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Évaluation des méthodes d’obtention de feu en situation de survie en forêt boréale Volume 18, numéro 2, Mars-Avril 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

  • Figure 5

  • Figure 6

  • Figure 7

  • Figure 8

  • Figure 9

  • Figure 10

  • Figure 11

  • Figure 12

Tableaux

Selon le rapport du Protecteur du citoyen [1], la pratique des activités sportives et récréotouristiques au Québec est associée à près de mille traumatismes par année, dont environ 250 peuvent être qualifiés de graves et entraînent en moyenne 25 décès. Cette situation tiendrait notamment à la nature du territoire sur lequel ces activités se pratiquent et à la difficulté de conduire des interventions médicales d’urgence en région isolée, c’est-à-dire hors du réseau routier. Les défis étant le terrain varié, souvent austère, les conditions météorologiques extrêmes et la faible densité de population, qui caractérisent de nombreuses régions du pays [2].

En région isolée, les usagers du milieu naturel sont en effet souvent livrés à eux-mêmes. La personne qui part en expédition a ainsi certaines responsabilités pour assurer sa propre protection et celle de ses accompagnants, et éviter de se retrouver dans une situation de survie. Le terme survie réfère ici à une situation où les conditions dans lesquelles un individu se trouve sont extrêmement dangereuses et, si elles persistent, potentiellement mortelles. Un épisode de survie correspond ainsi au laps de temps entre la survenance d’une urgence critique et le dénouement de la situation [3].

La loi québécoise sur la sécurité civile prévoit une obligation générale de prudence et de prévoyance à l’égard des risques qui sont présents dans l’environnement [1]. La mise en œuvre de cette obligation de prudence nécessite de connaître les principaux dangers potentiels existants sur le territoire dans lequel l’on s’aventure. En zone boréale [4], le froid est le premier danger auquel l’on peut être confronté [5, 6], loin devant d’autres dangers environnementaux (animaux, avalanches, etc.). Les écosystèmes de la forêt boréale connaissent en effet des températures annuelles moyennes se situant généralement sous 0 ̊C (figure 1). Les températures moyennes d’été se situent entre 10 et 15 ̊C, mais les moyennes minimales d’hiver peuvent descendre en dessous de -30 ̊C [7].

Or l’organisme humain ne peut s’acclimater qu’à une plage de températures relativement étroite, dite zone de confort, sans voir minées son énergie et son homéostasie – le processus physiologique qui permet de maintenir certaines constantes de l’organisme nécessaires à son bon fonctionnement [9]. Au-delà du stress psychologique lié à la sensation de froid et à l’angoisse à l’idée de ne pas être secouru [10], l’exposition prolongée à de très basses températures provoque un stress métabolique important. Lorsqu’un individu se retrouve en situation d’hypothermie (perte excessive de chaleur corporelle), l’énergie est presque entièrement consacrée à réchauffer le corps par différentes défenses thermorégulatrices : frissons, chair de poule, dents qui claquent, augmentation de la pression artérielle, des fréquences cardiaques et respiratoires et vasoconstriction, qui augmentent le métabolisme de manière importante. Celles-ci entraînent cependant une grande fatigue et un épuisement progressif. Par la suite, l’organisme tombe dans une léthargie telle qu’il ne lui est plus possible de se réchauffer seul, ce qui peut entraîner la mort [11].

La capacité de l’organisme à retarder l’entrée dans un état d’hypothermie modéré ou avancé, autrement dit la résistance au froid, dépend essentiellement de deux éléments : les conditions du milieu (altitude, humidité, eau froide, température, vent, possibilité de s’abriter, de se mouvoir, etc.), et les ressources personnelles (état de santé, condition physique, présence de lésions associées comme des fractures par exemple, âge, mais aussi connaissances techniques, etc.). Les facteurs qui interviennent sont donc à la fois des facteurs externes et internes. Les facteurs externes, pour la plupart non contrôlables comme les conditions météorologiques, influencent généralement négativement la résistance au froid ; les facteurs internes – soit les ressources dont la victime dispose, dont en premier lieu sa condition physique –, pouvant quant à eux influencer positivement la résistance. C’est le principe de la balance de survie [12, 13] (figure 2).

