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Epileptic Disorders

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Des pionniers de l'EEG au traitement du signal : application à l'exploration des épilepsies de l'enfant Volume 3, numéro spécial 3, Numéro spécial 2, December 2001

L'électroencéphalogramme (EEG) fournit des informations en temps réel avec une très bonne résolution temporelle de l'ordre de la milli-seconde. Il demeure incontournable pour le diag-nostic et la classification des épilepsies. Sa résolution spatiale est inférieure aux autres techniques d'investigations cérébrales (IRM, PET, SPECT...), néanmoins la numérisation de signal EEG en routine et le traitement du signal EEG (cartographie de fréquence et d'amplitude, modélisation dipolaire, couplage EEG-SPECT-IRM, détection des pointes) ouvrent de nombreux champs d'applications dans l'exploration des épilepsies. Les objectifs de cet article sont dans un premier temps de faire un rappel historique du développement de l'EEG puis de donner des informations aux lecteurs sur les nouveautés dans le domaine de la numérisation du signal EEG, du traitement du signal et d'illustrer les applications potentielles aux épilepsies de l'enfant.

Les pionniers de l'EEG

La découverte de l'électricité

Miletos philosophe de l'aire Pré-Socratique (620-550 avant Jésus-Christ) est considéré comme étant à l'origine de la découverte de l'électricité statique. Le terme « électron » est ainsi dérivé du grec mais cette découverte a été oubliée pendant près de 2 000 ans [1].

Au cours du xviie siècle, Otto von Guericke (1602-1686) inventa la machine à friction. C'est au xviiie siècle que fut développée une technique permettant de stocker l'électricité. Ceci permit à Luigi Galvani (1737-1798) de démontrer en 1791 l'existence d'une activité intrinsèque chez l'animal (figure 1)
[1, 2].

Les débuts de l'électrophysiologie

Au xixe siècle Carl Matteuci (1811-1868) à Bologne et Émile Dubois-Reymond (1818-1896) à Berlin ont été les pionniers de la neurophysiologie contemporaine. Dubois-Remond [2] introduisit le terme de « variation négative » correspondant à la diminution de l'intensité du courant faisant suite à une contraction musculaire (figure 2).

Les premières mesures de l'activité électrique du cerveau chez l'animal

Richard Caton (1842-1926) était un médecin pratiquant à Liverpool qui s'intéressait particulièrement à l'activité électrique des hémisphères chez le lapin et le singe. Il visualisa des variations de faible voltage entre deux électrodes l'une placée sur le cortex et l'autre sur l'os. Il n'existe pas de trace graphique des enregistrements de Caton et il est possible qu'une partie des observations de Caton correspondait à des artefacts [3]. Caton est également à l'origine de la découverte des potentiels évoqués dans la mesure où il observa une variation négative de l'activité corticale en fonction de l'activité de l'animal.

Quinze ans après la découverte de Caton, Beck et Cybulsky, à l'université de Cracovie en Pologne, décrivaient les potentiels évoqués visuels et la désynchronisation de l'activité EEG faisant suite à une stimulation sensorielle chez l'animal [4].

L'EEG au cours d'une crise épileptique induite chez l'animal fut pour la première fois décrit par Kaufman en 1912 en Russie [5]. Pour cela il réalisa des craniotomies chez le chien curarisé. Mais c'est son collègue russe Pravdich-Neminsky, qui publia la première photographie d'une crise chez l'animal [6].

Les premières mesures de l'EEG chez l'homme

En 1929, Hans Berger, chef de service de psychiatrie à l'université de Jena en Allemagne, décrivait pour la première fois l'EEG chez l'homme. De nombreux enregistrements étaient réalisés chez son fils Klaus (figure 3) [7]. Bien que la publication de Berger soit illustrée par de nombreuses photographies, elle fut ignorée pendant plusieurs années par la communauté scientifique (figure 4). Le développement de l'idéologie nazi poussera Berger au suicide en 1941.

