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Annales de Biologie Clinique

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Syndrome d’activation macrophagique révélant un carcinome colique A propos d’un cas Volume 77, numéro 6, Novembre-Décembre 2019

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

Tableaux

Le syndrome d’activation macrophagique, également connu sous les termes de syndrome d’hémophagocytose, ou syndrome d’activation lymphohistiocytaire est un état d’hyper-inflammation qui résulte d’une sécrétion accrue des cytokines pro-inflammatoires, responsables de l’activation inappropriée et de la prolifération de cellules issues de la lignée lymphohistiocytaire.

Il associe des signes cliniques, anomalies biologiques et des images d’hémophagocytose sur un prélèvement cytologique ou histologique. Aucun de ces signes n’est spécifique, ou pathognomonique [1]. Cependant, leur association est très évocatrice.

Il s’agit d’une atteinte rare et grave ; c’est une urgence diagnostique et thérapeutique. Le SAM est soit « primaire » (formes familiale ou pédiatrique), soit « secondaire/réactionnel » à une infection, une néoplasie, ou une maladie auto-immune [1, 2]. Le SAM secondaire à une néoplasie est dominé par les hémopathies [3, 4]. L’étiologie cancéreuse par tumeur solide est exceptionnelle [5]. Nous rapportons ici un cas de SAM ayant révélé un carcinome colique avec métastase médullaire chez un patient de 62 ans.

L’observation

Il s’agit d’un homme âgé de 62 ans ayant comme antécédents une fracture du col fémoral compliquée d’une embolie pulmonaire il y a 1 an. Il est admis en unité de soins intensifs pour trouble de la conscience et détresse respiratoire aiguë dans un contexte fébrile. Le malade présente un tableau d’état de choc avec fièvre, confusion mentale et détresse respiratoire nécessitant la ventilation assistée immédiate. L’examen physique est sans particularités.

Les examens biologiques (tableau 1) révèlent une pancytopénie faite d’une neutropénie, une anémie normochrome normocytaire arégenérative mal tolérée pour laquelle il a été transfusé, et une thrombopénie associée à une cytolyse hépatique, une augmentation du taux de lactate-déshydrogénase (LDH) à 868 U/L, une hyperferritinémie > 2 000 ng/mL et une hypertriglycéridémie à 2,8 g/L avec diminution du cholestérol total à 1,14 g/L, et hypofibrinogénimie à 1,4 g/L. Les tests d’hémostase sont en faveur d’une coagulation intravasculaire disséminée modérée avec un taux de prothrombine diminué, un temps de céphaline activée allongé, et une augmentation des D-dimères à 1,65 ug/L. Un bilan infectieux a été demandé objectivant une protéine C réactive à 33 mg/L, un taux de procalcitonine à 3,5 ng/mL et cinq hémocultures négatives. Les sérologies ont été demandées ; les couples Ag-Ac HBs, Ac anti-HBc, Ac anti-VHC et Ac anti-HIV (1+2) sont revenus négatifs tandis que la sérologie du virus d’Epstein Barr a été en faveur d’une infection ancienne. Un myélogramme a été réalisé chez notre patient qui montre une moelle très riche avec de très nombreux macrophages activés et noyaux nus et multiples images d’hémophagocytose (figure 1) ainsi que la présence de nombreuses cellules extra-hématopoïétiques (figure 2) parfois disposées en amas. Sur le frottis sanguin, il a été noté la présence d’une anisocytose globulaire avec quelques schizocytes (2 %) avec absence de cellules jeunes ou suspectes.

Devant les données du myélogramme, un examen radiologique a été demandé. On observe une tomodensitométrie thoraco-abdomino-pelvienne objectivant à l’étage thoracique un aspect en faveur d’un cœur pulmonaire chronique post-embolie pulmonaire avec un épanchement pleural bilatéral de moyenne abondance ; à l’étage abdomino-pelvien une splénomégalie homogène, un incidentalome au niveau du corps de la surrénale droite de 13,5 mm de grand axe et de 37 Uh de densité, un discret épaississement de la muqueuse colique étendu sur 10 mm, réduisant le diamètre du côlon. Un examen endoscopique avec biopsie a été pratiqué le jour même qui a objectivé une tumeur bourgeonnante, friable, hémorragique et dure sous la pince. Le dosage des marqueurs tumoraux objective une élévation du Ca 19-9 à 987 U/mL, et une augmentation de la vitamine B12. Le patient est décédé deux jours après que le diagnostic de la tumeur a été retenu. Le résultat de l’anatomopathologie a confirmé postérieurement de diagnostic d’un adénocarcinome colique.

