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Environnement et santé : politique de l’Union européenne Volume 18, numéro 2, Mars-Avril 2019

Illustrations


  • Figure 1

Éléments de situation en Europe

Les questions environnementales et climatiques sont une cause populaire auprès des citoyens européens. Quatre citoyens européens sur cinq (Union européenne [UE] : 81 % - France : 83 %) estiment que les questions environnementales ont des répercussions sur leur vie quotidienne et leur santé. Les deux premiers sujets de préoccupations sont le changement climatique et la pollution de l’air [1].

Dans son ensemble, l’UE représente environ 13 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales. Une proportion inférieure à celles de la Chine et des États-Unis, toutes deux situées à environ 20 % malgré des performances écologiques individuelles diverses. La France se situe en deçà de la moyenne européenne (6,7 tonnes) avec 5 tonnes de GES par habitant [2]. Le paquet climat et énergie 20-20-201 adopté en 2009 par l’UE a été le premier du genre au niveau mondial. Sa révision en 2014 porte des objectifs pour 2030 plus importants :

  • une diminution de 40 % des émissions de GES par rapport à 1990 ;
  • une proportion minimale de 27 % pour les énergies renouvelables ;
  • une amélioration d’au moins 27 % de l’efficacité énergétique.

Elle reste critiquée car pas assez ambitieuse et non contraignante pour les deux derniers objectifs [3].

Enjeu très prégnant, la pollution atmosphérique, qualifiée de « tueur invisible » par l’Agence européenne de l’environnement (AEE)2, dépasse toujours les limites établies par l’UE malgré de lentes améliorations. Cette agence détaille dans son dernier rapport les données d’impact et de décès prématurés sur les trois polluants les plus nuisibles pour la santé. Dans l’UE-28, les décès prématurés attribués à l’exposition aux particules fines (PM2.5), dioxyde d’azote (NO2) et ozone troposphérique (O3) sont respectivement de 391 000, 76 000 et 16 400. Le transport routier reste la source la plus nocive [4]. Si de nombreuses actions ont été mises en œuvre ces dernières années, le plus souvent à l’échelle des métropoles, une part substantielle de la population demeure exposée à des niveaux de pollution dangereux pour la santé. Ainsi, la Commission européenne a récemment décidé de saisir la Cour de recours contre l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni pour non-respect des valeurs limites fixées pour le dioxyde d’azote et pour manquement à l’obligation de prendre des mesures appropriées pour écourter le plus possible les périodes de dépassement. Les limites fixées par la législation de l’Union sur la qualité de l’air ambiant (directive 2008/50/CE) pour le dioxyde d’azote devaient être respectées en 2010 [5].

Chacun pourra réaliser au travers des normes et litiges, ainsi que des objectifs de portée volontaire décrits par le biais de ces deux sujets emblématiques, l’existence d’une politique et d’une gouvernance européenne pour l’environnement. Tentons d’y voir plus clair...

Quelle politique en Europe ?

Si l’UE n’est pas encore verte, un consensus existe pour affirmer qu’à l’échelle de ses 28 États membres, celle-ci reste à l’avant-garde de la cause environnementale par rapport au reste du monde. Depuis les années 1970, l’UE agit surtout grâce à la création de normes et de réglementations qui permettent un rapprochement des législations nationales. Une nouvelle gouvernance et des outils alternatifs volontaires et/ou incitatifs sont venus dans les années 1990 se raccrocher pour des raisons de difficulté de mise en œuvre par les États membres. De nombreux domaines sont ainsi couverts s’inspirant des normes nationales et abordant de manière primordiale les autres domaines politiques de l’Union. Une structuration s’est faite au cours du temps autour de trois axes destinés à répondre aux défis mondiaux que représentent les problèmes environnementaux liés à l’accroissement de la population mondiale et citadine :

  • préserver la pureté de l’air, des océans et d’autres ressources ;
  • exploiter durablement les terres et les écosystèmes ;
  • maintenir le changement climatique dans des limites gérables.