La possibilité de survivre à une situation critique résulte en effet de la mise en perspective du niveau de difficulté de l’épreuve vécue et des ressources disponibles pour y faire face. Soit l’épreuve surpasse les ressources et la mort s’ensuit ; soit les ressources sont suffisantes et la mort peut être évitée, mais avec une gradation de séquelles éventuelles (blessures temporaires ou permanentes).

Les moyens disponibles pour faire face à l’épreuve de survie sont les ressources de toute nature qui sont mobilisables pour supprimer les impacts ou conséquences de la situation ; ou tout du moins les réduire ou les atténuer. Par ressources mobilisables, on entend :

  • les ressources humaines, c’est-à-dire la condition physique, l’état psychologique, le savoir-faire technique et la capacité d’analyse décisionnelle des victimes au moment de l’épreuve [3] ;
  • les ressources matérielles disponibles (par exemple : équipement sur soi, dans un sac à dos, dans un périmètre immédiat incluant un véhicule ou un chalet [briquet, couteau, trousse de premiers soins, moyens de communication, nourriture, vêtements, etc.]) ;
  • les ressources environnementales (par exemple : combustible, plantes comestibles, abri naturel, etc.).

Dans le présent cas, disposer d’un équipement adéquat et de compétences techniques pour faire un feu pourrait compenser les conditions météorologiques particulièrement adverses en zone boréale, et favoriser ainsi le maintien de la température basale. Cela permettrait, en plus d’autres actions critiques en situation de survie comme l’éclairage, la signalisation de détresse, l’accroissement du sentiment de sécurité et un réconfort psychologique .

C’est au regard de ce contexte que l’objectif de la présente recherche est d’évaluer la capacité de recourir à des ressources matérielles de fortune pour faire un feu en situation de survie, et ainsi pouvoir préconiser aux usagers du milieu naturel les méthodes d’obtention (allumage) de feu les plus efficaces et les plus réalistes pour assurer notamment le maintien de la chaleur corporelle. Les conclusions de cette étude ont ainsi vocation à être utilisées dans le cadre de formations professionnelles de survie en forêt pour améliorer la sécurité et réduire la fréquence et la gravité des accidents. De telles formations sont dispensées depuis 1996 par le Laboratoire d’expertise et de recherche en plein air (LERPA) de l’université du Québec à Chicoutimi (UQAC), à l’attention des professionnels intervenant en région isolée (Hydro-Québec, Service canadien de la faune, ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec, etc.) et dans le cadre du baccalauréat en intervention plein air de l’UQAC. Il existe donc un besoin impérieux d’asseoir ces formations sur une base scientifique rigoureuse et sur des recherches directement appliquées au contexte biogéographique réel des activités conduites par ces agences et ces professionnels.

Méthodologie

La séquence méthodologique retenue était double : inventorier les méthodes de fortune identifiées par les sites internet spécialisés et susceptibles d’être applicables au contexte de la forêt boréale, et évaluer leur efficacité réelle par le biais de l’expérimentation.

La première étape consistait à inventorier les méthodes utilisables pour faire du feu sans allumettes ni briquet, mais uniquement avec des méthodes et équipements de fortune (y compris des moyens utilisant des équipements modernes, techniques et non naturels). Cet inventaire a été réalisé à partir du moteur de recherche Google et de deux listes de dix mots clés, une en français et une en anglais, pour un total de 4 000 sites consultés. Les descriptions (textuelles, vidéos ou images) des méthodes proposées par les sites web professionnels ont par la suite été retenues, mais non les pages amateures, ni les forums de discussion, afin d’assurer une certaine crédibilité aux méthodes référencées. Le premier objectif étant toutefois d’effectuer un large inventaire, sachant que l’étape subséquente permettrait au final de ne retenir que les méthodes les plus opérationnelles.

