JLE

ANALYSE D'ARTICLE

Le regroupement de substances pour l’évaluation des risques des nanomatériaux : pourquoi ? Comment ?

Afin de répondre au besoin urgent d’évaluer les risques sanitaires et environnementaux des nanomatériaux, des approches alternatives comme le regroupement de substances sont développées pour compléter les données manquantes, délimiter les problèmes à étudier et identifier des possibilités de recours à la méthode des références croisées.

To meet the urgent need to assess the health and environment risks of nanomaterials, alternative approaches such as grouping substances are being developed to supplement the missing data, identify the issues to be studied, and determine how to use the read-across method.

Comme pour toute substance, la dangerosité d’un nanomatériau est influencée par ses caractéristiques physico-chimiques. Mais dans le cas particulier des « nanos », de légères variations de l’identité physico-chimique (par exemple de taille ou de propriétés de surface) pourraient déterminer des profils de dangerosité très différents. Face aux contraintes matérielles, de temps et de coût, un programme d’essais exhaustif et systématique, qui couvrirait tous les nanomatériaux existants et à venir, est difficilement envisageable. De plus, il contrarierait la volonté de limiter l’utilisation d’animaux de laboratoire et entraverait l’innovation technologique. L’enjeu est donc de développer de nouvelles méthodes d’acquisition de données pour l’évaluation du risque, à la fois immédiatement applicables (suffisamment efficientes pour exploiter au mieux les informations disponibles encore limitées) et évolutives (suffisamment souples pour intégrer les nouvelles connaissances scientifiques et les futurs nanomatériaux). Cet article présente différentes applications d’une méthode – le regroupement de substances – développée dans le contexte du projet MARINA (Managing Risks of Nanomaterials) financé par l’Union européenne (7e programme-cadre).

 

 

Le regroupement pour une stratégie de tests ciblés

Les propriétés physiques des nanomatériaux (taille, forme, surface spécifique [superficie réelle de la surface de l’objet] incluant la porosité) et leurs propriétés chimiques (composition y compris structure cristalline, impuretés, caractéristiques de surface [revêtement, fonctionnalisation, charge]) influencent l’exposition, la toxicocinétique (par exemple capacité de translocation, distribution dans l’organisme, clairance, dissolution dans les macrophages) et le devenir dans l’environnement (comportement dans le milieu [eau, sédiments, air, sol], agrégation/agglomération et interactions avec les composants du milieu). Les nanomatériaux étant clairement caractérisés au plan physico-chimique (condition de base), des groupes de substances partageant une ou plusieurs propriétés peuvent être constitués (un même nanomatériau peut appartenir à plusieurs groupes à différents titres). L’intérêt d’un tel regroupement est de limiter à quelques membres du groupe le nombre de substances testées, les résultats étant appliqués à l’ensemble du groupe par interpolation. Lorsque le groupe rassemble des substances présentant une faible variation d’une propriété donnée, celles qui sont situées aux frontières doivent faire partie des substances testées, avec quelques autres, intermédiaires, afin d’examiner la relation entre la variation de la propriété et celle de l’effet mesuré.

La difficulté réside dans la formation de groupes pertinents de substances légèrement différentes, pouvant être couverts par les données générées à partir de quelques représentants du groupe seulement. Le nombre de propriétés physico-chimiques qui varie au sein du groupe complique le choix des substances à tester et rend moins certaine l’applicabilité des résultats à la totalité du groupe. L’existence de données in vitro sur la majorité des substances du groupe, confirmant une tendance quant à la variation de l’effet avec la variation de la propriété, peut soutenir la généralisation des résultats de tests in vivo sur une sélection de substances. Les propositions de regroupement peuvent aussi s’appuyer sur la connaissance du procédé de fabrication ou de corrélations, dans une certaine mesure, entre propriétés (par exemple la taille et la surface spécifique). L’utilisation prévue du produit est également à considérer, car elle détermine sa présentation (par exemple poudre ou suspension), la voie et le potentiel d’exposition, ainsi que le milieu environnemental dans lequel le nanomatériau risque de se retrouver.

