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Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

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Association de biothérapies au cours des maladies inflammatoires chroniques intestinales : quel intérêt en pratique ? Volume 25, numéro 10, Décembre 2018

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

Introduction

Ces dernières années, la prise en charge des maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) a évolué, passant de la simple rémission clinique à la rémission profonde (rémission clinique associée à une amélioration, voire une normalisation des paramètres biologiques et endoscopiques). Récemment, un consensus international a défini les cibles à atteindre dans les MICI [1]. Parallèlement, les thérapeutiques à notre disposition se sont développées et des médicaments biologiques spécifiquement dirigées contre diverses cibles du système immunitaire ou de la cascade inflammatoire sont apparus. Malgré tout, les taux de patients en rémission clinique à un an restent modestes [2] ce qui doit nous faire réfléchir à la manière d’optimiser nos traitements. L’un de ces moyens pourrait reposer sur la combinaison de deux biothérapies, ce qui n’a été que peu exploré actuellement. Ce nouveau concept semble toutefois se développer, tant dans les MICI que dans d’autres aires thérapeutiques (rhumatologie, dermatologie) que ce soit sous la forme d’une association de deux biothérapies ou bien du développement d’une seule molécule ayant pour caractéristique de posséder deux domaines spécifiques différents (anticorps bispécifiques [AcBs]) [3].

Le but de cet article est de faire un état des lieux sur l’efficacité et la tolérance du recours à une combinaison de biothérapies au cours des maladies inflammatoires chroniques intestinales, mais également rhumatologiques et dermatologiques.

Combinaison de biothérapies dans les maladies inflammatoires chroniques intestinales

Combothérapie infliximab et natalizumab

La première étude publiée sur l’utilisation d’une combinaison de biothérapies dans les MICI remonte à 2007. Dans ce travail, 79 patients avec maladie de Crohn (MC) active (CDAI ≥ 150) malgré un traitement d’entretien par infliximab (IFX) à la dose de 5 mg/kg toutes les huit semaines étaient randomisés (2:1) pour recevoir un co-traitement par natalizumab (anticorps monoclonal anti-α4 intégrine administré à la dose de 300 mg) ou du placebo, à raison de trois perfusions espacées chacune de un mois [4]. Le critère de jugement principal, qui était ici la tolérance du traitement, était atteint puisque l’incidence des évènements indésirables était similaire entre les deux groupes avec essentiellement des céphalées, des poussées de la maladie, des nausées et des rhino-pharyngites. Aucune infection opportuniste ou pathologie maligne n’était observée. Concernant l’efficacité (qui n’était pas l’objectif premier de ce travail), les taux de rémission clinique n’étaient pas significativement différents selon les groupes : 46 % dans le groupe combothérapie vs. 41 % dans le groupe IFX seul (p = 0,08).

Combothérapie anti-TNF et ustekinumab

Les réactions cutanées paradoxales ne sont pas rares, et peuvent être observées jusque dans 20 % des cas chez les patients atteints de MICI et traités par anti-TNF [5]. Cela nous oblige parfois à interrompre le traitement anti-TNF, malgré une très bonne efficacité sur le versant digestif.

Dans une lettre à l’éditeur, Yzet et al.[6] décrivaient trois cas (deux MC et une RCH) de patients traités par anti-TNF (IFX = 2, adalimumab [ADA] = 1) pour une MICI, avec apparition de réactions cutanées paradoxales. Chez ces patients, il était proposé de poursuivre le traitement anti-TNF et d’y adjoindre un traitement par ustékinumab (UST), dont l’efficacité a été démontrée dans le psoriasis [7, 8]. Bien que cette association n’ait permis aucune amélioration sur le versant cutané (confirmant que ce type de réaction correspond à un effet classe des anti-TNF et que leur poursuite explique probablement cette non-réponse), il n’était observé aucun événement indésirable significatif après un suivi médian de 21 mois. Les trois patients restaient en rémission clinique sur le versant digestif.