Ce n'est qu'en 1934 que Adrian et Matthews à Cambridge [8] et Jasper aux États-Unis en 1935 ont confirmé les travaux de Berger [9].

Le début de l'EEG chez l'homme et son application en épileptologie

En 1935, à Boston, Gibbs, Davis et Lennox ont démontré l'existence de complexe de pointe-ondes sur une chaîne d'enregistrement [10]. En 1936, les Gibbs et Lennox (figure 5) ont enregistré des pointes focales chez des patients présentant une épilepsie focale [11].

En 1937, Schwab ouvrait le premier service d'EEG clinique [1]. En 1398, il synchronisait l'image du patient (figure 6). Le premier enregistrement simultané d'une crise et de l'EEG a été publié par Hunter et Jasper en 1949 [12]. Les progrès des techniques dans le domaine de l'audiovisuel vont permettre à partir des années 60 une expansion des enregistrements synchronisés de l'EEG et du patient [13-15].

De l'EEG numérisé au traitement du signal

C'est au milieu des années 80 que l'EEG numérisé est apparu. Le signal analogique est transformé après échantillonnage et conversion analogique-numérique en des données numériques. L'EEG numérisé est maintenant une technique très répandue qui permet d'aborder l'éléctroencéphalogramme très différemment en introduisant des techniques de traitement de signal qui vont aider à la compréhension de ce qui est enregistré. En effet, jusqu'alors seule l'expérience
« visuelle » de l'interprétateur permettait une analyse fiable de l'EEG. Si cette expérience reste indispensable pour une analyse visuelle préalable, les outils de traitement de signal aident maintenant à détecter, à comprendre et à interpréter des modifications pathologiques qui pouvaient passer inaperçues. Dans le domaine de l'épilepsie, l'EEG numérisé a permis le développement d'outils « de routine » qui facilitent la détection des anomalies d'origine épileptique (monitoring, moyennage, lecture condensée), leur quantification (ondelettes) et leur localisation (lecture en montage multiple, cartographie, localisation du générateur, EEG haute résolution).

Monitoring EEG : détection et quantification

L'enregistrement de l'EEG a été facilité par le développement extraordinaire de l'informatique ces dernières années. Il est maintenant possible de stocker sur un disque dur des EEG prolongés de plusieurs semaines. C'est pourquoi le monitoring continu de l'EEG s'est développé afin d'augmenter les chances de détecter des anomalies EEG intercritiques ou d'enregistrer des crises. Si le stockage des données EEG ne pose plus problème, la principale limite est liée au temps de lecture de ces tracés de longue durée. Il est donc très utile de pouvoir disposer de méthodes de traitement de signal qui vont aider à la détection d'événements EEG intercritiques ou critiques [16].

Transformée de Fourier : lecture « condensée »

Un premier outil de représentation apparaissant intéressant utilise la transformée de Fourier (FFT). Elle consiste à décomposer le signal EEG en une somme infinie et pondérée de sinusoïdes et de cosinusoïdes de fréquence égale ou multiples de la fréquence du fondamental. Cette décomposition permet d'effectuer une analyse de la puissance (amplitude au carré) du signal en fonction de sa fréquence (analyse spectrale). Différentes applications ont été développées pour quantifier le signal (analyse de la puissance dans différentes bandes de fréquence). L'application majeure de la FFT en EEG de routine et particulièrement en monitoring EEG est la représentation condensée des données EEG (figure 7). Le résultat de l'analyse spectrale réalisée toute les 2 s est visualisé par une bande verticale représentant à l'aide d'une échelle de couleur l'amplitude du signal pour chaque pas de fréquence. Toute modification brutale de l'EEG (crise ou certaines anomalies intercritiques si elles durent plus d'une seconde) sera visualisée du fait du brusque changement de spectre qu'elle induit (figure 7).

