1,3 % de la population de référence. Cette limite semblait également contrebalancée, en partie, par le faible taux d’incidence de H. pylori en Suède (environ 15 %). De plus, le risque d’avoir choisi une telle population de référence était de masquer un éventuel effet de l’éradication de la bactérie sur le risque de cancer gastrique mais l’intensité des résultats était telle que cette limite ne semble pas avoir impacté le sens des résultats.

Un point intéressant se situait également dans la discussion de cet article. En effet, les auteurs rappelaient que, dans leur étude correspondant aux pratiques suédoise, la recherche de H. pylori n’était réalisée que chez des patients symptomatiques (ulcères gastro-duodénaux et dyspepsie essentiellement). Ils précisaient que malgré l’impact majeur de l’éradication de H. pylori sur le risque de cancer gastrique la recherche de la bactérie doit rester raisonnée et raisonnable eu égard au risque limité de développer un adénocarcinome gastrique en cas d’infection par la bactérie (risque estimé entre 1 et 3 %) et de l’impact d’une telle antibiothérapie sur la composition du microbiote, dont on sait ou suspecte fortement son implication dans de nombreuses maladies. Les recommandations de nos sociétés savantes sur le sujet en France, limite d’ailleurs les indications de recherche de H. pylori chez les patients asymptomatiques aux patients présentant déjà une augmentation du risque de cancer gastrique tels que les apparentés au premier degré à un patient ayant eu un cancer de l’estomac, en cas de syndrome HNPCC/Lynch, de prise d’aspirine ou d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) chez un patient ayant un antécédent d’ulcère gastroduodénal, d’antécédent personnel de gastrectomie partielle ou de lésions cancéreuses ou pré-néoplasiques gastriques et avant chirurgie de l’obésité de type bypass isolant une partie de l’estomac [2].

En pratique, il faut donc retenir que si la recherche de H. pylori doit être réalisée dans des indications bien définies, son éradication permet de diminuer de manière importante le risque d’adénocarcinome gastrique et devrait être systématiquement proposée en cas de résultat positif.

L’éradication de H. pylori permet de diminuer de manière importante le risque d’adénocarcinome gastrique et devrait être systématiquement proposée en cas de résultat positif

Liens d’intérêts

l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International