Sur ce dernier point, l’UE entend jouer un rôle de premier plan pour encourager le développement durable au niveau international au travers de sa contribution aux Objectifs de développement durable de l’Organisation des Nations unies (ONU) [6]. Preuve en est du quitus donné aux ministres de l’Environnement par les dirigeants de l’UE au dernier Conseil européen de décembre 2018 [7] pour travailler sur une nouvelle stratégie d’action pour le climat, à la lumière des données présentées dans la communication « Une planète propre pour tous » par la Commission, en tenant compte des résultats de la COP24 à Katowice. Ce Conseil des chefs d’État et de gouvernements s’est aussi engagé à fournir des orientations sur la direction générale à suivre et les priorités politiques au cours du premier semestre de 2019. Cela permettrait à l’UE de présenter d’ici 2020 une stratégie à long terme dans le droit fil de l’Accord de Paris que la nouvelle mandature de l’Union aura la charge de porter...

Un peu d’histoire, quelques principes et une base juridique

Bien qu’elle ne soit pas initialement mentionnée dans les traités, la politique de l’environnement est l’une des premières politiques européennes. Les dirigeants européens déclarent la nécessité d’une politique environnementale communautaire au Conseil européen de Paris en 1972 et adoptent le Programme d’action pour l’environnement (PAE) préparé par les services de la Commission sous l’impulsion de plusieurs États membres. Ce plan d’action sera le premier d’une série pour définir les priorités de l’UE en la matière et guider ses réalisations. Le dernier d’entre eux, le septième, fixe les objectifs environnementaux communautaires jusqu’en 2020. Ces PAE ont été particulièrement déterminants dans l’orientation de la politique d’environnement absente des traités jusqu’en 1986, date à laquelle, à l’occasion de la première révision des traités, l’Acte unique européen introduit un titre « Environnement » visant à préserver la qualité de l’environnement, à protéger la santé humaine et à assurer une utilisation rationnelle des ressources naturelles.

Les objectifs et les fondements de cette politique ont progressivement gagné un rang élevé dans les traités. Les principes guidant la politique européenne pour l’environnement sont introduits dans les PAE successifs pour être reconnus ensuite dans les traités. Il s’agit de principes généraux comme la subsidiarité et le principe d’intégration de l’environnement dans les autres politiques de l’UE (processus de Cardiff) ainsi que des principes spécifiques :

  • principe de la précaution, outil de gestion des risques qu’il est possible d’invoquer en cas d’incertitude scientifique au sujet d’un risque présumé pour la santé humaine ou pour l’environnement que ferait peser une action ou une politique donnée (ex : règlement REACH) ;
  • principe de la prévention et de la correction de la pollution à la source (meilleures techniques possibles pour « corriger plutôt que réparer ») ;
  • principe du « pollueur-payeur » visant à prévenir ou sinon à corriger les dommages environnementaux causés aux espèces protégées ou aux habitats naturels, à l’eau et aux terres (directive sur la responsabilité environnementale).

La base juridique de l’action en cours se trouve dans le traité de Lisbonne sur le fonctionnement de l’UE de 2009 [8]. Ce traité reprend les avancées faites dans les traités précédents. Il réaffirme la double priorité d’un « développement durable » (article 11) associé à un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement (article 3). La protection de la santé des personnes est clairement énoncée (article 191.1). La personnalité juridique permet désormais à l’Union de conclure des accords internationaux. Cet engagement s’affirme avec la lutte contre le changement climatique, qui est définie comme un enjeu prioritaire pour l’UE au titre à la fois de ses politiques internes et de ses relations extérieures (article 191.1). Le traité reconnaît ainsi l’activisme de la Commission européenne sur le plan international : la Communauté a été précocement signataire de plusieurs conventions internationales.L’UE s’est ainsi progressivement substituée aux États-Unis qui étaient précurseurs et moteurs de mesures de protection de l’environnement dans les années 1970, parce qu’elle a régulièrement promu des mesures plus sévères, aux plans interne ou international, dans les domaines, par exemple, de la gestion des déchets, de la pollution aérienne et de l’exportation des produits chimiques. La production normative de cette politique sectorielle très soutenue, et ce dès l’origine, est remarquable avec environ 700 textes en vigueur recensés en 2000 : l’étendue des problèmes couverts – eau, air, bruit, risque industriel, biodiversité – est comparable à ce qui est traité par le droit national, allant même parfois au-delà [9]. À noter que son champ d’action est limité par le principe de subsidiarité et l’exigence d’unanimité au sein du Conseil dans les domaines de la fiscalité, de l’aménagement du territoire, de l’affectation des sols, de la gestion quantitative des ressources hydrauliques, du choix des sources d’énergie et de la structure de l’approvisionnement en énergie.