Combothérapie anti-TNF et védolizumab

L’intérêt de combiner le védolizumab (VDZ) à un anti-TNF est actuellement peu décrit.

En 2015, Hirten et al. décrivaient le cas d’un patient atteint de MC ayant bénéficié d’une période de chevauchement entre les deux biothérapies (IFX puis VDZ), en raison d’une maladie active à la fois sur le versant luminal et extradigestif. Bien qu’efficace sur les symptômes digestifs, l’interruption de l’IFX se traduisait par la réapparition des manifestations extra-digestives (érythème noueux), conduisant à la reprise de l’IFX. L’interruption du VDZ au décours entrainait une nouvelle rechute sur le versant digestif [9].

Plus qu’un doute quant à l’efficacité potentielle d’une telle association, la principale crainte vient actuellement de la sécurité d’utilisation de telles combinaisons de traitements. Si bien que, sans même parler d’association, certains cliniciens sont réticents à utiliser de nouvelles biothérapies chez des patents récemment exposés aux anti-TNF, alors que la maladie reste évolutive, handicapante durant cette période de « wash-out ».

De plus, certaines données expérimentales laisseraient penser que l’association de ces deux molécules pourraient entrainer une altération de la pharmacocinétique du VDZ, en raison d’une diminution par les anti-TNF du niveau d’expression de MadCAM-1 et d’une augmentation par les anti-TNF du niveau d’expression des récepteurs α4ß7 sur les lymphocytes T (données observées chez les patients répondeurs aux anti-TNF). Ainsi, certains auteurs estiment qu’une moins bonne réponse à un traitement ultérieur par VDZ pourrait être observée, car les patients auraient probablement besoin de doses plus élevées de VDZ [10].

Dans un travail récent [11], Ben Horin et al. ont évalué la tolérance, l’efficacité ainsi que les profils pharmacocinétique et pharmacodynamique du VDZ, chez des patients « co-exposés » aux anti-TNF. Il s’agissait d’une étude rétrospective cas-témoins (1:2) menée entre 2014 et 2017, dans deux centres experts (Tel-Aviv, Israël et Saint-Étienne, France). Vingt-cinq patients débutant un traitement par VDZ et ayant récemment interrompu leur traitement anti-TNF (≤ 1 mois pour l’ADA [n = 15] et ≤ 3 mois pour l’IFX [n = 10]) ont été inclus. Tous avaient encore des taux résiduels d’anti-TNF détectables au moment de la première perfusion de VDZ. Ces patients étaient comparés à 50 autres patients débutant un traitement par VDZ en monothérapie, avec appariement sur le type de maladie.

Les évènements indésirables observés à la semaine 14 n’étaient pas plus fréquents dans le groupe co-exposé que dans le groupe VDZ (36 % vs. 26 % ; p = 0,4). La pré-exposition à un traitement anti-TNF ne diminuait pas l’efficacité du traitement par VDZ (réponse clinique : 76 % vs. 78 % ; p = 0,8 et rémission clinique : 40 % vs. 46 % ; p = 0,6).

Concernant les données pharmacocinétiques, les taux d’anti-TNF restaient détectables chez 56 % des patients traités par VDZ, à la semaine 6. De manière à évaluer l’impact de ces taux résiduels d’anti-TNF sur la pharmacocinétique du VDZ, les taux résiduels de VDZ étaient mesurés dans les deux groupes aux semaines 2, 6 et 14, et n’étaient finalement pas significativement différents (figure 1).

Enfin, dans une cohorte séparée de 12 patients jamais exposés au VDZ et débutant un traitement par IFX, l’équipe de X Roblin a mesuré le niveau d’expression d’α4ß7 sur les lymphocytes T CD3+ et les lymphocytes T mémoires CD3CD45R0+. Ce niveau avait tendance à augmenter au cours du temps, sans toutefois atteindre une significativité statistique (figure 2). Ceci apporte donc des données rassurantes quant à l’efficacité, à la tolérance et à l’utilisation « précoce » d’un traitement par VDZ chez des patients en échec d’un traitement anti-TNF.

