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Annales de Biologie Clinique

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Les pathologies cristallines humaines : les premières étapes de la pathogénèse Volume 78, numéro 4, Juillet-Août 2020

Illustrations


  • Figure 1

  • Figure 2

  • Figure 3

  • Figure 4

  • Figure 5

  • Figure 6

  • Figure 7

  • Figure 8

  • Figure 9

Les pathologies cristallines sont très fréquentes et affectent plus d’un adulte sur deux au-delà de 60 ans, qu’il s’agisse de calculs des voies urinaires ou biliaires, des calcifications vasculaires ou d’arthropathies cristallines. Souvent considérées comme bénignes, ces pathologies peuvent parfois être responsables d’une morbidité importante et très invalidante. Les pathologies microcristallines constituent un champ de recherche majeur actuellement en plein essor et ce notamment en raison de l’opportunité offerte par de nombreuses techniques de caractérisation physicochimique permettant de décrire les calcifications pathologiques à des échelles subcellulaires ainsi que leurs relations avec le tissu environnant [1-3]. Jusqu’à présent, nous nous sommes attachés à démontrer le caractère ubiquitaire des dépôts anormaux dans le corps humain et leur diversité physicochimique [4] en mettant en œuvre soit des techniques de caractérisation de laboratoire comme le microscope électronique à balayage à effet de champ [5], soit des techniques de caractérisation spécifiques aux grands instruments comme la spectroscopie d’absorption X [2]. Cette recherche nous a permis d’étendre à d’autres organes la relation intime qui existe au niveau du rein entre la nature de la pathologie et les caractéristiques physicochimiques de ces entités biologiques [6-9].

Dans cette mise au point, nous allons aborder au travers de l’analyse d’une littérature récente les différents modèles proposés pour la genèse des calcifications pathologiques. Partant d’un rappel des définitions des processus de nucléation homogène et hétérogène, nous verrons que différents types de composés, des cristaux mais aussi des structures organiques comme l’ADN ou les fibres d’élastine sont aptes à jouer le rôle de centre de nucléation. Nous terminerons par la présentation de deux maladies génétiques qui affectent le fonctionnement d’un transporteur, la cystinurie et la cystinose. Ces dysfonctionnements conduisent à la formation de cristaux de cystine dans l’urine pour la cystinurie ou intracellulaires dans le cas de la cystinose.

Nucléations homogène et hétérogène

La nucléation (ou germination) se définit par la formation spontanée des germes de cristaux dans un milieu sursaturé qui favorise la formation d’agrégats moléculaires qui constitueront les briques élémentaires des futurs cristaux. La sursaturation constitue donc le processus “premier” qui conditionne à la fois la cinétique de cristallisation et le nombre de cristaux créés et par voie de conséquence leurs évolution et propriétés ultérieures, au premier rang desquelles la taille. On qualifie de primaire la nucléation qui prend place dans un milieu fortement sursaturé constitué d’une seule phase-mère, ce qui conduit à un processus de cristallisation.

Lorsque la nucléation prend place dans un milieu contenant déjà des cristaux de la nouvelle phase, elle est qualifiée de secondaire. On définit alors une taille critique pour ces germes à partir de laquelle on introduit la notion de cristallisation. On distingue un processus de nucléation homogène pour lequel on a la même probabilité de formation d’un nucleus critique dans tout le volume de la solution sursaturée (événement stochastique) et un processus de nucléation hétérogène où cette fois le nucleus se forme sur des sites de nucléation préférentiels, en particulier des germes cristallins d’une autre espèce moléculaire elle-même en sursaturation dans le milieu.