Le 7e Programme d’action pour l’environnement

Ce programme en cours, intitulé « Bien vivre, dans les limites de notre planète », adopté par le Parlement européen et le Conseil de l’UE en novembre 2013 couvre la période allant jusqu’à 2020 [10]. Il est mis en œuvre par les institutions européennes et par les États membres en fixant neuf objectifs prioritaires pour la politique environnementale européenne (figure 1).

L’objectif 3, « préserver santé et le bien-être des personnes vivant dans l’UE », décline des mesures concernant les trois principaux problèmes environnementaux préoccupant les citoyens européens, à savoir :

  • garantir la propreté de l’eau potable et des eaux de baignade ;
  • améliorer la qualité de l’air et diminuer les nuisances sonores ;
  • réduire ou éliminer les effets nocifs des produits chimiques.

Il est intéressant de s’arrêter à l’objectif 8 « villes durables » qui vise à promouvoir et à développer des initiatives favorisant l’innovation et le partage des bonnes pratiques dans les villes confrontées à des problèmes communs : le pacte d’Amsterdam de 2016 signé par les ministres chargés des Sujets urbains contient 12 priorités rassemblant les parties prenantes. L’objectif est d’aboutir à la production de plans d’action avec une mise en cohérence les uns avec les autres pour une meilleure réglementation, un meilleur accès aux financements, une meilleure connaissance sur le sujet ; à titre d’exemple, le plan d’action pour la qualité de l’air du partenariat européen [12]. Les aspects positifs de ces initiatives sont à modérer par l’aspect volontariste de l’action. En effet, l’agenda urbain ne fait pas partie de la politique commune, charge aux États de s’approprier la mise en œuvre des recommandations et d’appuyer auprès de la Commission pour des mesures où elle aura compétence (réglementation ou instruments financiers existants).

Le financement des actions pour l’environnement

Depuis 1992, le programme LIFE est l’instrument financier de la Commission européenne de soutien aux projets dans les domaines de l’environnement et du climat. Il s’adresse à des porteurs de projets publics et privés et vise à promouvoir et à financer des projets innovants portant, par exemple, sur la conservation d’espèces et d’habitats, la protection des sols, l’amélioration de la qualité de l’air ou de l’eau, la gestion des déchets ou encore l’atténuation ou l’adaptation au changement climatique. Pour la période 2014-2020, le programme LIFE [13] est doté d’un budget de plus de 3 milliards d’euros à l’échelle européenne. Mais plus généralement, un certain nombre de politiques européennes sont assorties d’objectifs écologiques. Au total, l’UE souhaite ainsi consacrer à la lutte contre le changement climatique au moins 20 % de son budget total, qui s’élève à environ 180 milliards d’euros par an. Fin décembre 2018, le Conseil des ministres de l’Environnement s’est prononcé favorablement pour une prolongation de ce programme après 2020.

L’évaluation à mi-parcours du 7e Programme pour l’environnement 2014-2020

Le troisième rapport de suivi effectué par l’AEE [14] publié fin 2018 est centré sur trois des neuf objectifs du PAE, dont celui relatif à la santé et au bien-être des citoyens. Armé de 29 indicateurs, ce rapport actualise les résultats de rapports précédents par des données 2016 et 2017. Tandis que les objectifs de la thématique prioritaire de préservation du capital naturel sont loin d’être atteints, les questions de transition énergétique et d’économie à faible émission, ainsi que de la gestion de la pollution, obtiennent des scores mitigés. Sur ce dernier point, si les réductions d’émission dans l’air et des polluants dans l’eau sont substantielles, la qualité de l’air et la pollution sonore dans les zones urbaines ainsi que les expositions chimiques multiples ont augmenté. Ces auteurs insistent sur la nécessité pour l’UE d’intensifier ces efforts en termes d’atténuation et d’adaptation climatique, de préservation des ressources et de réduction des impacts de la pollution environnementale. Les engagements sur l’Accord de Paris et les objectifs de développement durable étant clairement rappelés.

