JLE

Hépato-Gastro & Oncologie Digestive

MENU

Anti-TNF et grossesses, le paradoxe français Volume 26, numéro 2, Février 2019

Tableaux

Introduction

Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI) affectent des patients jeunes. Les risques qu’engendrent la maladie et ses traitements lors d’une grossesse sont abordés quotidiennement. L’activité de la MICI au moment de la conception est un facteur de risque de complications fœtales, telles que la naissance prématurée (Hazard Ratio (HR) : 2,20, IC 95 % 1,71-2,84), l’hypotrophie à la naissance, et l’avortement spontané, et également de complications maternelles, comme le risque de poussée en cours de grossesse (Odds Ratio (OR) ajusté : 7,66, IC à 95 % : 3,77-15,54). De plus en plus de patients sont traités par les anti-TNFα, et la question des risques à les utiliser pendant une grossesse est légitime. Les recommandations sur le sujet divergent selon les spécialités et les pays.

De plus en plus de patients sont traités par les anti-TNFα, et la question des risques à les utiliser pendant une grossesse est légitime

Ainsi pour la Société française de rhumatologie, les anti-TNFα ne doivent pas être utilisés pendant la grossesse. Pour les MICI, le consensus européen ECCO [1], recommande de les arrêter si possible avant la 24e semaine d’aménorrhée (SA), alors que pour l’American Gastroenterological Association (AGA), ils devraient être maintenus tout au long de la grossesse en raison du risque de rechute de la MICI [2]. Cependant, s’il existe quelques données rassurantes sur l’emploi des anti-TNF pendant la grossesse, de larges études en populations manquent encore. De plus, l’impact de l’exposition fœtale aux anti-TNFα doit également être pris en compte, car l’infliximab et l’adalimumab, comme les immunoglobulines maternelles, sont activement transportées à travers le placenta. Ce transfert commence dès la 13e SA. Le registre américain PIANO n’a identifié aucun risque accru d’infections au cours de la première année de vie des enfants nés de mères exposées aux anti-TNFα pendant la grossesse, sauf en cas de combothérapie avec une thiopurine (risque relatif : 1,50 ; 1,08-2,09) [3]. Cette étude française en population cherchait donc à éclaircir les risques materno-fœtaux d’une exposition, et d’un arrêt des anti-TNF, pendant la grossesse.

Patients et méthodes

Il s’agit d’une étude de cohorte rétrospective cas/témoins réalisée chez des femmes enceintes atteintes d’une MICI entre le 1er janvier 2011 et le 31 décembre 2015, réalisée à l’aide des données du Système National Inter Régimes d’Assurance Maladie (SNIIRAM), permettant d’accéder aux données individuelles de dépenses de santé pour environ 87 % de la population française. Le SNIIRAM agrège et relie les données : (i) du codage hospitalier (Programme de Médicalisation des Systèmes d’Informations, PMSI), qui rassemble les diagnostics principaux et associés ; (ii) de la base de données des ordonnances de médicaments entièrement remboursés par l’Assurance Maladie ; iii) des déclarations d’Affections de Longue Durée (ALD) ; iv) des données de remboursement de médicaments extrahospitaliers (CIP, Code Identifiant de Présentation).

Grace à cette base nationale de données, les auteurs ont identifié les femmes avec un code diagnostic de MICI (PMSI et ALD) et une grossesse survenue entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2014. Les enfants nés d’une mère identifiée comme ayant une MICI, ont été inclus après 2013. Les grossesses multiples ont été exclues car associées à un risque indépendant accru de complications.

Le critère de jugement principal était un critère composite, défini par la survenue de complications maternelles, quelle que soit leur origine (liées aux traitements, à la MICI ou à la grossesse). Les complications prises en charge en hospitalisation ont été identifiées via le codage (PMSI, CCAM). Celles prises en charge en ville, via les données du remboursement des ordonnances. La prescription d’antibiotiques était assimilée à la survenue d’une infection. Les critères de jugement secondaires détaillaient (ou plutôt estimaient) si la complication était liée à la MICI, au traitement de la MICI, ou à la grossesse. Les épisodes infectieux au cours de la première année de la vie des enfants étaient relevés. En cas de rechute de la MICI en cours de grossesse, sa sévérité était estimée selon un score médico-économique, coté de 0 à 13, définissant le risque d’hospitalisation pour poussée de maladie de Crohn comme léger (0-1), modéré (2 à 4) ou sévère (5 à 13). Une nouvelle prescription de corticoïdes était considérée comme une poussée de la MICI.

