Efficacité des objets et applications connectés dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail : revue de la littérature
Volume 18, numéro 6, Novembre-Décembre 2019
Les dispositifs numériques, chacun peut le constater, connaissent un développement rapide rendu possible par les logiciels et les matériels, le niveau d’équipement des personnes et des entreprises et la facilité de leur utilisation. Gratuits ou payants, les services qu’ils rendent, qu’il s’agisse de faciliter les interactions sociales, d’enregistrer et de stocker des informations, de guider les choix au quotidien, d’automatiser et de faciliter des tâches [1], expliquent aussi leur croissance exponentielle.
D’ici 2020, on estime que près de 20 milliards d’objets connectés (OC) seront en circulation [2]. Tous les domaines sont touchés, mais la santé est particulièrement concernée, qu’il s’agisse de médecine (diagnostic, surveillance, accès aux soins), de prévention/promotion de la santé, de surveillance épidémiologique, etc. Les services offerts sont accessibles en direct ou en différé par des OC [1] : téléphone, tablette, ordinateur portable, montre, lunettes, etc. Ils disposent de capteurs, d’une capacité plus ou moins grande de traitement des données reçues et sont communicants.
Cette effervescence est entretenue par des promesses qui ne sont pas sans soulever des questions de fond relatives à la pertinence et à l’acceptabilité, ce qui renvoie à l’ensemble des conditions réelles qui déterminent leur efficacité [3]. Une diffusion aussi massive, récente et rapide crée une difficulté importante pour réunir des données probantes issues de la littérature scientifique, mais aussi contextualisées et appliquées [4], sur leur efficacité expérimentale et réelle, et leur acceptabilité dans la durée. Peut-être convient-il de réfléchir à de nouveaux cadres conceptuels et méthodologiques pour les produire et les appréhender [5, 6].
Qu’en est-il en santé au travail, domaine où l’offre d’OC se développe activement ? Il nous a semblé intéressant de se focaliser sur ce domaine bien délimité, ce qui permet de clarifier les enjeux, sachant que ceux-ci ne sont pas propres à ce secteur. C’est l’objet de cet article : présenter la situation et les perspectives des OC sur la base d’une revue de la littérature scientifique. En particulier, il s’agit de comprendre comment l’utilisation de ces objets et leurs applications peuvent être envisagées en milieu professionnel, de discuter les preuves disponibles de leurs effets aussi bien en santé qu’en sécurité et de discuter les opportunités et les limites de ce développement.
Matériels et méthodes
Repérage des articles
Pour répondre à l’objectif, nous avons réalisé une revue de la littérature anglaise et française. Le tableau 1 présente la stratégie de recueil, les mots clés et les requêtes utilisés.
Mots clés
Anglais
Français
Occupational Health Smart Devices
Objets connectés Santé au travail
Occupational Health and Safety Smart Devices
Objets connectés Santé et Sécurité au Travail
Occupational mHealth
Occupational eHealth
Occupational mHealth Safety
Occupational eHealth Safety
(Occupational [Title/Abstract] OR workplace [Title/Abstract] OR worksite [Title/Abstract])
AND
(Health [Title/Abstract] OR ehealth [Title/Abstract] OR mhealth [Title/Abstract] OR safety [Title/Abstract])
AND
(Smart [Title/Abstract] OR connected [Title/Abstract] OR digital [Title/Abstract] OR wearable [Title/Abstract])
AND
(Devices [Title/Abstract])
NOT
(Medicine [Title/Abstract] OR hospital [Title/Abstract] OR pharmacy [Title/Abstract] OR intervention [Title/Abstract])
Tableau 1
Mots clés et requêtes de la recherche bibliographique.
Key words and queries for the literature search.
Les recherches ont été effectuées sur cinq bases de données bibliographiques : trois en anglais (Pubmed, Cochrane et Web of Science), deux en français (LiSSa et Cairn.info). Cette dernière base de données bibliographiques est spécialisée en sciences humaines et sociales et de gestion.
Nous avons recherché tous les articles originaux, mais aussi conceptuels et les revues de littérature parues jusqu’au 30 avril 2019. Pour compléter, une recherche manuelle a été réalisée à partir des mots clés des articles pertinents. Toutes les populations visées dans les articles retenus sont des salariés. Nous avons décidé de conserver pour cette revue des articles qui portaient aussi bien sur des questions de sécurité [5], que de santé et de comportements favorables à la santé [6].
Critères d’exclusion
Pour les quatre derniers termes anglais, après vérification de la requête dans la base de données bibliographiques Pubmed, il a été décidé d’exclure « telemedicine » pour éviter les articles ayant trait aux soins curatifs et pour limiter la population d’étude aux salariés.
