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Score LLC IPS-E : un nouvel outil pratique pour la surveillance des patients avec une leucémie lymphoïde chronique de stade précoce Volume 26, numéro 4, Juillet-Août 2020

Un grand nombre de patients qui sont diagnostiqués avec une leucémie lymphoïde chronique (LLC), forme de leucémie la plus fréquente dans les pays occidentaux, présente une forme précoce et peu ou pas symptomatique, qui ne nécessite donc pas de traitement. En effet, la LLC ne requiert un traitement que lorsque la maladie est active ou symptomatique (selon les recommandations de l’International Workshop on Chronic Lymphocytic Leukemia [iwCLL]) [1]. La classification de Binet, qui est la plus couramment utilisée en pratique clinique en Europe, mais aussi celle de Rai, ont permis de distinguer plusieurs stades de la maladie : trois (A, B et C) pour Binet et cinq (0, I, II, III et IV) pour Rai (ou trois dans sa version modifiée). Les formes les plus précoces (stade A de Binet, et 0 de Rai) bénéficient d’une surveillance active et plusieurs essais cliniques ont démontré qu’il n’y avait pas de bénéfice de survie à débuter un traitement à ces stades [2, 3]. Toutefois, l’évolution des patients avec une forme précoce est hétérogène : certains nécessiteront un traitement rapidement après le diagnostic alors que d’autres présenteront une évolution beaucoup plus lente, voire n’auront jamais besoin d’être traités. Pour ces patients, qui représentent un sous-groupe spécifique, il paraît important de bénéficier d’outils pronostiques permettant de définir le risque de progression et de prédire leur évolution afin d’adapter la prise en charge. C’est pourquoi Condoluci et al.[4] ont décidé d’établir un score pronostique simple et utilisable en pratique courante pour les LLC de stades précoces.

Le score IPS-E (pour international prognostic score for early-stage CLL) a été bâti grâce à une étude multicentrique, rétrospective et observationnelle, au cours de laquelle les données de 4 933 patients avec des LLC de stades précoces à travers 11 cohortes différentes (institutionnelles et protocolaires) ont été analysées. Les analyses statistiques utilisées (uni- et multivariées) ont révélé que les trois paramètres influençant le plus le délai jusqu’au premier traitement étaient : une absence de mutation dans le gène de la région variable de la chaîne lourde des immunoglobulines (IGHV), un taux de lymphocyte > 15 G/L et la palpation d’adénopathies. Le score a été établi en tenant compte de ces trois paramètres (un point pour chacun), permettant ainsi de distinguer les patients en trois catégories distinctes : risques faible (score = 0), intermédiaire (score = 1) et élevé (score = 2 ou 3). Les patients avec un score ≥ 2 présentaient une durée jusqu’au premier traitement le plus court.

Le score a été validé à travers neuf cohortes indépendantes de patients présentant une LLC en stade Binet A. L’hétérogénéité de ces différentes cohortes était un argument en faveur de la validité externe du score. De plus, une méta-analyse sur 10 cohortes de LLC stade A a été entreprise afin d’analyser avec plus de précision le risque de débuter un traitement au sein de chaque groupe. La méta-analyse a révélé que les patients avec un IPS-E faible avaient un risque de 8,4 % de débuter un traitement à cinq ans, contre 28,4 % pour les scores intermédiaires et 61,2 % pour les hauts risques. Pour confirmer la validité du score, il a également été testé, avec succès, sur une cohorte de patients classés selon la classification de Rai.

Un des points important soulevés par cette étude est l’impact du statut IGHV non muté, qui semble être plus important que celui des mutations des gènes TP53 et ATM pour les patients présentant une LLC de stade précoce, en ce qui concerne le délai jusqu’au premier traitement. Cela apparaît donc comme un argument supplémentaire pour tester le statut mutationnel IGHV dès le diagnostic, et ce d’autant plus que ce paramètre ne se modifie pas au cours de l’évolution de la maladie, contrairement au statut mutationnel de p53. L’analyse de ce paramètre par hybridation in situ en fluorescence (FISH) ou en biologie moléculaire est en revanche indispensable chez les patients symptomatiques afin de guider le choix thérapeutique [5, 6].

Le développement du score LLC IPS-E pourrait devenir un outil intéressant pour appréhender au mieux, et simplement, l’évolution des nombreux patients présentant une forme précoce de LLC. Ce score nécessitera probablement d’être validé prospectivement dans des essais cliniques avant de constituer un score pronostique incontournable dans la prise en charge de la LLC. Il pourrait également s’avérer intéressant pour développer des essais qui concerneraient des patients avec un stade précoce à haut risque qui pourraient peut-être bénéficier d’un traitement anticipé, notamment compte tenu de la disponibilité actuelle dans la LLC de thérapies ciblées avec un profil relativement peu toxique. L’essai CLL12 du groupe allemand a ainsi montré une amélioration de la survie sans événement mais pas en termes de survie globale chez les patients traités par ibrutinib [7], et l’essai en cours PREVENE (NCT03766763), du groupe français French Innovative Leukemia Organization (FILO) teste également cette hypothèse en administrant du vénétoclax chez les patients Binet A de haut risque. Toutefois, les critères de définition de patients en stade précoce à haut risque utilisés n’étaient pas homogènes d’un essai à l’autre.

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