Résultats

11 275 grossesses ont été recensées chez un total de 8 726 femmes avec un diagnostic de MICI. Parmi elles, 1 457 (12,9 %) ont été exposées aux anti-TNFα, dont 1 313/7 722 (17 %) avaient une maladie de Crohn, et 145/3 552 (4,1 %) une RCH. Au total, 8596 ont donné lieu à des naissances viables. L’infliximab et l’adalimumab représentaient respectivement 54,9 % et 43,3 % des anti-TNFα prescrits, et 223 femmes exposées (15,3 %) étaient concomitamment traitées par thiopurines. Seulement 3,2 % ont été traitées par corticoïdes pendant leur grossesse. La durée moyenne du traitement par anti-TNFα pendant la grossesse était de 23,4 ± 13,1 semaines, et près de la moitié des patientes (46,7 %) étaient exposées aux anti-TNFα durant le troisième trimestre. Parmi elles, 33,6 % étaient encore traitées au moment de l’accouchement. Un nombre plus important de femmes exposées aux anti-TNFα (43,3 %) que non exposées (33,6 %) ont eu au moins une complication (OR : 1,53 ; IC 95 %, 1,34-1,68). Cette même différence a été observée pour les complications liées à la MICI, au traitement ou à la grossesse. Le taux d’infections était de 51,1 % dans le groupe exposé contre 42,6 % dans groupe non exposé (OR brut : 1,41; IC à 95 %, 1,26 à 1,57). Les résultats de l’analyse multivariée sont présentés dans le tableau 1. L’exposition aux anti-TNFα était un facteur de risque indépendant de complications globales (OR ajusté : 1,49; IC 95 %, 1,31-1,67) et d’infections maternelles (OR ajusté : 1,31; IC 95 %, 1,16-1,47). Le couplage des données mère-enfant dans la base de données SNIIRAM n’étant disponible que depuis 2013, 5 635 enfants ont été analysés (50 % de la cohorte initiale), dont 799 enfants (14,2 %) nés de mères exposées aux anti-TNFα. Ces bébés étaient un peu plus souvent prématurés que ceux nés de mères non exposées (respectivement 10,4 % et 8,1 %, p = 0,03). Il n’y avait pas de différences entre les deux groupes pour le taux global d’infection (43,7 % contre 45,9 %, p = 0,242).

Le taux de malformations congénitales était également similaire dans les deux groupes (6,1 % exposés à 6,3 % non exposés, p = 0,886). En analyse multivariée, seule la naissance prématurée (avant 37 SA) était associée au risque d’infections néo-natales hospitalières (OR ajusté : 2,90 ; IC 95 % 2,25 à 3,75).

Dans le sous-groupe des patientes exposées aux anti-TNFα au-delà de 24 SA, les auteurs n’ont pas identifié de sur-risque de complications maternelles « globales » (OR : 0,93 ; IC 95 %, 0,69-1,25), d’infections pendant la grossesse (OR : 0,95; IC 95 %, 0,73-1,22), ni d’infections durant la première année de vie des enfants de mères traitées au-delà de 24 SA (OR : 1,14 ; IC 95 %, 0,85-1,53). Cependant, le nombre de poussée de MICI (nécessitant une nouvelle prescription de corticoïdes) étaient significativement plus important chez les femmes ayant arrêté les anti-TNFα avant 24 SA (60/131, 45,8 %) par rapport à celles ayant poursuivi le traitement (63/206, 30,6 %, p = 0,005). L’analyse multivariée confirmait ce risque de poussée (OR ajusté : 1,98 ; IC 95 % 1,25-3,15) après ajustement sur la gravité de la maladie, l’âge, le type de MICI et l’utilisation concomitante de thiopurines.

