JLE

ANALYSE D'ARTICLE

Sécurité sanitaire des matériaux au contact des aliments : les failles de l’évaluation des risques

Comparant les réglementations en vigueur en Europe et aux États-Unis, les auteurs de cet article concluent qu’aucune ne permet d’assurer que l’aliment est exempt de substances potentiellement néfastes provenant des objets et matériaux avec lequel il a été en contact. Identifiant les failles de l’évaluation des risques, ils formulent des recommandations de prudence et appellent la communauté scientifique à réfléchir aux moyens de mieux protéger les consommateurs.

Sur la chaîne de production industrielle, un aliment entre en contact avec plusieurs objets (convoyeurs à bande, ustensiles de cuisine, cuves de stockage, etc.) avant son conditionnement final. Ces objets et emballages sont fabriqués à partir de divers matériaux (incluant des plastiques, des métaux, du verre, des papiers et cartons, des adhésifs et des encres d’impression) qui ne doivent pas nuire à la qualité ni à la sécurité sanitaire de l’aliment. En particulier, ils ne doivent pas entraîner un risque de contamination chimique préjudiciable à la santé.

 

Encadrement réglementaire

En Europe, le règlement (CE) n̊ 1935/2004 concernant les matériaux et objets destinés à entrer en contact avec des denrées alimentaires couvre notamment les machines et matériels utilisés dans la production, le stockage et le transport des denrées, ainsi que les emballages et conditionnements. Il instaure le principe d’inertie : ces objets et matériaux doivent être fabriqués afin que, dans les conditions normales et prévisibles de leur emploi, ils ne cèdent pas aux denrées alimentaires des constituants en une quantité susceptible de présenter un danger pour la santé humaine. Ce règlement cadre est complété par des textes spécifiques pour 17 groupes de matériaux, précisant les critères d’inertie et notamment des limites de migration spécifiques.Toutes les substances utilisées intentionnellement dans la fabrication des objets et matériaux en matière plastique (monomères et autres substances de départ, additifs, auxiliaires de production de polymères et macromolécules obtenues par fermentation microbienne) doivent figurer sur une liste autorisée. Trois tests de mutagénicité et de génotoxicité in vitro sont requis pour les substances susceptibles de migrer, complétés par des tests de toxicité in vivo, en fonction de la quantité cédée par kilogramme de denrée alimentaire (> 50 μg/kg : tests de toxicité subchronique ; > 5 000 μg/kg : tests de toxicité subchronique et chronique dont développementale et reproductive).

Aux États-Unis, la Food and Drug Administration (FDA) classe un matériau destiné au contact alimentaire comme sûr lorsqu’il existe un niveau de certitude scientifique raisonnable pour estimer qu’il n’est pas dangereux dans les conditions normales de son utilisation (Generally Recognized as Safe [GRAS] en référence au Food Additives Amendment de 1958). En l’absence d’alerte de génotoxicité, des tests toxicologiques ne sont pas requis pour les substances composant ces matériaux, ainsi que pour celles qui étaient utilisées avant 1958. Une autre exemption dans la réglementation des « food additives » (qui couvre toute substance présente dans l’aliment, intentionnellement ou pas) concerne les composés présents à des concentrations entraînant une exposition jugée négligeable (< 1,5 μg par personne et par jour). Au-dessus de ce seuil, comme en Europe, la toxicité est évaluée selon une approche graduée en fonction de l’exposition estimée. Des tests de toxicité développementale et reproductive sont exigés pour une exposition pouvant dépasser 3 mg par personne et par jour.

Lacunes communes aux deux systèmes

Pour les auteurs de cet article, les deux systèmes présentent des défauts inhérents aux limites de migration (Europe) et seuils d’exposition (États-Unis) considérés pour les tests toxicologiques, qui reposent sur des doses journalières acceptables ou des apports journaliers cumulés dont le calcul reste incertain. Sous les deux réglementations, l’industriel peut utiliser certaines substances sans avoir à le notifier à l’autorité sanitaire ou faire réaliser par l’organisme de son choix l’évaluation de risque sans nécessité qu’elle soit revue par l’autorité (cas des composants de départ autres que monomères et additifs en Europe). Une fois une substance autorisée, elle ne fait pas l’objet d’une surveillance post-marketing qui permettrait d’estimer l’étendue de son utilisation. Ces lacunes entraînent une méconnaissance, à la fois du nombre de substances effectivement présentes dans les aliments, et de l’exposition réelle de la population.

