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Bulletin Infirmier du Cancer

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Prise en charge de la communication des patients aphasiques en service de neuro-oncologie Volume 19, numéro 2, Avril-Mai-Juin 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

Lors de la réalisation du diplôme interuniversitaire de soins infirmiers en neuro-oncologie de 2017 à 2018, nous avons réfléchi à l’amélioration de la prise en charge des patients en service de neuro-oncologie. Les patients hospitalisés dans ce service souffrent de lésions tumorales cérébrales primitives et secondaires. Ces lésions entraînent, selon leurs localisations, des symptômes qui peuvent être un déficit moteur, un déficit sensitif, un trouble cognitif ou encore une atteinte de la parole. Ces symptômes sont caractérisés par une apparition rapide. Les troubles de la parole, ou troubles phasiques, rendent alors la communication difficile. Les patients ne peuvent ni exprimer leurs besoins, ni leurs souhaits, ce qui complexifie leur prise en charge. Par ailleurs, ils sont en grande souffrance du fait de l’atteinte neurologique qui crée un handicap et une perte d’autonomie, mais aussi du fait du diagnostic de cancer. De plus, suite à l’altération de la communication, la relation soignant-soigné s’en trouve modifiée. L’objectif de ce travail était donc d’améliorer la communication avec les patients aphasiques en service de neuro-oncologie.

La communication

La communication est essentielle et indispensable à l’homme. Elle permet d’établir des relations sociales avec autrui et ainsi de se définir en tant qu’individu propre. À l’hôpital, grâce à la communication verbale et non verbale, une relation de confiance et d’aide peut s’établir entre le patient et le soignant [1].

La communication verbale et non verbale

La communication verbale existe lorsque la personne émet ou reçoit un message. Elle peut être résumée en un schéma qui a été défini par Shannon et Weaver, deux scientifiques américains du XXsiècle (figure 1). Le message doit être investi d’une intention qui permet à l’émetteur d’exprimer ses idées ou ses décisions. Afin que l’information passe entre l’émetteur et le récepteur, un décodage de celle-ci est nécessaire. La communication peut être perturbée par des parasites et/ou des filtres pouvant gêner la compréhension du message. Le feed-back ou la rétroaction correspond à la réponse du récepteur à l’émetteur.

La communication non verbale accompagne la communication verbale. Elle est universelle à tout homme et peut être inconsciente. Elle se décompose en différents éléments : la proxémique ou la distance physique, l’expression faciale et les mimiques, l’apparence et les odeurs, la posture et les gestes, et enfin le toucher.

La relation de confiance et d’aide

La relation dans les soins infirmiers est essentielle. D’après Phaneuf [2], « la qualité de ces rapports est d’autant plus importante que l’on vise non seulement des échanges harmonieux avec les personnes soignées, mais aussi, et surtout, l’établissement avec elles d’une relation de confiance ». La relation de confiance est primordiale dans les soins afin d’assurer une qualité de soins optimale, mais cette relation est complexe et nécessite une réciprocité entre le patient et l’infirmier(e). Grâce au savoir, savoir-faire et savoir-être de l’infirmier(e), le patient peut s’en remettre au soignant et, ainsi, une relation de confiance s’établit. Par cette relation, le patient adhère à sa prise en charge. De plus, la relation de confiance est la base de la construction d’une relation d’aide. Celle-ci permet d’aider, de manière ponctuelle ou prolongée, le patient et son entourage à gérer une situation difficile comme l’annonce du diagnostic ou encore la fin de vie.

L’aphasie

L’atteinte du langage ou aphasie d’expression correspond à une difficulté à trouver les mots par oral ou par écrit alors que le patient n’a pas de trouble de compréhension. Ce déficit est responsable d’angoisse qui peut conduire à une dépression, un repli sur soi du patient et engendrer un isolement. Il peut également exister une aphasie de compréhension.

L’organisation neuro-anatomique du langage

Les zones du langage ont été identifiées par le neurologue français Jules Déjerine comme étant localisées dans l’hémisphère gauche pour la plupart des personnes [3]. Elles sont organisées autour de deux pôles : le pôle antérieur et le pôle postérieur. Le pôle postérieur est le pôle réceptif du langage au niveau de la circonvolution de Heschl dans le planum temporal. Le lobe temporal permet l’analyse et la compréhension des stimuli auditifs. Le pôle antérieur est le pôle expressif du langage. Le langage oral est produit au niveau de l’aire de Broca qui se situe dans le lobe frontal (figure 2) [4]. Ce lobe assure la cohérence du discours oral et la concordance avec l’intention. Toute lésion au niveau de cette région ou des faisceaux de substance blanche entraînerait des troubles importants en matière d’incitation verbale. Le langage est aussi initié par les noyaux gris centraux : le thalamus, le putamen et le noyau codé. Ceux-ci interviennent dans la production du langage au niveau de la prononciation et de l’articulation.