 

Commentaires

Le read across ou lecture croisée est une technique développée afi n de prédire des valeurs toxicologiques pour une substance chimique nouvelle ou non encore évaluée à partir de connaissances obtenues sur des molécules similaires. Le règlement REACH (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals) favorise cette approche qui doit permettre de pallier au manque de données pour de nombreuses molécules sans avoir recours, ou de façon limitée, à de nouvelles expérimentations longues et coûteuses. Ceci répond aussi au souci de limiter l’expérimentation animale en application de la règle des 3R (reduce, refi ne, replace). L’article de Oomen et al. vise à appliquer cette approche dans l’évaluation des risques des nanomatériaux pour lesquels des stratégies de tests ne sont pas encore clairement défi nies. Dans une première étape, ces nanomatériaux sont regroupés en fonction de leurs caractéristiques physico-chimiques. Elle est déterminante et la déclaration obligatoire depuis 2013 en France [1] de la fabrication et de l’importation de « toutes substances à l’état nanoparticulaire de dimension comprise entre 1 et 100 nm » exige une caractérisation de ces propriétés. Le problème est que la France est le premier pays à établir cette obligation et que le reste de l’Europe tarde à suivre. L’étape suivante, le read across qui peut pallier au manque de données, n’est possible que si la première est franchie et nécessite des connaissances robustes sur la toxicologie des nanoparticules apparentées, dont la toxicocinétique, données qui restent encore très parcellaires. Dans un colloque organisé conjointement par la Société française de toxicologie (SFT) et le GIS (Groupement d'intérêt scientifique) FRANCOPA les 14 et 15 novembre 2013 [2], l’intérêt et les limites du read across ont été discutés et la conclusion a été qu’il ne peut pas être utilisé seul dans le cas de données peu abondantes et essentiellement pour des molécules similaires dont les mécanismes d’action sont bien connus. La question est de savoir si ce principe s’applique aux nanomatériaux. Cependant, l’article de Oomen et al. a l’intérêt de proposer une démarche logique qui devrait conduire à développer des évaluations de risque mieux structurées dans le domaine foisonnant des nano-objets.

Francelyne Marano

[1] Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), registre R-Nano : www.r-nano.fr

[2] FRANCOPA : www.francopa.fr

 

Cet article complexe illustre la difficulté à essayer de « rationaliser» l’évaluation du risque posé par les nano-objets. Cette dernière est, en l’état actuel des connaissances, très difficile, car il s’agit d’une technologie malgré tout émergente et les expositions ne sont pas encore complètement décrites.

Le nombre d’études sur la toxicité des nanoparticules (NP) est exponentiel, et elles ont en commun au moins une chose : leur manque d’unité. Il est difficile, voire impossible, de faire l’un des exercices essentiels du scientifique : comparer une série de publications, revues et validées par des pairs, concernant un même toxique, et ensuite se faire une idée sur les effets communs et divergents retrouvés entre les études. Le problème existe dès la caractérisation du toxique. Par exemple, la mesure de la taille d’une NP peut différer d’un laboratoire à l’autre (utilisation de différentes techniques, et même différence de résultat entre deux laboratoires utilisant la même technique). Ensuite, l’état de surface, le milieu de culture, les lignées cellulaires, les endpoints mesurés, les temps et les doses d’incubation etc., sont souvent différents. Difficile donc d’avoir une vision globale et claire, et ceci se ressent à la lecture de cet article devant le nombre de précautions et de catégories décrites. En effet, les auteurs cherchent à identifier des chefs de fi le, paradigmes en quelque sorte de «types» de NP. C’est là où le bât blesse, car il est admis qu’une faible différence de taille entre deux NP de même composition peut induire des effets différents. Aussi, la proposition des auteurs de prendre comme référence les effets toxiques décrits, en l’absence de forme nanoparticulaire, pour une forme microparticulaire ou moléculaire interpelle (read across entre nano et non-nano). Ensuite, toute évaluation de risque doit reposer sur l’identification de danger, et c’est là où l’article peut être également (négativement) critiqué. En effet, l’évaluation d’un produit repose sur son danger (intrinsèque) et non sur son risque (qui dépend de l’exposition). Il est affirmé ici que les dangers posés par les NP peuvent être résumés à une poignée ce qui est a minima naïf tout simplement en raison du manque d’études robustes, et de recul dans le domaine. Ensuite, dans la « poignée » proprement dite certains effets, comme l’autophagie ou la phagocytose frustrée pour donner deux exemples, ne sont pas cités. Tout simplement, il y a encore à ce jour très peu de consensus quant aux dangers posés par les NP. Ceci n’arrange pas les affaires des industriels qui souhaitent une régulation a minima. À ce sujet, le lecteur, s’il n’avait pas remarqué que quatre des auteurs étaient employés par l’industrie, se rend compte de l’orientation de l’article dès la lecture de son introduction : « Il y a un besoin urgent pour des approches efficaces dans l’évaluation du risque […] cette urgence est ressentie de la même manière par l’industrie et les autorités de régulation […] les coûts de tests approfondis pour garantir l’innocuité de NP très proches, et tester chaque matériau, pourraient être exorbitants et obérer/handicaper l’innovation dans le domaine ». Cette antienne de l’industrie revient donc cette fois-ci au sujet des nanotechnologies. Pour clore, les auteurs font abondamment référence à un article intitulé A decision-making framework for the grouping and testing of nanomaterials (DF4nanoGrouping). Celui-ci est écrit par 14 auteurs travaillant tous pour l’industrie. Cet article reste tout de même intéressant dans les points qu’il aborde, mais comme souvent, il faut savoir par qui il a été écrit.