Le processus de nucléation homogène de l’hydroxyapatite phosphocalcique va nous permettre d’introduire un premier processus de nucléation. Des expériences de diffraction des rayons X effectuées sur une solution aqueuse associant une préparation de sel de calcium (souvent du chlorure de calcium ou du nitrate de calcium) avec une solution contenant du phosphate ont mis en évidence des maxima dans la fonction de distribution de paires d’ions positionnés entre 1,55 et 4,1 Å [10] relatifs aux paires d’ions suivantes P-O, O-O et Ca-O, Ca-Ca et enfin P-P. Cette analyse a révélé la présence d’agrégats sphériques de diamètre égal à 9,5 Å. Leur composition chimique est la suivante Ca9(PO4)6, nH2O [10]. Au cœur de cet agrégat sont placés trois ions Ca2+ se trouvant sur un axe trigonal. Ces cations sont entourés d’une première couche formée par six ions PO43-, et d’une deuxième couche formée par six ions Ca2+. En solution, des calculs de chimie théorique dévoilent la stabilité de ces assemblages [11]. Ces clusters dits de Posner sont évoqués pour différents types de phosphates de calcium cristallisés comme l’hydroxyapatite, le phosphate octocalcique, le phosphate tricalcique α et β [12].

Ces groupements constituent des germes et leur assemblage progressif s’associe au processus de cristallisation de l’hydroxyapatite [13]. Notons que sur la base de calculs de dynamique moléculaire, il semble que ces agrégats se forment en solution en quelques nanosecondes, leur composition chimique dépendant de la composition de la solution mère [11].

En fait, le modèle de Posner est très souvent remis en question notamment quant à sa chimie. C’est le cas lorsque l’on se place non pas en milieu basique mais en milieu acide [14]. Dans ce cas, on observe des rapports Ca/P compris entre 1,18 et 1,5 [14]. Ces valeurs rendent compte du fait qu’en milieu acide, des hydrogénophosphates interviennent dans la formation de la phase minérale. Cette fois l’unité de base serait constituée de complexes [Ca2+ - (HPO4)3]4− pour ensuite former des entités [Ca2(HPO4)3]2−.

Enfin, il convient d’aborder la présence des autres cations dans les solutions biologiques comme l’urine. Ceux-ci comme Na+ peuvent en effet être présents dans des quantités bien plus importantes que le calcium. Les premières simulations par dynamique moléculaire montrent que le sodium aurait tendance à se substituer au calcium dans les couches de surface [11]. Des études sont en cours pour aborder la chimie des clusters de Posner dans un environnement plus complexe où seraient présents d’autres ions tels que K+, Mg2+, Cl-, HCO3-

En néphrologie, les cristallites dont l’assemblage est à l’origine des calculs rénaux se forment en solution [6]. Lors de l’étude de la cristallurie, les phases chimiques associées à ces cristallites sont identifiées sur la base de leur morphologie, de leur biréfringence et du pH de la solution [15]. Les équations liées au processus de sursaturation doivent tenir compte de la présence de composés inhibiteurs des processus de germination-croissance et permettent au clinicien notamment d’apprécier les risques de récidives du patient.

Lors de l’analyse de la cristallurie, on observe également des superpositions de cristaux dans les urines. Dans la mesure où ces superpositions s’effectuent selon des orientations cristallographiques privilégiées, il convient d’évoquer des processus d’épitaxie entre les différentes phases chimiques associées à ces cristaux. Ainsi, ces superpositions tendent à montrer que des processus de nucléation hétérogène existent également dans les urines et sont observables lorsque l’on réalise des études de la cristallurie en microscopie optique (figure 1). Parmi les associations de phases chimiques relevées lors de l’analyse des cristalluries, nous avons retenu les combinaisons suivantes :

  • cristallites de whewellite sur un cristallite d’acide urique anhydre (figure 1A) ;
  • cristallites octaédriques de weddellite sur des baguettes de brushite et réciproquement (figure 1B) ;
  • cristallites de weddellite sur un cristallite d’acide urique anhydre (figure 1C) ;
  • cristallite octaédrique de weddellite avec des cristallites de calcite fixés à ses différents sommets (figure 1D).

