JLE

Bulletin Infirmier du Cancer

MENU

Le laser pour traiter la sécheresse vaginale en cancérologie. Retour d'expérience à l'Institut Gustave Roussy Volume 20, numéro 3, Juillet-Août-Septembre 2020

Illustrations



  • Figure 1

Les différents traitements oncologiques peuvent avoir des répercussions importantes sur la qualité de vie gynécologique et sexuelle des femmes [1]. En effet, les symptômes gynécologiques induits par les traitements sont souvent ceux décrits en cas de ménopause : sécheresse vulvo-vaginale entraînant des irritations génitales ou inconfort, douleurs pendant les rapports (dyspareunie), saignements pendant les rapports, troubles urinaires (impériosités mictionnelles, brûlures mictionnelles, parfois infections urinaires à répétition) [2]. Il peut exister également une baisse de la libido qui est multifactorielle. La chimiothérapie induit souvent une aménorrhée qui peut être définitive [3] et donc une ménopause parfois précoce. La radiothérapie pelvienne a un impact sur les ovaires, mais également sur les tissus vaginaux [4]. La chirurgie peut fortement perturber le fonctionnement vaginal et parfois induire une ménopause précoce (en cas d’ablation des ovaires). Enfin, l’hormonothérapie, prise pendant plusieurs années dans le cadre du traitement d’un cancer du sein par exemple, induit aussi des symptômes liés à une privation en œstrogènes, même chez des femmes déjà ménopausées avant le traitement [1].

Ces symptômes sont souvent peu abordés en consultation avec l’oncologue et peuvent être très handicapants pour les femmes [5]. Ils peuvent également être un facteur de non-adhérence aux traitements anticancéreux, comme l’hormonothérapie par exemple [6].

Il existe diverses options thérapeutiques pour traiter les symptômes liés à la sécheresse vulvo-vaginale. Dans certains cas, un traitement hormonal per os ou local est possible, comme lors d’une ménopause classique [7-9]. Cependant, dans certains types de cancers, notamment hormonodépendants comme le cancer du sein, un traitement hormonal oral est strictement contre-indiqué [10]. Il y a peu de données sur l’effet au long terme des topiques locaux hormonaux, comme les ovules ou crèmes vaginales, sur le risque de récidive des cancers du sein, c’est pourquoi la balance bénéfices/risques d’un tel traitement doit être systématiquement discutée avec l’oncologue, en particulier pour un traitement prolongé. Certains topiques locaux à base d’acide hyaluronique peuvent avoir un effet bénéfique, mais souvent moindre que les traitements hormonaux [11]. De plus, ces traitements locaux (ovule, crème) sont contraignants car nécessitent d’être utilisés régulièrement (2-3 fois par semaine voire quotidiennement) et au long cours.

Le laser est déjà utilisé depuis plusieurs années pour le traitement du syndrome génito-urinaire de la ménopause (associant sécheresse vulvo-vaginale et troubles urinaires) [12-17]. Le traitement comporte en général trois séances (parfois quatre) à un mois d’intervalle [18]. Les effets bénéfiques ont été principalement mesurés via le Vaginal Health Index Score (VHIS), qui évalue l’élasticité vaginale, les sécrétions vaginales, le pH, l’hydratation vaginale et l’épithélium vaginal. Un traitement par laser permet une nette amélioration du VHIS, avec un effet qui persiste au long terme, souvent plus d’un an après le traitement. Aucun effet secondaire notable n’a été noté lors de ces études. Des études ont montré que le laser seul ou en combinaison avec un traitement local à base d’estriol avait de meilleurs résultats en termes d’amélioration de la dyspareunie, des brûlures et de la sécheresse vaginale que l’estriol seul [19, 20].

