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Exposition à la pollution atmosphérique et neurodéveloppement jusqu’à l’âge de 3 ans Volume 18, numéro 6, Novembre-Décembre 2019

Mettant en évidence une augmentation du risque de retard de croissance intra-utérin, de naissance prématurée ou de faible poids de naissance, une littérature grandissante indique que l’exposition à la pollution atmosphérique nuit au développement fœtal. Quel est son impact sur la mise en place des structures du système nerveux central, puis leur croissance et leur maturation ? La question est d’importance sachant le retentissement possible, sur le fonctionnement psychomoteur, cognitif, affectif et social de l’individu, d’une perturbation de son neurodéveloppement in utero. Mais la responsabilité et la fenêtre d’action de la pollution atmosphérique – qui continue de s’imposer après la naissance alors que le neurodéveloppement se poursuit activement – sont plus difficiles à établir que celles d’événements ponctuels durant la grossesse comme une infection maternelle ou la consommation d’alcool et autres toxiques.

Peu d’études ont jusqu’ici examiné l’effet de l’exposition pré- et/ou postnatale à la pollution sur les troubles du développement. Quelques-unes, fondées sur les niveaux de concentration atmosphérique de polluants spécifiques, ont obtenu des résultats contradictoires. D’autres, approchant l’exposition au mélange de polluants du trafic par la distance à une voie de circulation majeure, rapportent une altération des capacités cognitives et une augmentation du risque d’autisme. Les deux moyens d’évaluer l’exposition ont été employés pour cette investigation dans une cohorte de naissances de l’État de New York (excluant la ville de New York).

Présentation

Conçue à l’origine pour examiner l’impact de traitements de l’infertilité sur le développement des enfants, la cohorte rassemblait 6 171 naissances uniques ou multiples ayant eu lieu entre 2008 et 2010 et prévoyait l’administration aux parents de l’Ages and Stages Questionnaire (ASQ) à six reprises jusqu’aux 3 ans de l’enfant (aux âges de 8, 12, 18, 24, 30 et 36 mois). L’ASQ explore les aptitudes dans cinq domaines (la motricité grossière, la motricité fine, la communication, le fonctionnement personnel et social et la résolution de problèmes), chacun faisant l’objet de six questions. Les réponses sont cotées de 0 (l’enfant n’y est encore jamais parvenu) à 10 (compétence définitivement acquise). Aux États-Unis, cet instrument est recommandé pour le dépistage précoce des retards du développement, définis (pour chaque domaine individuellement et globalement) par un score inférieur d’au moins deux écarts-types à la valeur moyenne dans un échantillon de référence de plus de 15 000 enfants.

La population analysable a été restreinte à 5 825 enfants issus de grossesses monofœtales (n = 4 809) ou gémellaires (n = 1 016) qui avaient été évalués au moins une fois et dont les adresses étaient géocodables. Pour la majorité des enfants (57 %), l’adresse de naissance se situait à une distance comprise entre 100 et 500 m d’une voie à fort trafic, et une petite fraction (4,8 %) était éloignée de plus de 1 000 m. Prenant ce groupe (n = 280) pour référence, une première analyse identifie une relation entre la proximité résidentielle à une route majeure et le risque d’un score anormalement bas établi à un moment quelconque du suivi dans le domaine particulier de la communication. Le risque relatif (RR) pour les enfants du groupe le plus nombreux (100-500 m) est égal à 2,07 (IC95 : 1,02-4,22) dans le modèle complet (ajustement sur l’âge, le niveau d’études, l’ethnicité, la couverture maladie et les consommations d’alcool et de tabac maternels, ainsi que le traitement de l’infertilité, la saison de conception, l’unicité/gémellité, les complications gestationnelles [diabète, hypertension], l’âge gestationnel, le poids de naissance et la densité du trafic sur la route importante la plus proche). À moindre distance d’une voie à fort trafic (50-100 m), le RR est égal à 2,12 (1-4,52). Les résultats concernant les autres domaines de l’ASQ et l’évaluation globale ne sont pas significatifs.

Analyses fondées sur l’exposition aux polluants

Dans la zone de l’étude, le modèle de l’Agence de protection de l’environnement fournit des prédictions journalières des niveaux de concentration des PM2,5 et de l’ozone (résolution au niveau du secteur de recensement), qui ont été utilisées pour déterminer, d’une part, l’exposition prénatale, d’autre part, l’exposition postnatale moyenne jusqu’au moment de l’évaluation (la période prise en compte allait ainsi de la naissance à 24 mois pour l’analyse du risque de retard d’acquisition des compétences à cet âge).

Outre l’adresse du domicile, celle du lieu d’activité professionnelle de la mère a été considérée pour l’exposition prénatale, estimée (pour chaque trimestre de la grossesse et sa durée totale) en moyennant les concentrations modélisées aux deux endroits. De même, l’estimation de l’exposition postnatale a été raffinée par la prise en compte, le cas échéant, du lieu de garde de l’enfant. Les adresses ont été mises à jour à chaque contact avec les participants.

L’exposition prénatale aux deux polluants apparaît associée au risque de retard d’acquisition à un moment quelconque du suivi dans certains domaines (modèle ajusté sur l’exposition postnatale ainsi que les mêmes variables que précédemment moins la densité du trafic). L’impact global (considérant les scores dans les cinq domaines) est faible, mais parfois significatif. L’augmentation de 10 μg/m3 du niveau des PM2,5 sur la période du premier trimestre de la grossesse augmente ainsi d’1,6 % (0,1-3,2 %) la probabilité d’un score ASQ total inférieur à deux écarts-types à une quelconque étape du développement. L’estimation est plus forte (2,7 % [0,6-4,9]) pour l’exposition durant le troisième trimestre. L’augmentation des concentrations d’ozone (incrément de 10 ppb) accroît respectivement de 0,7 % (0,1-1,4) et 1,7 % (0,6-2,9) le risque de score ASQ total anormalement bas pour les fenêtres d’exposition du deuxième trimestre de la grossesse et de sa durée totale.

Les analyses relatives à l’exposition postnatale aboutissent à un ensemble peu cohérent pour les PM2,5 contrairement à ce qui se dessine pour l’ozone. Son impact sur l’ASQ à 24 mois est particulièrement clair : l’augmentation de 10 ppb de la concentration atmosphérique affecte quatre des cinq domaines et accroît de 17,7 % (10,4-25,5) le risque de score total inférieur à deux écarts-types.

Les analyses avec des modèles bi-polluants aboutissent à des résultats du même ordre. Certaines associations sont renforcées dans la sous-population des 1 971 enfants de familles n’ayant jamais déménagé au cours du suivi.

Reconnaissant les défauts de leur étude (en particulier l’absence d’information sur l’intelligence maternelle et l’évaluation imparfaite de l’exposition individuelle), les auteurs appellent à la réalisation d’autres travaux susceptibles de consolider ces résultats. Ils souhaitent aussi que l’attente de nouvelles publications ne repousse pas les efforts visant à réduire l’exposition des femmes enceintes et des jeunes enfants à la pollution atmosphérique.


* Ha S1, Yeung E, Bell E, et al. Prenatal and early life exposures to ambient air pollution and development. Environ Res 2019 ; 174 : 170-5. doi : 10.1016/j.envres.2019.03.064

1 Department of Public Health, School of Social Sciences, Humanities and Arts, Health Sciences Research Institute, University of California, Merced, États-Unis.

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