Les doublons ont été supprimés, de même que les documents ne portant pas sur la sphère professionnelle. La question des effets délétères de l’utilisation de ses objets et applications sur la santé est exclue du champ de ce travail.
Typologie d’usage
Un classement des articles a d’abord été fait selon que l’objet ou application connecté(e) est en lien avec la sécurité, d’une part, ou avec la santé et les comportements favorables à la santé, d’autre part. Les articles ont ensuite été décrits selon leurs auteurs, la date de parution, le pays ou les pays de conception et/ou d’intervention de l’objet ou application connecté(e), le type d’article (conceptuel, étude quantitative, étude qualitative, étude à méthodes mixtes, protocole d’étude), le type d’objet ou d’application connecté(e) et la finalité recherchée.
Ces articles ont alors été classés par auteurs, types de protocole et modalité, principaux résultats, ainsi que selon une typologie d’usage. Cette typologie se base sur celle définie par Podgórski et al. en sept catégories applicables à la sécurité [5], à laquelle nous avons ajouté trois catégories supplémentaires qui relèvent de la prévention/promotion de la santé. Cela donne une liste de dix domaines d’application qui sont présentés dans le tableau 2.
Domaine d’application
1
Suivi de la santé par la mesure de paramètres physiologiques (température, pression artérielle, pouls, respiration, etc.)
2
Suivi du confort au travail (posture, etc.)
3
Géolocalisation du salarié vis-à-vis de zones et situations potentiellement à risque
4
Suivi du niveau de protection par un équipement de protection individuel (EPI)
5
Détection des limites d’autonomie et/ou de la fin de vie d’un EPI
6
Diffusion de message de sécurité ou d’alerte en cas de situation à risque
7
Activation de l’EPI au-delà d’un certain seuil de risque
8
Acquisition de comportements individuels favorables à la santé ou à la sécurité
9
Prévention des facteurs de risques hors comportements individuels
10
Prévention tertiaire (retour à l’emploi, etc.)
Tableau 2
Typologie d’usage des objets et applications connectés.
Typology of smart devices and mobile applications.
Résultats
La figure 1 présente les résultats de la sélection d’articles. À partir d’une base de 180 articles repérés, l’application de nos critères a conduit à sélectionner 23 publications. D’abord, 70 doublons ont été retirés ; ensuite, sur les 110 articles restants, 89 n’étaient pas dans le périmètre retenu (interventions connectées en population générale ou hospitalière, articles d’ergothérapie ou présence du terme « smart » dans le titre mais n’ayant aucun lien avec des objets ou applications connecté(e)s, mobiles ou intelligentes). Au final, nous avons retenu 12 articles ayant trait à l’utilisation d’un objet ou application connecté(e) pour la sécurité au travail et 11 ayant trait à la santé ou la modification d’un comportement de santé.
Domaine de la sécurité
Sur les douze articles ayant trait à la sécurité au travail, cinq proviennent des États-Unis [7-11], deux de Corée du Sud [11, 12] et du Royaume-Uni [13, 14] et un d’Espagne [15], d’Allemagne [13], de Suède [13], du Portugal [13], de Chine [18], de Singapour [14], d’Italie [17] et du Nigeria [16]. Ils ont été publiés entre 2010, pour le plus ancien, et 2018, pour le plus récent. Trois articles portent sur les concepts généraux (comment penser des OC en sécurité au travail pour deux d’entre eux et un guide pour réaliser une application mobile pour les travailleurs agricoles) [7, 12, 13]. Sept articles rapportent des études quantitatives [8-11, 15-17]. Un article présente une étude qualitative [14] et un autre un protocole d’essai clinique randomisé pour une intervention [18]. Ces résultats sont reportés dans le tableau 3.
Auteurs
Date
Pays
Type d’article
Type d’objets connectés
Finalité
1
Bleser et al. [13]
2015
Royaume-Uni, Allemagne, Suède, Portugal
Conceptuel
« Exosquelette » et dispositif de suivi
Suivi et apprentissage de tâches complexes en milieu industriel
2
Choi et al. [11]
2017
États-Unis, Corée du Sud
Étude quantitative
Veste connectée et bracelet connecté
Veste : localisation de travailleurs vis-à-vis de zones à risque ; Bracelet : suivi du rythme cardiaque
3
Chen et al. [18]
2016
Chine
Protocole d’étude
Messages de santé/sécurité envoyés sur les principales applications de messagerie
Utilisation d’une application mobile dans le cadre d’une intervention « top down »
4
Greenfield et al. [14]
2016
Royaume-Uni, Singapour
Étude qualitative
Tout type de dispositifs connectés et intelligents utilisables par les chauffeurs de camion
Quelle place pour les objets connectés comme dispositifs de sécurité et de prévention pour les chauffeurs de camion ?