Combothérapie ustékinumab et védolizumab

Cette association reste anecdotique, et ne doit être réservée qu’à des centres experts après discussion et validation collégiale de ce choix. Un seul cas est à ce jour décrit dans la littérature [12]. Il s’agissait d’une jeune patiente de 27 ans atteinte de MC iléo-colique, réfractaire à l’ensemble des thérapeutiques conventionnelles et des biothérapies commercialisées, et déjà opérée à trois reprises (une résection iléo-cæcale et deux résections grêliques segmentaires). Du fait d’une maladie continuant d’évoluer sur un mode chronique actif invalidant et, après échec d’un traitement par UST (90 mg toutes les quatre semaines), il était décidé de réintroduire le VDZ en maintenant l’UST (en espaçant les intervalles d’injection à toutes les huit semaines). L’évolution était finalement favorable, avec réponse clinique, négativation de la calprotectine fécale (au cinquième mois), et pour la première fois, obtention d’une rémission endoscopique (coloscopie effectuée après six mois de traitement). Aucun effet indésirable n’était observé chez cette patiente.

Nous disposons donc de quelques données rassurantes dans les MICI, qui ne peuvent pour le moment en aucun cas être généralisées puisqu’il s’agit de données préliminaires sur un faible nombre de patients. Cela nécessitera donc d’être validé dans des études prospectives dédiées. Un essai de phase 4, en ouvert, est actuellement en cours (NCT02764762), dont le but est d’évaluer l’utilisation du VDZ en combinaison avec l’ADA et le méthotrexate (MTX), chez des patients ayant une MC d’activité modérée à sévère, et de diagnostic récent (≤ 2 ans) avec un risque de complication dans les 2 ans estimé ≥ 20 %. À six mois, l’ADA et le MTX seront interrompus et le VDZ poursuivi en monothérapie jusqu’à deux ans de suivi.

L’association d’ustékinumab et de védolizumab reste anecdotique et ne doit être réservée qu’à des centres experts après discussion et validation collégiale de ce choix

Combinaison de biothérapies dans les rhumatismes inflammatoires

La première étude ayant associé deux traitements anti-TNF a été publiée en 2006 [13], chez un patient de 28 ans présentant une spondylo-arthrite HLA-B27, en échec de toutes les thérapeutiques commercialisées (y compris cinq biothérapies). Il a alors été proposé un traitement associant l’IFX (5 mg/kg toutes les 8 semaines) à l’étanercept (25 mg, deux fois par semaine). Un traitement préventif de la pneumocystose par cotrimoxazole lui était également administré. Très rapidement, le patient était amélioré sur le versant clinique et biologique, jusqu’à obtenir une rémission clinique à six mois, sans aucun effet secondaire.

Dans la polyarthrite rhumatoïde (PR), le mécanisme étiopathogénique serait possiblement et en partie médié par les lymphocytes T et les macrophages sécrétant de l’interleukine-1 et du TNF-α. Plusieurs études ont montré que le blocage sélectif et individuel de ces deux cytokines était efficace dans la PR. Dans un travail de 2004, Genovese et al. [14] ont évalué l’intérêt de combiner pendant six mois l’étanercept (anti-TNF) et l’anakinra (anti-IL-1Ra) chez des patients atteints de PR et en échec d’un traitement conventionnel par MTX. Les patients étaient randomisés en double aveugle pour recevoir soit de l’étanercept seul (à dose habituelle de 25 mg s/c deux fois par semaine), soit de l’étanercept (dose habituelle) plus de l’anakinra (100 mg par jour), soit de l’étanercept (à demi-dose : 25 mg par semaine) plus de l’anakinra (100 mg par jour). Aucun bénéfice clinique n’était observé en faveur de la combinaison des biothérapies, mais une augmentation significative des effets indésirables était rapportée : augmentation d’incidence des infections sévères [0 % sous étanercept, vs. 3,7 %-7,4 % sous combothérapie], des réactions aux sites d’injection et des cas de neutropénie. Cette association n’a donc pas vu le jour en pratique clinique rhumatologique.