Olivier Joubert

 

Seules les caractéristiques faisant l’objet de continuum, telles que la taille, l’épaisseur ou la charge de surface, peuvent permettre de constituer des groupes de nanomatériaux présentant de faibles variations, bordés par des substances bien identifiées. En revanche, cette démarche n’est pas adaptée pour des propriétés telles que la composition chimique, le type de revêtement de surface et sa fonctionnalisation, ou encore la forme générale du nanomatériau (sphère, tube, feuille, etc.).

 

Autres applications possibles

Le regroupement peut répondre à d’autres objectifs que d’élaborer une stratégie d’essais ciblés. Il peut aussi permettre de guider l’évaluation du risque en amont, en mettant en lumière des possibilités de « références croisées » ainsi que des besoins d’informations spécifiques. Dans la méthode des références croisées (ou lecture croisée : read-across), les données toxicologiques établies pour une « substance source » sont utilisées pour prédire l’effet d’une « substance cible » sur un paramètre (endpoint) spécifique. La substance cible (qui n’est donc pas testée) peut être un nanomatériau unique ou un groupe de nanomatériaux. La substance source peut être un autre « nano » ou un « non-nano » (présentant une similarité de structure avec la substance cible), et les données de plusieurs substances sources peuvent être requises. Cette méthode ne peut s’appliquer que pour une même voie d’exposition et doit être scientifiquement justifiée par la qualité des données utilisées et par d’importantes similarités (composition chimique, propriétés physico-chimiques, procédé de production, etc.) entre les matériaux source et cible. Généralement, ces matériaux appartiennent au même groupe de potentiel de dangerosité parmi quatre actuellement proposés : nanomatériaux à dissolution rapide, à rapport longueur sur diamètre élevé, actifs (composants toxiques spécifiques) et passifs (considérés comme les moins dangereux pour la santé humaine car non fibreux, sans composant toxique, avec une faible réactivité de surface, ne provoquant pas d’effet cellulaire spécifique et ne prévalant pas sous une forme dispersée dans les liquides biologiques).

Le regroupement selon le potentiel de dangerosité ou le potentiel d’exposition (sur la base de points communs en termes d’application pour laquelle le produit est développé, de procédé de fabrication et de présentation physique) fait apparaître des besoins d’informations spécifiques, orientant ainsi les recherches. Le cadre des questions auxquelles les essais doivent répondre peut être réduit par une sous-classification. Le groupe générique des nanomatériaux à dissolution rapide peut ainsi être subdivisé en fonction de la porte d’entrée (digestive, respiratoire, cutanée) et donc du compartiment biologique dans lequel la substance va se dissoudre, à une certaine vitesse et plus ou moins complètement selon les conditions rencontrées, produisant des effets potentiellement toxiques de natures différentes.

Un même nanomatériau peut entrer dans plusieurs groupes, à la fois pour des programmes de recherches d’informations spécifiques, de stratégies d’essais ciblés et d’acquisition de données par la lecture croisée. Le regroupement se présente ainsi comme un bon moyen d’exploiter au mieux les connaissances actuellement disponibles, suffisamment flexible pour s’adapter à leur évolution.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Oomen A, Bleeker E, Bos P, et al. Grouping and read-across approaches for risk assessment of nanomaterials. Int J Environ Res Public Health 2015; 12: 13415-34.

National Institute for Public Health and the Environment (RIVM), Bithoven, Pays-Bas.

doi: 10.3390/ijerph121013415