5
Ibekwe et al. [16]
2016
Nigeria
Étude quantitative
Application pour téléphones portables
Des applications pour téléphones portables peuvent-elles faire aussi bien que des dispositifs dédiés ?
6
Lee et al. [12]
2010
Corée du Sud
Conceptuel
Gants connectés
Gant disposant de capteur d’activité électro-dermique, de capteur d’ondes pulsées, d’un tissu conducteur et d’un système embarqué pour une utilisation en milieu médical ou industriel
7
Patrizi et al. [17]
2016
Italie
Étude quantitative
Caméra pour application ludique
Un dispositif du commerce peut-il avoir des résultats comparables à des dispositifs dédiés professionnels pour étudier l’ergonomie en milieu professionnel ?
8
Reyes et al. [7]
2016
États-Unis
Conceptuel
Application pour téléphones portables
Quelles applications pour mobiles comme outil de prévention chez les travailleurs agricoles ?
9
Roberts et al. [8]
2016
États-Unis
Étude quantitative
Application et micros supplémentaires pour téléphones portables et lecteur MP3 du commerce
Un dispositif du commerce peut-il avoir des résultats comparables à des dispositifs dédiés professionnels pour le niveau sonore en milieu professionnel ?
10
Snipes et al. [9]
2016
États-Unis
Étude quantitative
Application pour téléphones portables
Améliorer l’utilisation d’un EPI à l’aide d’une application mobile qui promeut l’utilisation de l’EPI grâce à des messages quotidiens
11
Roberts et al. [10]
2017
États-Unis
Étude quantitative
Utilisation lecteur MP3 du commerce
Déterminer la précision du lecteur MP3 du commerce pour mesurer des bruits intermittents et calculer une dose de bruit sur le lieu de travail
12
Sigcha et al. [15]
2018
Espagne
Étude quantitative métrologique
Accéléromètre de montres connectées du commerce
Déterminer les applications possibles des accéléromètres de montres connectées du commerce en prévention des risques professionnels
Tableau 3
Caractéristiques générales des articles inclus dans le domaine de la sécurité.
General characteristics of articles included in the field of safety.
En matière d’usage, six articles décrivent des OC qui permettent l’activation d’un équipement de protection individuelle (EPI) au-delà d’un seuil d’exposition et de risque donné, comme un gant connecté qui peut être utilisé pour détecter l’assoupissement ou bien l’utilisation d’un smartphone (avec application mobile dédiée) pour capter le niveau sonore ambiant en lieu et place de dispositifs dédiés [8, 9, 12, 14, 16, 18]. Sept articles concernent des OC pour permettre l’acquisition de comportements favorables à la sécurité [7, 9, 13-15, 17, 18]. Cinq également ont étudié des OC permettant le suivi du niveau de protection par un EPI [8, 9, 12, 16, 17] et la détection des limites d’autonomie et/ou de la fin de vie d’un EPI [7, 9, 12, 16]. La faisabilité de l’OC ou d’une intervention les utilisant est étudiée dans six articles [7, 11-14, 17] et seulement trois articles se penchent sur les effets [8, 16, 18]. Parmi ceux-ci, deux concluent à la possibilité d’utilisation d’application sur smartphones en lieu et place de dispositifs dédiés et plus chers [8, 16]. Une seule étude analyse les mécanismes de l’acceptabilité de l’usage d’OC dans la construction avec des dispositifs différenciés pour les employés et les managers [11]. Aucune des douze études n’a trait à la prévention tertiaire (basée sur la logique de réparation) ou à la prévention des risques ne relevant pas des comportements individuels. Ces résultats sont reportés dans le tableau 4.
Auteurs
Type de protocole de recherche et modalité
Principaux résultats
Typologie d’usage
1
Bleser et al. [13]
Réalisation d’un prototype
FaisabilitéD’autant plus pertinente dans le contexte actuel de tâches complexes.
2,8
2
Choi et al. [11]
Acceptabilité de dispositifs portatifs et communicants en fonction de l’utilité perçue, la désirabilité sociale, la facilité d’utilisation, le risque pour la vie privée perçue, la motivation hédoniste et la vulnérabilité perçue
L’utilité perçue, l’influence sociale et les risques pour la vie privée perçus sont associés à l’intention d’adopter la veste connectée et le bracelet.L’expérience des travailleurs modère positivement l’association entre utilité perçue et intention d’adopter une veste connectée et négativement l’association entre l’influence sociale et l’intention d’adopter un bracelet. En contexte professionnel, les contremaîtres ont plus tendance à être influencés par l’utilité perçue que les travailleurs pour l’utilisation d’un bracelet.