Étiologie de l’aphasie

Les troubles phasiques résultent d’une atteinte de l’hémisphère gauche au niveau du lobe frontal et ou temporal. Cette atteinte peut être engendrée par différentes pathologies comme :

  • les pathologies vasculaires (type accidents vasculaires cérébraux [AVC]) ;
  • les pathologies neurodégénératives (type Alzheimer, Parkinson, etc.) ;
  • les pathologies traumatiques (type traumatismes crâniens) ;
  • les pathologies tumorales.

Nous nous intéresserons ici au processus tumoral, qui est à l’origine des tumeurs malignes primitives du système nerveux central (SNC). Il se définit par un développement anormal et incontrôlé de cellules gliales qui soutiennent les neurones. Ce processus expansif va engendrer une masse plus ou moins volumineuse au niveau du cerveau. Celui-ci peut provoquer une destruction définitive des tissus sous-jacents. De plus, il peut également entraîner une réaction inflammatoire péri-lésionnelle qui va créer un œdème. Cet œdème va comprimer les tissus sains sous-jacents, mais il peut être réversible grâce à des traitements adaptés.

Classification des aphasies

Il existe différents types d‘aphasies : fluente, non fluente et mixte. L’aphasie fluente ou aphasie de Wernicke correspond à un trouble de la compréhension du langage écrit et oral. L’aphasie non fluente ou aphasie de Broca est un trouble du langage avec une compréhension préservée. Il se manifeste par un manque du mot, une diminution de la fluence verbale et des paraphasies. L’aphasie mixte combine les deux types d’aphasies citées précédemment.

La phase de recherche

D’après la Haute Autorité de santé (HAS) et l’Institut national du cancer (INCa) [5], l’incidence de tumeurs cérébrales primitives est de « plus de 4 560 nouveaux cas estimés en France en 2010 », soit 2 % des tumeurs cancéreuses chez l’adulte. Cette pathologie touche plus fréquemment des hommes et la moyenne d’âge au moment du diagnostic est aux alentours de 60 ans. La prise en charge de ces patients est « urgente », du fait d’une maladie évolutive et d’un pronostic vital engagé à court terme. En effet, la durée de survie est de 18 mois. Au vu de l’urgence de cette prise en charge, la rééducation des troubles phasiques ne peut se faire en « post-état critique », comme on peut le voir dans la prise en charge des patients ayant eu un AVC. La communication soignant-soigné est donc essentielle pour une prise en charge de qualité. Pour les patients aphasiques, cette communication est grandement altérée. Grâce à nos recherches, nous avons constaté qu’il n’existait pas de support de communication adapté et spécifique à la prise en charge des patients aphasiques en neuro-oncologie. En raison de cette prise en charge complexe, nous avons voulu connaître l’intérêt que pourrait avoir, dans un service conventionnel de neuro-oncologie, la mise en place d’un support imagé adapté. Pour cela, nous avons interrogé les soignants et les patients par le biais de questionnaires.

Le questionnaire à destination des soignants portait sur leurs connaissances des troubles phasiques ainsi que leurs attentes afin d’améliorer la communication avec les patients aphasiques. L’équipe soignante se composait de 29 personnes : 22 questionnaires ont été remplis et récupérés. Le questionnaire à destination des patients interrogeait sur leurs connaissances vis-à-vis de leurs troubles, sur leurs attentes, leur prise en charge orthophonique et leurs besoins. Seuls les patients souffrant d’une aphasie non fluente ont été interrogés afin d’avoir des réponses relativement plus fiables. Les questionnaires ont été distribués, sur une courte période de deux mois, en service conventionnel mais aussi en hôpital de jour. En effet, les patients ont pu à un moment ou à un autre de l’évolution de leur maladie être hospitalisés en service conventionnel. Au total, seulement 10 questionnaires patients ont été récupérés. Il y a eu une légère prédominance de réponses de femmes (six femmes pour quatre hommes) et la tranche d’âge s’étendait de 41 ans à 70 ans.

En analysant les questionnaires, il ressort que le personnel soignant prend en charge des patients atteints de troubles phasiques, et ce, de manière fréquente voire récurrente. Ils concèdent avoir souvent des soucis de communication avec ce type de patients et se retrouvent souvent démunis. Parallèlement, nous constatons que les patients aphasiques disent avoir « souvent », voire « tout le temps », des gênes causées par leurs troubles phasiques. Les patients autant que les soignants sont donc perturbés face à cette difficulté de communication. Cette gêne est présente chez 90 % des patients interrogés. Dans leurs réponses, face à cette communication défaillante, les patients identifient l’énervement, la frustration ou encore la tristesse comme émotions ressenties. Nous constatons aussi que les soignants ont repéré les mêmes émotions lors de ces situations. De plus, ils identifient une frustration chez le patient qui peut aboutir à un repli sur soi.