Il existe deux sortes de laser pour traitement de la sécheresse vaginale : le laser CO2 fractionné et le laser Erbium-Yag. Le laser CO2 fractionné est utilisé depuis longtemps en dermatologie pour l’ablation de lésions, de cicatrices ou la régénération de la peau, grâce à un effet de remodelage dermique et de stimulation collagénique [21]. À la suite de micro-ablations provoquées par le laser, des cytokines sont relarguées entraînant un remodelage tissulaire (via la collagénèse et l’augmentation de la cellularité) et une néoangiogénèse [14, 22, 23]. Le laser Erbium-Yag est une alternative au laser CO2 fractionné. Il possède une action non ablative grâce à la diffusion thermique. L’exposition à la chaleur entraîne initialement une contraction rapide des fibres de collagène et un resserrement des tissus. La chaleur stimule également la prolifération cellulaire, la collagénèse et l’angiogénèse [24-26], résultant en un épaississement et une amélioration de l’élasticité des tissus.

Dans le cadre de la sécheresse vaginale chez les patientes ayant eu un cancer du sein, plusieurs études, certaines rétrospectives et d’autres prospectives, ont montré une efficacité d’un traitement par laser, que ce soit un laser Erbium-Yag ou un laser CO2 fractionné. Les études portent souvent sur un faible nombre de patientes et sont des études de cohorte [27-29]. Néanmoins, il semble que le laser soit efficace au moins pendant 12 mois [29], et aucun effet secondaire sévère n’a été reporté. Cependant, il n’existe actuellement aucune étude qui évalue l’efficacité et la sécurité du traitement à long terme, en particulier sur le risque d’infection à papillomavirus.

À l’Institut Gustave Roussy, nous avons lancé une étude monocentrique en 2018, intitulée MENOLASER, avec un laser CO2 fractionné qui nous avait été prêté. Le but était de montrer l’efficacité d’un traitement par laser vaginal sur la sécheresse vulvo-vaginale chez des femmes ayant eu un cancer du sein, pour favoriser l’achat d’un laser à l’Institut en cas d’efficacité. Quarante-six femmes ont été incluses dans l’étude et ont eu pour la plupart trois séances de laser à un mois d’intervalle. L’efficacité du traitement a été évaluée avant la 3e séance de laser, 6 mois et 18 mois après la fin du traitement, avec la présence d’atrophie ou non sur le frottis, la mesure du pH vaginal, un questionnaire de qualité de vie sexuelle (Female Sexual Function Index [FSFI]), un questionnaire sur les troubles urinaires (Ditrovie) et un questionnaire sur la qualité de vie en général (SF12). Nous sommes actuellement en train de récolter les dernières données. Les femmes avaient, à la demande, une séance d’entretien 18 mois après la fin du traitement pour en maintenir les effets.

Les patientes de l’Institut ayant eu un cancer du sein et souffrant de sécheresse vaginale ont continué à être traitées par laser, même sans participer à l’étude, puisqu’après la fin du prêt du laser CO2 fractionné, un laser Erbium-Yag a été également prêté.

Depuis fin 2019, suite aux témoignages de femmes traitées par laser, le service de gynécologie de l’Institut Gustave Roussy a finalement acheté une machine laser ; le choix s’est porté sur le laser CO2 fractionné, mais nous avons également constaté l’efficacité du laser Erbium-Yag. Actuellement, trois gynécologues et une interne en gynécologie utilisent le laser et ont la capacité de traiter un maximum de cinq patientes par consultation, car nous avons acquis cinq pièces à main (qui nécessitent une stérilisation après chaque utilisation) (figure 1). La demande principale concerne les femmes traitées pour un cancer du sein ; la plupart ont un traitement par hormonothérapie. Le traitement est compris dans l’offre de soins de l’hôpital. Les conditions pour recevoir le traitement laser sont les suivantes : avoir des symptômes de sécheresse vulvo-vaginale non soulagés par les traitements topiques, avoir un frottis récent normal (si antécédent d’anomalie au frottis avoir également un test HPV négatif), ne pas avoir de signes d’infection vaginale, ne pas avoir ses règles au moment du traitement, ne pas avoir de poussée d’herpès génital au moment du traitement, et ne pas avoir appliqué de topique local quelques jours avant le traitement. En cas d’antécédent d’herpès génital, une prophylaxie par Zélitrex est prescrite.