Que conclure ? Limites, gouvernance et choix politiques

L’état des lieux des actions entreprises pour l’environnement par l’UE offre ainsi un tableau contrasté. En dépit des engagements pris et des premiers résultats obtenus, notamment en matière de réduction des émissions de GES, scientifiques, ONG, ou encore médias sont nombreux à juger que l’action de l’UE et des États membres stagne, voire faiblit. Les mesures menées par exemple vis-à-vis des perturbateurs endocriniens ou encore certaines substances comme le glyphosate sont régulièrement critiquées [15]. Selon l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI), la production d’électricité engendre encore deux fois trop d’émissions de GES et met ainsi en péril le respect des objectifs à atteindre pour 2030. Les pouvoirs publics sont accusés de privilégier les intérêts de certaines industries face aux enjeux environnementaux et sanitaires.

Le « déficit d’application » des normes européennes mis en avant par la Commission [16] cristallise toujours les limites de la politique. En effet, l’environnement a toujours occupé un rang élevé des secteurs concernés par les plaintes examinées par la Commission. Et pourtant, dès les années 1990,la complexité des questions environnementales et l’interdépendance qui caractérisent les phénomènes en jeu ont entraîné un changement d’orientation de la gouvernance : il s’agit désormais de faire de la mobilisation des publics concernés un moyen de mieux intégrer les contingences économiques, sociales et politiques des contextes nationaux. De nouveaux instruments volontaires et/ou incitatifs (éco-taxe/éco-label), associés à la « soft law », ont vu le jour pour assurer, selon la Commission, une meilleure efficacité des politiques de l’environnement. Des objectifs sont fixés dans les PAE en laissant ouvert le choix des options pour les atteindre. Il est question d’améliorer la qualité des normes communautaires en révisant les textes existants et de réduire le nombre de propositions d’actes, en réponse notamment au mouvement en faveur de la dérégulation, porté au cours de la même période par certains États membres et les milieux économiques. Les raisons invoquées par ces derniers étaient relatives aux coûts engendrés par l’obligation de conformité à ces normes pour les entreprises européennes, mais aussi au peu de soucis accordé par la Commission aux problèmes pratiques d’application des mesures encourageant même les recours [9].

Le 7e PAE en cours, au bilan intermédiaire mitigé, s’inscrit pourtant dans cette lignée. Rappelons que les priorités affichées de la Commission Juncker [17], directement associées à l’emploi et la croissance, contribuent à renforcer l’approche alternative aux normes et à l’exercice de révision des textes pour les simplifier, et de préférence ne pas en ajouter. Dans sa lettre de missions [18], le Commissaire en charge de l’environnement doit rendre compte au Vice-Président en charge de l’emploi, de la croissance et de la compétitivité. Il doit aussi, tout comme le Commissaire en charge du climat [19], collaborer étroitement aux projets menés par ce Vice-Président. Notons également que la santé-environnement ne fait pas partie du champ de compétence du Commissaire en charge de la santé [20]. Ainsi, le niveau élevé de protection de la santé humaine qui doit être assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union (article 168 du TFUE) se concrétise par une implication directe imitée des services en charge de la santé et reste très spécifique ; charge aux services de la Commission en charge de l’environnement de s’assurer, par notamment des consultations interservices, que les services de la santé puissent s’exprimer.

Au-delà de l’ambition politique et de la gouvernance européenne pour l’environnement, et sans doute pour d’autres domaines, c’est la question des choix politiques de l’État membre et sa gouvernance associée qui reste déterminante pour rendre les règles effectives et l’atteinte des objectifs affichés (approche volontaire ou non) pour, faut-il le rappeler, les bénéfices environnementaux et sanitaires de leurs citoyens.


1 Dans ce cadre, l’UE s’est fixée des objectifs ambitieux à atteindre d’ici 2020 : une amélioration de 20 % de l’efficacité énergétique, une part de 20 % d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie de l’Union et une réduction de 20 % de ses émissions de GES (objectifs deux et trois contraignants).

2 Créée en 1993 afin de surveiller l’état de l’environnement en Europe et de fournir aux institutions européennes et aux États membres toutes les informations nécessaires à la mise en œuvre de la politique environnementale européenne. L’agence est en capacité d’évaluer les incidences de tout projet sur l’environnement.

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