Transformée en ondelettes : détection d'événements

Un second outil intéressant pour la détection d'événement est la transformée en ondelettes. Il s'agit d'une décomposition « temps-fréquence » qui permet de représenter le signal en ondes élémentaires ou en famille d'ondelettes [17]. L'intérêt de cette méthode est de reconnaître dans le signal EEG des « formes » très stéréotypées (comme les pointes-ondes, les spasmes ou certaines crises). Cette reconnaissance est parfois utile pour la détection automatique de certaines anomalies EEG intercritiques ou critiques très nombreuses qu'il peut être intéressant de quantifier pour en suivre l'évolution sous traitement.

Rapport signal sur bruit : moyennage

La méthode du moyennage a été à l'origine de la mise en évidence des potentiels évoqués. Le moyennage peut être aussi utilisé en EEG afin de faire ressortir des activités transitoires pathologiques qui pourraient être noyées dans l'activité de fond, avec deux principales applications : le moyennage direct et le moyennage rétrograde.

Moyennage direct : identification et localisation d'une pointe d'origine épileptique

Le moyennage direct consiste à repérer des pointes de morphologie et de localisation comparable afin d'en effectuer le moyennage. Le but est d'améliorer le rapport signal sur bruit, ce qui permet de mieux analyser l'évolution spatiotemporelle de l'activité pathologique identifiée (figure 8).

Moyennage rétrograde : myoclonies d'origine corticale

Le but de cet examen est de mettre en évidence des activités corticales en relation avec les myoclonies, plus exactement précédant ces myoclonies et permettant donc d'affirmer clairement leur origine corticale [18]. Dans les cas les plus simples, lors de la relecture du tracé, il apparaît clairement que les myoclonies sont contemporaines d'activités EEG telles que des pointes ou polypointes. Si, en y regardant plus précisément, il s'avère que l'activité EEG précède la myoclonie, alors l'origine corticale, épileptique de cette dernière est démontrée. Cependant, s'il n'y a pas d'activité EEG paroxystique évidente contemporaine des myoclonies, il faut alors utiliser le moyennage rétrograde (jerk-locked back averaging des Anglo-Saxons), qui est une technique de traitement du signal de plus en plus souvent disponible sur les appareils d'EEG numérisé. Il s'agit de moyenner l'EEG qui précède les myoclonies. Pour cela, lors de la relecture du tracé, on place un marqueur temporel au début de chaque myoclonie sous réserve de l'absence d'artefact (figure 9A). Le logiciel permet de synchroniser le moyennage sur le marqueur, en prenant par exemple 0,5 s avant et 0,5 s après le marqueur. Si les myoclonies sont d'origine corticale, apparaît alors un potentiel EEG dont l'amplitude est maximale en regard de la région sensorimotrice correspondante (C3/C4 pour les membres supérieurs, Cz pour les membres inférieurs), et qui précède les myoclonies de 20-30 ms (membres supérieurs ou inférieurs), ce qui correspond à une propagation de la décharge par les voies motrices rapides corticospinales (figure 9B).

Localisation EEG : montage, cartographie et générateur

L'EEG numérisé a enfin permis d'améliorer l'analyse spatiotemporelle de l'électroencéphalogramme. Il est maintenant possible de regarder selon différents montages une même période EEG, ce qui aide à une meilleure localisation des anomalies paroxystiques d'origine épileptique (figure 10). Nous avons vu que la représentation cartographique d'une anomalie peut aider à l'analyse de son décours temporo-spatial (figure 8). Des méthodes de recalcul de l'EEG sur l'IRM se développent et devraient permettre d'améliorer l'analyse de la localisation des anomalies EEG : EEG haute résolution, localisation dipolaire (figure 11).

En conclusion, l'EEG numérisé est maintenant généralisé et apporte des outils de visualisation et d'analyse du signal utilisables maintenant en routine. Dans le domaine de l'épilepsie, ces outils ont transformé l'utilisation de l'EEG. La perspective proche d'une meilleure localisation des anomalies EEG grâce au développement de méthode de « fusion EEG/IRM » devrait corriger le principal défaut de la méthode EEG : sa mauvaise résolution spatiale.