Lors de la deuxième étape, l’efficacité réelle des techniques identifiées a été évaluée par le biais d’expérimentations pratiques. Trente essais ont été réalisés pour chacune des techniques afin de pouvoir disposer d’un échantillonnage statistique acceptable. Ces expérimentations ont été réalisées par 70 étudiants finissants du programme de baccalauréat en intervention plein air de l’UQAC, afin de disposer d’un panel d’expérimentateurs diversifié et que les résultats ne soient pas biaisés par l’expérience de l’un ou l’autre d’entre eux. À noter cependant que le niveau de compétence technique générale de ces étudiants, en lien avec la maîtrise du feu notamment, est supérieur à la moyenne de la population, ceci ayant été validé à l’aide de l’outil PSF (potentiel de survie en forêt) [3]. Cet outil, qui repose sur une auto-évaluation diagnostique, permet l’évaluation de la capacité d’un individu à surmonter les dangers hypothétiquement les plus fréquents au regard de ses prédispositions, aptitudes et compétences personnelles en lien avec la condition physique, l’état psychologique, le savoir-faire technique et la capacité d’analyse [14]. Les tests ont été réalisés en environnement intérieur et extérieur, après explication des techniques et démonstration par un instructeur de survie. Les résultats ont été compilés au moyen d’une fiche synthèse standardisée, sous le contrôle d’assistants de recherche pour s’assurer du respect du protocole d’expérimentation et de la validité des résultats.

Les amadous naturels utilisés – i.e. les matériaux combustibles servant à l’allumage initial d’un feu – ont été les suivants : champignon chaga (Inonotus obliquus), écorce de bouleau blanc (Betula papyrifera Marshall), fibre d’écorce de thuya occidental (Thuja occidentalis L.) (figure 3), ces espèces étant présentes en forêt boréale. D’autres amadous ont également été utilisés, comme du papier et du coton, en raison de leur présence assez courante dans les équipements de plein air (carnet de notes, trousse de premiers soins, par exemple).

Lors des expérimentations, les éléments suivants ont été évalués :

  • la nécessité de disposer ou non d’outils pour réaliser la technique et/ou pour préparer l’équipement requis pour mettre en œuvre la technique de feu (par exemple, couteau pour tailler un morceau de bois) ;
  • la nécessité de disposer ou non d’une expertise technique pour mettre en œuvre la méthode ;
  • la nécessité de disposer ou non d’une certaine dextérité, force et/ou endurance physique pour mettre en œuvre la technique ;
  • la durée des essais, depuis la prise en main de l’équipement jusqu’à l’obtention de feu, le cas échéant.

À noter dans ce dernier cas que le temps alloué à la confection de l’équipement (par exemple, fabriquer un arc à feu – soit l’outil fait d’une branche courbe et d’une cordelette qui permet d’obtenir un avantage mécanique lors du feu par friction entre deux morceaux de bois) n’a pas été comptabilisé dans le temps nécessaire pour l’obtention du feu, mais pris en compte dans les analyses. L’obtention de feu a été validée soit en cas d’obtention d’une flamme, soit en cas d’obtention d’un tison, puisque toutes les techniques et tous les amadous ne conduisent pas de facto à une flamme. Les conditions permettant d’obtenir un feu à partir d’un simple tison seront également abordées comme facteurs limitatifs dans les discussions. À noter enfin que dans le cas d’une absence de feu, les raisons apparentes ou probables justifiant l’échec ont été indiquées par les expérimentateurs. Toute autre considération au regard du déroulement des expérimentations (essai de variantes par rapport au modèle théorique, utilisation d’outils supplémentaires, modification du nombre des expérimentateurs, etc.) a également été systématiquement relevée.

Résultats

Au terme de l’inventaire en ligne, 409 occurrences ou citations de techniques ont été répertoriées, correspondant au final à 33 techniques distinctes (tableau 1). Après analyse des principes généraux d’obtention de feu, une classification systématique a pu être réalisée permettant de classer ces 33 techniques en six grandes catégories de méthodes :

  • conduction mécanique par compression : lorsque la pression d’un gaz augmente, la température augmente ;
  • conduction mécanique par friction : échauffement du combustible par frottement ;
  • conduction mécanique par percussion : transfert d’un flux thermique lors d’un impact rapide et fort ;
  • conduction électrique ou effet Joule : transfert thermique dû aux courants électriques créés dans une masse conductrice ;
  • rayonnement par magnification de la lumière solaire : le rayonnement électromagnétique (rayonnement infrarouge) se propage en ligne droite à la vitesse de la lumière, sans support matériel. Lorsque ce rayonnement atteint un élément, une partie est réfléchie, tandis que l’autre est absorbée et se transforme en chaleur dans l’élément récepteur ;
  • réaction chimique dite réaction exothermique d’oxydation : échanges d’électrons entre les composés au cours de la réaction chimique.