Veste : 3Bracelet : 1
3
Chen et al. [18]
Essai randomisé en simple aveugle avec trois bras : intervention top down (usage d’objets connectés), intervention participative, aucune intervention. Principal indicateur : utilisation efficace d’EPI (gants protecteurs et masques de protection) ; indicateur secondaire : connaissance en santé au travail
Évaluer si l’intervention, top down ou participative,peut améliorer de manière significative les connaissances, l’attitude et le comportement des travailleurs migrants en matière d’utilisation d’EPI, par rapport au groupe témoin.Examiner si l’intervention participative sera plus efficace que l’intervention top down.
6,7,8
4
Greenfield et al. [14]
Quatre focus groupes pour un total de 34 conducteurs interviewés
Les conducteurs sont prêts à être aidés pour rendre leur style de vie au travail plus sain et utiliser un outil de prévention pour les accidents de la route et les pathologies cardiovasculaires. Mais ils sont plus réservés sur le respect de leur vie privée et l’accès de leurs employeurs à leurs données de santé.
1,3,6,7,8
5
Ibekwe et al. [16]
Étude transversale, analyse comparative entre outils dédiés et applications pour téléphone mobile
Forte corrélation (r = 0,9) entre les mesures prises par les téléphones et les applications mobiles et le micro dédié ; bonne sensibilité comparée au micro dédié.
4,5,7
6
Lee et al. [12]
Prototype d’un gant connecté
Application possible en sécurité au travail : détection de l’assoupissement.
4,5,7
7
Patrizi et al. [17]
Analyse comparative outil grand public vs outil dédié spécifique
L’outil grand public (Microsoft Kinect V1) donne des résultats aussi satisfaisants que l’outil dédié. La technologie à bas prix et sans dispositif dédié permet des avancées dans l’étude de l’ergonomie en milieu professionnel.
2,4,8
8
Reyes et al. [7]
Proposer un cadre pour l’évaluation des applications mobiles en santé et sécurité dans la population agricole
Un cadre théorique basé sur la pertinence, la multiplicité des fonctions, la qualité et le respect de la vie privée. Il se veut facile à appliquer pour les applications en santé et sécurité au travail pour le milieu agricole et peut aussi servir de cadre de base pour les développeurs de ces applications. Ce travail est nécessaire dans un domaine où les applications deviennent trop nombreuses mais dont l’intérêt est réel.
5,8
9
Roberts et al. [8]
Apprécier si des téléphones portables et des baladeurs MP3 peuvent faire dosimètre sonore en milieu professionnel bruyant
Des smartphones et lecteurs MP3 du commerce sont testés avec et sans micro supplémentaire comme dosimètre sonore. Si les résultats paraissent concluants en conditions expérimentales, des ajustements logiciels doivent être faits et le test en conditions réelles est encore à réaliser.
4,5,7
10
Snipes et al. [9]
Décrire le développement et l’étude de faisabilité d’une intervention/application destinée à augmenter l’utilisation d’EPI sur une population de travailleurs agricoles
Bonne faisabilité, satisfaction et acceptabilité de l’intervention/application. Quelques améliorations sur les messages diffusés à prévoir. Globalement, l’application apparaît utile pour favoriser l’utilisation des EPI.
3,4,5,6,7,8
11
Roberts et al. [10]
Utiliser des lecteurs de MP3 connectés du commerce pour mesurer le bruit en milieu professionnel
Les lecteurs MP3 du commerce permettent une mesure relativement précise du bruit en milieu professionnel mais sont moins précis que des dosimètres.
4,5,7
12
Sigcha et al. [15]
Déterminer les applications possibles des accéléromètres de montres connectées du commerce en prévention des risques professionnel
Malgré des limitations techniques dues aux réglages d’usine, ces appareils connectés peuvent être utilisés dans diverses situations de prévention des risques professionnels. Des améliorations pourraient être apportées qui permettraient de mieux gérer les milieux industriels.
4,5,7,10
Tableau 4
Caractéristiques des protocoles d’études et typologie d’usage des objets et applications connectés des articles inclus dans le domaine de la sécurité.
Characteristics of study protocols and typology of uses of smart devices and mobile applications in the articles included in the field of safety.
Domaine de la santé
Sur les onze articles retenus, huit proviennent des Pays-Bas [19-26]. Ils ont été publiés entre 2012 et 2017, dont six en 2017 [20, 21, 23, 24, 27, 28]. Six articles relatent des études quantitatives [20, 21, 25, 27-29], dont une a la particularité de revenir sur un dispositif dont l’adoption a été un échec pour prévenir les troubles musculo-squelettiques [29]. Quatre présentent des études à méthodes mixtes [22, 24, 26, 30] et une seule est une étude qualitative exploratoire [23]. Ces résultats sont reportés dans le tableau 5.