Concernant les connaissances, nous pouvons voir que le personnel soignant identifie principalement l’aphasie comme un « trouble de la parole », que ce soit au niveau de l’expression ou de la compréhension. Parallèlement, les patients sont bien informés. En effet, huit patients sur dix connaissent l’origine de leurs troubles. De plus, 90 % d’entre eux sont capables de donner précisément l’origine de leurs troubles : cela est dû à leur tumeur cérébrale qui se trouve au niveau de l’hémisphère gauche. Ils arrivent aussi à identifier les différents symptômes liés à leur aphasie (manque du mot, écholalie, paraphasies).

Concernant la prise en charge orthophonique, nous remarquons que celle-ci est faible. En effet, seulement 50 % des patients sont suivis par un orthophoniste, que ce soit à l’hôpital ou en ville, principalement par manque de temps à l’hôpital ainsi que par leur incapacité à se déplacer ou une fatigue trop importante à domicile. Or, cette prise en charge est essentielle et nécessaire à mettre en place précocement en service de neuro-oncologie, du fait de l’urgence de la prise en charge et de l’évolution rapide de la pathologie. Nous observons aussi qu’il existe un déficit de prise en charge, surtout en service conventionnel. En effet, seulement deux patients sur sept hospitalisés en service conventionnel sont suivis par l’orthophoniste. Ce déficit est dû à un manque d’orthophonistes au sein de l’hôpital. Cela est aussi relaté par les soignants en fin de questionnaires, dans la partie suggestion. Cependant, une patiente confie ne pas souhaiter de suivi orthophonique plus important car elle « préfère s’occuper en priorité de se battre contre sa tumeur ».

Néanmoins, 80 % des patients estiment que leurs troubles phasiques ont un impact sur leur vie sociale. En effet, ces troubles engendrent des problèmes de communication impactant la vie personnelle et professionnelle du patient. La communication est grandement altérée lorsque les patients doivent échanger avec des personnes n’ayant pas connaissance de leurs troubles. La difficulté s’en trouve d’autant plus grande lorsqu’il s’agit de répondre ou de parler par téléphone ou encore de réaliser des activités comme faire les courses. Afin d’éviter ces difficultés, ils se font souvent, quand cela est possible, aider par une tierce personne qui sert d’intermédiaire.

Seulement 30 % des patients affirment avoir trouvé des astuces afin de pallier leurs troubles phasiques. Ces astuces sont les mêmes que celles des soignants : ils utilisent la désignation d’objets et ou d’images, la reformulation, ou encore, pour les personnes les moins atteintes, l’écriture sur une ardoise. De plus, les soignants utilisent les mimiques et les gestes qui font partie du langage non verbal afin d’améliorer cette communication défaillante. En effet, lors d’une défaillance entre les deux types de communication (verbale et non verbale), celle-ci peut être en partie palliée par l’autre. Nous constatons donc que la désignation d’objets ou d’images est aussi un moyen efficace de pallier cette communication perturbée.

Nous avons donc interrogé les patients ainsi que les soignants sur l’intérêt de la mise en place dans le service d’un support imagé adapté afin de faciliter la communication. Au total, 90 % des patients et 100 % des soignants sont intéressés par la mise en place d’un tel support. Ainsi, les soignants sont plus demandeurs que les patients, même si ces derniers sont également intéressés. Les patients ont exprimé leurs intérêts pour un support adapté à la vie de tous les jours, en dehors de l’hôpital, mais celui-ci reste à élaborer en fonction des attentes des patients et de leur prise en charge orthophonique.

L’élaboration de l’outil de communication

Suite à ces recherches sur le « terrain » par le biais de questionnaires et de nos recherches personnelles, nous avons pu constater qu’il n’existait pas de support de communication imagé spécifique et adapté à la prise en charge des patients aphasiques en neuro-oncologie. Cependant, il existe de nombreux supports à destination de patients aphasiques ayant eu des pathologies vasculaires, type AVC, ou encore pour des enfants aphasiques ou souffrant de pathologie du trouble autistique. La Fédération nationale des aphasiques de France (FNAF) met à disposition des livrets « d’aide à la communication » [6] sous forme de bande dessinée. Cependant, ils sont axés sur des soins ou rendez-vous spécifiques comme le dentiste, la prise de sang, etc. Ces supports sont souvent riches mais peu utilisables en service hospitalier car trop complexe. Il existe également des applications téléchargeables sur le téléphone ou l’ordinateur. Malgré l’intérêt que peuvent avoir ces applications, leurs mises en œuvre en service hospitalier restent complexes. De plus, les patients peuvent avoir des symptômes associés à leur trouble phasique pouvant rendre l’utilisation de ces logiciels et des supports existants compliquée. En effet, les patients peuvent souffrir d’une vision altérée, d’une alexie, d’ataxie, de troubles praxiques et moteurs voire de troubles cognitifs.