Les techniques les plus représentées sont les techniques de conduction mécanique (13/33), suivies de celles utilisant le rayonnement solaire (8/33) et des méthodes chimiques (8/33), puis des méthodes électriques (4/33). Au niveau des expérimentations, le taux moyen de succès (obtention de feu) est de 38 % pour l’ensemble des 33 techniques, mais avec un écart-type considérable (37,3). Dans les faits, seules 24 des 33 techniques ont permis l’obtention de feu à au moins une occasion. Dans le cas d’obtention de feu, le temps moyen nécessaire était d’environ 10 minutes.

Discussion

Congruence des résultats au regard des objectifs de recherche

En raison du choix de mots clés assez génériques, retenus pour s’assurer de ne passer à côté d’aucune technique potentiellement appropriée, de nombreuses méthodes dangereuses ou fantaisistes ont été répertoriées. Or le contexte de survie induit notamment que les risques à prendre doivent être limités pour ne pas aggraver la situation, déjà critique par nature. Une première sélection a donc dû être opérée pour ne conserver que les 33 techniques potentielles. Une seconde sélection de 19 méthodes parmi les 33 potentielles a par ailleurs été opérée en considérant le contexte particulier où celles-ci ont vocation à être employées, lequel présuppose par définition une forme d’isolement des victimes et donc une accessibilité très restreinte à des équipements matériels. L’objectif était ici d’opérer une démarche systématique de sélection selon des critères de disponibilité des ressources et d’adéquation aux conditions locales (de faisabilité), laquelle correspond à une démarche de hiérarchisation/priorisation des risques objectifs et d’évaluation des réponses adéquates.

Méthodes de fortune versus méthodes de substitution

Concrètement, l’objectif de recherche était d’évaluer la capacité de recourir à des ressources matérielles pour faire un feu de fortune en situation de survie. Les techniques visées sont des techniques permettant d’obtenir du feu avec les seuls moyens existants sur place, donc avec le peu qui est à disposition, en convertissant par exemple des équipements ou du matériel qui ne sont pas par nature destinés à produire du feu (en anglais, de fortune se dit makeshift : transformer, convertir), ou encore en improvisant à partir des ressources naturelles locales. En considérant la liste des résultats obtenus, certaines méthodes ne répondant pas à cette prémisse ont ainsi été écartées des analyses finales. Ainsi, le firesteel (3.3 – figure 4), le piston à feu (1.1 – figure 5) [15], ou encore les fusées de détresse (6.8) [16] sont bien des méthodes de production de feu alternatives au briquet et aux allumettes. Mais elles ne sauraient être entendues comme méthodes de fortune pour obtenir du feu, puisqu’il s’agit d’outils en soi, dont l’efficacité est constante, la production de feu étant constitutive de leur utilisation. Par ailleurs, la seule possibilité d’y recourir en situation de survie est d’en disposer sur place, l’équipement ne pouvant pas être créé ou reproduit en forêt.

