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Pollution de l’air et perturbations du métabolisme glucidique : nouvelles investigations en Allemagne et aux États-Unis Volume 17, numéro 6, Novembre-Décembre 2018

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L’inhalation de polluants, en particulier de matières particulaires (PM), induit un stress oxydant et une inflammation du tissu pulmonaire qui ne restent pas localisés à ce compartiment mais deviennent systémiques. Au niveau du tissu adipeux, l’inflammation chronique de bas grade perturbe les voies de signalisation de l’insuline, aboutissant à des troubles de la tolérance au glucose et à une insulinorésistance qui font le lit du syndrome métabolique et du diabète de type 2.

Cette hypothèse mécanistique demande à être testée dans des populations non diabétiques, par des études épidémiologiques suffisamment vastes et bien contrôlées pour permettre la détection d’un effet subtil de la pollution de l’air sur le métabolisme glucidique. Ces deux travaux remplissent ces critères.

Présentation de l’étude allemande

La Heinz Nixdorf Recall Study a inclus 4 814 habitants de trois villes de la région de la Ruhr, âgés de 45 à 75 ans, entre 2000 et 2003, convoqués à un premier suivi entre 2006 et 2008 (aux deux temps : questionnaire auto-administré, entretien en face à face, examen clinique et tests de laboratoire standardisés). Les données des sujets diabétiques ont été écartées pour cette analyse (si le diabète n’existait pas à l’inclusion mais était constaté au suivi, les données initiales ont été conservées) qui porte sur 7 108 observations issues de 4 176 participants (âge moyen : 59,4 ans à l’inclusion et 64 ans au suivi).

Trois marqueurs usuels de la pollution ont été considérés (le dioxyde d’azote [NO2], les PM10 et les PM2,5), auxquels ont été ajoutées les PNAM dont les effets sur la glycémie et l’hémoglobine glyquée (HbA1c) n’avaient pas été examinés auparavant. Les PNAM (AM pour mode accumulation) représentent le compte des particules de diamètre aérodynamique compris entre 0,1 et 1 μm, formées par condensation et coagulation de particules ultra-fines. Celles-ci sont supposées particulièrement toxiques en raison de leur capacité de pénétration tissulaire et de leur réactivité de surface, mais elles sont rarement prises en compte par manque de données (concentration atmosphérique non mesurée en routine et dispersion rendant la modélisation difficile). Le modèle tridimensionnel de chimie-transport EURAD (European Air Pollution Dispersion) utilisé ici (pour les quatre marqueurs) produit des estimations du niveau des PNAM dont la fiabilité a été évaluée par comparaison à des mesures dans l’une des trois villes de la zone étudiée (coefficients de corrélation allant de 0,51 à 0,61 selon la saison). Son autre intérêt est le pas de temps horaire des estimations, ce qui a permis de calculer des concentrations moyennes sur des périodes comprises entre 1 et 182 jours avant les mesures biologiques, afin d’explorer la notion de fenêtre d’exposition pertinente pour des effets sur la glycémie et sur l’HbA1c qui varie plus lentement (en fonction de la glycémie moyenne des six à huit semaines précédentes et du turn-over des hématies à durée de vie moyenne d’environ 115 jours). Le désavantage d’EURAD est qu’il ne permet pas une modélisation à l’adresse exacte des participants : le maillage le plus fin est une grille de 1 × 1 km, l’exposition résidentielle se réfère donc aux niveaux de fond des polluants dans la zone d’1 km2 englobant le domicile.

La même échelle a été utilisée pour calculer des moyennes de température et d’humidité sur les différentes périodes d’exposition considérées. Le modèle statistique pleinement ajusté prenait aussi en compte le moment du recueil des données (examen initial ou de suivi), la saison, l’âge, l’indice de masse corporelle (IMC), l’activité physique (définie comme la pratique d’un sport au moins une fois par semaine durant au moins 30 min), la qualité de l’alimentation (quatre catégories sur la base d’un questionnaire de fréquence de consommation de 13 types d’aliments), le tabagisme (actuel, passé ou nul, avec quantification en paquets-années pour les fumeurs et ex-fumeurs), l’exposition à la fumée de tabac environnementale, la consommation d’alcool (quatre niveaux), la prise de statines et le taux de chômage dans le secteur de recensement.

Principaux résultats

Les analyses indiquent un effet de l’exposition aux particules sur la glycémie et l’HbA1c et ne montrent pas d’influence de l’exposition au NO2. Elles valident une association plus forte entre une fenêtre courte (moyenne sur 7 à 45 jours) et la glycémie, et entre une fenêtre plus longue (75 à 105 jours) et l’HbA1c.

L’article présente les résultats des analyses principales effectuées pour des fenêtres d’exposition choisies a priori, de 28 et 91 jours. L’ampleur des effets est faible, mais les résultats sont robustes à plusieurs analyses de sensibilité. L’association entre l’exposition aux PM2,5 et la glycémie (augmentation de 0,91 mg/dL [IC95 : 0,38-1,44] pour une augmentation d’un intervalle interquartile [IIQ] de la concentration moyenne des 28 jours précédents) persiste ainsi après un ajustement supplémentaire sur l’exposition résidentielle au bruit et la proximité d’une route majeure. Il en est de même pour l’association entre les PNAM et l’HbA1c (augmentation de 0,09 % [0,07-0,11] par IIQ, moyenne sur 91 jours). Elle persiste également dans un modèle bipolluant (ajustement sur les PM2,5, les PM10 ou leNO2), tandis que l’association PNAM -glycémie (+ 0,64 mg/dL [0,07-1,21] par IIQ à 28 jours et + 0,67 mg/dL [0,10-1,24] par IIQ à 91 jours) devient non significative après ajustement sur les PM2,5.