Auteurs
Date
Pays
Type d’article
Type d’objet connecté
Finalité
1
Balk-Moller et al. [27]
2017
Danemark
Étude quantitative
Site web et application mobile
L’outil a été conçu pour aider des travailleurs du secteur sanitaire et social à adopter une meilleure hygiène de vie (pratiquer une activité physique régulière, cesser de fumer, maîtriser son poids)
2
Hennemann et al. [28]
2017
Allemagne
Étude quantitative
Non précisé
Comment rendre une intervention en santé mentale en milieu professionnel plus acceptable et suivie à l’aide d’une intervention de santé connectée ?
3
Hutting et al. [19, 30]
2013
Pays-Bas
Étude à méthodes mixtes
Module de santé connectée avec informations et exercices pratiques
Qu’apporte le module de santé connectée à une intervention contre les troubles musculo-squelettiques pour des salariés ?
4
Kouwenhoven-Pasmooij et al. [20]
2017
Pays-Bas, États-Unis
Étude quantitative
Site web ludique
Apport d’éléments de santé connectée lors d’une intervention de promotion de l’activité physique en milieu professionnel
5
Lokman et al. [21]
2017
Pays-Bas
Étude quantitative
Module de santé connectée avec informations et exercices pratiques
Intérêt d’un module de santé connectée dans une intervention participative de santé pour accélérer le retour au travail
6
Muuraiskangas et al. [29]
2016
Finlande
Étude quantitative “post-mortem”
Application web et mobile
Quel niveau d’adoption en milieu professionnel d’interventions de santé connectée ?
7
Tamminga et al. [22]
2016
Pays-Bas
Étude à méthodes mixtes, protocole d’essai/intervention
Site web sécurisé accessible par les patients et leurs professionnels de santé assurant leur suivi
L’utilisation d’une intervention de santé connectée augmente-t-elle l’acceptabilité et l’adoption de celle-ci ?
8
Velu et al. [23]
2017
Pays-Bas
Étude qualitative exploratoire
Application mobile
Comment réaliser une application mobile pour prévenir les risques de l’activité professionnelle pendant la grossesse ?
9
Volker et al. [24]
2017
Pays-Bas
Étude à méthodes mixtes
Module de santé connectée avec informations et exercices pratiques
Intérêt d’un module de santé connectée dans une intervention participative de santé pour le retour au travail de salariés en arrêt
10
Volker et al. [25]
2015
Pays-Bas
Étude quantitative, essai randomisé contrôlé
Module de santé connectée avec informations et exercices pratiques
Intérêt d’un module de santé connectée dans une intervention participative de santé pour le retour au travail de salariés en arrêt
11
Vonk Noordegraaf et al. [26]
2012
Pays-Bas
Étude à méthodes mixtes, cartographie d’intervention
Site web
Utiliser le protocole de cartographie d’interventions pour développer une intervention de santé connectée
Tableau 5
Caractéristiques générales des articles inclus dans le domaine de la santé au travail.
General characteristics of the articles included in the field of occupational health.
Le seul et unique OC dont il est question dans ces études est le smartphone pour lequel sont développés des applications mobiles ou des sites accessibles (« web app »). Sept articles présentent des applications relatives à l’acquisition de comportements individuels favorables à la santé [20-22, 27-30]. Trois articles relèvent de la prévention tertiaire [24-26] et un de la prévention des facteurs de risques hors comportement individuel [23]. Cette dernière étude analyse les leviers et les freins pour la réalisation d’une application visant à prévenir les risques professionnels pendant une grossesse. Sept articles ont pour but l’évaluation d’une intervention mixte comprenant une prise en charge habituelle (en particulier en santé mentale) plus un module de santé connectée contre une intervention avec prise en charge habituelle [21, 22, 24, 25, 27, 29, 30] : ils montrent des effets modestes mais le plus souvent significatifs pour le retour au travail ou la perte d’indice de masse corporelle. Néanmoins, les questions de la montée en charge des dispositifs et d’une mise en place en conditions réelles et non expérimentales est toujours un facteur d’inquiétude pour les personnes en charge de déployer à plus grande échelle les dispositifs. La faisabilité demeure aussi une question centrale, mais c’est souvent l’acceptabilité qui est au centre des débats [28] (tableau 6). Enfin, on retrouve dans deux articles des OC dont l’usage est décrit comme permettant de suivre la santé du salarié par la mesure de paramètres physiologiques d’intérêt (température, pression artérielle, pouls, respiration, etc.), suivre son confort au travail/étudier sa posture et le géolocaliser vis-à-vis de zones et situations potentiellement à risque [11-14]. Ces résultats sont reportés dans le tableau 6.