Disponibilité réelle des ressources en forêt boréale

Un second correctif a été apporté en considérant le fait qu’une situation de survie vécue en forêt boréale conduit à ne pouvoir utiliser que les ressources présentes dans un tel milieu. Le critère discriminant est donc ici la disponibilité des ressources. Concrètement, plusieurs méthodes inventoriées permettant de produire du feu, comme par exemple certains feux par percussion, sont peu applicables au contexte forestier québécois. Ces méthodes nécessitent de disposer de matériaux précis qui, une fois frappés les uns sur les autres, produisent des étincelles permettant de créer un tison puis une combustion [17, 18]. Or s’agissant de la forêt québécoise, les roches requises pour ce type de feu ne sont pas des minéraux facilement accessibles en zone boréale [19-21]. De la même manière que le silex n’est pas naturellement présent en forêt boréale, l’absence de bambou élimine la technique du feu par sciage (2.7) des techniques à considérer (ceci après plusieurs tests d’essences présentes en zone boréale [sapin, thuya, épinette, sureau évidé] pouvant présenter des caractéristiques semblables). Enfin, six autres techniques ont été écartées de la sélection finale des méthodes de fortune applicables à la forêt boréale : les méthodes chimiques issues d’une réaction exothermique d’oxydation. La raison du rejet de ces méthodes est ici double : elles constituent des méthodes de substitution puisqu’elles visent par principe à obtenir automatiquement du feu, et surtout elles proviennent de produits inexistants en forêt boréale et impossible à reproduire. Au terme de cette analyse, seules 19 des 33 méthodes initialement inventoriées peuvent être conservées puisqu’il s’agit réellement de méthodes de fortune, et qu’elles sont de surcroît applicables à la forêt boréale en raison de la disponibilité des matériaux qu’elles requièrent (tableau 2).

Efficacité réelle des techniques de fortune retenues

Sur ces 19 techniques correspondant à l’objet de recherche, seules 12 ont réellement permis de produire un feu lors des tests. A contrario, sept autres techniques n’ont permis d’obtenir ni tison ni flamme, alors même qu’elles avaient été identifiées au total à 70 reprises, lors de la phase d’inventaire, comme méthodes d’obtention de feu. Ces techniques non efficaces concernent essentiellement celles utilisant la magnification de la lumière solaire au moyen d’outil de fortune (canette [5.2], sac plastique [5.4] ou encore glace [5.5]). Or la raison de l’insuccès est que ces outils de fortune, en raison du matériel ou de la matière qui les composent, n’ont pas permis ici une concentration des rayons solaires suffisante pour créer un échauffement nécessaire pour initier une combustion. Une seconde catégorie de méthodes n’ayant pas permis d’obtenir de feu concerne trois méthodes par friction : friction manuelle (2.2 – figure 6), pompe à feu (2.4 – figure 7) et lanière à feu (2.5). La friction manuelle est particulièrement intéressante puisqu’il s’agit de la troisième méthode la plus fréquemment relevée, toutes catégories confondues (35 occurrences lors de l’inventaire). Or s’il s’agit d’une méthode assez basique quant au matériel requis et largement diffusée par la littérature spécialisée, quiconque s’est essayé à produire du feu de cette manière sait à quel point elle nécessite de la résistance physique mais surtout une dextérité et un savoir-faire certains.

S’agissant des méthodes qui fonctionnent pour obtenir du feu (tableau 2), elles correspondent essentiellement aux mêmes grandes catégories précédentes, mais apparaissent plus efficaces au regard des équipements qu’elles emploient et des techniques qu’elles sollicitent. Les deux méthodes les plus efficaces de toutes reposent sur le principe de magnification de la lumière, mais au moyen d’outils plus performants. La loupe (5.1 – figure 8) et la lentille concave (5.8) ont ainsi, grâce à leur pouvoir grossissant, une capacité supérieure de concentration de la lumière, ce qui tend à expliquer leur taux de succès très important et la durée assez rapide d’obtention d’un tison. Ces lentilles concaves peuvent être obtenues à partir de certaines lunettes de vue ou de lentilles d’appareil photo par exemple. Parmi les autres méthodes fonctionnelles, certaines méthodes de feu par friction arrivent en bonne place dans le classement des plus efficaces. Il s’agit de la méthode dite de la lanière à feu inuit (2.6 – figure 9), de l’arc à feu (2.1 – figure 10), puis dans une moindre mesure de la technique Rudiger (2.8 – figure 11) et enfin de la charrue à feu (2.3). Les deux premières fonctionnent sur un mode similaire : l’utilisation d’une corde pour permettre la rotation d’un foret de bois sur une autre pièce de bois, entraînant un échauffement par conduction mécanique. Ces deux méthodes constituent des méthodes efficaces mais nécessitent beaucoup de compétences pour sélectionner les matériaux et les manipuler, en plus de requérir des outils comme un couteau voire une scie pour les préparer. Concernant la technique dite de la charrue à feu, il s’agit de la méthode de friction en longueur popularisée par le film « Cast Away » de Robert Zemeckis (2000). Le faible taux de succès relevé (6 %) tend à s’expliquer surtout par la force et l’endurance importantes requises pour obtenir un tison. La friction doit être intense, rapide et longue pour espérer en produire. Dernière technique par conduction mécanique ; la technique dite de pierre à feu est celle qui utilise un briquet vide pour produire une étincelle (3.4). Une méthode consiste à ramasser sur soi des petites fibres de tissus, ressemblant à de petits restes de sécheuse, et d’en faire une petite mèche que l’on met au bout d’un amadou naturel (ex : usnée barbue). Il faut alors tenir le tout à l’envers au-dessus de la pierre en activant le briquet. Les petites étincelles peuvent alors « brûler » les petites fibres puis embraser l’amadou.

