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Bulletin Infirmier du Cancer

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Diagnostic et prise en charge des maladies primitives et secondaires du péritoine Volume 19, numéro 3, Juillet-Août-Septembre 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

Tableaux

Les maladies du péritoine peuvent être primitives et dériver du péritoine lui-même (pseudomyxome péritonéal, mésothéliome péritonéal) ou secondaires et constituent alors un site métastatique de cancers d’origine ovarienne, digestive ou d’autres étiologies plus rares.

Autrefois considérées comme des formes terminales uniquement accessibles à un traitement palliatif, elles sont l’objet, depuis les années 1980, d’importants efforts de recherche qui révolutionnent leur pronostic. Leur traitement, multidisciplinaire et multimodal, permet de conférer à ces patients des survies de plusieurs années selon les cas, à l’issue d’une sélection précise des patients et d’une prise en charge optimisée et standardisée dans des centres de compétence. Après la publication d’études validant le concept de chimiohyperthermie intrapéritonéale (CHIP) associée à une chirurgie de cytoréduction (CCR) ces dernières années ont vu apparaître des essais cliniques de grande envergure confirmant son intérêt dans la prise en charge de nombreux patients, autrefois limitée à la chimiothérapie systémique palliative.

Péritoine

Le péritoine est un organe constitué d’une couche unicellulaire de cellules mésothéliales, de vaisseaux artériels veineux et lymphatiques qui lui sont propres ainsi que d’une innervation spécifique, à l’origine de la sensibilité intra-abdominale (notamment lors d’infections localisées ou de péritonite). D’une surface de 2 m2, il recouvre les organes intra-abdominaux et la face interne de la paroi abdominale et forme une cavité qui, en temps normal, est virtuelle mais peut se remplir d’air (pneumopéritoine) ou de liquide (ascite) lors de diverses situations pathologiques (infections, cirrhose, carcinose péritonéale, chirurgie). Entre cet espace et la circulation systémique existent plusieurs couches de tissu conjonctif d’une épaisseur de 90 μm, constituées de collagène et de protéoglycanes, formant une véritable barrière péritonéo-plasmatique difficile à franchir dans un sens comme dans l’autre pour les cellules (notamment cancéreuses) mais aussi pour les molécules (notamment de chimiothérapie).

De manière physiologique, 1 l de liquide est sécrété et réabsorbé par le péritoine, ne laissant qu’une quantité infime de liquide (∼ 50-100 ml) nécessaire au glissement des organes intra-péritonéaux entre eux. Ce liquide joue aussi un rôle dans la lutte contre les infections intra-abdominales. Lorsque la production d’ascite dépasse la capacité de réabsorption du péritoine, elle s’accumule dans les zones déclives de la cavité péritonéale (coupoles diaphragmatiques, gouttières pariéto-coliques, pelvis, etc.) et devient visible sur les examens d’imagerie (scanner, imagerie par résonance magnétique [IRM]). De nombreuses structures vasculaires (méso) et accolements de péritoine replié sur lui-même (ligaments) délimitent des zones de la cavité péritonéale connectées entre elles, mais susceptibles de créer des zones d’accumulation d’ascite. Ces zones, appelées « gouttières », « récessus » ou « bourses », constituent la localisation préférentielle des abcès (en cas de pullulation bactérienne) ou des nodules de carcinose péritonéale (en cas de prolifération de cellules tumorales). Elles sont nombreuses et doivent toutes être méticuleusement explorées lors du temps d’exploration chirurgicale de la carcinose péritonéale. La parfaite compréhension de l’anatomie complexe du péritoine est une des clés d’une CCR optimale.

Maladies du péritoine

Maladies primitives du péritoine

Pseudomyxome péritonéal

Le pseudomyxome péritonéal (PMP), ou maladie gélatineuse du péritoine, correspond à la rupture dans la cavité péritonéale d’une tumeur de l’appendice bénigne appelée mucocèle appendiculaire. Après la rupture appendiculaire, le mucus se propage dans la cavité péritonéale et peut envahir l’ensemble des quadrants de l’abdomen. Le PMP est une maladie rare du péritoine, avec une incidence d’un cas pour un million d’habitants [1] et peut être de bas grade et indolente ou de haut grade. Dans les deux cas, le traitement consiste en une CCR + CHIP, avec lesquelles une survie à 10 ans de 70,3 % peut être atteinte [2] lorsque la CCR est complète.