Auteurs
Type de protocole de recherche et modalité
Principaux résultats
Typologie d’usage
1
Balk-Moller et al. [27]
Essai contrôlé randomisé en tant qu’intervention sur le lieu de travail. L’outil a été conçu pour aider les utilisateurs à modifier leur hygiène de vie : pratiquer une activité physique régulière, perdre du poids et cesser de fumer.
L’outil basé sur le web et les applications de SoSu-life a eu un effet modeste mais bénéfique sur le poids corporel et le pourcentage de graisse corporelle chez le personnel du secteur des soins de santé.
8
2
Hennemann et al. [28]
Étude transversale sur les facteurs d’acceptabilité d’une intervention de santé mentale connectée en milieu professionnel chez des salariés à risque accru de pré-retraite.
Les attitudes envers « la santé mentale connectée » en milieu professionnel sont plutôt défavorables dans le groupe étudié. La mise en œuvre de « santé mentale connectée » en milieu professionnel nécessite donc une éducation a priori incluant la promotion, la sensibilisation, des témoignages quant à l’efficacité et la facilité d’utilisation dans une approche collaborative.
8
3
Hutting et al. [19, 30]
Étude des expériences des participants d’un programme d’autogestion pour les employés se plaignant de douleurs au bras, au cou ou de l’épaule. Le programme comprenait six séances de groupe combinées à un module de santé connectée.
Les participants ont acquis une meilleure connaissance et une perspicacité face à leurs maux, ainsi qu’une sensibilisation accrue ; tout cela a contribué à un changement de comportement et amélioré l’adaptation. De nombreux participants ont modifié leurs postures au travail et pendant leurs loisirs, tandis que d’autres ont estimé que l’adoption durable de nouvelles postures constituerait un défi.
8
4
Kouwenhoven-Pasmooij et al. [20]
Évaluer l’influence et l’utilisation d’une intervention de jeu en ligne sur l’activité physique, l’indice de masse corporelle (IMC) et le tour de taille chez les employés en surpoids et obèses par une étude avant-après sans groupe contrôle.
Cette intervention mixte en ligne a été bénéfique pour les travailleurs obèses. Devenus physiquement actifs au-dessus des niveaux d’activité recommandés pendant toute la période d’intervention, une influence favorable sur leur IMC et leur tour de taille a été observée. Étendu à une cible plus importante, il faudra veiller à renforcer les équipes de santé afin que les utilisateurs puissent bénéficier d’un suivi identique, levier de l’engagement dans le jeu.
8
5
Lokman et al. [21]
Évaluer les coûts et les bénéfices économiques et en santé d’une intervention de santé connectée (module de santé connectée intégré aux soins de santé en milieu de travail) encourageant les employés absents à retourner plus rapidement au travail par le biais d’un essai randomisé en grappes à deux bras et randomisé par région en un groupe expérimental et un groupe de contrôle.
Pour l’employeur, les bénéfices nets supplémentaires se sont élevés à 3 187 euros par salarié sur une année, soit un retour sur investissement de 11 euros par euro investi, avec un seuil de rentabilité à six mois. Les données suggèrent que l’intervention offre un bon rapport qualité-prix pour pratiquement toutes les parties prenantes impliquées, car les investissements initiaux ont été plus que récupérés en une seule année.
8
6
Muuraiskangas et al. [29]
Étudier les effets d’une intervention numérique non guidée en santé mentale sur le bien-être au travail et les facteurs qui influencent l’adoption de l’intervention. L’intervention était basée sur la thérapie d’acceptation et d’engagement. Son but était d’enseigner des compétences pour la gestion du stress et le bien-être mental. Elle a été réalisée via une application mobile et une application.
Les résultats suggèrent que ni le cadre ni l’approche utilisés dans cette étude n’ont réussi à faire adopter de nouvelles interventions numériques dans les entreprises cibles. Des obstacles ont été rencontrés tant au niveau organisationnel qu’individuel. Au niveau organisationnel, la direction doit être impliquée dans la planification de l’intervention afin de l’adapter aux politiques internes, à l’infrastructure technologique existante et doit cibler les objectifs organisationnels. Au niveau individuel, concrétiser les avantages de l’intervention de prévention et organiser le temps d’utilisation des applications sur le lieu de travail sont susceptibles d’augmenter l’adoption.
8
7
Tamminga et al. [22]
Développer une intervention de santé connectée afin d’améliorer le retour au travail de personnes atteintes d’un cancer et de tester la faisabilité de l’intervention de santé connectée auprès de salariés.