 

Le traitement se déroule en consultation de gynécologie et dure moins de 5 minutes. Le laser se trouve au bout d’un tube en métal sur lequel on applique une pièce à main stérilisée qui est introduite dans le vagin de la patiente. Il faut deux tirs de laser pour traiter une petite surface à 360 degrés. Le tube avec le laser est retiré progressivement afin de traiter le vagin dans toute sa longueur. Le traitement n’est pas douloureux, cependant la patiente peut ressentir une gêne lorsque le laser se rapproche de l’orifice vaginal, car les tissus sont plus fragiles à cet endroit. En cas de gêne ressentie par la patiente, le médecin adapte les paramètres du laser pour les derniers centimètres/millimètres à traiter. La patiente et le médecin portent des lunettes pour se protéger du laser durant toute la séance. Les consignes post-traitement sont : pas de rapport sexuel, pas de bain, pas de piscine/mer, pas de traitement topique local pendant une semaine après la séance pour laisser le temps aux tissus vaginaux de cicatriser. En général, les patientes n’ont aucun effet secondaire ; il peut exister parfois une sensation de chaleur fugace après traitement voire des petites traces de sang après la séance. Il existe aussi un dispositif permettant de traiter les tissus vulvaires en cas d’atrophie vulvaire importante. Le principe de traitement est le même, sauf que le laser est externe et est appliqué sur une surface de peau d’environ 1 cm2. Les séances sont répétées à un mois d’intervalle pour un total de trois séances. Une séance d’entretien peut ensuite être réalisée dès que la patiente en ressent le besoin (diminution des effets), en général au moins un an après la fin du traitement initial.

À l’Institut Gustave Roussy, nous avons pour l’instant décidé de ne pas traiter prioritairement les femmes ayant eu un cancer lié au papillomavirus, car nous n’avons pas assez de données de sécurité sur l’utilisation du laser quant au risque de favoriser une infection à papillomavirus dans cette population. Quand nous aurons réduit notre liste d’attente de patientes avec antécédent de cancer du sein qui souhaitent un traitement par laser, nous envisagerons de proposer le traitement à des patientes avec antécédent d’irradiation de la sphère pelvienne ou avec antécédent de greffe hématologique. En effet, en cas d’irradiation pelvienne (radiothérapie et/ou curiethérapie), les effets secondaires, quasiment systématiques, sont une nette atrophie et une fragilisation du tissu vaginal et/ou vulvaire, entraînant des symptômes de sécheresse vulvo-vaginale. Pour les femmes ayant eu une greffe hématologique, les nombreux traitements de chimiothérapie et immunosuppresseurs au long cours provoquent une atrophie des tissus génitaux, parfois accompagnée de signes de réaction de greffe versus hôte.

Les femmes sont en général satisfaites de l’effet du laser sur la sécheresse vulvo-vaginale. Cependant, le traitement par laser n’est parfois pas efficace à 100 % et il faut continuer à appliquer les topiques locaux. Les symptômes sont beaucoup moins handicapants, et des femmes ont pu retrouver une vie sexuelle épanouissante. Certaines patientes n’ont malheureusement pas ressenti d’effets bénéfiques du laser. À l’Institut Gustave Roussy, la liste d’attente est longue, mais nous nous efforçons d’augmenter le nombre de patientes traitées chaque mois. D’autres études doivent être menées, notamment des études de sécurité à long terme concernant le risque d’infection à papillomavirus et des études pour d’autres indications en cancérologie. Quoiqu’il en soit, le traitement par laser est très prometteur, et les femmes sont demandeuses !

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.

Licence Cette œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International