Mésothéliome malin péritonéal

Le mésothéliome malin peut se développer aux dépens des cellules mésothéliales de la plèvre, du péritoine (MMP), du péricarde ou de la vaginale du testicule. C’est une maladie très rare (0,1-0,3 cas/1 000 000 habitants), majoritairement (70-80 %) représentée par le mésothéliome malin pleural, favorisé par l’exposition à l’amiante. Le MMP représente 10 à 20 % des cas de mésothéliome malin. Le traitement de première ligne consiste en une CCR + CHIP, avec une survie médiane de 53 mois [3] contre 26,8 mois avec chimiothérapie seule [4].

Maladies secondaires du péritoine : métastases ou carcinoses péritonéales

Les métastases et carcinoses péritonéales (CP) sont la conséquence d’une dissémination tumorale à partir d’un organe intra- ou rétropéritonal. Autrefois considérées comme une manifestation tardive et incurable du développement d’un cancer (métastases), elles sont aujourd’hui jugées, à l’instar des métastases hépatiques, comme une forme d’envahissement locorégional, intermédiaire entre le cancer localisé et la dissémination métastatique systémique et sont donc dans certains cas accessibles à un traitement local par CCR + CHIP.

Trois modes de dissémination sont possibles : par contiguïté, par voie lymphatique et par voie hématogène. Dans le premier cas, une tumeur se développant dans un organe recouvert de péritoine s’étend dans la profondeur de l’organe jusqu’à atteindre puis franchir ce dernier. Les cellules tumorales vont alors s’exfolier dans la cavité péritonéale et s’implanter à distance, en général dans les endroits déclives. Dans le second cas, les cellules tumorales empruntent les capillaires lymphatiques pour aller coloniser les lymphonœuds (ganglions) sous-péritonéaux à proximité de la tumeur. Enfin dans la voie hématogène, les cellules tumorales vont pénétrer dans les vaisseaux sanguins à proximité de la tumeur, puis rejoindre la circulation générale avant de revenir coloniser le péritoine. Ce mode de dissémination est beaucoup moins fréquent, ce qui explique que la chimiothérapie par voie intraveineuse soit moins efficace dans la CP que dans d’autres sites métastatiques.

CP d’origine ovarienne

Le cancer de l’ovaire touche 4 714 femmes et est responsable de 3 111 décès par an en France [5]. Deux tiers de ces cancers sont diagnostiqués au stade de CP. Leur prise en charge consiste soit en une CCR seule lorsque la CP est jugée résécable d’emblée lors de son évaluation par cœlioscopie diagnostique, soit en une chimiothérapie néoadjuvante suivie d’une CCR si elle est jugée non résécable d’emblée [6]. Dans ce cas, l’adjonction d’une CHIP à la CCR améliore la survie médiane d’un an (45,7 mois vs 33,9 mois, d’après [7]). Une prise en charge par CCR + CHIP est aussi possible en cas de récidive de cancer de l’ovaire ; cette stratégie est actuellement en cours d’évaluation en France [8].

CP d’origine colorectale

Le cancer colorectal touche 45 000 personnes et est responsable de 20 000 décès par an en France [5]. Environ 5 à 15 % de ces cancers sont diagnostiqués au stade de CP et 10 à 35 % de ces cancers récidiveront après traitement initial sous la forme d’une CP isolée. La survie médiane est d’environ 16,3 mois en cas de traitement par chimiothérapie systémique seule [9]. Dans une récente étude randomisée nationale [10], une médiane de survie de 41,2 mois était atteinte grâce au traitement par une CCR optimale. La CP d’origine colorectale est l’indication de CCR la plus répandue. Le bain de CHIP à l’oxaliplatine est abandonné au profit de la mitomycine.