Il convient de s’intéresser à ces associations puisque la présence de cristallites, mais aussi leurs caractéristiques, leur abondance et leur fréquence appréciée sur des prélèvements répétés renseignent sur les facteurs métaboliques ou les pathologies qui en sont responsables. D’autres associations sont bien sûr possibles. Afin de comprendre ces associations, il est nécessaire de parfaire nos connaissances sur les faces cristallographiques mises en jeu lors de ces épitaxies [16].

Des observations à l’aide d’un microscope électronique à balayage à effet de champ (MEB-EF) sur un calcul d’oxalate de calcium dont la plaque de Randall était constituée d’un mélange d’urate acide de sodium monohydraté et de carbapatite ont permis de mettre en évidence d’autres interactions fortes entre phases chimiques [17] (figure 2A). Ainsi, les clichés MEB couplés à une analyse des spectres de fluorescence X induite par des électrons dévoilent la présence de baguettes d’urate de sodium terminées par une extrémité arrondie composée de phosphate de calcium (figure 2B) [17].

Altération de la surface du tissu biologique

L’altération des tissus peut constituer le point de départ des calcifications ectopiques [1,2]. Dans le cas de la plaque de Randall [18], c’est l’altération de la surface de la papille qui conduit à la formation d’un calcul par piégeage puis agglomération des cristallites formés, eux, à la suite d’un processus de nucléation homogène. La figure 3A montre une papille rénale saine où l’on distingue la sortie des tubes collecteurs. La figure 3B dévoile la présence d’une plaque de Randall formée d’une couche composée de phosphate de calcium de structure apatitique et de protéines à la surface de cette papille.

La figure 3C montre l’interface entre la plaque de Randall et les cristaux de whewellite. La construction du calcul rénal s’effectue initialement par un piégeage des cristaux de whewellite par la couche composée de phosphate de calcium de structure apatitique et de protéines recouvrant la surface de cette papille. Puis de proche en proche, les cristallites de whewellite de dimension micronique s’agglomèrent cette fois entre eux pour donner naissance au calcul rénal. Ce mode de lithogenèse peut être suspecté par l’analyse morphologique du calcul (figure 4) montrant la présence d’un fragment de la plaque de Randall à l’examen microscopique du calcul qui constitue aujourd’hui la première étape de l’analyse morpho-constitutionnelle développée pour optimiser l’interprétation clinique des résultats fournis par le laboratoire [19, 20].

Nous allons maintenant aborder un processus similaire qui affecte cette fois le système cardiovasculaire et notamment au niveau des valves cardiaques.

Nous avons effectué une étude sur les valves cardiaques humaines calcifiées couplant histopathologie, immunohistochimie et techniques de caractérisation physicochimique (MEB-EDX et spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier (IR-TF)) [21]. Les différents clichés de microscopie électronique à balayage collectés sur une dizaine d’échantillons dévoilent la présence de calcifications ectopiques (figures 5A, 5B, 5C) présentes à la surface de la valve cardiaque. Ces dépôts ne peuvent pas être mis en évidence par des techniques de coloration classiques mises en œuvre à l’hôpital (von Kossa par exemple) en raison de leur taille. En effet la dimension la plus petite des aiguilles est clairement de l’ordre du nanomètre et la taille des amas est de l’ordre de la dizaine de micromètres.

Ces aiguilles qui sont insérées dans le tissu et non pas simplement déposées à sa surface exhibent deux types de morphologies très distinctes (figures 5A, 5B, 5C) : une forme tubulaire (figures 5A, 5B) et « une forme en plaquettes » (figure 5D). Cette différence montre qu’il y a probablement deux phases chimiques distinctes. De plus, comme le montrent les figures 5B et 5C, ces faisceaux d’aiguilles peuvent être nombreux à la surface des valves.

L’ensemble des clichés semblent montrer que le dépôt des sphères d’apatite s’effectue sur ces amas d’aiguilles dont la composition chimique reste à déterminer mais qui sont probablement constituées en partie de cholestérol (figure 5D) comme le suggèrent les spectres de spectroscopie IR-TF. La présence de phosphate de calcium de type apatite nanocristallisée et amorphe a été confirmée par des expériences de spectroscopie IR-TF et de fluorescence X induite par des électrons.