Discussion

Le SAM est un état d’hyper-inflammation. Sa physiopathologie n’est pas encore totalement élucidée mais toutes les études ont conclu à l’existence d’un « orage cytokinique » à l’origine de tous les désordres clinico-biolologiques observés [4, 5]. Le déclenchement de cette pathologie semble lié à une activation anormale et défaut de cytotoxicité (laissant persister l’agent causal) des lymphocytes T essentiellement de profil Th1 et natural killer (NK), sans limitation de leur pouvoir d’activation ni de leur production cytokinique [7] suite à un agent externe (agent infectieux ou cellule tumorale) ou un déficit des mécanismes imunomodulateurs [6]. La production de grandes quantités de cytokines pro-inflammatoires va stimuler la réponse macrophagique [8]. En revanche, les macrophages activés vont produire d’autres cytokines qui vont exercer un rétrocontrôle positif sur les lymphocytes entretenant ainsi une boucle d’amplification. L’activation des macrophages est responsable à la fois des signes cliniques et biologiques du SAM. La fièvre qui est un signe quasi constant du SAM est secondaire à la production accrue d’interféron gamma, d’IL-6 ou d’IL-1. La pancytopénie provient à la fois de la phagocytose, de l’apoptose sous l’effet des cytokines [9] et de la myélosuppression. L’organomégalie est liée à l’infiltration tissulaire par les macrophages activés et les lymphocytes. L’hyperplasie des macrophages intrahépatiques (cellules de Kupffer) serait la cause d’une cytolyse hépatique [10, 11]. L’hypertriglycéridémie serait secondaire à l’inhibition de la lipoprotéine lipase par les cytokines inflammatoires (TNF- et IL-1) [12]. L’hyperferritinémie est la conséquence de l’érythrophagocytose, de l’atteinte hépatique et de l’inflammation systémique [13].

Le SAM repose sur la présence à la fois des critères cliniques, biologiques, et cytologiques ou histologiques. Le groupe français des LHH (JANKA 2012 ; GFLHH 2007) a défini des critères diagnostiques. Le diagnostic est retenu si au moins cinq critères sur les huit sont présents (tableau 2). Notre patient a réuni six critères sur huit, cependant ces critères ont été établis pour le diagnostic des formes primaires et sont utilisés par extension pour les formes secondaires. D’autres séries asiatiques de SAM secondaire chez l’adulte confirment le diagnostic devant l’association d’une bi-cytopénie et une image d’hémophagocytose [13, 14].

Le myélogramme est un examen clé qui permet de confirmer le diagnostic et parfois faire suspecter ou confirmer l’étiologie de ce syndrome. Habituellement, c’est une moelle riche, infiltrée par des histiocytes-macrophages de morphologie normale activés, phagocytant des cellules hématopoiétiques et dont le pourcentage > 3 % des cellules nucléées [15] (tableau 2).

D’autres anomalies biologiques sont souvent associées ; une anémie arégénérative avec stigmates d’hémolyse [1], anomalies de l’hémostase par hypofibrinogénémie ou thrombopénie évoluant vers une coagulation intravasculaire disséminée [14, 16], augmentation des LDH, cytolyse hépatique et une hyponatrémie. Le taux de la procalcitonine peut orienter le diagnostic étiologique. Une étude française à Rouen a montré que la procalcitonine était significativement plus élevée au cours des SAM lorsqu’il s’agissait d’un sepsis bactérien par rapport à une infection virale (20 vs 4 ng/mL) ou par rapport à une étiologie non infectieuse (20 vs 9 ng/mL) [17]. Dans notre cas le taux de la procalcitonine, la CRP et les hémocultures nous ont permis d’écarter un SAM secondaire à un sepsis. Les sérologies de notre patient ne révélaient pas d’infection virale active, l’étiologie virale a donc été écartée.

Le SAM est dans plus de 90 % des cas secondaires ; il peut apparaître au cours de diverses pathologies. Les néoplasies représentent l’une des étiologies majeures (30 %) [8] ; elles sont dominées par les lymphomes de haut grade de malignité (20 %), suivies par les autres hémopathies malignes telles que les leucémies aiguës, le myélome multiple, le syndrome myélodyplasique ou les syndromes myéloprolifératifs. Le SAM peut compliquer ou révéler une tumeur solide [1, 8] dans seulement 1,6 % des cas, notamment lorsqu’il existe des métastases médullaires [6]. Cette association a rarement été rapportée dans la littérature, des cas isolés coïncidant avec une prédominance de mélanomes malins métastatiques [18], cancers gastriques, tumeurs germinales du médiastin, pulmonaire à petites cellules, rhabdomyosarcome. Aucun cas n’a été rapporté en association avec un cancer du côlon.

Les métastases osseuses des cancers coliques sont moins fréquentes que les métastases hépatiques et pulmonaires : 1 à 7 % vs 50 à 75 % pour les métastases hépatiques et 26 à 50 % pour les métastases pulmonaires [19, 20]. Cette atteinte est le plus souvent d’apparition tardive. L’atteinte osseuse isolée est encore plus rare [21], et la fréquence relative en cas de métastases osseuses révélatrices est de l’ordre de 1 % [22].

Chez notre patient, aucune autre cause secondaire que les métastases n’a été retenue. Les hémocultures étaient négatives, les sérologies virales également, notamment EBV et VIH. La CRP et la procalcitonine étaient légèrement élevées. Il n’y avait pas de blastose, ni de signes de dysmyélopoièse ou d’éléments parasitaires sur le myélogramme. En revanche les examens ont objectivé des images de cellules extra-hématoiétiques, un adénocarcinome colique et le CA19-9 élevé.

Conclusion

Le syndrome d’activation macrophagique est une pathologie rare, avec une mortalité élevée, liée à une activation inappropriée du système immunitaire. Il se traduit par une infiltration tissulaire par des macrophages activés. Son diagnostic repose sur l’association de signes cliniques et biologiques, non spécifiques, imposant la recherche cytologique ou histologique d’hémophagocytose et une enquête étiologique assez exhaustive. Les étiologies secondaires sont largement dominées par les infections et hémopathies malignes.

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêts en rapport avec cet article.

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