CP d’origine gastrique

Le cancer gastrique touche 6 616 personnes et est responsable de 4 440 décès par an en France [5]. Entre 5 et 20 % de ces cancers sont diagnostiqués au stade de CP et la majorité de ces cancers évolue ou récidive sous la forme d’une CP. La survie médiane de ces patients traités par chimiothérapie seule excède rarement 10 mois [11]. Une survie médiane de 21,3 mois peut être atteinte grâce à la CCR complète + CHIP chez certains patients très sélectionnés [12].

Autres maladies secondaires du péritoine

D’autres maladies peuvent être à l’origine de CP (cancers de l’appendice, de l’intestin grêle, etc.) et leur prise en charge par CCR + CHIP prolonge la survie dans certains cas sélectionnés.

Diagnostic clinique

Les maladies primitives du péritoine (PMP et MMP) se manifestent tardivement en raison de l’expansivité de la cavité péritonéale, lorsque l’importance du volume tumoral engendre des symptômes aspécifiques (troubles du transit, douleurs abdominales, augmentation du volume abdominal). La découverte est en général faite fortuitement, au décours d’examens réalisés dans un autre contexte (échographie, scanner). Les maladies secondaires du péritoine sont découvertes dans le cadre du bilan d’extension de la tumeur primitive (CP synchrone) ou à distance lors de la surveillance (CP métachrone) soit sur les examens d’imagerie réalisés à titre systématique, soit à l’occasion d’une complication (occlusion, perforation digestive ou manifestations thrombo-emboliques).

Diagnostic paraclinique

Biologique

En cas de CP avérée, certains marqueurs biologiques orientent quant à son origine (CA 125 pour l’origine ovarienne, ACE et CA19-9 pour l’origine digestive).

Imagerie

Le scanner injecté multi-barrettes est l’examen de première intention pour la recherche de CP. Sa sensibilité est de l’ordre de 85-93 % lorsqu’il est effectué et interprété dans une structure qui a l’habitude de le réaliser dans cette indication. Il permet d’estimer l’étendue de la CP afin de guider la prise en charge mais reste peu sensible pour la détection des nodules millimétriques. Il est par ailleurs essentiel dans le cadre du bilan d’extension de nombreuses maladies (recherche de métastases hépatiques, ganglionnaires, pulmonaires, etc.).

L’IRM est un examen de choix dans l’évaluation de la CP et ses performances peuvent surpasser celles du scanner dans certaines indications (PMP et MMP notamment). Cependant, son coût élevé et sa faible disponibilité en font un examen de seconde intention, qui doit être réalisé dans un service d’imagerie spécialisé en CP pour en maximiser l’intérêt diagnostique [13].

Cœlioscopie diagnostique

Les examens d’imagerie non invasifs (scanner, IRM) ont de très modestes performances pour détecter les petits nodules de CP. La sensibilité peut chuter en dessous de 15 % pour les nodules < 0,5 cm [14]. Le bilan pré-opératoire avant CCR + CHIP comporte donc souvent une cœlioscopie, qui permet de visualiser des nodules péritonéaux même millimétriques. Bien qu’invasive et nécessitant une anesthésie générale, elle permet, outre l’évaluation de la résécabilité, la réalisation de biopsies dirigées et donc un diagnostic anatomopathologique. C’est aussi une occasion privilégiée pour la pose d’une chambre implantable pour chimiothérapie.

Elle peut être réalisée dans un centre non spécialisé dans la prise en charge de la CP et certaines particularités techniques sont à respecter [15]. Les trajets de trocarts seront peut être un site d’implantation de la CP, il faudra donc veiller à les insérer sur le trajet de la laparotomie médiane afin de limiter le délabrement pariétal. La documentation de la CP par photographies et/ou vidéos est essentielle et le matériel de cœlioscopie doit être connecté aux appareils d’enregistrement.

Anatomopathologie

L’analyse anatomopathologique de la tumeur primitive et des biopsies péritonéales est essentielle dans le bilan pré-opératoire de la CP.

