JLE

Environnement, Risques & Santé

MENU

La présence de résidus de médicaments dans l’environnement induit-elle des risques sanitaires ? Volume 17, supplément 1, Avril 2018

Il arrive que les médias titrent sans hésiter que les médicaments dans l’eau « changent le sexe des poissons », que des médicaments anticancéreux existent dans des eaux en bouteilles ou que les résidus d’antibiotiques augmentent le nombre de bactéries antibiorésistantes dans l’environnement. Ces annonces récurrentes inquiètent la population, interpellent des décideurs, mais reposent-elles sur des faits avérés ?

La production, la commercialisation et l’usage fréquent et massif de la plupart des produits chimiques conduisent inévitablement à leur détection dans l’environnement, accompagnée de celle de leurs produits de dégradation et leurs métabolites. Les principes actifs des médicaments n’avaient aucune raison d’échapper à la règle et, les extraordinaires progrès de la chimie analytique aidant la curiosité des chercheurs, c’est sur l’ensemble des continents que la présence de résidus de médicaments s’est confirmée, au milieu de tous les autres contaminants, en particulier dans les eaux.

Les alarmes sont venues, dans les années 1990, de laboratoires de recherche dont les travaux publiés ont fini par inciter des agences environnementales et sanitaires publiques à financer des études complémentaires. La France a même développé un plan national d’étude et de gestion sur ce thème avant de le fusionner au sein du plan micropolluants. Le sujet est maintenant abordé par la Commission européenne dans le cadre de la révision de ses directives sur l’eau. Un renforcement du chapitre d’évaluation des risques environnementaux dans les dossiers d’autorisation de mise sur le marché (AMM) des médicaments a été effectué, après de nombreuses années de négociations, et sa formule est en cours de révision.

Parallèlement, les médias se sont emparés du sujet, considéré comme nouveau et original en raison du caractère particulier du « produit médicament » dont la fonction est particulièrement noble par essence puisqu’elle conduit à l’amélioration de la santé des populations. Révéler que ces molécules sont aussi des polluants, pouvant induire des risques environnementaux et sanitaires, intéresse et fait encore fréquemment l’objet de communications. Cette préoccupation intervenant peu de temps après la prise de conscience généralisée du problème des contaminants à effets perturbateurs endocriniens, la confusion s’installe fréquemment entre ces deux thèmes, même si certains médicaments ont effectivement cette propriété pour des usages thérapeutiques.

Ainsi, une communication récurrente auprès des citoyens se maintient depuis de nombreuses années sur le sujet des résidus de médicaments dans l’environnement. Les propos sont souvent différents de ceux appliqués aux autres grandes familles de contaminants que sont notamment les pesticides, les retardateurs de flamme, les solvants, les hydrocarbures ou les plastifiants.

Il est donc indispensable, pour un sujet d’une telle importance, de veiller à présenter avec objectivité les données les plus complètes.

Tel est l’objectif de ce numéro spécial de la revue Environnement, Risques et Santé qui propose des éléments les plus récents issus des études et travaux de recherche pouvant contribuer à définir les risques environnementaux et sanitaires liés aux résidus de médicaments dans les eaux et les orientations de gestion envisagées ou déjà mises en œuvre.

Même si ce problème est très sérieusement étudié depuis une dizaine d’années, de nombreux sujets sont encore prospectifs.

La présence de certaines molécules dans les ressources en eau et certaines eaux destinées à la consommation humaine est avérée, mais il apparaît toutefois, comme pour les autres polluants organiques, que la fiabilité des résultats, selon les laboratoires, reste à améliorer pour favoriser la comparaison des données issues de territoires différents. Si l’exploration de la présence des principes actifs s’est bien améliorée, celle des métabolites et produits de dégradation reste à développer.

Il est illusoire de vouloir croire à un essai biologique « miraculeux » capable de fournir une évaluation de la globalité des effets liés à ces mélanges de polluants. Pour aider à la surveillance des effets et l’amélioration des procédés, c’est une batterie complète d’essais biologiques en laboratoires, mais aussi en simulateurs d’écosystèmes comme les mésocosmes, qui reste à valider. Encore faut-il que les mesures permettent de faire la part des effets des résidus de médicaments au regard de ceux résultant de l’exposition au mélange de tous les polluants.

De nouveaux médicaments constitués de produits biologiques issus des biotechnologies vont se développer sur le marché mais leur devenir reste à étudier. Il en est de même pour d’éventuels nanomédicaments prometteurs pour des traitements ciblés dont il faut étudier l’impact environnemental.

Il n’existe pas une technologie unique en mesure d’éliminer ces résidus dans les eaux usées ou les eaux destinées à la consommation humaine. Il est intéressant de constater que le schéma de modernisation des filières de traitement des eaux usées tend à se rapprocher de ceux destinés à produire de l’eau potable en utilisant du charbon actif, de l’ozone ou des traitements membranaires.

La réduction de la pression environnementale liée à ces résidus de médicaments implique une réduction des usages et le développement de molécules facilement éliminables dans la fin de leur cycle de vie. Les éventuelles orientations concernant les prescriptions et les pratiques de consommation, si elles s’avèrent indispensables, doivent impérativement être conduites avec la plus grande prudence pour en aucun cas induire un effet négatif sur la santé publique.

La pollution de l’eau par les résidus de médicaments est un sujet exemplaire car il met en jeu, dans le cadre du développement durable, un immense besoin de conscience collective, de responsabilité individuelle et d’objectivité scientifique et technologique. Il exige d’associer des compétences de plusieurs disciplines, aussi bien de sciences dites « expérimentales » que de sciences humaines. Il révèle aussi les faiblesses et les blocages dans l’évaluation quantitative des risques concernant les mélanges de micropolluants dans notre environnement. Un investissement significatif doit être consenti car tous les progrès réalisés autour de ce thème seront d’utilité pour l’ensemble des micropollutions.

Innover et développer de nouveaux médicaments est indispensable pour la santé publique, mais celle-ci est grandement dépendante de la protection et de la restauration de la qualité de l’environnement.

Remerciements et autres mentions

Liens d’intérêts : YL : A été président du groupe d’appui scientifique du Plan national sur les résidus de médicaments dans l’eau et co-organisateur du congrès ICRAPHE.

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International