En 2007, l’efficacité et la tolérance d’un co-traitement par étanercept et abatacept (anticorps monoclonal inhibant l’activation des lymphocytes T en ciblant les CD80 et CD86, empêchant ainsi leur interaction avec le CD28 lymphocytaire) était également évaluée chez des patients atteints de PR active malgré une monothérapie par étanercept, dans un essai contrôlé, randomisé, en double aveugle (durée : 1 an), suivi d’une phase d’extension en ouvert [15]. Cent vingt et un patients étaient randomisés pour recevoir de l’abatacept (2 mg/kg IV) ou du placebo, tout en poursuivant leur traitement par étanercept. Là encore, la réponse clinique observée à six mois et à un an n’était pas significativement différente entre les groupes, mais il existait une amélioration significative de la qualité de vie des patients traités par combothérapie. En revanche, l’ombre au tableau était une fois de plus de constater un taux significativement plus élevé d’évènements indésirables sévères dans le groupe combothérapie à un an (16,5 % vs. 2,8 %), et en particulier d’infections sévères (3,5 % vs. 0 %) et d’interruption de traitement. Ce mauvais profil de tolérance s’observait également lors de la phase d’extension. Globalement, 77,5 % des patients présentaient des infections et trois patients développaient des pathologies malignes (dont un décès en rapport avec un lymphome B diffus à grandes cellules).

En 2011, c’était au tour d’un anticorps monoclonal anti-CD20, le rituximab, d’être évalué en association à un anti-TNF (étanercept ou ADA) chez des patients présentant une PR active [16]. 51 patients bénéficiant à doses stables d’un traitement par MTX et anti-TNF depuis au moins trois mois, étaient ainsi randomisés (2:1) pour recevoir une dose de rituximab (2 × 500 mg en IV) ou le placebo. Le critère de jugement était dans ce travail la proportion de patients développant une ou plusieurs complications infectieuses sévères au cours des six mois de suivi. Une infection sévère (pneumonie) était observée dans le groupe rituximab (après exposition de 14,4 patient-années), aucune dans le groupe placebo. Tout type d’infections confondu, 55 % et 61 % d’évènements étaient déclarés dans les groupes rituximab et placebo, respectivement. Aucune infection de grade 4 et aucune infection opportuniste n’était observée. Ces données vont dans le sens du profil de tolérance connu avec le rutuximab lorsqu’il est administré avec le MTX seul ou chez des patients bénéficiant par la suite d’un traitement anti-TNF [17, 18].

Combinaison de biothérapies dans les dermatoses inflammatoires

Le recours aux combinaisons de biothérapies a également été évalué chez les patients atteints de psoriasis et de rhumatisme psoriasique. Les données sont ici limitées à des cas isolés [19-23] ou de petites séries de patients [24-26].

La plus large étude a permis d’analyser vingt patients (psoriasis et rhumatisme psoriasique) traités par éfalizumab (anticorps anti-molécule d’adhésion ciblant le CD11a, situé sur les leucocytes) en association à l’étanercept (n = 18) ou l’IFX (n = 2) pour une durée médiane de 16 mois [26]. Dans tous les cas, l’éfalizumab avait une très bonne efficacité sur l’atteinte cutanée et l’anti-TNF sur l’atteinte articulaire. Il était cependant observé des effets indésirables infectieux (huit patients ayant développé des infections du tractus respiratoire) et néoplasiques (cinq patients présentant des lésions dysplasiques ou cancéreuses cutanées, non mélaniques).