Dans certains cas d’interprétations difficiles ou de maladies rares, un réseau de pathologistes spécialisés dans les maladies du péritoine (RENAPATH) doit être sollicité.

Évaluation de l’étendue de la CP : le Peritoneal Carcinomatosis Index

Plusieurs scores existent pour quantifier l’étendue de la CP et reposent sur une évaluation visuelle effectuée au terme d’un temps chirurgical exploratoire qui peut durer plusieurs heures. Le score consensuel est le Peritoneal Carcinomatosis Index (PCI) [16], décrit en 1996 par Jacquet et Sugarbaker [17]. L’abdomen est divisé en neuf régions et l’intestin grêle en quatre régions (figure 1). Dans chacune de ces 13 régions, une cotation de 0 à 3 est attribuée, en fonction de la taille du plus gros nodule de cette région : 0 si absence de nodule ; 1 si nodule < 0,5 mm ; 2 si nodule compris entre 5 mm et 5 cm ; 3 si nodule > 5 cm. Au total, un score sur 39 est attribué à la maladie et permet de décider si la CCR peut être démarrée.

L’exploration chirurgicale doit être systématique et méticuleuse. L’incision doit être xypho-pubienne, toutes les zones déclives et les replis de péritoine doivent être ouverts. Toutes les adhérences, qu’elles soient post-infectieuses ou post-opératoires, doivent être libérées car la cicatrisation intrapéritonéale sous forme de brides est un sanctuaire dans lequel les cellules tumorales prolifèrent volontiers et sont à l’abri de la CHIP.

Il existe pour chaque maladie un score limite au-delà duquel la CCR + CHIP n’offre pas de bénéfice de survie significatif et qui impose donc l’arrêt de l’intervention afin de ne pas exposer inutilement les patients à des complications post-opératoires parfois fatales. Le tableau 1 indique les PCI limite actuellement recommandés pour les pathologies le plus souvent rencontrées.

Estimation de la qualité de la résection de la CP : le Completeness of Cytoreduction Score

La CCR a pour but d’enlever toute la maladie péritonéale macroscopique. À l’issue des gestes de résection en per-opératoire, la quantité de maladie tumorale macroscopique résiduelle est estimée par le Completeness of Cytoreduction Score (score CC) décrit par Jacquet et Sugarbaker [17], en mesurant la taille du plus gros nodule résiduel (tableau 2).

Le score CC est un facteur de décision majeur pour la réalisation de la CHIP après CCR. En effet, en cas de résidu tumoral trop important (CC2-3), de nombreuses études ont démontré que le pronostic était très sombre. La réalisation d’une CHIP, qui comporte des risques qui lui sont propres (toxicité de l’hyperthermie, passage systémique de la chimiothérapie, allongement de la durée d’intervention, etc.) devient alors inutile et dangereuse.

Morbidité de la CCR + CHIP

La CCR regroupe un panel plus ou moins large de gestes chirurgicaux qui peuvent concerner plusieurs régions de l’abdomen, emporter plusieurs organes et durer plusieurs heures. Elle est précédée d’une exploration chirurgicale méticuleuse pouvant aussi durer plusieurs heures. Au terme de la CCR, si le score CC est satisfaisant (CC0-1), la CHIP est réalisée.

Pour ces raisons, la technique de CCR + CHIP a longtemps souffert d’une mauvaise réputation en termes de morbi-mortalité. Alors que la mise au point et le perfectionnement de la technique dans les années 1990 étaient grevés de taux de complications relativement élevés, les chiffres actuels se rapprochent de ceux d’autres interventions de chirurgie carcinologique courantes [18]. Le taux de complications graves (grade 3-4 selon [19]) est en moyenne de 28,8 % et la mortalité moyenne est de 2,9 % [18].

Dans une étude randomisée prospective récente évaluant l’impact de la CHIP au cisplatine en adjonction d’une CCR pour CP d’origine ovarienne [7], les taux de complications grade 3-4 étaient similaires dans les groupes CCR + CHIP et CCR sans CHIP (27 % vs 25 % ; p = 0,76).

