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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Cancer colorectal : du consensus moléculaire vers le consensus clinique ? Volume 25, numéro 7, Septembre 2018

Illustrations


  • Figure 1

Le cancer colorectal (CCR) a été l’un des premiers cancers à avoir été caractérisés d’un point de vue moléculaire. En 1990, la « séquence de Vogelstein » a permis de décrire le modèle d’accumulation progressive d’altérations génétiques et épigénétiques à la base du développement tumoral et de la progression du CCR.

Le cancer colorectal a été l’un des premiers cancers à avoir été caractérisé d’un point de vue moléculaire

Plusieurs gènes mutés ont ainsi été identifiés comme étant à la source de ce phénomène. La présence de mutations inactivatrices et de délétions de gènes suppresseurs de tumeurs (APC, TP53, SMAD4) et l’activation d’oncogènes (tels que KRAS, NRAS, BRAF et PIK3CA) a été caractérisée et largement décryptée.

En plus de ces mutations, des phénomènes d’instabilité chromosomique (80-85 % des CCR), d’instabilité microsatellitaire (MSI pour Microsatellite Instability) (∼ 15 % des CCR) et d’hyperméthylation des îlots CpG (CIMP pour CpG island methylator phénotype) (∼ 15 % des CRC) complètent la classification historique des CCR.

La classification moléculaire consensuelle des cancers colorectaux ou le consensus moléculaire transcriptomique

L’expression génique est strictement liée au phénotype cellulaire et aux caractéristiques tumorales, et a été largement utilisée pour identifier des sous-types biologiquement homogènes d’une maladie. Les classifications basées sur des données d’expression sont largement acceptées et exploitées dans plusieurs types de cancers, mais il a fallu du temps pour voir la survenue d’une étude de classification transcriptomique pour le CCR.

Entre 2012 et 2014, plusieurs études majeures de ce type ont été publiées presque simultanément [1-6]. Afin de résoudre les incohérences entre les différentes classifications du CCR et d’en faciliter la translation clinique, ces groupes ont convenu de partager leurs données respectives et d’établir une classification commune.

Six algorithmes de sous-typage du CCR ont été évalués. Un total de 4 151 patients provenant de 18 cohortes de données de CCR ont été analysés. Cela a abouti à une classification moléculaire consensuelle qui permet la catégorisation de la plupart des tumeurs en un des quatre sous-types robustes (« Consensus Molecular Subtypes », CMS), désignés CMS1, CMS2, CMS3 et CMS4 [7](figure 1).

Une classification moléculaire consensuelle permet la catégorisation de la plupart des tumeurs en quatre sous-types robustes

Ces groupes formellement déterminés par expression sont strictement liés à des caractéristiques biologiques, génomiques et épigénetiques, ainsi qu’aux taux de survie sans récidive (SSR), de survie globale (SG) et de survie après récidive (SAR).

Le groupeCMS1 (14 %, MSI) concerne principalement des femmes âgées atteintes d’un cancer du côlon proximal, peu ou non différencié. Ces tumeurs sont hautement mutées en raison d’une déficience dans la réparation des mésappariements de l’ADN (dMMR pour deficient MisMatch Repair) et expriment un phénotype d’instabilité microsatellitaire (MSI).

De plus, ces tumeurs sont associées à un phénotype hypermethylateur (CIMP-élevé), et à des mutations fréquentes de BRAFV600E[7]. Ces tumeurs se caractérisent par une forte infiltration par des lymphocytes T cytotoxiques CD8+, lymphocytes T auxiliaires CD4+ et des lymphocytes Natural Killer [8]. Ce groupe est caractérisé par une meilleure SSR, une SG intermédiaire et, paradoxalement, par une faible SAR [7].

Le groupe CMS2 (37 %, canonique) inclut principalement des patients atteints d’un cancer du côlon distal. Les caractéristiques biologiques consistent en un type épithélial avec une instabilité chromosomique dominante reflétée par des taux élevés d’altération du nombre de copies chromosomiques (CNA pour Copy Number Alterations) ; des microsatellites stables (statut MSS) ; des mutations fréquentes de TP53 et l’activation des voies WNT et MYC. Ces tumeurs de type canonique présentent une faible expression des signatures lymphocytaires et myéloïdes [8] correspondant à un désert immunitaire. Les patients CMS2 présentaient un meilleur taux de SAR que les autres sous-types.

Le groupe CMS3 (13 %, métabolique) est caractérisé par un type épithélial, un statut MSS (90 %) ou MSI (10 %), un taux faible de CNA et des mutations très fréquentes de KRAS. Ils montrent une faible expression des signatures lymphocytaires et myéloïdes [8]. D’un point de vue clinique, ce groupe était caractérisé par une survie intermédiaire [7].

Enfin, le groupe CMS4 (23 %, mésenchymale) concerne principalement des patients jeunes avec un CCR de stade avancé. Ces tumeurs présentent des taux élevés de CNA associés à un statut MSS et se caractérisent par une activation des voies TGF-ß et VEGF impliquées dans la transition épithélio-mésenchymateuse, un phénotype mésenchymateux et une importante infiltration stromale. Les patients du groupe CMS4 présentent une SG et une SSR moins bonne que les patients des autres groupes [7]. Ce sous-groupe exprime des marqueurs de cellules d’origine lymphoïde et monocytaire et présente également une signature angiogénique, inflammatoire et immunosuppressive. Ce sous-type mésenchymateux est caractérisé par une forte densité de fibroblastes qui produisent des cytokines qui favorisent l’inflammation associée à la tumeur et favorisent l’angiogenèse, entrainant un pronostic péjoratif [8].