Ainsi la première étape de la pathogenèse de la calcification semble liée à une altération de la surface de la valve matérialisée par la formation de ces amas d’aiguilles et de plaquettes. Les calcifications constituées de phosphate de calcium apatitiques ne viennent se former que dans un deuxième temps. Ce modèle pour la pathogenèse modifie sensiblement la stratégie que l’on doit concevoir pour combattre la constitution de ce type de calcification.

Finalement, l’altération des surfaces comme processus initiateur d’une calcification concerne non seulement les tissus mais aussi les dispositifs médicaux. Lors d’une étude dédiée aux sondes « JJ » utilisées en urologie, nous avons montré que le marquage à la surface des sondes augmente de manière significative la rugosité de surface de ce dispositif médical entraînant la formation de calcifications [22].

Le rôle des protéines

Nous allons initier ce paragraphe par les calcifications physiologiques. Un cas d’école est donné par le tissu osseux [23]. En ce qui concerne l’interaction entre le minéral et le collagène, des études récentes menées par résonance magnétique nucléaire à l’état solide montrent que ce sont des protéoglycanes (combinaison d’une protéine et d’un glycosaminoglycane) qui composent l’interface entre le minéral et le collagène [24]. Ces sucres pourraient également jouer un rôle sur la stabilité de la partie amorphe du minéral présent en surface du minéral [25].

En ce qui concerne la croissance des plaquettes d’apatite, il ne faut pas oublier les protéines non collagéniques qui ont un rôle primordial sur la croissance, la formation ou la minéralisation de l’os. Ces protéines qui présentent de nombreux résidus phosphorés pourraient se lier à des germes ou à des cristaux de petite taille et ainsi stopper la croissance de ceux-ci.

Dans certaines pathologies, les fibres organiques sont aptes à jouer le rôle de centre nucléateur. D’une manière générale, l’agrégation, la glycation (réaction non enzymatique qui se produit entre un glucide et une molécule disposant d’un groupement amine libre, telle qu’une protéine) et l’oxydation constituent les principaux types de modification protéique fréquemment observés dans de nombreuses maladies telles que le diabète, l’athérosclérose ou encore les maladies neurodégénératives [26].

La réaction de glycation endogène a lieu spontanément dans l’organisme. C’est une réaction irréversible et cumulative. Elle fait essentiellement intervenir le glucose, le sucre réducteur le plus présent dans l’organisme. En ce qui concerne les protéines, les fonctions amines des différents acides aminés participent aux liaisons peptidiques. C’est ainsi que seuls les acides aminés en position N-terminale ou ceux ayant une fonction aminée en position latérale (lysine, arginine, histidine) sont des cibles de la glycation.

Quel est l’impact de la glycation sur les protéines ? Lorsque les protéines jouent un rôle important dans l’architecture tissulaire, comme les protéines de la matrice extracellulaire, leur vieillissement moléculaire est responsable d’une perte progressive des propriétés mécaniques des tissus concernés. Ainsi, le collagène devient beaucoup plus rigide sous l’effet de la glycation [27], celle-ci réduisant également les propriétés élastiques de l’élastine [28].

Quelle est la relation entre glycation et calcification ? Certains travaux tendent à montrer une relation intime entre les produits glyqués et la présence de calcifications. La glycation peut éventuellement entraîner une modification du phénotype transformant les cellules musculaires lisses vasculaires en ostéoblastes [29].

Sur le plan chimique, il convient de noter que les polysaccharides sont capables de jouer le rôle de centre de nucléation pour les apatites et de moduler la taille et la morphologie des cristallites d’apatite [30]. En effet, les groupes fonctionnels (e.g. −COOH, −OSO3H, −NH2, −OH) des polysaccharides sont capables de chélater les cations divalents Ca2+ et de former des liaisons hydrogène avec les groupements (PO4)3− et les molécules d’eau présents à la surface du minéral [30]. Plus précisément, le taux de nucléation et la vitesse de croissance dépendent du groupe fonctionnel et l’ordre est le suivant −COOH > −CONH2 > −OH [28].