La subdivision de la population selon les valeurs biologiques (strictement normales ou état pré-diabétique [glycémie à jeun comprise entre 100 et 125 mg/dL ou HbA1c entre 5,7 et 6,5 %] : 3 881 observations) montre constamment des associations atténuées, mais restant positives même si elles ne sont plus significatives, dans le groupe pré-diabétique.

Les auteurs soulignent le niveau relativement faible de la pollution dans la zone étudiée. Les valeurs moyennes de l’IIQ pour les PM2,5 étaient ainsi de 5,7 μg/m3 (28 jours) et 4 μg/m3 (91 jours). Même si les effets observés sur la glycémie et l’HbA1c sont minimes, ils pourraient se traduire cliniquement par une augmentation du risque de maladie cardiométabolique, ce qui doit inciter à poursuivre les efforts d’amélioration de la qualité de l’air.

Étude dans la région de Boston

Le matériel de cette analyse au sein de l’étude de Framingham provient de 5 958 participants des deuxième et troisième générations et compte 10 389 observations (recueillies au cours des 7e [1998-2001] et 8e [2005-2008] visites de suivi pour la deuxième génération [à un âge moyen respectif de 60,4 et 65,7 ans] et des 1re [2002-2005] et 2e [2008-2011] visites de suivi pour la troisième [âge moyen : 39,8 puis 46,1 ans]). Les critères biologiques considérés sont la glycémie à jeun et l’insuline, mesurées jusqu’à deux fois chez le même participant, à partir desquelles a été calculé l’indice d’insulinorésistance HOMA-IR (homeostatic model assessment), ainsi que l’HbA1c et trois adipokines (adiponectine, résistine et leptine) mesurées une seule fois. Leurs valeurs ont été examinées en relation avec l’exposition résidentielle à long terme aux PM2,5 (approchée par la concentration moyenne en 2003, première année de disponibilité des données de modélisation spatio-temporelle à une résolution d’1 × 1 km), la distance à la grande voie de circulation la plus proche (autoroute, voie rapide ou échangeur), et l’exposition à court terme (moyennes glissantes sur un à sept jours) aux PM2,5, au carbone-suie (BC), aux sulfates (SO42-), aux oxydes d’azote (NOx) et à l’ozone. Les moyennes des deux derniers polluants ont été calculées à partir de mesures en plusieurs sites de l’agglomération de Boston (trois stations pour les NOx et deux pour l’O3). Pour les PM2,5, le BC et le SO4, les données (mesures horaires) provenaient d’une unique station de surveillance centrale.

Les niveaux de pollution sont faibles dans cette région du nord-est des États-Unis, ce qui distingue cette étude de travaux dans des populations non diabétiques en d’autres lieux. La concentration atmosphérique moyenne des PM2,5 en 2003 était par exemple évaluée à 10,6 (± 1,4) μg/m3 par la modélisation et mesurée à 11,1 (± 5,5) μg/m3 par la station centrale. Environ un tiers des observations provenait de participants résidant à moins de 100 m d’une route majeure.

Les analyses ajustées sur de nombreuses variables démographiques, socio-économiques et de mode de vie identifient une influence de cet indicateur d’exposition à la pollution sur la glycémie. Par rapport aux sujets résidant à au moins 413 m de distance d’une route majeure (correspondant au 75e percentile de la distribution), les voisins d’une route à moins de 64 m (25e percentile) ont une glycémie plus élevée de 0,28 % en moyenne (IC95 : 0,05-0,51). Deux autres associations positives sont mises en évidence, entre la glycémie et l’exposition à court terme au carbone-suie et aux NOx, tous deux corrélés à la pollution routière. Aucune autre tendance claire ne se dégage des analyses.

Sur la base de leurs résultats, les auteurs appellent à évaluer dans des études longitudinales les effets sur le métabolisme glucidique de l’exposition chronique aux polluants du trafic (et pas seulement aux PM2,5), en considérant la contribution possible d’autres facteurs non contrôlés ici, comme l’exposition au bruit, à la lumière et aux vibrations des riverains de voies à grande circulation, sources de stress psychologique.


* Lucht SA1, Hennig F, Matthiessen C, et al. Air pollution and glucose metabolism: an analysis in non-diabetic participants of the Heinz Nixdorf Recall Study. Environ Health Perspect 2018 ; 126(4) : 047001. doi : 10.1289/EHP2561

1 Environmental Epidemiology Group, Institute of Occupational, Social and Environmental Medicine, Medical Faculty, Heinrich-Heine University, Düsseldorf, Allemagne.

# Li W1, Dorans KS, Wilker EH, et al. Ambient air pollution, adipokines, and glucose homeostasis: The Framingham Heart Study. Environ Int 2018 ; 111 : 14-22. doi : j.envint.2017.11.010

1 Department of Epidemiology, Harvard TH Chan School of Public Health, Boston, États-Unis.

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