Commentaires

Cette étude française est importante à plusieurs titres. Elle traite d’un sujet quotidien dans la prise en charge des MICI, la gestion de la maladie pendant une grossesse. C’est une situation délicate, génératrice d’angoisses de la part des patientes, de leurs conjoints, mais également de la part des soignants. La difficulté de cette situation est qu’elle doit répondre à l’injonction paradoxale de maintenir la MICI en rémission (puisque son activité augmente clairement les risques de complications obstétricales et fœtales), tout en essayant de limiter l’exposition aux traitements, également sources de préoccupations, car potentiellement pourvoyeurs d’un sur-risque infectieux. Si l’innocuité de certains traitements, notamment celle des anti-TNF, pendant la grossesse, est suggérée par plusieurs études, elle n’est pas encore solidement établie. Cette publication est la plus importante étude en population traitant ce sujet. Depuis l’accès à la base de données de l’Assurance Maladie, le SNIIRAM, la France s’est dotée de la capacité de générer de vastes études épidémiologiques en population, jusqu’ici l’apanage de registres scandinaves et anglo-saxons, principalement canadiens.

La difficulté de cette situation est qu’elle doit répondre à l’injonction paradoxale de maintenir la MICI en rémission, tout en essayant de limiter l’exposition aux traitements, car potentiellement pourvoyeurs d’un sur-risque infectieux

Cette étude, donne des résultats qui peuvent sembler paradoxaux et difficiles à éclairer la pratique quotidienne, puisqu’ils suggèrent que les anti-TNF majorent le risque d’infections maternelles durant la grossesse, mais que leur interruption augmente le risque de poussée de la MICI. Cette étude permet cependant de rassurer les patientes et les couples, sur le fait que l’exposition aux anti-TNF n’augmente pas le risque d’infection chez les nouveaux nés et les nourrissons, et ce, même en cas d’exposition lors du troisième trimestre. C’est une donnée majeure, que nous pourrons utiliser en cas de difficulté à peser le pour et le contre de la poursuite du traitement. Il faut toutefois garder à l’esprit, qu’en pareille situation (exposition durant le troisième trimestre), il est prudent de décaler la vaccination par vaccins vivants (principalement le BCG), à l’âge d’un an, et non à la naissance.

L’exposition aux anti-TNF n’augmente pas le risque d’infection chez les nouveaux nés et les nourrissons, et ce, même en cas d’exposition lors du troisième trimestre

Cette étude dispose d’une puissance statistique suffisante pour assoir ses conclusions, mais possède également des limites qu’il faut prendre en compte. Les bases de données croisées sur lesquelles elle repose, ne permettent pas de décrire précisément l’activité de la MICI, le type exact des complications, infectieuses ou autres, ni les poussées de MICI. Ces événements, s’ils ne donnent pas lieu à des hospitalisations et donc des codages précis exploitables, sont extrapolés des prescriptions d’antibiotiques et de corticoïdes. Les poussées de MICI traitées sans corticoïdes, par des changements de rythmes ou de doses des anti-TNF, échappent donc au recensement de l’évènement « poussée ». Par ailleurs, l’évaluation de la sévérité de la MICI, par un score médico-économique, est peu précise. Cet élément majeur, pris en compte comme facteur d’ajustement de l’analyse multivariée, est donc sujet à caution.

En pratique, la décision de poursuivre ou non un traitement par anti-TNF pendant une grossesse, et choisir de la maintenir ou non au-delà de la 24e SA, résulte toujours d’une évaluation au cas par cas, qui doit tenir compte des caractéristiques de la MICI, de son activité résiduelle, de sa sévérité et des risques de rechutes à l’arrêt du traitement. L’avantage de ce travail est de rassurer sur l’absence de sur-risque infectieux chez les enfants issus de mères exposées, même tardivement, aux anti-TNF durant la grossesse.

Liens d’intérêts

l’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt en rapport avec l’article.

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International