À noter plus globalement que neuf des 12 techniques qui fonctionnent ne conduisent pas directement à l’obtention d’un feu (flamme) mais uniquement à l’obtention d’un tison. Or en pratique, le passage d’un tison dégageant très peu de chaleur à un feu est loin d’être automatique. Celui-ci requiert un savoir-faire certain (technique du « cigare » notamment – figure 12), et des amadous secs de qualité (écorce de bouleau, « nid » confectionné avec de la fibre de cèdre, lichen de type usnée barbue par exemple).

Conclusion

Au terme de cette recherche, plusieurs conclusions semblent s’imposer. La première est que contrairement à certaines idées reçues, notamment véhiculées de plus en plus par les vidéos personnelles diffusées en ligne (sur YouTube par exemple) et qui montrent des tests très concluants mais réalisés dans des conditions très variables et sans préoccupation de leur caractère scientifique, les techniques de fortune permettant d’obtenir du feu sans briquet ni allumettes et analysées ici présentent globalement une efficacité très limitée. Les succès obtenus étant notamment assortis de nombreuses conditions ou prérequis précis. Il est ainsi apparu que les méthodes qui fonctionnent nécessitent des conditions environnementales très favorables (présence de soleil, d’amadou sec et de bois tendre, etc.) ; elles requièrent également pour la plupart des équipements spécifiques (corde, couteau, bouteille, batterie, etc.) pour être mises en œuvre ; elles nécessitent enfin des compétences techniques avancées pour pouvoir être correctement réalisées. Globalement, on constate que plus les techniques sont rudimentaires (peu d’équipement nécessaire), plus des compétences techniques sont requises et plus le taux de succès est faible voire nul, y compris comme testé ici par des professionnels de l’intervention plein air aux compétences avancées en autonomie en milieu naturel.

Ces constats tendent à souligner que le signal envoyé par les sites internet spécialisés ou qui se présentent comme tels, et par ailleurs souvent nourris par la littérature grand public concernant la survie en forêt qui elle-même n’est pas assujettie à une exigence de véracité scientifique, est majoritairement trompeur. En diffusant l’idée selon laquelle les techniques de fortune sont aisément reproductibles, ces sites et ouvrages peuvent concourir à induire chez les usagers du milieu naturel un faux sentiment de sécurité au regard d’une accessibilité assez aisée à un feu, même en contexte de grande précarité. Il convient alors, dans un objectif de santé publique, d’insister en contrepoids sur la nécessaire prévoyance qui doit être de mise lors des séjours en région forestière de la zone boréale. Celle-ci implique notamment de disposer en tout temps de l’équipement adéquat pour se prémunir du principal danger qu’est le froid. D’avoir sur soi, et en récurrence dans son sac à dos, un briquet ou des allumettes et des allume-feux est le gage de n’avoir jamais à recourir à des méthodes de fortune à l’efficacité très limitée. Suivre des formations de survie, conduites par des experts habilités, est par ailleurs un moyen d’être sensibilisé à l’importance de la prévention au regard des risques vitaux associés à l’environnement boréal, en plus d’être formé adéquatement aux techniques de feu et aux méthodes de fortune.

Remerciements et autres mentions

Crédits photos : Capture Photographie.

Financement : la présente recherche a été conduite grâce aux ressources du Laboratoire d’expertise et de recherche en plein air (LERPA) de l’université du Québec à Chicoutimi ; liens d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.

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