Dans des travaux appartenant à différentes spécialités médicales, la microscopie électronique à balayage à effet de champ nous a permis de visualiser les sphères d’apatite et les fibres présentes dans le tissu. La figure 6A montre de telles calcifications composées de phosphate de calcium de structure apatitique accrochées aux fibres présentes dans le tissu mammaire [7]. Dans la sarcoïdose cutanée, outre les dépôts de phosphate de calcium, des calcifications composées de carbonate de calcium ont été observées (figure 6) accrochées aux fibres présentes dans la peau [31].

D’autres fibres organiques sont aptes à jouer le rôle de centre nucléateur. C’est le cas de l’ADN libéré par les cellules lors de leur lyse [32]. Les figures 7A et 7B montrent une colocalisation de l’ADN mise en évidence par une coloration DAPI et la calcification mise en évidence par une coloration avec le « von Kossa ».

Dans le cas de l’artériolosclérose (figures 7C et 7D), la coloration au « von Kossa » montre clairement que la calcification suit les fibres présentes dans la paroi de l’artère [33]. Dans le cas de la calciphylaxie (figures 7E et 7F), la localisation des calcifications peut être complètement différente puisque celle-ci se situe dans la lumière du vaisseau [33]. Cette distinction sur la localisation des calcifications n’est pas sans rappeler ce que l’on observe pour les calcifications ectopiques présentes dans une biopsie rénale [34]. Les figures 7G et 7H illustrent des calcifications ectopiques composées d’oxalate de calcium présentes soit dans la lumière du tube, soit dans les cellules tubulaires.

Ainsi, même si les phases chimiques sont ici différentes (oxalate de calcium pour les tubes proximaux ou distaux du rein et phosphate de calcium pour les vaisseaux), des similarités sur la localisation semblent exister. En se basant sur des travaux effectués dans le système cardiovasculaire [35], on peut distinguer deux types de calcification artérielle :

  • une calcification intimale (athéromateuse) ;
  • une calcification médiale -connue sous le nom de sclérose de Mönckeberg- liée à la rigidité vasculaire.

Si des différences notables sur la structure existent entre vaisseaux sanguins et tubes proximaux et distaux du rein, on peut remarquer que dans les deux cas, l’interface entre le fluide et le vaisseau est assurée par des cellules.

En ce qui concerne les calcifications présentes sur l’élastine, de nombreux travaux ont été réalisés. Quelques rappels s’imposent auparavant. L’élastine est un polymère totalement insoluble, hydrophobe et durable, avec une demi-vie estimée entre 40 et 70 ans. L’élasticité de la paroi des artères centrales diminue avec l’âge, processus qui résulte d’un remplacement progressif de l’élastine par des fibres de collagène et/ou d’une glycation [36]. Plus précisément, le rapport élastine/collagènes est un bon indicateur de l’élasticité ; plus ce rapport est élevé, plus le vaisseau est élastique : il est égal à 2 au niveau de la crosse aortique et à 0,5 au niveau de l’aorte abdominale [37]. Enfin rappelons que si l’élastine constitue l’élément majoritaire des fibres élastiques (90 %), d’autres protéines sont également présentes : glycoprotéines microfibrillaires comme les fibrillines et les glycoprotéines associées aux microfibrilles [38].

Si l’on revient aux calcifications, une étude publiée en 1950 a démontré qu’avec l’âge croissant des patients, le contenu en élastine chutait, tandis que la calcification augmentait. De plus, cette calcification était associée à une fragmentation des fibres élastiques [39]. Des travaux relativement récents basés sur des souris génétiquement modifiées montrent que dans les artères, les fibres concernées par un processus de calcification sont bien les fibres d’élastine et non pas le collagène [40]. Une investigation basée sur de nombreuses techniques (diffraction des rayons X, spectroscopie IR-TF, Raman) et notamment de la spectroscopie d’absorption X au seuil du calcium semblent confirmer cette pathogenèse [41]. La visualisation de la colocalisation entre les fibres d’élastine et les calcifications s’effectue par le biais d’une double coloration au von Kossa et au van Gieson qui colore les fibres élastiques sans spécificité.