Les deux systèmes requièrent des données d’exposition et de toxicité qui ne peuvent pas être générées pour beaucoup de substances dont la présence dans le produit fini n’est tout simplement pas connue. L’analyse de cinq échantillons de plastiques aptes au contact alimentaire et communément utilisés au Royaume-Uni montre ainsi qu’ils contiennent des composés néoformés que les substances de départ ne permettaient pas de prédire. Pour certaines substances, dont l’identité chimique est connue, l’inertie ne peut être établie du fait de l’absence de normes analytiques. Lorsque les tests de migration standardisés existent et indiquent que la substance peut être transférée à l’aliment, ses effets perturbateurs endocriniens potentiels ne sont pas évalués en routine.

Recommandations

L’ingestion de contaminants chimiques provenant d’emballages alimentaires ou d’autres objets ayant été en contact avec l’aliment n’est qu’une des sources d’exposition à des substances potentiellement nocives. La problématique de l’exposition cumulée amène les auteurs à conseiller de réduire au minimum possible le nombre et le type des substances utilisées dans la fabrication de matériaux destinés à entrer en contact avec des aliments. Les listes de produits autorisés ne devraient inclure que des substances dont la migration peut être testée et pour lesquelles le respect des limites d’exposition peut être vérifié. Par ailleurs, les exigences réglementaires méritent d’être actualisés au regard des progrès des connaissances. Les auteurs estiment en particulier que les données de toxicité devraient comporter l’évaluation du potentiel perturbateur endocrinien des substances, quel que soit le niveau d’exposition prévisible. Ils recommandent de dépasser l’approche actuelle, focalisée sur les substances de base et leur sécurité individuelle, pour considérer la toxicité du migrat global (mélange de toutes les substances cédées par un produit fini, qu’elles aient été ou non intentionnellement utilisées).

Certains fabricants, conscients de leur responsabilité et soucieux de leur réputation, appliquent volontairement des principes excédant les exigences en vigueur. Ces cas sont probablement minoritaires. Des mécanismes financiers et réglementaires doivent être mis en place pour éviter les conflits d’intérêts dans l’évaluation du risque et pour inciter à la recherche et au développement d’alternatives plus sûres que les produits existants.

Commentaires

La protection de la nourriture contre des pollutions diverses permet d’augmenter les durées d’utilisation des aliments et garantit en principe une consommation saine. Dans le même temps, en introduisant une barrière entre l’environnement et l’aliment, il est légitime de se poser la question des risques posés par cette frontière, soit liés à la matière elle-même, soit à des processus de transfert entre extérieur et intérieur (fonctions de l’hydrométrie et de la température).

Cet article très complet montre déjà que la composition chimique de ces barrières est fort complexe avec plus de mille substances impliquées (à des concentrations variables cependant) et de manière classique, les risques associés à ces substances ne sont pas tous bien maîtrisés. Cette situation amène les États à imposer des réglementations, qui dans l’ensemble semblent répondre au besoin (au moins pour des effets à court terme).

Cependant, les échanges entre extérieur et aliments sont complexes et les dangers possibles sont difficiles à rechercher dans des conditions proches du réel.

Pour ce qui concerne des effets à long terme, il est donc difficile d’apporter avec certitude un avis robuste et étayé. Les auteurs préconisent l’utilisation d’un nombre plus restreint de substances mieux maîtrisées et un durcissement de la réglementation… Vieux problème de positionnement du curseur entre rien et tout…

En attendant, rien ne vous empêche de manger de la nourriture fraîche non emballée ?

Jean-Claude André

 


Publication analysée :

* Muncke J1, Backhaus T, Geueke B, et al. Scientific challenges in the risk assessment of food contact materials. Environ Health Perspect 2017; 125: 095001. doi: 10.1289/EHP644

1 Food Packaging Forum Foundation, Zurich, Suisse.