Dans une étude rétrospective de quatre cas (soit 16,4 patient-années d’exposition), les auteurs ont évalué l’association de l’UST à l’étanercept (n = 2), ou à l’ADA secondairement relayé par du golimumab (n = 1) ou à l’ADA secondairement relayé par du certolizumab pégol (n = 1) [27]. Bien que l’efficacité de ces associations ait été jugée satisfaisante, le profil de tolérance a soulevé des inquiétudes, puisque trois patients sur quatre développaient des pathologies infectieuses (un patient avec zona, un patient avec abcès rétropharyngé et un patient avec deux épisodes d’érysipèle ainsi qu’une pneumopathie bactérienne).

Combinaisons de biothérapies chez les patients atteints de pathologies inflammatoires mixtes (digestive et rhumatologique)

Les MICI sont fréquemment associées à d’autres maladies inflammatoires chroniques indépendantes, incluant des pathologies rhumatologiques (spondyloarthrite [SpA], PR) et dermatologiques (psoriasis). La SpA est l’une des principales manifestations extra-digestives observée chez les patients atteints de MICI, puisqu’un tiers des patients souffrent d’arthralgies, rattachées dans 5 à 12 % des cas à une SpA [28].

Bien que les traitements anti-TNF aient démontré leur efficacité tant sur les MICI que les rhumatismes inflammatoires, la non réponse primaire et la perte de réponse secondaire restent des évènements communs [29] et nécessitent régulièrement des changements de classe thérapeutique, et en particulier le recours à des traitements ayant une sélectivité intestinale comme les anti-intégrines α4ß7. Le principal problème en cas de double atteinte digestive et rhumatologique est l’absence d’efficacité du VDZ sur les arthralgies, comme observé dans l’analyse post-hoc de l’étude GEMINI II [30].

Bethge et al. ont récemment rapporté le cas d’un patient de 56 ans, aux antécédents de RCH et SpA, ayant justifié d’un traitement associant VDZ et étanercept [31]. La RCH était réfractaire, conduisant à une coloproctectomie compliquée ensuite d’une pochite chronique active réfractaire à l’ensemble des traitements conventionnels et des biothérapies anti-TNF. Il était alors décidé d’instituer un traitement par VDZ, ce qui permettait l’obtention d’une rémission clinique au bout de six semaines, et d’une rémission endoscopique au cinquième mois. Quant à la SpA, qui était bien contrôlée par les traitements anti-TNF, elle récidivait de manière invalidante après l’interruption des anti-TNF et la mise sous VDZ. Il était alors décidé d’introduire un traitement anti-TNF par étanercept, tout en maintenant le traitement d’entretien par VDZ. L’amélioration rhumatologique était observée une semaine après la reprise de l’anti-TNF, et la rémission était obtenue en un mois. À un an, le bénéfice se maintenait, sans effet indésirable notable.

Ces observations cliniques suggèrent la faisabilité de telles associations, mais il ne faut pas perdre de vue qu’une revue de la littérature avec méta-analyse avait objectivé qu’une monothérapie anti-TNF ou par VDZ augmentait le risque d’infections opportunistes chez les patients atteints de MICI [32]. Il faut donc rester extrêmement prudent avec de telles associations et répertorier de manière « policière » les éventuels évènements indésirables, et en particulier infectieux.

Des observations cliniques suggèrent la faisabilité d’une association anti-TNF et védolizumab, mais il ne faut pas perdre de vue le risque d’infections opportunistes chez les patients atteints de MICI

Les anticorps monoclonaux bispécifiques : serait-ce l’avenir ?

Jusqu’à récemment, les anticorps monoclonaux utilisés en thérapeutique étaient des molécules bivalentes monospécifiques (dirigées contre un seul antigène), ciblant le même épitope. Malgré l’avancée thérapeutique apportée par ces biothérapies, bon nombre de patients ont une réponse clinique partielle ou transitoire. Cela peut être attribué à un mécanisme d’immunisation ou bien à une plasticité (adaptation) du mécanisme auto-immun sous-jacent. Les stratégies visant à combiner plusieurs biothérapies ont été limitées en raison d’effets indésirables jugés inacceptables, sans bénéfice clinique évident.

