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Enquête sur la compréhension du risque Ebola après son irruption aux États-Unis Volume 17, numéro 4, Juillet-Août 2018

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Les participants provenaient d’un panel constitué pour suivre l’opinion de la population sur les attentats après celui du marathon de Boston (15 avril 2013). Les habitants des villes de Boston et New York y étaient sur-représentés (1 787 personnes sur un total de 4 675 Américains de toutes régions). L’enquête sur Ebola a été proposée entre le 29 décembre 2014 et le 27 février 2015 aux 3 196 membres actuels du panel, ainsi qu’aux 1 140 anciens membres ayant accepté d’être recontactés sur d’autres sujets. Le taux de retour a été de 79,5 %, la majorité des répondants (3 114 sur un total de 3 447) ayant complété le questionnaire en ligne (dans 95 % des cas avant le 24 janvier), les autres l’ayant renvoyé par la poste. L’article rapporte les résultats dans l’échantillon redressé pour être représentatif de la population états-unienne en termes de caractéristiques sociodémographiques, sans correction de la sur-représentation de la population des deux villes qui avaient connu des cas d’Ebola. Une méthode alternative de post-stratification corrigeant ce déséquilibre aboutit à des résultats similaires, ce qui indique que les Bostoniens et les New-Yorkais n’ont pas répondu différemment des participants du reste du pays.

Contexte

L’enquête a été réalisée dans une phase de répit après la période émotionnellement intense de l’irruption d’un virus inconnu et potentiellement dévastateur. La menace d’une épidémie s’éloignait, ou du moins marquait une pause, le virus étant présent sur le sol des États-Unis pour une période indéterminée. Le cours des événements s’était ralenti, permettant aux autorités de santé de prendre le recul nécessaire pour affiner l’information délivrée à la population. Elle avait par ailleurs pu accéder à des reportages factuels et sobres, créant l’opportunité d’apprendre des choses importantes et utiles sur la maladie, sa gravité, ses symptômes, sa contagiosité et les moyens de s’en protéger. Mais les processus cognitifs avaient pu être entravés par une couverture médiatique chaotique et volontiers dans le sensationnel, faisant appel à l’affectif et exacerbant le sentiment d’un péril incontrôlable. De plus, la crise sanitaire avait offert un bon sujet d’affrontement politique à l’occasion des élections de mi-mandat : la population avait reçu des messages divergents et subi une distorsion de l’information lui donnant l’impression d’être manipulée.

Dans cette situation complexe, les individus avaient-il réussi à extraire les informations adéquates pour estimer leur risque d’être contaminés et adopter les bons comportements ? Avaient-ils pu se forger une opinion sur la menace Ebola et la façon d’y faire face ?

Les investigateurs se sont appuyés sur les processus décisionnels pour construire leur enquête, considérant que pour répondre de manière appropriée à l’événement, les individus avaient eu besoin de réunir une somme suffisante de connaissances à la fois qualitatives et quantitatives. Par exemple, la décision de porter ou pas un masque pour se rendre dans un endroit potentiellement contaminé nécessite de connaître la transmissibilité du virus par voie aérienne (au delà de savoir que c’est un mode de transmission possible) et le niveau de protection conféré par un masque (pas seulement qu’il peut être utile). Approuver une politique de quarantaine pour les individus exposés au virus nécessite de savoir quel est le degré de contagiosité d’un sujet asymptomatique (pas seulement qu’il peut transmettre la maladie). Des questions amenant des réponses suffisamment précises ont donc été formulées.

Modalités

La perception du risque était évaluée de plusieurs manières. Le répondant devait estimer sa probabilité (de 0 à 100 %) d’être malade dans l’année qui vient, d’en mourir, et d’être contaminé s’il passait une journée au bureau ou une heure en transport en commun avec un individu infecté, selon qu’il était asymptomatique, commençait à se sentir mal ou était franchement malade. Ces questions sur Ebola étaient précédées de quatre autres permettant de familiariser le répondant à l’attribution de probabilités et d’évaluer son sentiment de vulnérabilité (probabilité dans l’année qui vient de : manger une pizza ; voyager hors des États-Unis ; attraper la grippe saisonnière ; être gravement malade). L’exercice était répété pour un Américain « moyen ». Le répondant devait également évaluer le potentiel de dissémination du virus sur le sol des États-Unis (en estimant le nombre de personnes qui pourraient être infectées par un malade) et la gravité potentielle d’une épidémie (en estimant le nombre de décès dans l’année à venir).