Une conception multi-partenariale et à méthodes mixtes a semblé utile dans le développement de l’intervention de santé connectée. Il était difficile de répondre à toutes les exigences des utilisateurs finaux en raison de contraintes légales et de respect de la confidentialité. L’intervention de santé connectée semblait réalisable, bien que la mise en œuvre dans la pratique quotidienne doive faire l’objet de recherches plus poussées.
8
8
Velu et al. [23]
Composer un aperçu thématique des leviers et des freins perçus selon trois cibles : les femmes enceintes, les professionnels de santé et les employeurs sur l’utilisation d’une application mobile pour prévenir les complications liées à la grossesse en milieu professionnel par le biais de deux focus groupes.
Vingt-quatre leviers et douze freins potentiels pour l’utilisation de l’application dans quatre catégories ont été identifiés. Pour les employeurs, il existe quand même plus de barrières que de leviers, mais une intégration de la démarche aux pratiques habituelles de l’entreprise sera un moyen de lever ces barrières. Les résultats de cette étude sont importants dans le processus de développement d’une application médicale mettant en œuvre une ligne directrice ou des informations factuelles dans la pratique.
9
9
Volker et al. [24]
Une intervention web mixte avec un module de santé connectée intégré en santé au travail, visant le retour au travail, a été développée et jugée efficace chez les employés inscrits sur la liste des maladies mentales courantes. Pour la faisabilité, une évaluation de processus a été effectuée. Des méthodes quantitatives et qualitatives ont été utilisées pour recueillir des données.
La faisabilité de l’intervention et la satisfaction des employés et des médecins du travail étaient bonnes. La fidélité des médecins du travail était limitée. Pour une meilleure adaptation au cadre et pratiques de la santé au travail, l’accès au médecin du travail par les employés devra être facilité.
10
10
Volker et al. [25]
Évaluer l’effet d’une intervention combinée de santé connectée par rapport aux soins habituels pour le retour au travail d’employés malades sur la liste des maladies mentales courantes. L’étude était un essai contrôlé randomisé en grappes à deux bras. Les employés ont été suivis jusqu’à 12 mois. Les principales mesures portaient sur le délai avant le premier retour au travail (partiel ou complet) et le temps écoulé jusqu’au retour au travail complet.
Les résultats de cette étude ont montré que dans un groupe d’employés souffrant de troubles mentaux communs, l’application de l’intervention de santé connectée a permis, comparée à une prise en charge habituelle, d’anticiper le premier retour au travail et de favoriser la rémission des symptômes courants de troubles mentaux.
10
11
Vonk Noordegraaf et al. [26]
Mettre au point une intervention de santé connectée qui outille les patientes en gynécologie après une chirurgie pour un retour au travail rapide et prévenir l’incapacité au travail. Le protocole de cartographie d’intervention a été utilisé pour développer l’intervention de santé connectée. Enfin, l’intervention a été évaluée par des participants aux groupes de discussion, des médecins et des spécialistes de santé connectée au moyen de questionnaires.
Le protocole de cartographie de l’intervention est une méthode utile pour développer une intervention de santé connectée fondée à la fois sur la théorie et la preuve. Tous les patients et les parties prenantes ont jugé que l’intervention était un outil prometteur pour autonomiser les patients gynécologiques pendant la période périopératoire et pour les aider à reprendre leurs activités habituelles.
10
Tableau 6
Caractéristiques des protocoles d’études et typologie d’usage des objets et applications connectés des articles inclus dans le domaine de la santé au travail.
Characteristics of study protocols and typology of uses of smart devices and mobile applications in the articles included in the field of occupational health.
Discussion
Comme souvent, on constate un décalage entre la diffusion rapide d’une technique et les résultats permettant d’en juger la pertinence et l’efficacité. Cette revue de la littérature ne montre pas de résultats probants sur la valeur ajoutée des objets et applications connecté(e)s. Ce n’est pas étonnant, mais il fallait le vérifier.
Les importants investissements dans ce domaine reposent donc sur une promesse et une hypothèse que les objets et applications connectés pourraient être utiles à une amélioration des conditions de travail et à la réduction des risques. La discordance est frappante entre le foisonnement des offres commerciales et la pauvreté des recherches publiées sur l’impact de ces dispositifs.
En termes méthodologiques, le modèle de l’essai thérapeutique reste la référence pour démontrer la causalité et estimer l’efficacité attendue. S’il est difficile d’organiser ici un double aveugle, la procédure d’allocation aléatoire de l’OC permet de contrôler les nombreux facteurs de confusion qui peuvent influencer les résultats. Si l’opérateur a conscience d’utiliser un objet ou une application connecté(e), le choix de celui-ci aura été réalisé aléatoirement et ne biaisera pas les résultats. Parmi les 23 articles analysés, quatre ont eu recours à ce type de protocole.