Dans une autre étude randomisée prospective récente évaluant l’impact de la CHIP à l’oxaliplatine en adjonction d’une CCR pour CP d’origine colorectale [10], les taux de morbidité majeure (grade 3-4) et de mortalité (grade 5) étaient supérieurs dans le groupe CCR + CHIP que dans le groupe CCR sans CHIP (40,6 % vs 31,1 % ; p = 0,105).

Il est donc important de sélectionner les patients que l’on expose à ces risques à l’aide d’un bilan pré-opératoire complet et d’une évaluation de la CP adéquate par le PCI. La CHIP ayant une toxicité qui lui est propre et variable en fonction du type de chimiothérapie utilisée (oxaliplatine > mitomycine ou cisplatine), il est aussi important d’évaluer la qualité de la résection en cours d’intervention par le score CC avant de l’administrer.

Contre-indications de la CCR + CHIP

Au-delà d’un score PCI ou score CC trop élevés, d’autres contre-indications sont à rechercher afin de sélectionner les patients qui sont le plus à même de supporter la CCR + CHIP et chez qui cette technique peut avoir un bénéfice maximal.

Voici une liste non exhaustive de situations qui contre-indiquent l’intervention ou qui contraignent à l’arrêt de l’intervention en cas de découverte per-opératoire :

  • score PCI ou score CC trop élevé ;
  • métastases extra-péritonéales (foie si plus de 3, poumons, cerveau, os, etc.) ;
  • envahissement ganglionnaire rétropéritonéal massif ;
  • longueur d’intestin grêle prévisible après résection < 1,5 m ;
  • envahissement du pédicule hépatique ;
  • envahissement du trigone vésical, nécessitant une cystectomie totale avec Bricker ;
  • âge > 70 ans ;
  • altération de l’état général important (score de Karnofsky < 70) ;
  • insuffisance rénale, respiratoire ou cardiaque.

Traitements de la maladie péritonéale

Le traitement de la maladie péritonéale, autrefois limité aux soins de support, s’est étoffé depuis plusieurs décennies avec de nombreuses options thérapeutiques, souvent associées entre elles sous la forme d’un traitement multimodal adapté à chaque patient.

La chimiothérapie systémique garde une place importante dans l’arsenal thérapeutique en contrôlant la progression de la maladie avant l’intervention et en diminuant le risque de récidive à distance. Elle a pour intérêt de traiter l’ensemble de la maladie systémique mais, si elle est utilisée seule, son objectif reste palliatif.

La stratégie curative de la maladie péritonéale, lorsqu’elle est possible chez des patients sélectionnés, comporte :

  • la CCR (pour la maladie macroscopique) ;
  • et la CHIP (pour la maladie microscopique).

Dans tous les cas, les traitements de la maladie péritonéale font intervenir de nombreuses disciplines dont l’étroite collaboration est fondamentale : chirurgiens, anesthésistes, oncologues, pathologistes, pharmaciens, psychothérapeutes. L’infirmier(e) joue un rôle central, à l’interface entre toutes ces spécialités et un patient atteint d’une maladie grave et complexe.

Technique de la CCR

Le patient est installé en décubitus dorsal, bras en croix et en double équipe (jambes écartées) permettant un accès à la voie périnéale, utile en cas de résection rectale associée (figure 2). Un écarteur autostatique doit être prévu avant la mise en place des champs. Le champage doit être large pour permettre une incision médiane xypho-pubienne et la mise en place de plusieurs drains dans les flancs.

Le premier temps chirurgical consiste en une exploration de toute la cavité péritonéale, parfois précédée d’un temps d’adhésiolyse, à l’issue duquel le score PCI est établi et autorise ou non la CCR. Ce temps doit impérativement être mené par laparotomie médiane xypho-pubienne, la cœlioscopie ne permettant pas l’exploration complète de la cavité péritonéale.

Plusieurs analyses anatomopathologiques extemporanées de prélèvements péritonéaux sont alors demandées afin de confirmer ou d’infirmer la malignité de certaines régions.

La CCR a été décrite par Sugarbaker en 1995 [20] et a peu évolué depuis.