Avec les avancées technologiques dans le développement des anticorps monoclonaux, il est désormais possible de cibler différents antigènes grâce à une même molécule. Parmi ces approches, l’apparition des AcBs a la particularité de pouvoir cibler deux antigènes différents. Ces molécules se sont développées dans différentes aires thérapeutiques (pathologies tumorales principalement, ostéoporose, pathologies inflammatoires chroniques, maladie d’Alzheimer…) [33]. Les AcBs actuellement utilisés ou en voie de développement dans les maladies inflammatoires/auto-immunes peuvent cibler différentes cytokines pro-inflammatoires : TNF, IL-1, IL-4, IL-14, IL-17, IL-23… L’intérêt d’utiliser ces molécules serait donc de potentialiser le bénéfice thérapeutique tout en limitant les effets indésirables que l’on peut observer avec une combinaison de deux biothérapies ciblant la même cytokine pro-inflammatoire [34].

En rhumatologie, Fleischmann et al. ont évalué l’intérêt d’un AcBs : l’ABT-122, anticorps ciblant simultanément le TNF alpha et l’interleukine-17., administré par voie sous-cutanée [35]. Il s’agissait de deux études de phase I, menées chez des patients atteints de PR (inactive dans la majorité des cas) préalablement exposés au MTX. Le profil de tolérance était tout à fait acceptable, sans élément clinique d’alerte comparativement au placebo.

Dans une étude de phase II menée chez des patients atteints de rhumatisme psoriasique et en échec du méthotrexate, l’ABT-122 était plus efficace que l’ADA sur des critères de réponse clinique : ACR70 (31,5 % vs. 15,3 % ; p < 0,05) et PASI75 (77,6 % vs. 57,6 % ; p < 0,05) [36].

À l’inverse, une étude de phase Ib/IIa menée dans le psoriasis visant à évaluer le COVA322 (fynomab), AcBs ciblant l’IL-17 et le TNF-α, a été interrompue précocement compte-tenu du mauvais profil de tolérance du produit (NCT02243787 – données non publiées).

Dans le domaine spécifique des MICI, il n’y a pas, à notre connaissance, d’essai clinique ayant évalué d’AcBs.

Conclusion

L’utilisation de combinaison de biothérapies dans les MICI semble être une stratégie d’avenir intéressante mais devant être réservée, pour le moment, à des centres experts après validation collégiale. En effet, le nombre de données publiées reste faible, avec un bénéfice clinique non clairement démontré et des signaux d’alerte quant à la tolérance d’une telle stratégie, si l’on s’intéresse à l’ensemble des maladies inflammatoires chroniques.

Comme en rhumatologie, des études prospectives, randomisées, contrôlées dans le domaine des MICI devraient nous permettre d’avoir des données plus robustes en terme d’efficacité et de tolérance de telles stratégies, avec l’avantage de pouvoir utiliser chez nos patients des molécules ayant une spécificité digestive (anti-intégrines, anti-molécules d’adhésion…). L’impact médico-économique de telles stratégies sera également à prendre en compte.

Take home messages

  • Le recours à une association de biothérapies a été décrit dans les maladies inflammatoires chroniques intestinales.
  • Le recours à une combinaison de biothérapies n’est envisageable qu’en situation d’impasse thérapeutique et donc après échec des stratégies classiques de prise en charge des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin.
  • Leur utilisation en pratique clinique ne doit en aucun cas être la règle, et doit idéalement faire l’objet d’une discussion en staff pluridisciplinaire, où sera évalué le rapport bénéfice/risque d’une telle stratégie.

Liens d’intérêts

JP : Abbvie, Biogen, Ferring, Janssen, MSD, Takeda, Vifor. SBH : Abbvie, Celltrion, Janssen, Novartis, Schering-Plough, Takeda. XH : Abbvie, ARARD, Arkopharma, Astalas, Bristol Myers Squibb, Ferring, Fresenius-Kabi, Janssen, Livanova, MSD, Nutricia, Pfizer, Takeda, Tillots. XR : Abbvie, Janssen, MSD, Takeda, Theradiag.

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