Cristaux présents dans les vésicules

Toutes les cellules de l’organisme sont capables de libérer dans le milieu extracellulaire des vésicules, que ce soit dans des conditions physiologiques ou pathologiques. En ce qui concerne les calcifications physiologiques et plus particulièrement l’os, les premiers modèles de croissance datent des années 1920-1930 et sont basés sur l’existence de vésicules [42]. La littérature sur ces entités biologiques indique des diamètres compris entre 50 et 200 nm [43]. Certains points se rapportant à ce mode de croissance des calcifications vont être maintenant abordés ci-dessous.

Tout d’abord, il semble que l’ostéocalcine, protéine présente dans l’ostéoïde, capte des ions Ca2+ extracellulaires [44]. Leur acheminement au sein de la vésicule matricielle s’effectue probablement par des canaux élaborés par des protéines transmembranaires, telles que les annexines. L’ostéoblaste génère ensuite des vésicules matricielles riches en phosphatases alcalines qui induisent l’accumulation de Ca2+ et de PO43-, et en pyrophosphatases capables de libérer les ions PO43- à partir de molécules plus grosses. La transition germe – cristal provoque la dégradation des vésicules matricielles, leur expulsion dans le fluide extracellulaire [45].

Les calcifications pathologiques sont aussi concernées par ce mode de croissance. C’est le cas notamment pour les cellules musculaires lisses vasculaires [46]. En raison de la présence d’inhibiteurs de calcification, ces vésicules ne minéralisent pas en conditions physiologiques. Dans le cas contraire, les vésicules sont chargées de phosphatase alcaline qui, en dégradant le pyrophosphate, induit la formation de phosphate de calcium de structure apatitique. On observe ainsi un mécanisme similaire à celui existant dans l’os.

Des vésicules ont également été observées dans d’autres contextes pathologiques. La figure 8A montre ces vésicules dans le cadre d’une étude dédiée à l’athérosclérose [47].

Des vésicules sont également présentes dans le tissu rénal [46-48]. Les premiers clichés de microscopie électronique en transmission sont issus des travaux de Khan et al.[48]. Ils montrent des vésicules présentes dans le tissu rénal (figure 8B). Ces vésicules constituent les premières étapes de la genèse de la plaque de Randall, calcification ectopique située dans l’interstitium près du sommet de la papille rénale. Néanmoins, ces observations ne donnent pas la composition chimique des dépôts présents au centre de ces vésicules. C’est pourquoi nous avons réalisé des observations similaires mais en couplant nos observations à une mesure des spectres de fluorescence X induite par des électrons (figures 8C à 8G), technique capable d’identifier les éléments présents au cœur de ces vésicules [49, 50]. L’ensemble des clichés montre non seulement ces vésicules qui peuvent être de différentes tailles dans le tissu rénal, mais aussi la répartition spatiale des différents éléments en particulier le phosphore (figure 8E), le calcium (figure 8F) et l’azote (figure 8G) au sein même de ces vésicules.

Cristaux intracellulaires vs extracellulaires

Afin d’illustrer ces deux cas de figure, nous allons prendre comme cas d’école les cristaux de cystine. Cette phase chimique accompagne deux pathologies de nature très différente :

  • la cystinurie qui est une affection autosomique récessive à l’origine d’une aminoacidurie responsable d’une maladie lithiasique par cristallisation intratubulaire puis intracavitaire de cystine [51] ;
  • la cystinose qui est une autre affection autosomique récessive à l’origine d’une maladie métabolique entraînant une accumulation lysosomale de cystine qui endommage plusieurs organes et tissus, surtout les yeux et les reins [52].