Elle consiste en la réalisation de gestes de péritonectomies et de résection d’organes en fonction des régions atteintes par la CP. Tous les nodules de CP doivent être enlevés pour que la CCR soit utile. Si un nodule est déposé sur une zone de péritoine pariétal, une péritonectomie de la région est indiquée ; il existe ainsi six gestes de péritonectomies classiquement possibles [20] :

  • omentectomie avec splénectomie ;
  • péritonectomie de la coupole diaphragmatique gauche ;
  • péritonectomie de la coupole diaphragmatique droite ;
  • résection du petit épiploon et cholécystectomie ;
  • antrectomie et stripping de la bourse omentale ;
  • douglassectomie.

Si le nodule atteint un organe péritonisé, cet organe doit en général être réséqué. On peut donc être amené à réséquer de l’intestin grêle, du côlon, le rectum, l’estomac, la rate, l’utérus, les annexes, la vessie, les uretères, etc. L’organe où siège la tumeur primitive doit être réséqué en totalité et le curage ganglionnaire approprié doit être réalisé.

Une stomie de dérivation est souvent confectionnée afin de limiter la gravité d’une éventuelle fistule digestive post-opératoire.

L’ensemble des prélèvements doit être correctement étiqueté afin d’orienter l’analyse anatomopathologique des lésions.

Technique de la CHIP

De nombreux protocoles existent et diffèrent en fonction de la maladie péritonéale, des constatations peropératoires et des habitudes de chaque centre expert. Le principe général reste identique cependant : après la CCR, la chimiothérapie est immédiatement mise en contact avec la cavité péritonéale afin de détruire les cellules tumorales résiduelles.

L’hyperthermie seule est cytotoxique et peut à elle seule détruire la cellule tumorale mais son intérêt dans la CHIP réside principalement dans la potentialisation de la chimiothérapie. En fragilisant l’ADN des cellules tumorales, elle augmente l’efficacité de la chimiothérapie à dose égale. De plus, elle favorise la pénétration des molécules de chimiothérapie à l’intérieur des nodules de CP. La fenêtre de température idéale est très étroite : en dessous de 41 ̊C l’hyperthermie ne potentialise plus la chimiothérapie, et au-delà de 44 ̊C elle provoque d’irréparables lésions de brûlure sur l’intestin grêle notamment. L’objectif d’hyperthermie est donc en général entre 41̊ et 43 ̊C.

Les doses de chimiothérapie utilisables peuvent être jusqu’à 1 000 fois supérieures à celles utilisées en intraveineux. Malgré ces dosages plus élevés et la synergie liée à l’hyperthermie, la pénétration de la chimiothérapie en profondeur ne dépasse pas 2 à 5 mm, d’où l’importance d’une CCR complète ne laissant pas de résidu macroscopique.

Deux techniques de CHIP existent : la technique ouverte, où la peau est suspendue sous la forme d’un « colisée » et la chimiothérapie répartie manuellement dans toute la cavité abdominale par le chirurgien ; et la technique fermée, dans laquelle des drains sont placés dans les quatre quadrants de l’abdomen et l’incision cutanée fermée (figure 3).

Dans les deux techniques, l’appareil comporte une pompe, de nombreuses tubulures et un monitoring permanent de la température de la CHIP. Aucune des deux techniques n’a fait la preuve de sa supériorité et chacune comporte ses avantages et inconvénients.

Après 30 à 120 minutes de CHIP selon le protocole employé, la chimiothérapie est entièrement récupérée.

Prise en charge post-opératoire

La morbidité et la mortalité post-opératoires liées à la CCR + CHIP ont nettement diminué depuis la mise en place de la technique dans les années 1990, notamment grâce à la prise en charge post-opératoire de ces patients. Elle doit être menée en soins intensifs. La surveillance est chirurgicale et réanimatoire, pluriquotidienne. Il faut donc être systématique dans l’examen clinique et notamment recueillir les données de l’examen physique (pouls, tension, température, diurèse, etc.) ainsi que l’aspect et le débit des différents drains.