Pour cela, nous avons réalisé un support imagé au format A5, comportant une vingtaine de pages dont certaines sont recto-verso. Il est maniable et respecte les règles d’hygiène hospitalières. Le nombre d’images par page est réduit et elles sont réarrangées dans l’espace afin de permettre au patient de pointer, de manière non équivoque, l’image qui correspond à son besoin ou à sa réponse. Afin d’accéder plus facilement aux différentes images de ce support, nous avons élaboré des intercalaires pour séparer le livret en plusieurs thèmes essentiels à la prise en charge des patients. Quatre thèmes ont été choisis : la douleur, les émotions, les besoins et divers.

La douleur fait partie intégrante de la prise en charge soignante des patients ; celle-ci est évaluée de façon systématique. Cette partie contient donc une échelle visuelle avec différents faciès. Cette échelle des visages est en relation avec une échelle numérique afin que le soignant puisse remplir les grilles d’évaluation de la douleur. Dans cette partie, il y a aussi un schéma corporel pour permettre au patient de désigner plus facilement le lieu de sa douleur. La partie « émotions » nous tient à cœur car nous prenons en charge des patients qui ont eu des annonces de diagnostic grave, mais aussi des patients en fin de vie. De plus, du fait de leur communication défaillante, ces patients se replient sur eux-mêmes et s’isolent de leur vie sociale, ce qui peut entraîner à terme une perte de moral. Concernant la partie « besoins » (figure 3), nous nous sommes inspirés des quatorze besoins fondamentaux de Virginia Henderson (infirmière américaine) afin de classifier les différentes images. Nous avons, par exemple, repris le besoin de boire et manger par « s’alimenter » et nous avons intégré des personnages ayant faim ou soif, les différents régimes alimentaires, le petit-déjeuner et les troubles digestifs de l’ordre de la nausée ou des vomissements. Nous avons aussi détaillé le besoin d’éliminer avec différentes images et dessins représentant le matériel lié à l’élimination comme les différents changes, l’urinal, le bassin ou la chaise pot. La partie « divers » contient, quant à elle, un alphabet, des chiffres numériques ainsi qu’une page pouvant servir d’ardoise. Sur le verso de la dernière page du carnet, afin que cela soit plus accessible rapidement, se trouvent des dessins permettant au patient de dire oui ou non de manière claire.

Tout au long de la réalisation de cet outil de communication, nous avons échangé avec nos collègues soignants, mais aussi et surtout, avec l’orthophoniste du service. L’orthophoniste du service étant dédiée à plusieurs services, celle-ci manque de temps pour une prise en charge adaptée de ces patients. Cela nous a permis d’avoir un outil adapté et pouvant répondre aux besoins des patients ayant des troubles phasiques.

Conclusion

Cette recherche réalisée lors d’un mémoire infirmier en neuro-oncologie ne peut être totalement représentative de la prise en charge des patients aphasiques. Cependant, elle a permis de mettre en évidence, dans un premier temps, les difficultés que rencontrent ces patients, mais aussi les soignants, dans leur communication commune. Dans un deuxième temps, elle a permis de démontrer l’intérêt de la mise en place, dans le service, d’un support imagé adapté aux troubles des patients en neuro-oncologie. Celui-ci a été conçu en lien avec l’orthophoniste, afin de faciliter la communication entre les patients aphasiques et les soignants avec comme objectifs l’amélioration de la prise en charge de ces patients et la facilitation de la relation de confiance. Nous pouvons aussi retenir de cette enquête qu’il existe un déficit au niveau de la prise en charge orthophonique des patients, et ce, malgré l’urgence de la pathologie et l’évolution des troubles.

Pour conclure, il ressort de cette étude que la majorité des patients serait intéressée par la mise en place d’un support équivalent qui pourrait être utilisé au quotidien à domicile. Ce support pourrait, en effet, permettre aux patients de mieux communiquer avec leurs aidants, mais aussi de retrouver une certaine autonomie dans leur vie sociale. Ceci pourrait soulager en partie les aidants qui sont extrêmement sollicités lors de l’accompagnement de leur proche face à cette pathologie. L’élaboration d’un tel support est à réfléchir en lien avec les patients, leurs aidants, l’infirmier(e) de coordination « ville-hôpital » et surtout les orthophonistes libéraux.

Liens d’intérêts

l’auteur déclare ne pas avoir de lien d’intérêt.

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