Treize pour cent des patients sont restés « non classifiés » en raison de la présence de sous-types mixtes (épithéliaux et mésenchymateux) en proportion variable, ce qui représente un phénotype de transition ou une hétérogénéité intra-tumorale [7].

Impact thérapeutique de la classification moléculaire consensuelle des cancers colorectaux en 2018 ?

L’immunothérapie : la panacée du groupe CMS1

En 2015, une étude de phase II sur 41 patients a promptement ouvert la porte de l’immunothérapie dans les cancers digestifs [9]. Le principe de ce traitement repose sur l’utilisation d’anticorps monoclonaux qui permettent de bloquer le récepteur PD-1 (Programmed Death-1) ou son ligand PD-L1, qui contrôlent négativement la réponse immune Th1 cytotoxique. PD-L1 est exprimé à la surface d’environ 30 % des tumeurs solides, et entraîne une inhibition des réponses immunes anti-tumorales dans les cancers. Le blocage de PD-1 ou de PD-L1 stimule la réponse immune pouvant détruire la cellule tumorale.

Ce traitement a démontré son efficacité dans certains cancers présentant un grand nombre de mutations comme les cancers du poumon du fumeur ou les mélanomes. Parmi les cancers du côlon, les tumeurs MSI présentent une accumulation de mutations susceptible de générer des néo-peptides immunogéniques, qui peuvent être reconnus par les lymphocytes infiltrants la tumeur.

Le traitement par anticorps anti PD-1 et PD-L1 s’est ainsi révélé extrêmement efficace dans les CCR MSI. Toutefois, le lien entre une charge mutationnelle élevée et l’activation immunitaire est aussi observé dans les cas de CCR MSS hypermutés associés aux mutations de l’ADN polymerase-ε (POLE). Ces tumeurs, représentant environs 3 % des CCR, font partie (comme les MSI) du groupe CMS1, renforçant ainsi l’association entre CMS1 et immunothérapie.

Les anticorps anti-EGFR, toujours d’actualité

La thérapie ciblée par anticorps anti-EGFR (cetuximab, panitumuamb) est couramment utilisée dans la prise en charge des patients ayant un cancer colorectal au stade métastatique (CCRm). De nombreuses études rétrospectives et prospectives ont pu identifier des facteurs prédictifs moléculaires de réponse/non-réponse aux traitements par anticorps anti-EGFR. De ce fait, la présence de mutations dans les exons 2, 3 et 4 des gènes KRAS ou NRAS est prédictive de l’absence de réponse aux thérapies ciblées anti-EGFR pour le traitement des patients atteints de CCRm. Plusieurs autres altérations dans les voies de signalisation des MAP kinases et AKT/mTOR ont été suggérées comme étant impliquées dans la résistance aux anticorps anti-EGFR, telles que les mutations de BRAF, MEK1, ERBB2 et PIK3CA.

Les tumeurs quadruples négatives (sauvages pour KRAS, NRAS, BRAF et PIK3CA), représentant 30 % des CCRm, sont les plus susceptibles de répondre à la thérapie par anti-EGFR. De ce fait, les tumeurs du groupe CMS3 (très fréquemment RAS mutées) se trouvent en grand partie exclues de cette thérapeutique tandis que les tumeurs CMS2 sont les meilleures candidates à ce type de traitement.

Les tumeurs quadruples négatives (sauvages pour KRAS, NRAS, BRAF et PIK3CA), représentant 30 % des cancers colorectaux métastatiques, sont les plus susceptibles de répondre à la thérapie par anti-EGFR

Le groupe CMS4, en manque de traitement

Le facteur de transcription « Caudal-type homeobox 2 » (CDX2) est impliqué dans l’oncogenèse du CCR et a été proposé comme biomarqueur pronostique chez les patients ayant des cancers du côlon de stade II ou III [10]. Bien que l’expression de CDX2 soit un facteur pronostique globalement indépendant, la perte d’expression de ce gène a été trouvée exclusivement dans les groupes CMS4 et CMS1 et n’est pas associée à un moins bon pronostic dans le groupe CMS1 [11]. Au contraire, la perte d’expression de CDX2 est fortement pronostique chez les patients CMS4, se composant de cancers du côlon caractérisés par une signature de type cellule souche. La combinaison de la classification consensuelle CMS et de la perte d’expression CDX2 pourrait être un marqueur utile pour identifier des patients CMS4/CDX2-négatifs avec un très mauvais pronostic. Parmi les voies activées dans le groupe CMS4, certaines, telles que les voies du TGF-ß, du VEGF et des MAP kinases, pourraient représenter des cibles thérapeutiques potentielles.

Conclusion

La classification CMS est un outil de choix pour la stratification des CCR et l’identification de sous-types homogènes afin d’améliorer la sélection des patients en phase précoce pouvant bénéficier d’un traitement adjuvant, ou d’identifier les patients métastatiques susceptibles de bénéficier d’une thérapie ciblée spécifique.

Aujourd’hui les quatre groupes CMS présentent la meilleure description actuelle de l’hétérogénéité du CCR au niveau de l’expression génique ; toutefois la définition de ces groupes pourrait être améliorée en sous-groupes intra-CMS et aussi par une meilleure caractérisation des phénotypes mixtes (appartenance d’une tumeur à plusieurs groupes). Ainsi, si la classification des CCR représente une avancée majeure dans la compréhension des mécanismes moléculaires à l’origine de la transformation maligne des cellules épithéliales coliques, elle est aussi porteuse d’espoir dans le développement d’une approche de médecine de précision dans ce cancer à l’instar des autres cancers fréquents (sein et poumon).

Liens d’intérêts

CP déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article. PLP : interventions ponctuelles pour Amgen, Boerhinger-Ingelheim, MSD, BMS, Roche, Meck-Serono, Astra-Zeneca.

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