Les complications les plus fréquentes à redouter sont :

  • les fistules digestives (au niveau des anastomoses) ;
  • les nécroses et perforations digestives (par dévascularisation) ;
  • les lésions d’organes pleins (foie, rate, pancréas, reins) ;
  • la détresse respiratoire, notamment en cas de péritonectomie de coupole diaphragmatique ;
  • la défaillance rénale ;
  • les cytopénies.

La surveillance biologique est quotidienne avec au minimum : hémogramme, marqueurs de l’inflammation, fonction rénale et hépatique, hémostase. La réalisation de scanner abdominopelvien est fréquente en post-opératoire et le risque de reprise chirurgicale relativement élevé.

Mutualisation de la recherche et des compétences : l’apport des réseaux

Les maladies péritonéales étant rares, leur prise en charge s’est organisée sous la forme de réseaux de soins articulés autour de centres ayant développé une forte expertise. Le réseau national de prise en charge des tumeurs rares du péritoine (RENAPE) coordonne ainsi tous les acteurs. Il met en relation les patients, représentés par l’association contre les maladies rares du péritoine (AMARAPE), et les professionnels de santé. La recherche est une des priorités de RENAPE, qui organise des journées d’information et de débats entre spécialistes. Tous les professionnels impliqués dans la recherche au sein du réseau RENAPE recueillent et partagent les données cliniques et biologiques des patients qu’ils traitent afin de rassembler de grandes cohortes de patients répartis dans tout le pays au sein de la base clinico-biologique RENAPE pour les maladies rares du péritoine et BIG-RENAPE pour les carcinoses d’origine digestive [21].

Rôle de l’infirmier(e) dans la prise en charge des maladies du péritoine

L’infirmier(e) intervient à plusieurs étapes de la prise en charge de ces maladies complexes, en pré-, per- et post-opératoire.

Période pré-opératoire

Le patient atteint d’une maladie péritonéale peut être confronté à la complexité de sa maladie et une relative diversité des informations disponibles. Autrefois considérée comme incurable, certaines sources d’informations peuvent véhiculer un message pessimiste qu’il convient de tempérer. Même en cas de CP avec PCI très élevé, des techniques innovantes peuvent être proposées pour améliorer la survie en préservant la qualité de vie (la technique PIPAC [Pressurized IntraPeritoneal Aerosol Chemotherapy]par exemple, chimiothérapie vaporisée sous pression dans la cavité péritonéale au cours d’une cœlioscopie).

L’empathie que le soignant, qu’il soit médecin ou infirmier(e), développe envers le patient est fondamentale : elle améliore son vécu, donc sa qualité de vie, et ce d’autant plus que la maladie est grave.

Cœlioscopie diagnostique

La cœlioscopie diagnostique, occupant une place centrale dans le bilan pré-opératoire, doit être bien préparée afin qu’elle soit utile à la décision prise en réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP), ce d’autant plus qu’elle est souvent réalisée hors centre spécialisé. L’infirmier(e) de bloc opératoire se munit d’un schéma des 13 régions de l’abdomen et y reporte pour chacune le score de 0 à 3 donné par le chirurgien. L’ergonomie doit être optimale et notamment la colonne vidéo doit pouvoir être facilement déplacée pour que le chirurgien puisse faire le tour complet de la cavité sans être gêné. La connectique avec les appareils photos et vidéos, supports de stockage USB, etc., doit être anticipée. Un système d’aspiration et de recueil de liquides biologiques adéquats doit être préparé car l’ascite carcinomateuse peut être très importante (jusqu’à 6-8 l), notamment en cas de CP ovarienne. Les trocarts doivent idéalement être munis de ballonnet pour éviter la contamination pariétale par sortie de trocarts, ce qui est favorisé par leur disposition inhabituelle sur la ligne médiane. La règle étant la préservation maximale du péritoine, le risque de conversion est faible lors de ce geste.