Le questionnaire interrogeait par ailleurs sur la pratique de quatre comportements : éviter les espaces publics, se laver les mains ou utiliser une solution hydro-alcoolique plus souvent, porter un masque, éviter les transports en commun (« je l’ai déjà fait », « je le ferais si j’apprenais que quelqu’un est atteint dans mon voisinage », « je ne le ferai pas »). Une section recueillait le niveau de confiance (sur une échelle de 1 à 5) en six sources d’informations (autorités sanitaires fédérales [comme le Centers for Disease Control], autorités locales, dirigeants politiques élus, médecin personnel, médias, famille et amis). La dernière partie du questionnaire abordait la gestion du risque, le répondant exprimant son accord (sur une échelle de 1 à 5) avec plusieurs propositions (les scientifiques ont une bonne connaissance d’Ebola ; un vaccin/un traitement sera disponible d’ici un an ; le pays était bien préparé ; les responsables doivent délivrer à la population une information honnête et précise sur la situation, même si elle est inquiétante ; il faut investir plus dans la capacité de services publics, notamment de santé ; il faut fournir une aide financière aux personnes mises en quarantaine pour compenser leur perte de revenu).

Enseignements

Les réponses individuelles aux questions sur la perception du risque forment généralement un ensemble cohérent, ce qui indique la validité de ce type de questionnaire « exigeant » par la demande d’estimations quantitatives, d’une vision prospective et la manipulation de notions épidémiologiques peu familières comme le « R0 » (nombre de cas secondaires à partir d’un cas initial). Le test de Kendall montre par exemple des corrélations statistiquement significatives entre les estimations du risque d’être malade dans l’année qui vient, de la contagiosité d’une personne infectée et du potentiel épidémique.

Au-delà de cette cohérence interne, les réponses dessinent un risque assez bien cerné. Une gradation est par exemple observée dans l’appréciation du risque d’être contaminé par un collègue asymptomatique (probabilité estimée en moyenne à 28 %), se sentant un peu mal (42,6 %) ou vraiment malade (55,2 %). Une majorité de répondants donne des valeurs de « R0 » et de mortalité basses, plausibles à ce moment où la perspective d’une épidémie importante pouvait être raisonnablement écartée, le pays s’attendant plutôt à une propagation lente du virus.

La recherche de facteurs prédictifs (sexe, âge, niveaux d’études et de revenus, couleur politique) fournit peu d’indications. Les femmes ont une tendance à évaluer plus fortement que les hommes le risque de tomber malade d’un Américain « moyen », le niveau d’études est inversement corrélé au risque perçu (pour soi et les compatriotes), l’âge est inversement corrélé au risque d’être malade mais positivement corrélé à celui d’en mourir, et les plus conservateurs estiment que la maladie est plus transmissible que les autres et soutiennent moins la politique sanitaire.

Les élus et les médias sont les vecteurs d’informations auxquels les répondants font le moins confiance, avec des notes moyennes respectivement égales à 2,44 et 2,58. En revanche, le crédit accordé à son médecin est important (3,91), puis viennent l’entourage familial et amical (3,51) et les autorités sanitaires (fédérales : 3,43 et locales : 3,31).

Si ces résultats sont encourageants, le volet comportemental de l’enquête réserve une surprise : le taux élevé de réponses « je ne le ferai pas » à trois des quatre comportements de prévention proposés – l’éviction des espaces (34,2 %) et des transports publics (31,5 %), et le port d’un masque (40,6 %). Il reste à comprendre cette réticence et à y remédier par une communication adaptée. Les auteurs suggèrent que les autorités dispensent une éducation de base sur les modes de transmission des maladies infectieuses afin d’installer un « cadre mental » général qui pourra être adapté à l’agent pathogène spécifique en temps de crise. L’information devrait alors être précise et factuelle, fondée sur des preuves et pas sur des intuitions, ce qui répond au désir d’une information franche, même inquiétante, exprimé par les répondants à ce questionnaire (note moyenne : 4,34).

 


* Fischhoff B1, Wong-Parodi I, Garfin DR, Holman EA, Cohen Silver R. Public understanding of Ebola risks: mastering an unfamiliar threat. Risk Analysis 2018 ; 38 : 71-83. doi : 10.1111/risa.12794

1 Department of Engineering and Public Policy, Carnegie Mellon University, Pittsburgh, États-Unis.

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