La cystinurie est la maladie génétique lithogène la plus fréquente dont la prévalence est de l’ordre de 1/20 000 naissances. Le diagnostic s’établit soit en analysant le calcul rénal, soit en effectuant une étude de la cristallurie. La cystine est un acide aminé formé de deux molécules de cystéine liées par un pont disulfure. La cystine et les acides aminés dibasiques présents dans la lumière tubulaire sont absorbés par les cellules du tubule proximal via un transporteur formé de deux sous-unités rBAT et B(0,+)AT, localisé du côté luminal des cellules tubulaires. La protéine B(0,+)AT est le transporteur et rBAT régule son activité. Une fois absorbée par la cellule grâce à son transporteur luminal, la cystine est hydrolysée en deux molécules de cystéine, qui sont ensuite externalisées par un transporteur à travers la membrane basolatérale pour rejoindre le flux sanguin. La cystinurie est due à un défaut du transporteur transépithélial tubulaire proximal des acides aminés dibasiques (cystine, ornithine, lysine et arginine). Il n’existe pas de conséquence pathologique du défaut de réabsorption d’ornithine, de lysine et d’arginine. En revanche, l’accumulation de cystine, à cause de sa faible solubilité au pH urinaire normal, va finalement conduire à la formation de calculs de cystine (figure 9A) à partir des cristaux dans les urines (figure 9B).

La cystinose est une maladie métabolique rare, héréditaire, dont la prévalence est de 1/200 000 naissances [52]. Les signes d’appel cliniques sont principalement au nombre de trois : retard staturo-pondéral, syndrome polyuro-polydypsique, rachitisme vitamino-résistant apparaissant entre 6 et 12 mois. Le diagnostic est confirmé par la présence de dépôts cornéens de cristaux de cystine, pathognomoniques de la maladie, par le dosage biochimique de la cystine intra-leucocytaire qui montre un taux élevé d’hémi-cystine par mg de protéines, en général > 3 nmoles (normale < 0,2 nmole) et par l’étude génétique. Le dosage de la cystine intracellulaire repose en effet sur le dosage de la cystine dans les leucocytes où elle s’accumule comme dans les tissus [52].

La maladie est liée à une accumulation intra-lysosomale de cystine dans la plupart des cellules de l’organisme (figures 9C et 9D). Elle est due à une mutation du gène CTNS localisé sur le bras court du chromosome 17, qui comporte 12 exons et qui code pour une protéine de transport membranaire, la cystinosine, transportant la cystine hors des lysosomes dans le cytoplasme où elle est réduite en cystéine [52].

Conclusion

Cette présentation nous a permis d’évoquer les toutes premières étapes de la pathogenèse des dépots anormaux pouvant exister dans l’organisme ainsi que leur localisation. Bien que succincte, elle permet d’apprécier le complexité et la diversité des processus de nucléation-croissance de ces entités biologiques. En effet, des processus de nucléation homogène et hétérogène sont décrits, le rôle de centre nucléateur pouvant être joué par des cristaux (par exemple cristaux de cholestérol dans le cas de valves cardiaques) ou par des fibres (élastine dans le cas du système cardiovasculaire. Finalement la localisation peut, elle aussi, être de nature très variée puisque ces calcifications peuvent être positionnées au sein des cellules, dans les fluides biologiques, dans la lumière ou dans les parois des vaisseaux ou de tubes proximaux ou distaux du rein par exemple.

Remerciements

Cette recherche sur les calcifications pathologiques a été soutenue par trois ANR (ANR-09-BLAN-0120-02, ANR-12-BS08-0022-03, ANR-13-JSV1-0010-01), un projet CORDDIM (2013-COD13004) et un projet Convergence de l’université Pierre-et-Marie-Curie, la Société de Néphrologie (Genzyme grant), et l’Académie nationale de médecine (Nestlé-Waters award).

Liens d’intérêts

les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article.

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