CCR

Les temps d’exploration et de résection peuvent être très longs, jusqu’à 8-12 heures. Plusieurs équipes sont en général sollicitées et les roulements de personnel doit être anticipé. En général, l’infirmier(e) circulant et l’infirmier(e) instrumentiste se relayent en décalé afin de limiter les erreurs de transmissions. Certains temps opératoires sont sources de fumées liées au bistouri électrique qui peuvent comporter un risque pour la santé. Les masques étant peu efficaces pour se prémunir de ces risques [22], un système d’aspiration adapté est impératif lorsqu’une vaporisation de tumeur est nécessaire. Un compte précis des instruments, textiles et liquides doit être tenu par écrit. Les prélèvements, qui peuvent être au nombre de plusieurs dizaines, doivent être étiquetés au fur et à mesure. Un nombre très important de consommables peut être nécessaire et doit être disponible en stock. Comme avant chaque intervention, la check-list de la Haute Autorité de santé (HAS) doit être remplie.

CHIP

Ce temps est le plus spécialisé et le plus à risque pour le patient mais aussi pour le personnel, en raison de la manipulation de chimiothérapie à haute concentration dans un espace clos. La chimiothérapie est prescrite par le chirurgien ou l’oncologue selon les habitudes du centre, plusieurs jours avant l’intervention, afin que la pharmacie puisse préparer et envoyer la commande au bloc opératoire. Idéalement, les infirmier(e)s de bloc opératoire sont spécifiquement formé(e)s à la manipulation des poches de chimiothérapie et à l’utilisation de la machine de CHIP (figure 4). Des formations sont proposées par les constructeurs mais un stage de quelques jours en centre expert est recommandé afin d’être à l’aise à l’utilisation mais aussi à la gestion des messages d’erreur de la machine et de ses extensions (tubulures, réchauffeur, sondes thermiques, etc.). Le niveau d’expertise et de spécialisation est comparable à celui exigé pour les infirmier(e)s de bloc posté(e)s en salle robotique.

Entre les temps de CCR et de CHIP, tous les consommables notamment textiles sont comptés et jetés. Les poches de recueil des aspirations sont remplacées. Un panneau informant l’utilisation de chimiothérapie est affiché sur la porte de la salle d’intervention, dont l’ouverture automatique est temporairement désactivée. Les entrées et sorties doivent être limitées au strict minimum. Toute personne présente doit être protégée avec le matériel adéquat (gants, masques, lunettes, casaque renforcée). Tous les liquides biologiques en contact avec la chimiothérapie doivent être jetés dans des containers spécifiques.

En fin d’intervention, l’aide à la fermeture de la laparotomie médiane est très appréciée et il est utile d’y être formé.

Période post-opératoire

Obligatoirement surveillés en soins intensifs, les patients sortant de CCR + CHIP sont particulièrement à risque de complications et doivent être surveillés par des professionnels formés. La reprise du transit est tardive notamment en raison de la mise en place systématique d’une péridurale, qu’il faut savoir surveiller et gérer. La kinésithérapie est systématique et quotidienne ; la mise au fauteuil est encouragée dès le premier jour post-opératoire. La surveillance du débit et de l’aspect des drains doit être particulièrement précise. Tous les liquides biologiques recueillis sont considérés comme contaminés par la chimiothérapie pendant trois à cinq jours et les mêmes précautions observées pendant la CHIP s’appliquent (personnel protégé et dédié, containers spécifiques, etc.).

Conclusion

La prise en charge de la CP est un défi technique et organisationnel. L’infirmier(e) joue un rôle central, à l’interface entre un patient atteint d’une maladie très grave et plusieurs spécialités médicales et paramédicales qui doivent pouvoir collaborer en parfaite harmonie. Autrefois incurable, la CP localisée est désormais accessible à un traitement lourd mais efficace, qui exige une sélection des patients précise et une expertise des acteurs de la prise en charge.

Liens d’intérêts

CE : participations à PIPAC EstoK 01 (PHRC-K 2016), pressurized intraperitoneal aerosol chemotherapy (PIPAC) dans les carcinomes d’origine gastrique non résécables, étude randomisée de phase II ; CHIPOR, étude de phase III évaluant la CHIP dans le traitement du cancer de l’ovaire récidivant platine-sensible. Les autres auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt.

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