Deux problématiques d’évaluation doivent être distinguées. La première concerne les propriétés intrinsèques des outils qui devront être appréciées en termes de validité, de sensibilité et de spécificité. La seconde concerne l’impact de ces outils sur la santé des populations concernées et les risques auxquels elles sont exposées.
Le domaine de la santé et de la sécurité au travail offre des perspectives potentiellement intéressantes dans ce domaine. On peut raisonnablement penser qu’il pourrait bénéficier de ces techniques. Déjà, le fait que les populations de travailleurs soient bien identifiées, circonscrites et connues, est un facteur qui peut aider à l’implantation des OC et le suivi de leurs usages. Ensuite, la dispersion des travailleurs entre les unités de travail crée un besoin de mise en relation auquel les OC peuvent répondre en partie. Enfin, la baisse des effectifs de médecins du travail [31] et le coût des campagnes de mesurage des agents exposants pourraient être au moins partiellement compensés par le déploiement des outils connectés.
On note que le recueil de données sur les expositions professionnelles n’a pas encore fait l’objet de publication. C’est pourtant un des secteurs les plus prometteurs. On peut imaginer des dispositifs qui permettront de recueillir au niveau individuel ou collectif des informations sur le stress et ses facteurs, les expositions chimiques, le niveau de bruit, le climat de travail, etc. Aussi, le fait de pouvoir faire des mesures en continu serait une véritable valeur ajoutée pour les démarches de prévention [6, 32]. Même pour des facteurs subjectifs comme les pratiques managériales ou l’organisation du travail, on peut imaginer des applications qui recueilleraient l’avis des employés et qui pourraient servir dans les procédures d’évaluation des compétences.
Pour l’instant, ce sont les EPI connectés qui ont fait l’objet de plus de travaux publiés. On connaît la difficulté d’assurer le respect des consignes dans ce domaine. Le suivi à distance peut apporter une aide pour l’améliorer, mais encore faudrait-il comprendre comment les opérateurs réagiront à leur introduction.
Cette problématique ne devrait pas être analysée sous un angle uniquement technologique. Si les perspectives de progrès de qualité des capteurs et du suivi sont réelles, plusieurs facteurs, notamment d’ordre éthique, pourraient les diminuer. La crainte de l’intrusion dans la vie privée, de « flicage », est sûrement la principale. De même, les questions de savoir qui sera propriétaire des données, comment l’anonymat sera garanti et qui pourra décider de leur usage feront l’objet de débats. Si ces questions ne sont pas anticipées et débattues dans le cadre du dialogue social, on peut s’attendre à ce que surviennent des situations de blocage, voire de sabotage.
Compte tenu de l’ensemble de ces enjeux, de leur diversité au-delà des perspectives financières, on pourrait réfléchir à deux mécanismes de gestion ; d’une part, instaurer une procédure d’autorisation de mise sur le marché ou un dispositif de labellisation ; d’autre part, construire un processus d’évaluation qui, logiquement, pourrait être situé au sein de la Haute Autorité de santé (HAS). Ce processus jugerait de la qualité des preuves et pourrait faire des recommandations sur les protocoles d’évaluation des risques et des bénéfices.
Conclusion
Dans cette période de foisonnement, il est vraisemblable que la situation de relative pauvreté des preuves d’efficacité disponibles va se poursuivre encore quelques années. On ne dispose pas à l’heure actuelle de résultats probants de la valeur ajoutée de l’utilisation d’applications ou d’objets connecté(e)s sur la santé des salariés. Les effets observés sont au mieux modestes. En outre, les questions d’acceptabilité, d’éthique et de propriété des données collectées par ces appareils et applications sont insuffisamment discutées. On pressent que les applications et objets connectés pourraient rendre des services en matière de santé et de sécurité au travail, mais pour l’instant c’est une promesse.
Fondamentalement, la question qui est soulevée ici est la distinction entre l’innovation et le progrès. Toutes les innovations techniques, numériques en particulier, ne sont pas porteuses de résultats tangibles en matière de santé et de sécurité. Ce constat peut être étendu à toutes les applications de santé qui sont proposées de façon quasi quotidienne. Il appartient aux chercheurs et aux professionnels concernés de créer les conditions pour que les motivations commerciales, qui ne sont pas nuisibles en soi, ne constituent pas le seul moteur de ce développement et que celui-ci ne soit pas une nouvelle religion fondée sur l’illusion technique.
Remerciements et autres mentions
Financement : Chaire Entreprise et Santé, financée par le Cnam et Malakoff-Médéric ; liens d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.